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Melchisédech, le visiteur hors du temps

11 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Melchisédech, en hébreu מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq) « roi de justice », est un personnage biblique qui apparaît très brièvement dans l’histoire d’Abraham dans le livre de la Genèse 14. Il y est présenté comme « roi de Salem » (lieu non identifié) et « prêtre du Très-Haut » (El-Elyôn), auquel Abraham versa la dîme. Dans l'Épître aux Hébreux du Nouveau Testament, Jésus est déclaré « Grand prêtre pour toujours » à l'image de Melchisédech, en référence à Psaume 110:4 "L'Eternel l'a juré, et il ne s'en repentira point, que tu es Sacrificateur éternellement, à la façon de Melchisédec".

Jacques Bergier dans les Maîtres secrets du temps rappelle que France Soir le 26 novembre 1973 signalait l'existence dans un hôpital psychiatrique d'un personnage appelé Melchisédech qui se faisait appeler "prince Charlemagne SS" . Nul ne savait d'où il venait. Selon une de ses disciples poétesse de 52 ans c'est un véritable contemporain d'Abraham.

Bergier reprend aussi l'anecdote citée par Arthur Machen (1863-1947) dans son récit de 1915 "The Great return" dont Bergier situe à tort l'intrigue en juin 1917 (!) et qu'il semble tenir pour authentique : des inconnus arrivent dans le village de pêcheurs de Llantrisant, ils disent être des prêtres de Melchisedech et pendant une messe, ils prononcent des mots en grec ancien. Le récit détaillé de l'épisode est ici, en anglais, au chapitre VII : "Ffeiriadwyr Melchisédech ! Ffeiriadwyr Melchisédech ! cria le vieux diacre méthodiste calviniste à barbe grise. « Prêtrise de Melchisédech ! Prêtrise de Melchisédech !" . Bergier raconte l'apparition d'une gigantesque rosace de flammes pendant la nuit et des guérisons miraculeuses dans la foulée. Tout cela se mêlait à la thématique du Graal, celle des cloches angéliques etc. Machen, qui restait pour sa part réservé sur la légende locale, signalait que la rosace pouvait venir du port et que les miracles des neuf jours qui avaient suivi étaient tous explicables sauf la lumière chaude qui venait soigner les gens.

"Il y a cette question, notait Machen en conclusion de son texte, de la distinction entre l'hallucination et la vision, de la durée moyenne de l'une et de l'autre, et de la possibilité de l'hallucination collective. Si un certain nombre de personnes voient toutes (ou pensent voir) les mêmes apparitions, cela peut-il être simplement une hallucination ? Je crois qu'il existe une affaire de premier plan en la matière, qui concerne un certain nombre de personnes voyant la même apparence sur le mur d'une église en Irlande ; mais il y a, bien sûr, cette difficulté, que l'on peut être halluciné et communiquer son impression aux autres, par télépathie."

Bergier avait été sensible aussi au fait relevé par Machen au chapitre VI sur la similitude des visions des habitants avec l'Anhelonium Lewinii ou peyotl (bouton de mescal popularisé par Castaneda) qui faisait voir des cathédrales gothiques à un de ses expérimentateurs. Assez bêtement Bergier ajoute qu'on est 40 ans avant les travaux d'Aldous Huxley,  mais c'est oublier que le British Medical Journal en 1896 avait déjà analysé les effets de cette drogue. Je vous renvoie aux travaux de Gordon Wasson sur les enthéogènes, mais les enthéogènes n'étant que des vecteurs du surnaturel, les considérations sur ces vecteurs n'éclairent pas grand chose selon moi.

En tout cas, il est vrai que la référence à Melchisédech ne venait pas de nulle part. Donc on peut supposer que quelque chose s'est vraiment passé dans ce village gallois en rapport avec ce sage, même si la fiche Wikipedia de Llantrisant se garde d'en parler, et d'ailleurs peu de choses sur Internet se rencontrent à ce sujet. La Flying Saucer Review se serait emparée du sujet en 1972 dans le registre de l'ufologie, mais ses archives ne sont pas en ligne.

Les écrits juifs situent le roi-prêtre Melchisédech hors du temps. Il est le seul personnage de la Genèse à n'avoir pas d'ancêtres explicitement nommés (ce que redira St Paul dans He 7:3 - cf le Codex de Mechisédek analysé par Jean-Pierre Mahé en 2000).

L'abbé Trithème (1462-1516) présente Melchisedech comme un eldil, c'est a dire, une créature inférieure à Dieu, mais supérieure aux Anges, catégorie reprise dans les années 1930-40 par C. S. Lewis. Pour Bergier, ce personnage, qui a pu être le prêtre d'un dieu nouveau au temps d'Abraham, pourrait donc venir d'un autre temps, ou d'en dehors du temps, pour aider les hommes à diverses époques, comme Fo-Hi en Chine, l'inventeur du Yi-King. Il insiste sur le fait que l'idée du voyage dans le temps vient de la culture juive.

AGCP de Hody rappelle que le 13 juillet 1483 Bernard de Breydenbach, doyen de l'église de Mayence, à la sortie de l'église de la Résurrection à Jérusalem se fit montrer les tombeaux des rois chrétiens dont celui de Godefroid de Bouillon... et de Melchisédech, fait confirmé par d'autres témoins mais les Latins n'ont jamais souscrit à l'authenticité de ce tombeau.

 

PS : sur Melchisédech voir aussi ce cours au collège de France (fin du cours, année 2009-2010)

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La sentiment de pudeur n'aurait pas qu'une origine visuelle

9 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur, #Histoire des idées, #Anthropologie du corps

J'ai souvent insisté, quand j'écris sur le rapport entre nudité et spiritualité en Occident, sur la dimension visuelle de la nudité à l'égard des anges (notamment des anges déçus).

Or je tombais hier sur une remarque intéressante de Salomon Reinach (1858-1932) sous un article intitulé "Les sycophantes et les mystères de la figue", publié la revue des études grecques de 1906 puis dans le recueil "Cultes, mythes et religion".

Je n'épiloguerai pas sur la figue sur le thème de la figue à propos duquel le kabbaliste Cohen Alloro dit des choses intéressantes.

Signalons simplement cet addendum de Reinach qui,fait référence à une lettre , paru dans la Revue archéologique de 1907, intitulée The Pharmakoi and the story of the fall que William Roger Paton (1857-1921) lui a adressée. Cette lettre trace une analogie entre l'expulsion d'Adam et Eve du paradis terrestre dans la Genèse et un rituel grec archaïque d'expulsion d'une femme et d'un homme nus de la cité.

Il existe en Grèce un rituel ancien (Reinach y insiste : un rituel plus qu'un procédé technique car on ignore si cela fonctionne) dit de caprification (de capri-ficus en latin : figuier-bouc) : pour faire mûrir la figue du figuier cultivé, on le considère comme une femelle, et on le soumet à l'influence de fleurs et de branches de figuiers sauvages (supposés être mâles) qui nourrissent des pucerons qui percent de trous la surface du fruit cultivé et en facilitent la maturation (ça c'est Pline qui l'explique tardivement dans une forme de rationalisation). On trouve un analogue dans des bas-reliefs assyriens où un génie ailé féconde un dattier. C'est une hiérogamie. Or à Athènes, au mois de thargelion (au printemps), deux victimes appelées "pharmakoi" étaient conduites en dehors de la ville nues en portant des colliers de figues sèches : noires pour la victime masculine, blanches pour la féminine (selon Helladius). Les Pharmakoi étaient frappés sept fois avec des branches de figuiers sur les parties génitales, rituel qui pouvait être censé les rendre féconds à l'origine puis avoir revêtu avec le temps une dimension expiatoire.

Paton, réagissant aux premières remarques de Reinach sur les origines du mot sycophante (qui vient de "figue") rapproche ce rituel expiatoire du verset de la Bible à propos d'Adam et Eve : « Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures », dit la Bible (Gen 3, 7). Ce verset qui manifeste les origines de la pudeur, note-t-il, en le reliant à la fécondité des figues, invite à penser que celui-ci sert surtout à protéger les orifices par où l'être humain procrée (ce qui explique que les peuples qui vivent nus n'imposent une tablier aux filles qu'après leur puberté, idem pour l'étui pénien des garçons) parce que, selon la mentalité primitive, des mauvais esprits pouvaient être tentés de s'y infiltrer, ce qui pouvait nuire à la santé de la descendance.

Il ajoute que cette idée de l'entrée des esprits par les orifices est souvent étendue au delà des orifices génitaux. Un hymne chrétien dit que la Sainte Vierge fut fécondée par une oreille (quae per aurem concepisti) et pour la même raison les femmes musulmanes couvrent leur bouche (Edwin Sidney Hartland, The Legend of Perseus).

Voilà une approche à laquelle je n'avais pas pensé.

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L'Heptaméron et Marie-Madeleine

4 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire secrète, #Alchimie

Dans notre précédent billet sur Marguerite de Navarre et Ste Marie-Magdeleine, nous avons un peu laissé en suspens la question de savoir si l'Heptaméron était un recueil de nouvelles codées, et celle, plus spécifique, de savoir si la 32 ème nouvelle, dans laquelle une jeune et belle femme adultère en Allemagne est forcée par son mari de boire dans le crâne de son amant assassiné par ce dernier et d'avoir les os de ce dernier dans son armoire. parlait de la sainte pénitente d'un bout à l'autre (en langage codé) ou seulement à la fin (sur un mode manifeste).

L'historien de la poésie de la Renaissance François Rigoulot, s'est confronté à cette question dans Renaissance Quartely en 1994 en essayant quelques hypothèses sur une possible dénonciation "protestantisante" par la nouvelle du culte des reliques de la pénitente de la Sainte Baume, hypothèse quand même assez peu probable quand on songe au rapport de Marguerite de Navarre au catholicisme très bien disséqué par Jean-Marie Le Gall, dans  « Marguerite de Navarre : The Reasons for Remaining Catholic », A Companion to Marguerite de Navarre, p. 59-87, paru en 2013.

Plus récemment, dans un article paru en janvier 2021, « Véritable Histoire: L’Heptaméron et la Madeleine », Gary Ferguson s'interroge aussi sur ce qu'a pu être le rapport de la reine de Navarre aux reliques (elle qui s'est occasionnellement inclinées devant certaines, et a largement subventionné des institutions ou des mystiques très attachés à leur culte), et il montre que l'Heptaméron est assez modéré (comme son autrice) sur la question, ne tranchant pas la question de savoir s'il s'agit de superstition ou d'une marque sincère de piété (voir la nouvelle 65). Le protestant Théodore de Bèze allaient d'ailleurs lui reprocher d'avoir classé, avec Roussel, ce genre de dévotion au nombre des choses indifférentes.

Ferguson rappelle l'attitude sceptique du proche de Marguerite de Navarre, Demoulins de Rochefort, auteur de la Vie de la belle et clere Magdelene (1517), commandée par Louise de Savoie (la mère de Marguerite) après le pèlerinage de la famille royale à la Ste Baume, à l'égard de la relique du chef de la disciple de Jésus, et du bout de chair, le Noli me tangere, qu'il propose d'appeler le Noli me credere. Marguerite aurait été partagée entre les avis avancés des intellectuels sur la question des reliques et sur le fait que Marie Magdeleine ne pouvait être assimilée à une prostituée (qui est aussi la position, notons le, de la visionnaire allemande Soeur Catherine Emmerich à la fin du XVIIIe siècle), et les éléments de la tradition catholique.

Avant la nouvelle 32, la nouvelle 19 fait aussi référence à la sainte pénitente. raconte l'histoire de deux jeunes gens, un gentilhomme et sa bien-aimée Pauline, tous les deux au service du marquis et de la marquise de Mantoue. Après que leurs maîtres leur ont refusé la permission de se marier, les amoureux se font religieux franciscains. En conclusion, ils vivent, selon la narratrice, « si sainctement et devotement en leur observance, que l’on ne doit douter que celuy, duquel la fin de la loy est charité, ne leur dist à la fin de leur vie comme à la Magdaleine, que leurs pechez leur estoient pardonnez, veu qu’ils avoient beaucoup aimé ».

Marie-Madeleine Fontaine dans "Marie Madeleine, une sainte courtisane pour les dames de cour", Female Saints and Sinners, Saintes et mondaines (France 1450-1650), dir. Jennifer Britnell et Ann Moss, Durham, Durham University, coll. Durham Modern Languages Series, 2002, p. 1-37, a montré que cette nouvelle est liée  au pèlerinage qu’a effectué la famille royale à la Sainte-Baume en janvier 1516. Dans la suite de François Ier à l’époque se trouvait Frédéric de Gonzague, qui avait été fait prisonnier pendant la campagne italienne. Celui-ci décrit le pèlerinage dans les lettres qu’il adresse à sa mère, Isabelle d’Este, marquise de Mantoue. Or, l’année suivante, en avril 1517 (voir ici), Isabelle décide de faire le même pèlerinage, retraçant à l’identique la route suivie par la famille royale française. Pour Marguerite, comme l’explique M. Fontaine, « tout cela défigurait et rabaissait en quelque sorte son propre pèlerinage, et surtout nuisait au caractère royal et national qu’elle a contribué à mettre en place avec sa mère autour de Madeleine ». La nouvelle 19 serait une vengeance contre Isabelle d’Este. On notera que ce pèlerinage de la Marquise de Mantoue eut quelques conséquences artistiques intéressantes aussi, puisqu'ensuite celle-ci commanda à Giulio Romano une Maddalena leggente inspirée d'un original perdu du Corrège, qui contribua à diffuser ce style de représentation inhabituel en Italie. Au delà des Alpes le pèlerinage d'Isabelle d'Este donna lieu à la rédaction par l'humaniste Mario Equicola d'un récit Iter in Narbonensem Galliam qui raconte de le pèlerinage et compare la marquise à la Madeleine, car son comportement fut stigmatisé quand son mari était prisonnier à Venise en 1509. Mario Equicola étant un disciple de Lefèvre d'Etaples, il y avait glissé que Magdeleine n'était pas la prostituée de chez Simon le Pharisien, les pages sur ce point furent censurées (couvertes de feuilles de papier). Le fils d'Isabelle d'Este, Federigo, allait ensuite commander au Titien une Madeleine "avant sa conversion" très sensuelle pour la très pieuse Vittoria Colonna (1490-1547), poétesse et marquise de Pescara, qui la trouva fort à son goût, ce qui conduit les historiens à débattre en profondeur sur le véritable sens

de cette nouvelle Magdeleine.

Pour revenir à Marguerite, ce qui intéresse Ferguson dans la nouvelle 32 c'est qu'une des commentatrices à la fin de l'histoire se demande si Magdeleine pécheresse repentie doit être regardée comme ayant ou non plus de mérite qu'une vierge. Il rappelle que les diverses iconographies (la nudité de Madeleine à la Ste Baume, les anges comme des cupidons à ses côtés) et la spéculation sur les femmes qui dans l’Évangile oignent les pieds et la tête du Christ ou seulement sa tête, tracent l’ambiguïté d'une Magdeleine prise entre ciel et terre, ambiguïté qui était aussi celle de la noblesse française et de la famille des Valois.

"Cette Madeleine double – spirituelle mais aussi noble, mondaine et sensuelle –, écrit Ferguson, même si elle est une fiction, a pu interpeller Marguerite, incarnant pour elle une vérité religieuse qui touchait de près à sa situation personnelle et à celle de sa famille, surtout à celle de son frère. Car la dualité était de nature réversible : si la sainte pénitente était toujours la pécheresse, les activités de sa jeunesse, à l’inverse – les fêtes, la chasse, les amourettes, illustrées avec tant de finesse par Godefroy le Batave –, ne sauraient être simplement dénoncées ; dans une certaine mesure, elles sont valorisées et douées d’un potentiel spirituel. Dans cette optique, la figure de la Madeleine serait comparable au discours néoplatonicien à la Renaissance. Si celui-ci prônait comme fin idéale la transcendance, il était souvent mobilisé pour justifier et anoblir des amours terrestres et physiques. "

Le sujet va très loin. Car il s'agit d'appliquer  1 Jean 4:20 "Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" également à l'amour érotique (on n'est pas loin du tout là, pour le coup des saint-simoniens dont je parle dans mon livre sur Lacordaire, et cela donne une coloration très particulière au "C'est pourquoi je vous déclare, que beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé : " de Luc 7:47.

Certaines indulgences de Marguerite à l'égard des frasques amoureuses de François Ie y trouvent leur source (ce que d'ailleurs condamna explicitement Montaigne dans son Essai "Des prières")

"Ainsi la figure de Marie Madeleine, ajoute Ferguson, – celle de la tradition, la composite – a pu confirmer Marguerite dans la conviction que même si les plaisirs de la chair étaient des péchés, ils n’étaient pas les pires, ceux qui éloignaient le plus de Dieu ; voire, dans certains cas, ils pouvaient même conduire à lui".

Ferguson rappelle aussi que dans l'entourage de Marguerite de Navarre on était sensible au magistère de Marie Magdeleine. La Vie de Demoulins prolonge l’histoire en affirmant qu’après l’Ascension du Christ, l’apôtre des apôtres a prêché, aux côtés de ses condisciples masculins, dans la région de Judée. L'illustration de Godefroy le Batave souligne cette activité de prédication où on la voit parler l’index droit levé ou se tenant derrière une sorte de pupitre.

Marguerite  qui avait commandé une copie du Mystère des Actes des Apôtres (vers 1465), attribué à Simon Gréban, en un temps où l'on cherchait à se rapprocher des premiers chrétiens, pouvait être sensible au passage de la Vie de la belle et clere Magdalene qui la montre recevant l'Esprit saint avec les Apôtres à la Pentecôte (la nouvelle 67 de l'Heptaméron insiste sur le rôle évangélisateur des femmes).

"Dans certains cercles catholiques réformateurs en Italie, rappelle Ferguson, on accordait également beaucoup d’importance aux rôles des femmes dans l’Église et à Marie Madeleine : au couvent de Sainte-Marthe à Milan, par exemple (cette sainte Marthe, rappelons-le, que la tradition considérait comme la sœur de Marie Madeleine). Le couvent était dirigé par l’abbesse charismatique, Arcangela Panigarola. Entre 1512 et 1520, celle-ci a entretenu une correspondance avec Denis Briçonnet, ambassadeur extraordinaire de François Ier dans les années 1516-1519. Son frère aîné, Guillaume, a aussi échangé un certain nombre de lettres avec l’abbesse, quelques années avant de commencer sa correspondance plus célèbre avec Marguerite de Navarre (1521-1524). Le cercle milanais était influencé par les idées du franciscain, Frère Amédée Menez de Silva ou du Portugal (v. 1420-1482), qui mit par écrit une « révélation angélique » concernant, en partie, la Madeleine. Selon le Frère Amédée, celle-ci serait bien la sœur de Lazare et de Marthe, mais non pas la pécheresse notoire de l’Évangile selon saint Luc. Ce texte était connu de Marguerite de Navarre, parce que François Demoulins l’avait inclus, en latin et en traduction française, dans le manuscrit".

Dans un livre d’heures de Catherine de Médicis, qui avait peut-être été en la possession de François Ier, Marguerite elle-même semble être représentée sous les traits de Marie-Magdeleine. Fergusson conclut qu'elle a pu apprécier les ambiguïtés même de la figure traditionnelle de Madeleine (y compris sa dimension composite des trois Maries) sur laquelle de nombreuses interprétations peuvent se greffer, son caractère de support "indifférent" (ni bon ni mauvais pour la foi) qui requiert la bonne intention du croyant pour la rendre féconde pour les valeurs chrétiennes. Le statut de vérité assez opaque que l'on doit accorder aux figures prêtées à la sainte rejoint celui des contes soi-disant authentiques (alors que visiblement beaucoup ne le sont pas) de l'Heptaméron. L'objet étant par là, à travers l'ambiguïté même, d'atteindre un statut de vérité spirituelle plus profond.
 

A titre personnel, j'aurais envie d'ajouter un petit détail un peu étrange si l'on part sur l'idée que la 32e nouvelle de l'Heptaméron est codée que, à la fin du conte, quand l'envoyé du roi Charles VIII Bernage persuade le mari trompé de pardonner à sa femme au vu de son repentir, l'ambassadeur de retour à Paris demande à un certain "Jehan de Paris", peintre, d'aller faire le portrait de la repentante. Ce point tombe un peu "comme un cheveu sur la piste". L'éditeur de l'Heptaméron Michel François explique de Jean Perréal, dit de Paris, "peintre fameux de la fin du XVe siècle dont le nom même était resté à peu près ignoré jusqu'aux travaux du Comte Léon de Laborde" était célèbre dans la région de Lyon. Il fut peintre ordinaire et valet de chambre de Charles VIII, faveur qu'il conserva encore sous le règne de François Ier. La plupart de ses oeuvres sont perdues. André Vernet, futur membre de l'Institut, dans un article de 1943, Jean Perreal, poète et alchimiste, avait mis en lumière l'oeuvre d'alchimiste de ce peintre poête, et en 1948 lui avait attribué le poême Complainte de la Nature, première transcription en vers français du savoir alchimique. Depuis lors, dans les années 60 une enluminure de Perreal a été retrouvée, puis d'autres oeuvres lui ont été attribuées mais sans certitude.

Faut-il penser que l'alchimie de Perreal avait un rapport particulier à Marie-Madeleine (ce qui nous conduirait sur les terrains glissants d'une Madeleine liée au Grand-Oeuvre - cf le livre dirigé par Brigitte Barbaudy-Ngoma) ? ou s'agit-il une fois de plus d'une référence à la famille d'Este (comme dans la nouvelle 19), puisqu'il est avancé comme hypothèse qu'il a fait un portrait en 1492 de Béatrice d'Este, 17 ans, fort jolie soeur de la précitée Isabelle d'Este, à l'initiative d'un pèlerinage intempestif à la Sainte-Baume ?

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Marguerite de Navarre à la Sainte Baume

1 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire des idées

Les éléments que je vais exposer ici sont principalement empruntés à l'excellent livre de Patricia Eichel-Lojkine, professeure de littérature française du XVIe siècle à l'université du Mans, "Marguerite de Navarre, Perle de la Renaissance" publié aux éditions Perrin en 2021.

Après la campagne de son frère François Ier dans la région de Milan (et la victoire de Marignan) en 1515, et la rencontre du roi avec le pape Léon X en décembre, Marguerite d'Angoulême (23 ans, duchesse d'Alençon et pas encore reine de Navarre) est censée le retrouver dans les Etats de Provence (qui ne sont français que depuis 35 ans), en janvier 1516. Là s'est développé depuis 300 ans un pèlerinage très important sur le lieu présumé de l'exil de Sainte Marie-Madeleine, la grotte de Sainte-Baume. Anne de Bretagne et Louis XII notamment l'avaient visité en 1503. La mère de Marguerite d'Angoulême, Louise de Savoie, voue une dévotion particulière à la sainte pénitente.

François Ier alla s'incliner devant les reliques de la sainte à Saint-Maximin le 20 janvier 1516. Dans son livre consacré à Marie-Madeleine, le théologien Maximin-Martial Sicard (1842-1918) précise que les femmes "fussent-elles princesses ou reines" n'avaient pas le droit d'entrer dans la crypte. La reine Claude, la reine-mère Louise de Savoie, Marguerite d'Angoulême et les femmes de l'aristocratie qui les accompagnaient se recueillirent donc à l'extérieur.

Le lendemain, le 21, ils montèrent ensemble à la grotte où l'église était délabrée (la famille royale allait faire un don pour la réparer ainsi que l'hospice des étrangers). Sicard précise (ce que Mme Lojkine hélas ne reprend pas) que François Ier "plaça un portique à l'entrée de la grotte. Il était orné d'un frontispice d'ordre corinthien, mêlé de gothique, avec entablement surmonté d'un fronton brisé au milieu, un bas-relief représentait sainte Marie-Madeleine portée par tes anges au Saint-Pilon. Le fronton était encadré par deux statues de trois pieds, l'une de saint François d'Assise, patron du roi, l'autre de saint Louis, roi de France, patron de Louise de Savoie, sa mère. Le fils et la mère se firent, en outre, représenter eux-mêmes à genoux entre ces deux statues et le bas-relief. L'ouverture de ce monument fut ménagée de telle sorte que tes rayons du soleil n'entraient, dit-on, dans la grotte que le 22 juin" (à moins que ce ne soit le 22 juillet fête de Marie-Madeleine, mais je ne crois pas que Sicard ait pu se tromper de mois).  François Ier allait y revenir en 1533 et cinq ans plus tard mettre la forêt à l'entour sous sa protection.

C'est lors de ce pèlerinage que Marguerite allait croiser pour la première fois Henri II d'Albret, 12 ans, qu'elle allait plus tard épouser en tombant fort amoureuse de lui.

Avant la dévotion à Ste Marie Magdeleine, la princesse et les reines parties d'Angers le 20 octobre 1515 sont passées par Lyon en décembre, Valence, Montbéliard, Pont-Saint-Esprit, Orange, Avignon. D'Avignon elles ont pris le bateau jusqu'à Tarascon où elles ont fait leurs dévotions au sanctuaire de Sainte-Marthe, la soeur de Marie-Madeleine. Puis elles ont poursuivi vers Salon, Aix et Saint-Maximin où elles sont arrivées le 31 décembre 1515.

Patricia Eichel-Lojkine ne dit rien de l'ascension de la Sainte-Baume le 21 janvier (cependant on peut en trouver une brève description ici), mais précise (p. 58) que le 12 février, la reine-mère Louise de Savoie, sur la Drôme, reçoit une révélation intérieure : de demander à son fils François Ier de réciter le Psaume 26, ce qui dans le langage de l'époque sera formulé ainsi "Madame fut spirituellement admonestée de faire parler son humilité à l'obéissance du roi son fils, et le supplier que pour oraison dévote il prît le psaume 26e, lequel est convenable pour lui". On ne sait quel danger elle avait pu sentir sur la rivière.

En souvenir du pèlerinage à la Sainte-Baume commande est passée à François Demoulins de Rochefort pour deux écrits sur la repentance et la modestie : une glose en français du psaume protecteur et une hagiographie de Marie-Madeleine.

Les pages du commentaire du Psaume 26 seront illustrées par Godefroy le Batave. On y voit Louise de Savoie et François Ier contemplant le crucifix. Les illustrations célèbrent la piété filiale de François envers sa mère et leur dévotion. La reine-mère sera si satisfaite qu'elle attribuera une généreuse pension à l'artiste.

Pour mémoire le Psaume 26 commence ainsi :

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Le traité sur Marie-Madeleine de Demoulins de Rochefort est consultable ici. Il est assez étrange. On y trouve par exemple une condamnation des pleurs qui sont pourtant un attribut important de la pénitente.

"Larmes humaines sont inutiles", écrit l'auteur, et l'enluminure jointe précise "Prier sert, pleurer est folie" autour d'une représentation de Marthe, Magdeleine et Lazare.

Le traité raconte (en s'inspirant d'on ne sait quelle tradition) comment Lazare et ses soeurs "abandonnèrent les sépultures de ceux qui les avaient engendrées" et se partagèrent leur héritage : "Lazare prit ce qui était en Hiérusalem, Marthe ce qui était en Béthanie, et le château de Magdalon fut pour la belle Magdelene". "La pauvre Magdalene était trompée, car elle aimait les fils des hommes et dansait avec eux non advertie que le fils de Dieu qui en beauté surmontait toutes créatures humaines était venu en ce monde pour son salut."

Ce texte est si intéressant que je préfère en réserver l'analyse pour un autre billet, afin de ne pas trop surcharger celui-ci.

Patricia Eichel-Lojkine souligne (p. 59) que le pèlerinage à Saint Maximin et la Sainte-Baume et l'expérience spirituelle du recueillement autour de Marie-Madeleine a "transformé la famille (royale) unie dans l'humilité". Du côté de Marguerite d'Angoulême, cela se traduira par une approche de son frère comme un nouveau roi David placé "sous le tabernacle de divine protection". Et Marguerite va désormais nourrir une véritable fascination pour Marie-Madeleine.

L'enseignante écrit (p. 59) : "La lecture de la vie de la pénitente et la vue des reliques en Provence la marquent durablement puisqu'elle y fera encore une allusion dans un de ses contes ( l'Heptaméron 32e nouvelle)". Je suis pour ma part assez réservé sur cet argument car la seule allusion à Magdeleine se trouve à la fin du conte quand Ennasuitte demande "Dites moi si la Magdeleine n'a pas plus d'honneur entre les hommes maintenant, que sa soeur qui était vierge ?". Mais cette seule mention sur 72 nouvelles est tout de même légère, compte tenu de la popularité de la sainte pénitente dans la chrétienté, cette vingtaine de mots sous la plume d'une écrivaine très croyante ne trahit pas l'existence d'une dévotion particulière. Sauf à considérer l'ensemble du conte comme un récit à clé, et voir par exemple dans les mentions des os de l'amant et du crâne une allusion aux reliques de la sainte (j'ai montré dans le même sens dans mon récit sur Lacordaire que son rapport au crâne de Mme de Sévigné pouvait anticiper sur la thématique du crâne chez l'ascète de la Sainte-Baume), mais il est assez hasardeux de s'aventurer sur ce chemin ne serait-ce que parce que je souscris à l'opinion du préfacier Michel François dans l'édition de 2005 selon laquelle les contes de l'Heptaméron sont des histoires vraies).

Demoulins de son côté va se lancer dans la recherche des "trois Maries" (Marie de Magdala, Marie la pécheresse et Marie de Béthanie soeur de Marthe) et montrer que le nom de Marie-Madeleine ne peut condenser ces trois personnages comme l'a cru à tort le pape Grégoire le Grand. Le savant sexagénaire Jacques Lefèvre d'Etaples dans son traité De Maria Magdalena de 1517 ira dans le même sens. Marguerite et Louise de Savoie soutiendront Lefèvre et Demoulins sera nommé grand aumônier de France en 1519. L'appui à Lefèvre, attaqué par la Sorbonne après la condamnation des thèses de Luther en 1521, n'allait jamais se démentir de la part des Valois..

Patricia Eichel-Lojkine raconte ensuite l'arrivée de la famille royale à Marseille où l'on vénère les reliques de St Louis d'Anjou. Elle y entre sous escorte de 1 500 chevaliers, 2 000 jeunes filles aux cheveux dénoués les accueillent et les accompagnent à la chapelle Notre-Dame de la Garde. L'historienne raconte la bataille de galères à coup d'oranges à la place des obus dans le port et la rencontre entre François Ier et un rhinocéros à corne unique de Goa à l'île d'If que le roi du Portugal veut offrir au pape.

Mais restons en à ces sujets de réflexion autour de l'influence de Marie-Madeleine sur la reine de Navarre. Je crois qu'il y a beaucoup à creuser de ce côté-là et que Patricia Eichel-Lojkine n'a fait qu'ouvrir le chemin. D'ailleurs ne faut-il pas voir encore une synchronicité autour de la famille de Béthanie, dans le fait que c'est un Charles de Sainte-Marthe , théologien poitevin disciple de Lefèvre d'Etaple, qui fut son protégé à Alençon et à Nérac, qui prononcera son éloge funèbre en 1559 ?

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Jacques Bergier alchimiste

27 Mai 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Histoire secrète

Dans cette série d'interviews réalisées par la RTS de 1978, le célèbre résistant et capitaine des services secrets français Jacques Bergier au bout de 1h43 parle d'un élixir de longue vie préparé par Armand Barbault, un astrologue alchimiste du village de Turckheim en Alsace, ancien ingénieur, auteur de L'Or du Millième matin (1969) Barbault raconte pour 24 heures sur la Deux en 1970 qu'il avait fait l'horoscope de Roger Wybot, premier directeur de la sécurité du territoire (de 1944 à 1959), ce qui lui avait valu une campagne de presse hostile (dans L'Humanité et Le Canard Enchaîné) qui lui avait fait quitter l'astrologie pour l'alchimie.

Bergier dit que l'elixir de Barbault est fait à partir de l'or acheté au comptoir des métaux précieux, mais dans une forme que la chimie ne connaît pas. L'émission de télévision de 1970 précisait que Barbault utilisait de la rosée recueillie à l'aurore, de la terre, des plantes cueillies au printemps. La tourbe recueillie au bout de mois en lien avec les astres, est incinérée, introduite dans un four à 700 degrés, la cendre est introduite dans un tube avec de la rosée distillée, de la poudre d'or, et soumise à coction sept fois quatre heures, filtrée, ce qui donne une liqueur d'or. Un médecin alsacien confiant devant la caméra qu'il en prescrivait aux gens âgés pour les accidents vasculaires. Bergier en 1970 précisait que l'or est insoluble dans l'eau en principe mais que là il s'agit bien d'or dissous (en solution organique), phénomène aussi étrange que l'eau superlourde découverte en 1930. En 1978 il allait préciser que Barbault avait échoué à en faire un véritable élixir de longue vie puisque lui-même était mort avant 1978.

Bergier lui-même a publié une théorie générale d'expérience alchimique, reprise par l'académie des sciences de Prague, qui lui aurait permis de produire un produit catalyseur (que Bergier n'hésite pas à qualifier de "pierre philosophale") à partir duquel il a fait des expériences, ce qui lui a notamment permis de transformer le sodium (sel de cuisine ordinaire) en métal rare, le béryllium qui entre dans la structure de l'émeraude. Il ajoute que les Egyptiens avaient des casques en bronze de béryllium. Bergier y développe aussi sa conception des alchimistes plus performants qu'Armand Barbault qui ont pu vivre plusieurs siècles, et notamment l'idée que Roger Boscovich pourrait n'être, au vu de sa signature, qu'un nom emprunté par Roger Bacon au bout de quelques siècles.

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Le nom de Marie Madeleine supprimé dans un exemplaire de l'Evangile de Jean

22 Mai 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Sainte-Baume

Une étude de 2016 d'une doctorante de l'Université Duke, Elizabeth Schrader (interviewée ici par le youtubeur Andrew Mark Henry), montre que les copieurs de l'Évangile de Jean ont peut-être diminué le rôle de Marie-Madeleine.

En regardant de près une image numérique du papyrus 66 -  un manuscrit grec du XIIe siècle généralement considéré comme le plus ancien manuscrit presque complet de l'Évangile de Jean - Elizabeth Schrader a remarqué quelque chose d'étrange.

Dans Jean 11:21 ("Marthe dit à Jésus: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort."), le mot « Maria » (ou Marie) avait été modifié : le symbole grec iota - le « i » - a été rayé et remplacé par un « th » qui a changé le nom en « Martha » (Marthe). Et dans Jean 11:3, le nom d'une femme a été remplacé par « les sœurs » : Les soeurs envoyèrent dire à Jésus: Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade.

Marthe est présente dans l'Evangile de Luc, mais il y aurait, selon Schrader, une volonté délibérée des copistes d'en faire dans l'Evangile de Jean la soeur de Lazare en lieu et place de Marie-Madeleine.

Dans Jean 11:27, c'est Marthe qui dit "Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde", phrase très importante. Dans Tertullien (150-220), c'est Marie.

Le prédicateur James Snapp Jr a objecté que Schrader allait trop loin dans l'interprétation des  ratures observées dans le P66.

Dans Jean 11:1, explique-t-il, le copiste de P66 a d'abord écrit l'équivalent grec de "Or un certain homme était malade, Lazare de Béthanie, le village de Marie et de Marie sa sœur.   Puis, s'apercevant qu'il avait écrit « Marie » deux fois », il est revenu en arrière pour corriger le texte en effaçant la lettre iota dans la seconde Μαρ ι ας et en la remplaçant par la lettre thêta , de manière à écrire Μαρ θ ας.   Ce genre d'erreur n'est pas particulièrement inhabituel pour ce copiste ; il a commis au moins 15 autres erreurs de dittographie (écrire deux fois ce qui devrait être écrit une fois) dans le texte de Jean.  Pour lui, la plupart des points soulevés par Schrader sont des erreurs d'inattention, comme il en existe beaucoup dans les manuscrits.

On observera aussi que sur le Net, à part les objections de Snapp, il n'y a pratiquement pas de reprise de la thèse de Schrader sauf dans des gender studies (voyez sur Google Scholar), ce qui laisse entendre que celle-ci a sans doute tiré des conclusions hâtives  sous l'influence de l'air du temps...

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Quand L'Humanité faisait l'éloge d'Arthur Avalon et de la déesse-mère

18 Mai 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Médiums, #Spiritualités de l'amour, #Histoire des idées, #Histoire secrète

J'ai déjà rappelé ici que le socialisme révolutionnaire de Pierre Leroux et des saint-simoniens était très attaché à la figure de la déesse-mère. On oublie aussi souvent qu'un grand alchimiste, Jollivet-Castellot, fut un des fondateurs du Parti communiste français (et l'on sait le lien entre l'alchimie et la Terre-mère, Gaïa). On est là dans la tradition maçonnique (et médiumnique) du Nord-Pas-de-Calais (cf Facon).

On ne devrait donc peut-être pas être si surpris que cela de lire dans le célèbre journal communiste français L'Humanité du 3 février 1924, sous la plume de Maurice Parijanine (Maurice Donzel), journal pourtant en théorie principalement inspiré par le matérialisme dialectique de Marx, un éloge d'un poème d'Arthur Avalon dédié à la "Mère des Védas" et "Reine des Serpents". "Le culte de la mère, observe Parijine est très ancien, il appartenait déjà a la civilisation méditerranéenne la plus reculée" pour que ses lecteurs ne réduisent pas cela à une bizarrerie indienne. Puis il ajoute à l'intention des admirateurs de Lénine : "Nous avons encore beaucoup à apprendre de l'Asie. Certains révolutionnaires russes ont dit de leur pays qu'il est une Eurasie, une alliance foncière des deux continents. Il y a du vrai là dedans ; et, si nous persistons dans notre décadence occidentale, il se pourrait bien que le foyer de la civilisation dérivât lentement à l'opposé du soleil, vers les sources primitives des générations. Des poètes s'écrient l'Europe n'est plus. L'Asie seule contient l'avenir dans ses vallées sécrètes. Pour nous, engagés dans une lutte quotidienne, ces prévisions à lointaine portée ne semblent avoir qu'un intérêt relatif. Cependant, nous pouvons déjà compléter notre culture, rendre notre pensée largement humaine par l'observation des Orientaux. Des spécialistes nous ouvrent le trésor de leurs antiquités. Des écrivains d'envergure mondiale, tels que Romain Rolland et Rabindranath Tagore nous révèlent la conscience d'une Asie toute moderne. Entre les deux extrémités des temps connus, nous discernerons des traditions fécondes et notre désir d'Universalité spirituelle pourra s'assouvir". On est là encore assez proche de l'indophilie de Pierre Leroux, et pas très loin de sa religion de l'humanité, antichambre de la religion unique mondiale qui se met en place sous nos yeux.

Arthur Avalon (Sir John George Woodroffe), dans la Puissance du Serpent (The Serpent Power), fut le premier à mettre à la sauce occidentale de la Théosophie les chakras et la kundalini comme réalités énergétiques tangibles qu'il avait expérimentées dans le tantrisme indien.

Bien sûr Parijanine, s'il est en un sens représentatif d'un certain courant de la gauche révolutionnaire française, ne l'est probablement pas de l'ensemble du mouvement communiste. Traducteur de Trotsky il rejoignait cette dissidence à la fin des années 1920 et en 1929  polémiquait contre l' "écrivain officiel" (et membre de la fraternité des Veilleurs de Schwaller de Lubicz) Henri Barbusse. Son rapport à Avalon est peut-être inspiré de son propre vécu : il s'était en effet imprégné des campagnes russes entre 1917 et 1920 qui ont peut-être gardé à l'époque quelque choses du chamanisme initial, comme le shivaïsme.

Pour autant son goût pour la Terre-mère ne relève pas de l'idiosyncrasie, et d'ailleurs même si cela avait été le cas, le statut de chroniqueur littéraire qu'eut Parijanine à l'Humanité de 1923 à 1928 donnait une portée importante à ses particularités. On voit qu'il rattache le travail d'Avalon à celui de Romain Rolland, célèbre pacifiste socialiste, qui diffusa en Occident la pensée de Rabindranath Tagore et de Gandhi... On peut penser aussi au surréalisme qui avait aussi à l'époque le regard porté vers l'Orient. Tous ces courants convergeaient pour élargir les brèches antichrétiennes ouvertes par Mme Blavatsky et qui allaient trouver un boulevard à leur service dans le New Age. Et cela ressort à nouveau aujourd'hui, à la faveur du succès des thématiques écologistes (elles-mêmes très soutenues au sein de l'ONU par des sectes new age dans les années 1990) aussi bien à travers les "unes" que L'Humanité Dimanche consacre à des sorciers ou que des clins d'oeil à la santeria cubaine d'un Jean Ortiz.

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Où Jean Cassien rejoint Jean Climaque

16 Mai 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

Un extrait des Collations de Jean Cassien qui recoupe la position de Jean Climaque, sur le fait que la purification intérieure compte plus que les miracles extérieurs. Le travail intérieur contre soi est une forme de charité supérieure...

 

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