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Une voyante tourangelle vers 570
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Voici mon passage préféré dans "L'Histoire des rois francs" de Grégoire de Tours car il nous montre à la fois une voyante à l'époque des mérovingiens, le jugement des hommes d'Eglise sur son compte et le fait que les clercs lisaient au hasard la Bible (ce qu'on trouve en d'autres passages de l'ouvrage y compris pour prédire l'avenir).
Comme Constance de Rabastens, la voyante en cause a prédit avec succès certains événements antérieurs, mais là elle se trompe (je lisais il y a peu qu'au même moment à Byzance des possédés donnaient oracle dans les églises car le démon leur révélait des aspects de l'avenir).
Il s'agit ici de Histoire des Francs. 1 / par Grégoire de Tours dans sa version de 1823 - J.-L.-L. Brière (Paris) - établie par Guizot (p. 238) légèrement différente de la version traduite du latin par JJE Roy accessible en Folio Gallimard de nos jours (p. 114).
" Un jour que j'avais été invité à la table [de Mérovée], comme nous étions assis l'un près de l'autre, il me demanda avec instance de lui lire quelque chose pour l'instruction de son âme, et ayant ouvert le livre de Salomon je pris le premier verset qui me tomba sons les yeux contenant ces paroles « Que l'œil de celui qui insulte son père soit arraché « par les corbeaux des torrens et dévoré par les enfans de l'aigle » II ne le comprit pas et je regardai ces paroles comme une prédiction du Seigneur à son sujet.
Gontran (Boson) envoya alors un de ses serviteurs vers une femme qu'il avait connue dès le temps du roi Charibert, et qui avait un esprit de Python afin qu'elle lui apprît ce qui devait arriver. Il soutenait qu'elle lui avait annoncé d'avance non seulement l'année, mais le jour et l'heure où devait mourir le roi Charibert ; elle lui fit dire par ses serviteurs « Il arrivera que le roi Chilpéric mourra cette année et que le roi Mérovée régnera sur tout le royaume à l'exclusion de ses frères. Tu auras pendant cinq ans le commandement de tout le royaume mais la sixième année, par la faveur du peuple tu obtiendras la faveur de l'épiscopat dans une des cités situées sur la Loire à la droite de son cours, et tu sortiras de ce monde vieux et plein de jours. » Lorsque ses serviteurs lui eurent, en arrivant, annoncé cette nouvelle, transporté de vanité comme s'il eût déjà siégé dans la cathédrale de Tours, Gontran vint aussitôt me rapporter ces paroles. A quoi, riant de sa sottise, je lui dis « C'est à Dieu qu'il faut demander ces choses il ne faut pas croire ce que promet le diable car il est menteur et père du mensonge" 'ev Jean 8,44' » Lui donc s'en étant allé confus, je riais beaucoup de cet homme qui pensait qu'on devait croire de telles choses."
La version de JJE Roy précis au début du second paragraphe "Il y avait alors à Tours une femme qui faisait profession de prédire l'avenir" et ne dit rien de "l'esprit de Python". Et le "elle lui fit dire par ses serviteurs" est traduit par "la réponse de la prétendue prophétesse ne se fit pas attendre" sans mention de ses serviteurs.
L'affaire du monokini charentais

J'ai décliné il y a peu une invitation à aller parler sur France Inter de la place des seins dans notre société à une heure de grande écoute.
Voilà qui m'aurait exposé à commenter des phénomènes sociaux du type du fait divers typique des polémiques estivales qui a agité les réseaux sociaux hier. Jeudi 25 août à Châteauneuf sur Charente, une femme topless (certains disent "en string") qui jouait au ping pong sur la plage avec son fils a été frappée par une demi-douzaine de personnes pour avoir "baissé le bas" devant un garçon de 10 ans, en réplique à la mère de ce pré-ado qui demandait avec insistance à la dame topless de se rhabiller. Querelle entre deux femmes déterminées à défendre leurs droits : "mon droit à être topless" (je préfère dire topless qu'en monokini qui à l'origine désignaient les maillots "une pièce" couvrant tout le corps) contre "le droit de mes enfants à ne pas vous voir dénudée".
Vilaine querelle (avec les assaillants qui pique-niquent ensuite sur le lieu de leur "victoire" qui n'est pas allée bien loin (la dame n'a eu "qu'un saignement de nez", mais quand même elle a été bien violente pour elle, et humiliante, même s'il n'y a pas eu de poursuites par la gendarmerie venue sur les lieux peu de temps après), qui se double ensuite d'un retentissement médiatique un peu anarchique et absurde. Les témoins passifs (car personne ne s'est interposé) grossissent l'affaire en déclarant à la Charente Libre que la dame a été "tirée par les cheveux jusqu'à la mer" après qu'un des assaillants lui eût ôté son string, puis la dame qui explique qu'elle est allée d'elle même dignement se baigner nue dignement dans les vagues. Ensuite, toujours dans la Charente Libre, une pluie de commentaires racistes qui s'abat sur le journal en ligne parce que l'incident arrive au moment où le Conseil d'Etat statue sur les arrêtés anti-burkinis. Le site ferme l'accès aux commentaires en précisant qu'aucun Maghrébin (sic c'est ainsi qu'ils formulent leur mise au point) n'est impliqué dans la querelle qui n'a donc rien de religieux, et trouve déplorable d'avoir à le préciser. Trop tard : un site anti-immigration a déjà titré "Charia en Charentes : une baigneuse seins nus frappée, sa culotte arrachée".
L'incident montre les difficultés d'une société où tout le monde est prêt à aller au conflit pour défendre sa conception des droits incompatibles avec celle des voisins. Le contrôle social collectif ne fonctionne plus parce qu'il n'y a pas de consensus possible. Qui a raison ? La dame qui défend la liberté du corps ou celle qui élève la voix au nom de la protection de ses enfants ? Bien sûr ceux qui ont tort sont ceux qui en sont venus aux mains, à 6 contre 2 si l'on comprend bien l'article. Mais par delà le dérapage, c'est bien l'incompatibilité des droits qui fait problème.
Les féministes défendent le droit au topless depuis le mouvement suédois "Bara bröst" dont je parlais dans "La Nudité" (editions du Cygne). Au nom de la théorie du genre la nudité du buste serait neutre et asexuée comme cela a été reconnu dans les jardins publics de New York... Pas si simple. Des gens ont organisé une mobilisation pro-topless à Châteauneuf pour mercredi prochain sur Facebook. Mystérieusement l'événement a disparu : par peur d'aller à la confrontation ?
Dans cette mouvance on retrouve l'Apnel (association pour la promotion du naturisme en liberté) qui, après avoir défendu un projet de loi pro-nudité publique dans un conciliabule à l'Assemblée nationale l'année dernière, me proposait cette année d'en débattre publiquement à la Fête de l'Humanité le weekend prochain (j'ai dû aussi décliner cette invitation). L'argument de cette mouvance est connu : si on vivait nus dans les lieux publics, nos enfants y seraient habitués, et l'on n'en viendrait pas aux mains au nom de leur protection...
L'incident a au moins le mérite de rappeler que le burkini n'est pas le seul aspect hautement clivant dans la "présentation de soi" (comme disait Goffman) dans la France des années 2010. Se dirige-t-on vers toujours plus d'apartheid ? Les plages pour burkinis (quand on songe à l'élan de délation qui s'est emparé de la Côte d'Azur ces derniers temps, les gens se précipitant sur la police pour dénoncer les musulmanes "trop couvertes"), celles pour le topless, celles pour le naturisme ? Va-t-on aussi fractionner l'espace urbain entre les aspirants à la liberté et les avocats de la "décence" ?
Les malédictions dans les bains romains
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Voici un sujet qui touche à la fois à mon livre sur les massages chinois et à mon projet de livre sur les médiums. Dans une contribution au livre "From Polites to Magos" qui a été dédiée au chercheur hongrois György Németh en juin dernier et publiées sous l'ISBN 978-963-284-796-2. Sylvia Alfayé de l'université de Saragosse sous le titre "Mind the Bath, magic at the Roman bath-houses" ("Attention aux bains, la magie dans les thermes romains) attire l'attention sur les malédictions dans les bains romains.
En Grande-Bretagne ont été trouvés, explique l'article, des tablettes de malédiction dont la plus grande partie proviennent du sanctuaire thermal de Bath, consacré à la déesse Sulis Minerva. Mais l'article se concentre sur d'autres sites britanniques moins connus comme Chesterton-on-Fosse, Leintwardine, Leicester, Eccles. Il relève que la découverte de tablettes de malédiction dans des établissements de bain n'était peut-être pas fortuite. Les bains peuvent être en effet être des "fearscapes" (un néologisme lié aux pratiques magiques) habitées par des Daemones (des entités) et des fantômes, dont la manipulation était très pratique pour l'action magique.
En effet, "en plus d'être utilisés comme espaces pour le divertissement et le plaisir -baiarum grata voluptas-, les thermes romains ont également été perçus et expérimentés à l'âge classique
comme des espaces d'anxiété - ou «des lieux effrayant» - où toutes sortes de dangers
rôdaient: vols professionnellement effectués par le «voleur de bains", "un personnage de la vie réelle qui a sévi thermes romains à travers l'Empire "; le risque de glisser ou de tomber sur un sol mouillé, ou de voir les murs ou les plafonds s'effondrer", les viols, les transmissions de maladies etc. Alfayé renvoie à un livre de Dundabin, de 1989 1989, 35 (Dunbabin 1989 = Dunbabin, K.M.D.: Baiarum grata voluptas – Pleasures and Dangers of the Baths. Papers of the British School at Rome 57, 6-46.), qui précise que «derrière les histoires de démons des bains se trouvait une croyance populaire répandue commune aux païens, chrétiens et juifs " et cite l'exemple de la rencontre de Grégoire le Thaumaturge en 5ème de notre ère avec un démon meurtrier qui contrôlait la maison de bain, tel que décrit par Grégoire de Nysse (331-394). "L'existence de l'eau dans ces espaces les a sans aucun doute fait percevoir et utiliser comme des membranes perméables qui ont permis le contact entre la surface et ce qui est en dessous et, par là même, le transfert d'objets et des gens du monde des ténèbres". Cela fait penser aux médiums actuels comme Géraldine Garance qui insistent sur le côté "conducteur" de l'eau.
Le principe du similia similibus opérait aussi pour placer des tablettes dans les endroit les plus chauds des lieux de bains pour faire brûler d'amour ou mourir les victimes. " Charme d'amour d'attraction. Il attire les hommes vers les femmes et les femmes vers les hommes et
fait les vierges se précipiter hors de leurs maisons. Prenez un papyrus pur et avec le sang
d'un âne écrivez les noms et les chiffres suivants, et mettez à l'intérieur du tissu de la femme que vous désirez. Étalez la bande de papyrus humectée de vinaigre de gomme et collez le dans la salle de vapeur voûtée sèche d'un bain et vous serez émerveillé". La formule magique à écrire suggérait que "les victimes éprouvaient alors, dans leur propre corps, la chaleur étouffante de l'espace où la defixio (déviation magique) a été déposé (presque) pour toujours". La source est dans les Latin Papyri Graecae Magicae (PGM) - pour le dépôt dans le caldarium (PGM II, 1-64; PGM VII, 467-477)29; et dans la “salle voûtée sèche" (PGM XXXVI, 69-101).
Voilà qui nous fera considérer les bains romains autrement que sous l'angle purement ludique que retiennent nos musées.
Véronique Lévi et Sainte Véronique
Véronique Lévi (la petite sœur de Bernard-Henri) dans ce témoignage de sa conversion en 2012 qu'elle livre à Paray Le Monial, en commençant à parler de la Sainte Face, rend un hommage éclatant (quoiqu'elle ne développe pas ce thème) à Sainte Véronique dont elle porte le nom. Si seulement je pouvais rendre le même à Saint-Christophe dont c'est la fête aujourd'hui...
Ufologie - démonologie
Dans une de ses vidéos le pasteur Allan Rich livrait un témoignage sur un homme qui a acquis la certitude de l'existence des réincarnations en entendant une conférence sur les OVNIs. Le pasteur libérien Blahyi ex-général Butt Naked dans son livre de mémoires raconte comment son propre père a reçu la visite de sa divinité un jour qui, pour le punir, paralysa complètement son corps et le démantela presque, au point que ses yeux tombaient quasiment des orbites. J'ai entendu dans une conférence sur le Net il y a un mois un ufologue porter un témoignage semblable sur une personne enlevée par un prétendu OVNI. Et un des maîtres à penser des voyantes de Medjugorje (lieu d' "apparition mariale" catholique en Croatie) ancien moine franciscain a fini par écrire sur les OVNIs. Voilà qui évoque peut-être la possibilité d'une parenté entre ufologie et démonologie.
-- Mise à jour 31 octobre 2018 - Pour info le Pasteur Rich a mal évolué ces derniers temps. Rallié au soutien de l'entitécréée par des banquiers occultistes, il multiplie les vidéos arrogantes et fait le 666 avec ses doigts. Certaines personnes "délivrées" par lui comme celle-ci obtiennent selon leur témoignage des succès matériels rapides qui rappelle les promesses de l'Evangile de la Prospérité plus que l'action réelle de l'Esprit Saint.
Une affiche...
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Jeu : sur l'affiche ci-contre trouvez au moins trois détails apparemment "sympas" mais spirituellement assez démoniaques... Réponses : 1) le chanteur qui fait un signe diabolique à haut à droite ; 2) Gandhi (pour la promotion de la "sagesse" orientale) ; 3) les gens nus en bas à gauche (l'adamisme) ; 4) la Terre-mère au milieu ; 5) euh, peut-être le papillon au milieu si c'est une référence au mythe pythagoricien de Psyché... J'en oublie sûrement.
Joyce Meyer
Cette femme est un vrai Jourdain à elle seule (même si certains aspects de son enseignement, un peu trop "américains" car trop fondés sur l'autosuggestion ou sur certains bénéfices matériels que la foi peut apporter, doivent être nuancés comme ici). La seule chose qui manque à cet enseignement est le renoncement complet aux choses du monde matériel, qui est la forme la plus pure du christianisme.
"Constance de Rabastens, mystique de Dieu ou de Gaston Fébus ?"
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Il y a près d'un an je vous ai parlé de la visionnaire Jacqueline-Aimée Brohon (1731-1178) voir le billet ici que j'ai transformé ensuite en article pour la revue "Connaissance de l’Eure" n° 178 (4e trimestre 2015). Changeons de siècle, et intéressons nous à une autre visionnaire fascinante : Constance de Rabastens, et à son approche du chevalier Gaston Phébus (1331-1391). Je me suis demandé si cette visionnaire pouvait nous aider à saisir la signification occulte, ésotérique, de cette époque-là (et l'on a vu avec mon précédent billet sur le général Butt Naked combien cette dimension de l'histoire était incontournable, aujourd'hui comme au Moyen-Age).
Comme l'indique l'historienne Régine Pernoud dans sa préface au livre de référence à son sujet est paru en 1984 aux éditions Privat (Toulouse), Constance de Rabastens (née en 1340 ?) fut la visionnaire par excellence sur Gaston Phébus, comme un siècle plus tôt Sainte Douceline de Digne (1214-1274) le fut sur Charles d'Anjou (frère de Saint Louis et roi de Naples, le père du découvreur des reliques de Ste Baume). L'historienne les qualifie de "mystères" et les compare toutes deux à la voyante Sainte Hildegarde de Bingen (déclarée docteur de l'Eglise par Benoît XVI en 2012) dont le Livre des œuvres divines ne fut traduit en français par Bernard Gorceix que deux ans avant la publication du livre sur Constance de Rabastens (on notera d'ailleurs que Régine Pernoud se demande si Constance ne mérite pas le titre de sainte, un débat qui valut aussi pour d'autres visionnaires comme l'espagnole Marie d'Agreda au XVIIe siècle et l'allemande Anne-Catherine Emmerich au XIXe et qui, en effet, mérite de rester ouvert).
Avant Hiver-Bérenguer, Constance de Rabastens n'était pas inconnue de l'historiographie. Noël Valois (185-1915), dans La France et le grand schisme d'Occident. 1896 T. 2 écrit (p. 327) "Le puissant Gaston Phoebus passait pour urbaniste (partisan du pape Urbain) : une voyante albigeoise, Constance de Rabastens, le désignait même comme le sauveur appelé à restaurer l'autorité du pape italien". P. 368 il développe à propos de cette Constance : "Trois ans durant (1384-1386), cette femme se figura entendre des voix célestes prononcer la condamnation du pape et des cardinaux d'Avignon ou annoncer le triomphe définitif du pape de Rome, celui qu'elle appelait « l'homme juste. » Elle crut apercevoir en enfer trois cardinaux, et parmi eux Pierre de Barrière, dit le cardinal d'Autun : c'était celui que les démons persécutaient le plus. Clément VII lui apparut tantôt sous les traits d'un lépreux qui communiquait sa lèpre aux gens de son entourage, tantôt sous ceux d'un navigateur qui s'abîmait dans les flots avec le vaisseau sur lequel il venait de s'embarquer, ou bien encore environné de fumée et de ténèbres, tandis qu'au dessus de sa tête un ange brandissait une épée nue sanguinolente. Le comte de Foix Gaston Phoebus jouait dans ces visions le rôle d'un sauveur appelé à rétablir l'autorité d'Urbain, comme aussi à prendre sur Charles VI un ascendant heureux. Par contre, il n'était pas d'anathème que la voyante ne lançât contre les Armagnacs, traîtres au roi et vendus au démon. Telles sont les prétendues révélations que Constance ne se lassait pas de communiquer à son fils, religieux du couvent de la Daurade, à son confesseur, voire même à l'inquisiteur de Toulouse. Sans se faire illusion sur les suites probables de sa témérité, elle allait bravement au-devant de l'épreuve, se croyant appelée à restaurer la foi. Longtemps elle paraît avoir vécu en paix, jouissant même dans la contrée d'une certaine considération. Mais un mot d'un témoin de ses hallucinations nous renseigne sur son sort : certains détails, dit-il, furent donnés par son fils, quant ella fo encarcerada. Rien ne permet, d'ailleurs, d'évaluer la durée de l'emprisonnement qui, s'il ne termina pas, interrompit du moins la mission de la voyante urbaniste de Rabastens". Valois dit tenir cela d'Amédée Pagès (1865-1952) qui, lorsque le premier écrit son livre sur le schisme, s'apprête dit-il en note de bas de page à publier "un curieux mémoire en langue catalane" à son sujet. Pagès le lui a fait lire (il s'agit du texte publié dans les Annales du Midi 8, 1896, p. 241-27 sur lequel Hiver-Bérenguier allait travailler). Le moins que l'on puisse dire à la lecture de ces lignes est que Valois n'a pas une très haute opinion de la visionnaire (ce qui explique peut-être qu'Hiver-Bérenguier n'y fît pas référence en 1984).
L'histoire du livre d'Hiver-Bérenguier de 1984 mérite un petit développement à titre préalable, car, comme c'est souvent le cas des grandes découvertes, Constance de Rabastens n'a été redécouverte que du fait du "hasard" (qui n'existe pas), et non dans le cadre de programmes de recherches universitaires bien établis. Dans son édition du 6 janvier 1980 (deux ans après la diffusion de la série à succès "Gaston Fébus ou le Lion des Pyrénées" sur Antenne 2), le journal Le Monde publie une longue étude de l'historien de l'université de Rouen André Vauchez intitulée "Les sœurs de Jeanne", résumé de sa conférence d'octobre 1979 au colloque d'histoire médiévale d'Orléans (c'était du temps où Le Monde, d'un plus haut niveau qu'aujourd'hui, diffusait des résumés de conférences universitaires), qui cite des visionnaires : Jeanne-Marie de Maillé, Marie Robine (Marie de Gascogne) et Constance de Rabastens du Tarn. Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, docteur en chirurgie dentaire (mais oui !), enseignant à l'université Paris VII mais originaire de ce village se rend compte qu'il n'a jamais entendu parler de cette mystique et écrit au professeur Vauchez pour lui proposer de défricher le sujet. Vauchez lui transmet sa source : les Annales du Midi de la fin du XIXe sècle où se trouvait le transcrit en catalan des Révélations de Constance de Rabastens. Pendant deux ans, avec le soutien de Vauchez, de Régine Pernoud, de Dom Grammont, père de l'abbaye Notre-Dame du Bec Hellouin, et du médiéviste Philippe Wolff, Jean-Pierre Hiver-Bérenguier avale "plus d'une centaine de livres" et pond en deux ans ce livre que la préfacière couvre d'éloges. Voilà une histoire peu commune pour un livre, mais celle de la visionnaire l'est encore moins.
Le dimanche 29 juin 1386, fête de la Saint-Paul, en l'église Notre Dame à la messe de l'aurore dans la chapelle Saint Jean, la très pieuse dame Constance, 45 ans, s'est remise à prophétiser, ce qu'elle fait déjà depuis cinq ans. Au début il y avait les visions la nuit, puis à n'importe quel moment de la journée et surtout quand elle prie aux offices de l'église ou du couvent des Cordeliers. Elle prophétisait sur les papes d'Avignon et de Rome, sur les malheurs du jeune roi de France en guerre contre les Anglais. Elle annonce la fin du monde, la victoire des Sarrasins disciples de l'Antéchrist, mais aussi une victoire de Gaston Phébus, comte de Foix et vicomte de Béarn, qui ramènera la paix. Au moment de la lecture de la deuxième Epître à Timothée "fais œuvre de prédicateur..." Constance entre en transe, les yeux fixés sur le Christ en Majesté sur la voûte, le corps raide insensible et répète "Des signes, oui, des signes..." et puis : "Le soleil... la lune... les étoiles sur toutes les terres !" (p. 17).
Le soir même son confesseur Raimond de Sabanac consigna ce qu'elle dit avoir vu, au paragraphe 55 des Révélations (sur 63). Tout le livre des Révélations est ainsi composé. En l'occurrence, lors de cette extase elle entendra Jésus lui dire que le vrai pape de Rome est le soleil, la lune les cardinaux qui ne veulent pas recevoir sa lumière du soleil, les étoiles les théologiens qui se taisent, les princes sont la Terre, Constance est sa flêche, le soleil s'imposera. Hiver-Bérenguier en s'appuyant sur un livre de Salembier de 1902 sur le grand schisme rapprochera (p. 95) cette vision de celle de Pierre d'Ailly, disciple de Joachim de Flore, qui, en s'aidant de l'astrologie, prédit dès 1414 la Révolution de 1789. D'Ailly en 1385 aurait annoncé l'Anté-Christ en ces termes : "Il y aura des signes dans le ciel, dans le soleil, la lune et les étoiles. Le soleil, ce sont les prélats ; la lune, ce sont les princes : le rayon de leur justice s'obscurcit ; les étoiles ce sont leurs membres inférieurs : la grâce disparaît en eux tous." (Sermo III, De advetu domini).
Clémence a des visions importantes sur les partisans de Clément VII pape d'Avignon et leur mort. Le 6 novembre 1384, alors qu'elle pense à la cruelle reine Jeanne Ière de Sicile assassinée en 1382, la Voix lui dit que "la mesure avec laquelle la reine avait mesuré a servi de mesure pour elle-même". La visionnaire annonça même en 1384 à un seigneur venu la consulter la mort de Louis d'Anjou, roi de Naples qui, après qu'il eut manqué le trône de France, avait mené une expédition militaire contre Rome à la demande de Clément VII : "Tu diras que mort est celui qui portait le signe de la Bête, c'est à dire le duc d'Anjou." Elle lui révèlera aussi en mars 1384 la trahison du comte d'Armagnac à l'égard du roi de France Charles VI, qui n'allait être connue que deux mois plus tard. La Voix lui parle aussi de Ninive alors qu'elle n'en a jamais entendu parler.
En 1384 ou 1385, la Voix qui lui a parlé des Flandres lui dit 20 fois que dans 7 ans le royaume de France "viendra à grand bouleversement, c'est-à-dire abattement" du fait du soutien aux papes d'Avignon et en effet en 1392 le roi sombra dans la folie.
Ses prédictions d'Apocalypse rejoignent celles de St Vincent Ferrier peu de temps après, l'image des ailes qui la libèreront sera aussi donnée à Jeanne d'Arc et se trouve dans l'Apocalypse ch 22 (la Vierge s'envole au désert pour échapper au Dragon).
Gaston Fébus est un personnage central des visions de dame Constance. Né sous le signe du taureau en 1331 (signe de la terre, il a le taureau et la vache sur son blason), il a un côté paysan têtu ombrageux mais aussi vénus en dominante, un côté artiste, séducteur. Il est entouré d'une légende à cause de ses victoires militaires, de sa richesse, et on lui prête un don de devin pour connaître ce qu'il se passe sur ses terres. Il a tué son fils en 1382.
Selon le notaire Michel du Bernis, archiviste de Fébus (dont la version selon Cabié en 1879 serai la plus fiable), le dimanche avant la Madeleine de 1381, à Rabastens Fébus livra bataille à des hommes de son rival duc de Berry, comte d'Armagnac qui venaient de piller le Lauragais et en emprisonna certains, massacra les autres. Cette victoire chevaleresque marque les Rabastinois qui en ont été témoins sous leurs remparts.
On ne sait rien de Constance, sauf qu'elle est veuve, qu'elle a une fille et un fils moine. Elle assistait à tous les offices, un baron bordelais et un seigneur clerc l'ont consultée. Elle a été jugée par l'Inquisition sur un faux témoignage et innocentée.
Son confesseur et secrétaire (comme pour Hildegarde) dont Hiver-Bérenguier dit qu'il pourrait être un homme de Fébus a introduit le livre par une mise en garde contre les visions, comme Gerson 30 ans plus tard. Il les a notées dans le désordre. Il les a écrites de 1384 à 1386, et à propos d'une vision du 4 octobre 1384 dit que Constance en avait depuis plus de deux ans.
Vers 1881 donc (peut-être après la bataille de Rabastens, mais Cabié lui situera l'événement fondateur des visions en 1374, cf Madeleine Jeay) elle voit une montagne de cadavres et une voix lui dit qu'il y aura des cadavres mais que ce qu'elle entendra sera a vérité. Elle pense que cela vient de Jésus. A la mort de son mari peu après, la voix lui annonce qu'elle quittera le monde comme une moniale. Elle se rendra souvent au couvent des cordeliers. Jésus lui apparut une fois comme un homme habillé de satin, une autre comme un seigneur sur son trône, puis nu couvert d'un manteau blanc portant une grande croix à la main et en colère, une autre dans sa vision Jésus dans l'église se détache de sa croix puis, après qu'elle lui ait baisé les mains, frappe des gens avec un bâton et demande qu'on le remette en croix (p. 87). Elle vit aussi la Trinité. Beaucoup de ses visions sont aussi des paraboles : arbre vert, cygnes, brebis remparts, navires qui sont des métaphores de villes, de la papauté etc.
A propos de Fébus, le mardi 9 mais 1384, la Voix lui dit "Alors se dressera la Grue à la tête vermeille, c'est à dire le comte de Foix, qui redressera l'Homme juste, c'est-à-dire le pape de Rome et le replacera sur son Siège. Et de la même façon que vint Vespasien pour détruire Pilate, viendra le comte de Foix pour détruire Armagnac. Alors il dominera le royaume tellement, et il y aura telle grande union entre le Roi de France et le comte de Foix, que le Roi en de nombreuses choses obéira au comte. Et après, le comte prendra le commandement du Saint Passage !" (§26).
Un petit cousin de Fébus en 1445, Gaston IV, nomma son cheval de parade la Grue. Fébus dans un de ses poèmes se décrit comme "prince illustre à la tête couronnée de flammes". Pline parle de la grue symbole de vigilance qui dans l'eau tient dans sa patte une pierre pour qu'elle l'entende tomber si elle s'assoupit. La mère de Constance le lui avait enseigné. Hiver-Bérenguier renvoie aussi au conte persan de Faride Ouddin Attar, sur le voyage initiatique des oiseaux. "La Vache sera à l'ombre de la Fleur". Vache du Béarn, Fleur de Lys de France, le Saint Passage c'est la Croisade. Catherine de Sienne, elle, tenta de pousser un condottiere à la Croisade.
Le thème du dernier monarque avant la fin des temps qui sauvera la France remonte à St Césaire, évêque d'Arles au VIe siècle (révélées en 1524 par Jean de Vatiguero). Merlin le Gallois annonça le schisme, le rôle d'une jeune Lorraine et du grand monarque, ce que révéla Jeoffroy de Monmouth en 1152. Nostradamus le développa aussi. Eric Muraire dans son Histoire et Légende du Grand Monarque (Albin Michel, 1975) le retrouve chez 76 voyants (dont 30 femmes) dont 44 français, jusqu'à Garabandal.
Constance se plaignit que cette prophétie lui incombât (elle fut souvent passive à l'égard des messages qu'elle recevait, n'était pas une mystique souffrante ou stigmatisée comme le furent tat d'autres), mais la Voix (§ 53) lui rappela le rôle de la femme dans la révélation des derniers sceaux de l'Apocalypse. Hiver-Bérenguier note que Fabre d'Olivet dans Histoire Philosophique du genre humain insiste sur le rôle prophétique des femmes du fait de leur sensibilité nerveuse depuis la Protohistoire. Naturellement le fait que beaucoup ne se soient pas réalisées (notamment celle sur l'Apocalypse prochaine) ne compte guère, les prophéties étant le plus souvent conditionnelles.
Pour avoir une approche un peu plus complète de ce que les visions de Constance de Rabastens peuvent nous dire de leur époque, il faudrait peut-être les comparer à celles de sa contemporaine Marie Robine (Marie de Gascogne) qui, elle, défendait Clément VII d'Avignon. Pour savoir si les visions de cette Constance venaient de Dieu ou du diable, il faudrait une analyse aussi limpide que celle d'Augustin Viatte à propos de celles de Jacqueline-Aimée Brohon (qu'il reliait intelligemment aux hérésies de Rousseau et du romantisme)
Hiver-Bérenguier détaille la mystique de Constance de Rabastens, note par exemple l'absence des Saints, notamment de Marie, et le peu d'importance qu'elle accorde au péché (elle estime, comme Fébus dans ses Oraisons, que Dieu ne peut pas condamner sa propre créature). Le dernier point a des relents d'hérésie qui donne une couleur un peu démoniaque aux visions (de même aussi son utilisation de Ninive oubliant que dans Jonas Dieu a pardonné à cette ville d'Assyrie) quoique l'Inquisition ait innocenté la mystique (mais certains sousentendent qu'elle ait pu agir sous la pression de Fébus). Un théologien serait mieux à même que nous d'en juger ...
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Voir aussi
R. CABIÉ, Une mystique? Réflexions sur Constance de Rabastens, in Cahiers de Fanjeaux, 23 (1988), pp. Cahiers de Fanjeaux, 23 (1988),37-55;
R. Cabié, Révélations de Constance de Rabastens. Édition, traduction et commentaire, Barcelone, facultat de theologia de Catalunya-Institut catholique de Toulouse, 1995, p. 40.
H. CHARPENTIER, La fin des temps dans le Livre
des Oraisons de Gaston Fébus et les Révélations de Constance de Rabastens, in Fin des temps et temps
de la fin dans l’univers médiéval, in Cahiers de Senefiance, 33 (1993), pp. 147-62
Renate Blumenfeld-Kosinski, « Constance de Rabastens: politics and visionary experience in the time of the Great Schism », Mystics Quarterly, 25, 1999, p. 147-168.
M. Jeay, « Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes», Le petit peuple dans l’Occident médiéval, éd. P. Boglioni et C.Gauvard, Paris, Presses de l’Université de la Sorbonne, 2002, p. 579-594.
Madeleine Jeay, La transmission du savoir théologique, Le cas des femmes mystiques illettrées, CRMH p. 223-241
Celle-ci travaille surtout sur la comparaison entre les visions de Constance et le discours ou les images théologiques dans lesquelles elle baignait, ses interactions avec son entourage, une approche en vogue dans les sciences humaines actuelles mais qui ne m'intéresse guère, exemple :
"Le troisième canal par lequel les fidèles ont eu accès à ce savoir, comme nous l’a indiqué l’exemple de Constance de Rabastens, est celui de l’image, en conjonction avec les pratiques dévotionnelles et liturgiques, par l’intermédiaire du livre et de la lecture ou bien des programmes iconographiques des églises. Ses révélations illustrent clairement le lien étroit entre le contenu de ses visions et celui des chapitres du Livre des Révélations dont on lui fait la lecture. On sait la part qu’occupe l’illustration dans les apocalypses pour accompagner le texte, notamment celles en français, ce qui en faisait de remarquables outils pédagogiques.
Parallèlement aux scènes de l’Apocalypse, Constance a été marquée par les peintures qui recouvraient l’église Notre-Dame du Bourg, en particulier par celle qui figurait dans la chapelle Saint-Martin. L’apparition qu’elle reçoit aux environs de 1374, d’un arbre chargé de fruits surmonté d’un nuage où siègent vingt-quatre vieillards, combine les chapitres 2 et 22 de l’Apocalypse avec la peinture de l’Arbre de Vie de la chapelle. Le lignum vitae et l’image de l’arbre évoquent saint Bonaventure et l’ouvrage par lequel il a diffusé sa doctrine théologique, où elle lui sert d’outil pédagogique pour favoriser la compréhension et la mémorisation."