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Articles récents

Daniélou sur les transes de la "pop culture" et du rock

12 Novembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Les tubes des années 1980, #Shivaïsme yoga tantrisme

"La musique que l'on peut appeler rituelle ou magique a pour but d'établir une communication avec l'invisible, avec les forces transcendantes qui régissent le monde, avec les principes cosmiques, le monde mystérieux des esprits et des dieux. Ce sont ces formes de musique qui sont à la base de tous les rites extatiques, de toutes les pratiques magiques. Il n'existe aucun rite qui ne comporte un élément sonore.

Toute musique construite selon les lois naturelles de l'acoustique et de l'audition présente en fait des possibilités magiques et des aspects rituels, mais il existe des formes sonores qui servent uniquement à la communication avec l'invisible.

C'est grâce aux parallélisme existant entre formules musicales et celles qui sont à la base des structures de la matière et de la vie que l'on peut réaliser l'évocation des êtres subtils que nous appelons des esprits et des dieux, et leur permettre de se manifester et d'agir. Les danses extatiques sont un moyen d'établir des contacts avec les forces surnaturelles qui peuvent alors s'exprimer par la bouche du danseur qui paraît possédé par un esprit. C'est ce qui se passe dans les danses de possession et dans les anciennes pratiques de caractère dionysiaque que nous pouvons toujours aisément observer de nos jours dans le zikhr du Moyen-Orient et les danses des sorciers africains. Ces danses utilisent des formes rythmiques qui créent un état de semi inconscience. Puis de subites ruptures de rythme provoquent un choc psychologique qui mène à l'état de transe dans lequel la personnalité du danseur s'efface, devient alors perméable à des influences extérieures qui s'incarnent en lui.

Curieusement, dans l'Occident moderne, la musique qui présente certaines données qui se rapprochent de celles de la musique extatique ne se rencontre plus dans les lieux de culte mais dans de tout autres lieux tels que les discothèques où les danseurs éprouvent cette sorte d'isolement hypnotique, nécessaire à l'expérience mystique, qui, s'il était mieux dirigé, pourrait aboutir à la perception de réalités supra sensorielles. Les dieux sont beaucoup plus proches de l'exaltation des séances de rock que des fades cantiques des églises et leurs chorales bien disciplinées, de même que les hippies vagabonds sont bien plus proches des mystiques errants, des fous de dieu, que les moines frustrés calfeutrés dans de riches monastères".

(Alain Daniélou, Shivaïsme et tradition primordiale, Editions Kailash, 1986,  p. 131-132) Passage très anti-clérical sur la fin mais qui est assez exact dans son analyse du phénomène du rock. Sauf qu'à la place de Daniélou, je n'aurais pas écrit "curieusement". Quand on sait ce que le rock doit à l'occultisme et à des médiums comme Aleister Crowley, on ne trouve pas "curieux" que cette musique s'apparente aux transes proche-orientales et indiennes. Et je n'aurais pas rapproché cela des "fous de dieu", car dans le monde byzantin il y a eu un vrai débat sur la question de savoir si ces ermites errants adeptes de la provocation étaient des hommes de Dieu et des possédés. Souvent la question fut tranché d'après des principes assez canoniques, surtout sur leur aptitude à chasser des démons. Que je sache cela n'a pas été le cas des "hippies vagabonds"...

J'ai jeté le livre de Bebergal "A season of the witch" qui était trop favorable à l'influence de l'occultisme sur la pop culture.

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Les seins au Grand siècle

9 Novembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps

Des journalistes, sous l'influence d'un certain féminisme, me demandent parfois si les seins sont des organes sexuels.

Pour éclairer la question, un petit détour par le Grand Siècle français :

La Princesse Palatine (et non pas Saint-Simon comme l'écrit par erreur Aimé Richardt dans son livre sur Bossuet en p. 150), n'hésitait pas à traiter Mlle Choin (Marie-Thérèse Emilie Joly de Choin dite "la Chouin"), favorite du Grand Dauphin dans les années 1690 de "vieille guenipe" dans une lettre à la princesse de Galles, et, dans une lettre à la princesse Louise, elle ajoute  « Elle était petite elle avait de petites jambes, un visage rond, un nez court et relevé, une grande bouche remplie de dents pourries qui avaient une puanteur telle qu'on pouvait la sentir à l'autre bout de la chambre. Elle avait une gorge horriblement grosse, cela charmait Monseigneur, car il frappait dessus comme sur des timbales. » Les timbales étaient des tambours à caisse d'airain, pour l'usage de la cavalerie, attachés de chaque côté de la selle du timbalier. Les régiments, dit Furetière, n'ont droit d'avoir des timbales que quand ils les ont conquises, ou tant qu'ils les conservent... Les gros seins plaisaient donc au Grand Dauphin.

Et dans le "Médecin malgré lui" de Molière au début de la scène IV de l'acte II, Sganarelle s'exclame devant la nourrice Jacqueline: "Ah ! nourrice ! charmante nourrice, ma médecine est la très humble esclave de votre nourricerie ; et je voudrais bien être le petit poupon fortuné qui tétât le lait de vos bonnes grâces" et il lui porte la main sur le sein. Donc, pas de doute, on voit bien à quoi les seins servaient à l'époque de Louis XIV...

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Bossuet et la théorie de la grâce

6 Novembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Si vous croisez un protestant aujourd'hui, évangélique ou pas, il vous dira que ce qui est important c'est que le sacrifice de Jésus nous a sauvé de tout péché et que, dès lors, nous n'avons plus à culpabiliser sans cesse ni à tenter de gagner notre salut (qui est déjà gagné) par les prières ou par la charité (les oeuvres). Eviter le péché et nous appliquer dans les oeuvres ne peut que nous aider à fermer des portes aux démons (qu'on ouvre par ailleurs sans cesse parce qu'on ne peut éviter de pécher) mais pas à nous sauver, car le salut vient d'ailleurs, du sacrifice surnaturel du Verbe incarné survenu à Jérusalem sous le règne de l'empereur romain Tibère.

Cette doctrine, dite "doctrine de la grâce" est une heureuse redécouverte, il y a 500 ans, d'un propos archi-martelé par Saint Paul et qu'on trouve aussi ailleurs dans le Nouveau Testament.

Ce que l'on sait moins (et pour ma part je le découvre dans l'agréable livre d'Aimé Richardt "Bossuet, conscience de l'Eglise de France" p. 137 et suiv.), c'est que Jacques-Bénigne Bossuet, brillant prédicateur à la cour du roi très catholique (et très païen par bien des côtés) Louis XIV et grand maître de la langue française comme le savent bien les lettrés, a écrit un ouvrage en 1671 qui donnait raison à la doctrine de la grâce de Luther : l'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique (que Bossuet publia à l'instigation du Maréchal de Turenne, protestant converti au catholicisme).

Il ne l'a pas fait à titre isolé, dans le cadre d'une spéculation personnelle, mais en sa qualité de protégé du roi, après avoir obtenu l'approbation de son texte par plusieurs évêques (à l'époque nommés par le roi). Richardt explique que cette réflexion était parfaitement conforme aux décisions de Concile de Trente. Le livre fut traduit en plusieurs langues et Louis XIV allait même le faire distribuer aux calvinistes après avoir révoqué l'édit de Nantes, car la monarchie française avait à coeur de réintégrer tout le protestantisme dans une église chrétienne unifiée.

Beaucoup de protestants, notamment les ministres de Charenton, accueillirent favorablement le livre et proclamèrent que si le livre ne reflétait pas le seul point de vue de son auteur (or le pape Innocent XI le valida en 1679) ils n'avaient plus de raison de rester en dehors de l'Eglise catholique.

Richardt sousentend qu'ensuite les théologiens protestants Claude, Daillé, Alix, de Langle, de La Bastide et Noguier montèrent au créneau en dénonçant une manoeuvre intéressée de Bossuet et de ses soutiens, uniquement dans un but d'autodéfense corporatiste ou sectaire. Exagère-t-il ? Bossuet allait-il autant que cela dans le sens du protestantisme et est-on passé à deux doigts d'une réunification des Eglises, à ce moment là, en France ? Il faudrait lire l'ouvrage sur Gallica pour vérifier cela point par point. Mais on ne peut pas soupçonner Bossuet, qui était profondément un homme de Dieu - même si Richardt note à juste titre qu'il le fut moins face aux débauches de Louis XIV que le prophète Nathan face à celles du roi David - d'avoir écrit sous l'inspiration d'une pure Realpolitik. Il est étrange en tout cas que la main tendue de la monarchie française ("fille ainée" de la papauté) aux protestants soit allée si loin (car poussée au bout de sa logique elle aurait entraîné un profond changement de l'Eglise française catholique). Il est probable que ni les catholiques ni les protestants de notre époque n'aient pas connaissance de cet épisode et n'aient donc pas l'occasion de méditer à ce sujet. Une piste de réflexion à creuser ?

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L'intercession des saints

25 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

A la chapelle cet après-midi, il y avait une cérémonie en l'honneur de Sainte Rita de Cascia (que l'on fête pourtant le 22 mai au sein de l'Eglise catholique romaine). J'y assistai en me répétant cependant que ce culte n'est guère "biblique", comme le disent les protestants, mais ceux ci se trompent souvent sur la licéité des oeuvres, par exemple quand ils prétendent que la Bible ne vante pas les pouvoirs des reliques.

Admettre qu'une sainte peut nous aider sans verser dans le paganisme est chose difficile, mais c'est le mystère de l'intercession. Le curé d'Ars ne dut-il point tout à l'intercession de Sainte Philomène, une sainte dont l'Eglise dut même remettre en cause l'existence à sa mort ? Et n'est-ce point ce curé qui m'a incité à Lourdes à confier à un prêtre mes péchés de l'été avant le 15 août dernier ? Dira-t-on que le curé d'Ars était diabolique parce qu'une sainte l'aidait ?

La voie de l'intercession de saints est chose bien étrange mais difficile à rejeter malgré tout. Je ne sais pas si Sainte Perpétue m'a aidé en janvier 2014, mais je ne puis douter, ainsi que je l'ai raconté dans mn livre sur les médiums, que Ste Madeleine me sauva d'une malédiction en 2015. Ce sont là des manifestations du divin qu'il est inutile de chercher à comprendre.

Pourquoi Ste Rita intercèderait-elle mieux auprès du Seigneur que Ste Marguerite de Cortone vers qui Dieu m'orienta cet été ? Je ne sais pas. Est-ce parce que le Seigneur, en plantant une épine sur son front, a indiqué aux fidèles qu'il la disposait mieux à nous aider que la nouvelle Ste Madeleine italienne ?

Je serais de toute façon enclin, comme les jansénistes et les calvinistes, à croire en la prédestination, et penser que le plan de Dieu pour moi (comme pour chacun) depuis l'origine des temps compte plus que la question de savoir si je me tourne vers Ste Rita ou vers Ste Marguerite de Cortone, ou si j'achète deux roses à bénir ou rester chez moi à écouter un prédicateur.

Nos oeuvres comptent peu, sauf peut-être pour éloigner un peu deux ou trois démons.

Mais je ne peux pas penser que l'intercession des saints compte plus que la volonté divine. Sans quoi j'aurais tôt fait de me constituer mon panthéon de sentes avec celles que j'ai déjà citées ou encore Bernadette Soubirous et Ste Gemma. Et cela pourrait vite devenir malsain, moi qui ai encore des femmes nues dans mes rêves (j'ai encore vaguement repensé à elle pendant la journée).

Je me sais pêcheur, inévitablement pêcheur, mais aussi sauvé du pouvoir des démons chaque fois que j'invoque le sang de Jésus. Donc j'accepte mon péché, tout en essayant de le limiter pour éviter que cela noue autant de pactes avec les démons. Puis je me tourne vers Dieu, implore sa miséricorde, et lui demande de réaliser à travers moi, en moi et autour de moi le plus possible sa volonté. Dans ce dispositif-là l'intercession des saints ne peut être qu'un petit "plus" secondaire, que je ne dois surtout pas mettre au premier plan car elle peut vite constituer un petit décor identitaire malsain qui conforte trop mon Ego.

Je n'y recours donc que lorsque le Seigneur lui-même m'oriente vers cela. Cet été il m'avait poussé vers Marguerite de Cortone. Lors de mon précédent passage à la chapelle vers Ste Rita. J'effectue donc quelques actes en temps voulu en direction de ces saintes, mais je me garde de pousser trop la dévotion à leur égard, de peur qu'elle me fasse oublier la soumission que je dois avoir en priorité à l'égard de la volonté du Seigneur, qui me la manifeste à travers ses Anges et son Saint Esprit.

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Interviewé par le site Planet.fr

20 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Interviews en rapport avec mon livre "La nudité"

Planet : Pourquoi la nudité gêne-t-elle tant dans l’espace public, alors qu’on s’expose de plus en plus internet ?

Christophe Colera : Sur Internet, il est encore possible pour ceux qui ne souhaitent pas voir la nudité de l’éviter. On peut ne pas cliquer sur les sites où elle s'expose, et protéger les enfants avec un filtre parental.En outre, sur Internet lorsque ce n'est pas une nudité confinée aux sites X ou aux réseaux sociaux dédiés aux rencontres. La suite de l'interview est ici.

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Une tentative pour contrer l'histoire secrète occultiste

18 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis, #Christianisme

Le québécois Pierre Gilbert, ancien naturopathe new age rosicrucien converti au christianisme en 1981 n'est forcément pas toujours très pertinent ni très précis dans son maniement des références culturelles (il tient des propos réducteurs, fait des fautes de français, prononce Mérovée - Mérovi, écorche le nom de Godefroy de Bouillon etc) mais au moins l'histoire du monde qu'il propose dans la vidéo ci-dessous "Ordo ab chao" (31e minute et suiv) des années 1990 ci-dessous est une intéressante inversion de Plantard et de Dan Brown. Là où l'auteur du best seller Da Vinci Code voyait chez les Mérovigiens et les Templiers les gardiens de la descendance de Marie-Madeleine appelés à régner sur le monde contre une Eglise catholique qui aurait trahi Jésus, Gilbert semble les placer dans le lignée des imposteurs dans laquelle il situe aussi Godefroy de Bouillon sacré roi de Jérusalem en 1061 et qui s'autoproclame roi de Jérusalem de la lignée de David. On peut regretter que P. Gilbert passe très vite sur Pépin III, auquel un partisan du New Age sur un blog ici accorde des développements intéressants.

Il inscrit l'ordre des Pauvres chevaliers fondé en 1118 dans la lignée de l'imposture mérovingienne comme préface à un projet diabolique de gouvernement mondial qu'aurait repris la franc-maçonnerie spéculative au 18e siècle en se faisant l'héritière des templiers.

Un des aspects un peu gênants de ce récit est qu'il fait l'impasse sur le rôle d'un saint catholique comme Bernard de Clairvaux dans la fondation des Templiers (mais il est vrai que l'Eglise officielle aussi lui semble aussi diabolique ou luciférienne que l'imposture mérovingienne). Il prend pour argent comptant l'hypothèse que l'or du temple de Salomon aurait été ramené en Europe par les templiers qui l'auraient trouvé sous le mont du temple après dix ans de fouilles.

Gilbert se trompe quand il fait de Hitler un membre du groupe de Thule (seuls ses adjoints le furent - voir ici). Et l'on ne voit pas bien le lien de ce groupe avec la maçonnerie, vue l'anti-maçonnisme des nazis. De même le lien tracé entre maçonnerie et antisémitisme est peu crédible.Rien sur les origines catholiques de la franc-maçonnerie écossaise. L'effort de contrer l'histoire secrète new-age ou occultiste avec des arguments chrétiens est intéressant, mais des systématisations trop rapides font planer bien des doutes sur son bien-fondé...

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L'Etat comme religion : le cas du principe du contradictoire

9 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

Un extrait de ma thèse "L'émergence et les conséquences de la spécialisation juridique dans le champ bureaucratique : le cas des administrations centrales de l'État " soutenue en 2006 (et que j'ai publiée en la réduisant sous le titre "Les services juridiques des administrations centrales" que je relisais tantôt. Ma petite étude sur le principe du contradictoire illustrait l'idée que l'Etat comme construction symbolique emprunte beaucoup de ses outils de légitimation au domaine religieux :

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- Les origines théologiques du principe du contradictoire et sa promotion par les corporations de juristes

 

L’idée qu’un ambassadeur, ou tout agent public puisse avoir accès à la consultation de son dossier administratif avant qu’une « mesure prise en considération de sa personne » (nomination, mutation, diminution individuelle de salaire etc, en dehors du cadre disciplinaire)[1] ne le frappe s’inscrit dans une tradition jurisprudentielle que l’on nomme l’application du principe du contradictoire[2] : il implique que l’Etat ne puisse prendre une mesure avant d’avoir entendu le point de vue de la personne qui sera concernée par cette décision.

 

Les manuels de droit français accessibles aux juristes d’administration comme le Chapus qui en retracent la généalogie s’arrêtent généralement au début du XX ème siècle. Mais son origine est bien plus ancienne.

 

Il a été forgé par les Britanniques sous le nom d’un adage latin : audi alteram partem - écoute l’autre partie.

 

Les ouvrages de droit anglais s’accordent pour estimer que sa première affirmation par une juridiction remonte à 1723[3] à l’occasion du procès de Richard Bentley contre l’université de Cambridge.

 

Richard Bentley, professeur célèbre de l’université de Cambridge vendait les titres de doctorats à ses étudiants pour quatre livres. L’université quand elle le découvrit déposséda l’intéressé de ses titres d’enseignant et Bentley entama un procès contre l’université.

 

A l’occasion de ce procès, un des juges aurait motivé le jugement en expliquant que même lorsqu’il décida de chasser Adam du Paradis terrestre, Dieu prit la peine d’entendre le point de vue du premier homme avant de mettre en œuvre sa sanction.

 

Ce détail montre assez l’univers théologique dans lequel le principe est posé.

 

Il a aussi son importance pour la compréhension de l’image de l’Etat ou de la puissance publique qu’à l’origine il engage. Il s’agissait à l’époque de légitimer l’analogie entre Dieu et l’Etat. Et, pour que l’Etat ressemble davantage à Dieu, il fallait qu’il entende les destinataires de ses décisions comme Dieu lui-même le faisait.

 

Le jugement fut rendu 33 années après la publication du Traité du Gouvernement civil de John Locke. Mais il n’est pas à proprement parler d’inspiration libérale car il ne cherche pas à faire prévaloir des droits individuels subjectifs. Sa philosophie s’inscrit encore dans le cadre d’une idéologie chrétienne médiévale – on pense ici aux thèses de Le Goff pour qui le Moyen Age dura jusqu’au XIX ème siècle – où l’Etat délégataire de la potestas divine, doit se livrer à une imitatio de son mandataire céleste.

 

A partir de là, le principe audi alteram partem fut appliqué à toutes les décisions de l’Etat impliquant des personnes en Grande-Bretagne, et devint structurant non seulement du champ bureaucratique britannique mais aussi du fonctionnement de son champ juridictionnel en métropole et dans les colonies. Sa traduction française – le « contradictoire » – se retrouve déjà dans une jurisprudence du Conseil d’Etat de 1808 mais connut surtout une impulsion à partir de 1944 (arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier CE 5 mai 1944 pour les particuliers, arrêt Nègre CE 27 juin 1949 pour l’application aux agents publics[4]). Mais il semble que le Conseil en ait alors fait application dans le même esprit que la Cour britannique au XVIII ème siècle : renforcer les mesures de la puissance publique.

 

Le mouvement pour la défense des droits des administrés dans les années 1970 (qu’on a décrit plus haut) a contribué à l’infléchir dans un sens plus favorable aux individus et c’est dans ce sens qu’il est codifié dans le décret du 28 novembre 1983[5] adopté par le gouvernement socialiste.

 

Parallèlement s’est révélée décisive dans la généralisation du principe, l’élaboration de la convention européenne des droits de l’homme, dans les années 1948-1950 – dont il serait utile de faire une histoire sociale[6] -, à l’initiative d’intellectuels et de juristes de la mouvance chrétien-démocrate (Salvador de Madariaga, Denis de Rougemont, Pierre-Henri Teitgen, Paul Bastid, Henri Rolin, Charles Chaumont, Constantin Eustathiades, Willem Riphagen). Son article 6 prévoyant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. Même s’il ne s’applique en principe qu’au domaine juridictionnel, l’interprétation qu’en ont fait les juges de la Cour européenne, a contribué à la définition du contenu concret des droits des individus à se défendre et à faire entendre leur point de vue[7]. Et l’article 41-2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que la Cour de justice des communautés est censée appliquer prévoit explicitement l’application du droit à être entendu aux relations avec l’administration[8].

 

Aujourd’hui, le principe du contradictoire est loué par les théoriciens du droit comme facteur d’émergence d’un Etat « postmoderne » dont le droit est centré sur la subjectivité des individus[9]. Il s’intègre dans un système de procédures qui pacifieraient l’espace social en faisant passer les conflits par des filtres rationnels[10].

 

Niklas Luhmann[11] notamment expose comment l’application d’un système procédural comme la mise en œuvre du principe du contradictoire prend en quelque sorte les individus et leur conflit au piège d’une rhétorique et de processus contrôlés par les spécialistes du droit.

 

La procédure opère une restructuration des attentes[12] dans un environnement complexe. C’est un processus d’apprentissage qui fait entrer
 les acteurs dans un rôle qui leur offre la chance de se doter d’une nouvelle personnalité et d’un nouveau passé. Dans cet espace de jeu,
 la complexité est réduite, mais les chances de gain et de perte restent ouvertes, de sorte que l’agent s’y laisse prendre 
– sans que cela accapare complètement pour autant ses autres rôles sociaux[13].
 

C’est ce jeu de rôle qui, selon Luhmann, garantirait l’efficace des procédures, et non pas la persuasion rationnelle, ni même les effets de violence symbolique[14]. Les acteurs sociaux sont suffisamment sceptiques à l’égard de la rhétorique des juristes et de leurs effets de manche : ce qui les contraint à accepter les décisions issues des processus juridiques, c’est précisément et uniquement le fait qu’ils ont accepté de jouer le jeu à un moment donné, et qu’ils ne peuvent plus qu’être isolés et stigmatisés comme mauvais joueurs s’ils contestent l’issue du jeu ouvert qu’ils ont accepté de jouer dans la procédure[15].

 

- L’effet de cléricalisation des pratiques bureaucratiques

 

Une procédure comme le principe du contradictoire ne fait pas que « piéger » - selon la conception fonctionnaliste de Luhmann - l’individu en faisant rentrer ses attentes dans une rationalité juridique. Elle transforme aussi l’administration, sa culture, et les caractéristiques de ses décisions.

 

Sur le plan matériel, elle requiert la mobilisation des scribes et des juristes. Un directeur des ressources humaines qui, sur ordre du ministre et du Président de la République, rappelle un ambassadeur à Paris, ou, de sa propre initiative, décide d’affecter une secrétaire en Russie plutôt qu’au Chili, se contentait, jusqu’à une époque récente, d’émettre un télégramme enjoignant à l’intéressé de changer de fonctions, des exécutants officialisant ensuite la décision sous forme d’arrêtés aux formes invariables.

 

Le principe du contradictoire aujourd’hui impose qu’une lettre soit adressée dans un premier temps à l’agent, l’informant de l’intention du ministère de modifier son affectation et du droit de l’intéressé à consulter son dossier administratif ainsi qu’à produire des observations écrites ou verbales avec l’assistance éventuelle d’un conseiller de son choix.

 

Cette procédure implique qu’on définisse des motifs à la décision pour que l’agent puisse les contester, motifs de droit et de fait que les gestionnaires sont rarement capables de formuler – sauf à retenir une motivation stéréotypée mal perçue par les juges – et le font généralement en concertation avec les rédacteurs du service juridique. A supposer que l’agent veuille consulter son dossier et produise ses observations, il faut organiser cette consultation, lui délivrer un procès verbal de réception, en veillant à ce qu’aucune des étapes du processus ne puisse donner lieu à contestation devant le juge.

 

Sur le plan symbolique, dans la logique du « audi alteram partem » l’administration doit admettre que ces procédures donnent 
lieu à de mini-procès dans son propre espace, se tenir prête à accueillir éventuellement en son sein des avocats qui viendront assister l’agent, accepter que
 l’entretien avec le directeur des ressources humaines, qui était autrefois une grâce accordée dans un esprit paternaliste à l’agent 
sur le point d’être affecté, devienne un face-à-face serré, obligatoire, derrière lequel peut toujours se profiler un procès. 
 

[1] Catherine Ribot, Les mesures prises en considération de la personne dans le contentieux de la Fonction publique, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 1-1996, p. 143-186.

[2] Hocine Zeghbib, Principe du contradictoire et procédure administrative non contentieuse, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 2-1998, p. 467-503.

 

[3] Voir par exemple l’allocution de John Kendall à la Construction Law Association de King’s College – John Kendall, Formality and due process in ADR, The Sweet and Maxwell fifth KCCLA annual lecture 21 novembre 2002 - http://www.kccla.org.uk/annual-lecture-2003.html

[4] Sur la base de l’article de la loi du 22 avril 1905, qui prévoit l’existence d’un dossier administratif, et la possibilité de l’agent de le consulter et de produire des observations après l’avoir consulté.

[5] Hocine Zeghbib, Principe du contradictoire et procédure administrative non contentieuse, op. cit.

[6] A la lumière notamment des travaux d’Antonin Cohen sur les déclarations des droits construites comme préfigurations d’une constitution européenne fédérale : Antonin Cohen, Anatomie d’une utopie juridique. Eléments pour une sociologie du fédéralisme européen : la Constitution, Sur la portée sociale du droit, Liora Israël, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez, Laurent Willemez, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP) Paris, PUF, 2005.

[7] Voir par exemple les commentaires des arrêts du Conseil d’Etat Mme R et Société Polytech Silimed Europe du 29 juillet 2002 à l’AJDA du 9 décembre 2002 p. 1394 et suiv.

[8] Karine Michelet, La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la procédure administrative non contentieuse, AJDA 14 octobre 2002, p. 949-955.

[9] Jacques Chevallier, Vers un droit postmoderne ? Les transformations de la régulation juridique, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 3-1998, p. 660-690.

[10] Jean-François Burgelin, Jean-Marie Coulon et Marie-Anne Frison-Roche, L'office de la procédure, Mélanges Drai p.252

[11] Niklas Luhmann, La légitimation par la procédure - traduit par Lukas K.Sosoe et Stéphane Bouchard - ed Cerf/Presses universitaires de Laval 2001.

[12] Luhmann, op.cit. p. 28.

[13] Comme le note Luhmann, un homme ne se discrédite pas dans son rôle de mari aux yeux de son épouse s’il perd un procès concernant le montant de son loyer (p.41).

[14] Luhmann rejette violemment l’héritage durkheimien et freudien. Pour lui l’efficace du droit ne tient pas à des effets de rituel ou d’affect – sans quoi les sentences finales seraient plus individualisées et différenciées en fonction des publics destinataires.

[15] On notera toutefois que Luhmann s’opposait au développement des procédures contradictoires dans le champ bureaucratique et proposait que seuls les tribunaux y soient soumis (ibid p.205) au nom de l’argument très contestable selon lequel le champ bureaucratique est entièrement soumis aux exigences des gouvernants (politiques).

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NB : "audi alteram partem" était inscrit en lettres d'or dans la grande salle du Guildhall (hôtel de ville) de Londres

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Mon livre "Les médiums" cité par la revue "La recherche astrologique"

7 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Publications et commentaires, #Médiums

Mon livre sur "Les médiums" est cité en ces termes ce mois-ci en page 37 du numéro 1 de la 34ème année de la revue "La recherche astrologique" (revue trimestrielle dont certains numéros peuvent être feuilletés ou achetés ici) en ces termes :

"L’auteur, sociologue, présente les caractéristiques et problématiques internes au phénomène de la médiumnité. Il s’appuie avec sympathie sur des dialogues avec certains médiums, et sur des « soins » reçus lors de séances avec d’autres. Les documents objectifs sur ce sujet étant rares, ce livre est le bienvenu."

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