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Interview de C. Colera sur Canal Jimmy
Une interview du sociologue Christophe Colera sera diffusée le lundi 20 septembre 2010 à 20h40 sur Canal Jimmy dans le cadre d'une émission présentée par Marianne James.
Ensemble des diffusions "Un monde tout nu"
LUNDI 20 SEPTEMBRE à 20h40
JEUDI 23 SEPTEMBRE à 22h15
DIMANCHE 26 SEPTEMBRE à 16h35
Côté magazine Nice
S'ils souhaitent connaître un peu mieux mes travaux, les habitants de la Côte d'Azur peuvent trouver une interview in extenso de moi dans le numéro de juillet de Côté Magazine. http://www.cotemagazine.com/Pdf_accueil/COTE-NICE.pdf
Par ailleurs à noter que l'article de Psychologie.com de juin qui mentionne aussi mes recherches est repris sur Vosges matin.
CR d'un ouvrage de référence sur la révolution néolithique
On trouvera en suivant le lien http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=4&ida=12401 mon compte-rendu de lecture de Naissance des divinités, naissance de l'agriculture - La révolution des symboles au Néolithique, de Jacques Cauvin, un ouvrage de référence.
Comment les dieux créèrent des paysans
Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Dialogue sur les aléas de l’histoire (2010).
Feu-Jacques Cauvin, préhistorien, directeur de recherche au CNRS qui dirigea de nombreux chantiers de fouilles au Liban en Syrie et en Turquie fut une sommité des études archéologiques françaises. Son livre « Naissance des divinités, naissance de l’agriculture », initialement paru en 1994, et qu’aujourd’hui les éditions du CNRS publient à nouveau, est désormais un grand classique de la réflexion sur les origines de l’agriculture dans l’histoire humaine : un livre dense, précis, extrêmement bien documenté, et qui, de surcroît, propose des pistes de réflexion nouvelles, une grille de lecture bien différente des préhistoriens antérieurs et riche en enseignements sur les moteurs de l’évolution qui firent du primate humain un animal sédentaire disposé à transformer profondément son environnement.
Le sujet n’est pas simple. Au Proche-Orient, autour de 9 000 avant J.-C. (au khiamien), des petites communautés sédentarisées ne se contentent plus de récupérer quelques graines de blé sauvage pour les semer de temps en temps et récolter quelques suppléments à leur menu habituel de chasseurs-cueilleurs (comme on le faisait au natoufien). Elles organisent toute leur société autour d’une économie des semailles et de la récolte annuelle. Pourquoi ?
Seule une étude minutieuse des civilisations qui apparaissent là permet d’éclairer ce mystère : celles du PPNA (Pre-Pottery Neolithic A) avec ses trois déclinaisons : le sultanien en Palestine, l’aswadien en Syrie, le mureybétien sur le Moyen Euphrate (qui est au cœur du processus) ; et celle du PPNB (Pre-Pottery Neolithic B).
L’agriculture, nous dit Jacques Cauvin, n’est pas le fruit d’une pénurie de gibier ni d’une pression démographique : elle résulte d’une révolution des symboles, qui n’est ni plus ni moins que l’invention du divin. Alors qu’à Lascaux en Europe, les Magdaléniens 6 000 ou 8 000 ans plus tôt peignent des successions d’animaux qui ne sont visiblement pas vouées à l’adoration (quelque sacralité qu’on puisse prêter à cet art pariétal), au Levant deux figures s’imposent : celle d’une forme féminine qui sera la déesse-mère (avec son cortège d’animaux inquiétants), et son pendant masculin, un taureau, souvent entourés de figures d’ « orants » qui manifestent leur transcendance (deux figures qui resteront prégnantes dans la haute antiquité levantine). L’invention de ces dieux induit une dynamique psychique particulière chez l’être humain : « Une topologie verticale, nous dit Jacques Cauvin, s’instaure alors dans l’intimité même du psychisme, où l’état initial d’angoisse peut se muer en assurance au prix d’un effort mental ascensionnel vécu comme un appel à une instance divin extérieure et plus élevée que lui » (p. 104), une révolution psychique qui ne peut qu’avoir de sérieuses implications sur les actes de nos ancêtres.
On est encore loin des sociétés hiérarchisées des grands empires agraires d’Egypte et de Mésopotamie. Point de chef doté des attributs divins de la souveraineté, point de caste cléricale (seulement quelques individus initiés, des chamans), mais déjà des cérémonies festives qui distinguent certains morts d’exception (sans doute des sacrifices humains, avec les cultes autour des crânes au PPNB), et des espaces particuliers dédiés au culte (des enclos, certains lieux domestiques) préfiguration des futurs grands temples.
L’agriculture vient après cette révolution religieuse. Elle en est, estime Jacques Cauvin, un prolongement, une « manifestation » au même titre que les autres pratiques rituelles censées faire passer dans le réel autour de soi le nouveau système symbolique qui a émergé dans les esprits. C’est d’une véritable interaction entre symbole et praxis dans l’espace environnant qu’il faudrait parler.
Cette révolution donne à sa culture un rayonnement spécifique qui va aussi lui conférer une dimension quasi « impérialiste » à travers laquelle l’agriculture comme mode de vie va pouvoir gagner d’autres peuples. Le cas est flagrant avec la « néolithisation » de l’Anatolie, à partir de la culture agricole du PPNB du Moyen Euphrate entre 8 000 et 7 000 avant J.-C.. L’homme de la fin du PPNB mettra ainsi en scène sa maîtrise de la nature dans la représentation de la tauromachie, construira des maisons rectangulaires en plein air, viriles et offensives, et non des maisons rondes enfouies dans le sol, se lance à l’assaut des mers jusqu’à Chypre, et du désert syrien, sans qu’aucune nécessité économique l’y pousse, simplement certain de sa vocation à dominer le monde.
A l’appui de sa démonstration, Cauvin mobilise et critique les réflexions de Ian Hodder, Claude Lévi-Strauss, Jean-Pierre Vernant sur les systèmes symboliques (p. 168-169). Prenant ses distances avec le logocentrisme du structuralisme, c’est principalement dans le sillage du troisième que l’auteur inscrit sa démarche, et donc aussi dans celui de Creuzer et Cassirer. Pour lui, « l’image symbolique précède le mythe, en donnant à voir immédiatement et avant tout discours, sous une forme concrète, et sensible "la présence de ce qui, en tant que divin, échappe aux limitations du concret, du sensible, du fini" ». En tenant ensemble la culture matérielle et les éléments non utilitaires, on peut ainsi reconstituer l’ossature de l’univers symbolique des premiers peuples néolithiques. Cette magistrale re-création à travers le legs de strates géologiques d’un monde qu’on pourrait croire perdu pouvait permettre à l’auteur de conclure, non sans un certain panache, contre la tradition des préhistoriens qui subordonnaient les progrès de notre espèce aux contraintes de leur environnement, et contre Marx pour qui le « fait brutal » devait vaincre l’idéalisme : « Il est piquant de constater que ce sont les « faits brutaux » de la stratigraphie qui contribuent à rendre dans ce domaine la position matérialiste intenable, en inversant l’ordre chronologique des facteur sur une tranche de l’histoire humaine de mieux en mieux connue. »
Bien sûr le lecteur sceptique peut émettre quelque doute sur la légitimité à en dire autant sur la base de traces aussi fragmentaires que celles que nous laissent des temps aussi anciens, au vu de leur nature même (du mobilier funéraire, des dépôts alimentaires) et du fait que Cauvin recourt à une grille d’interprétation très liée à la gestion des angoisses (il fait du reste ouvertement référence à la psychanalyse dans son introduction). Et d’ailleurs ces conclusions resteraient-elles valides si l’on venait demain à découvrir d’autres foyers de néolithisation dans des zones moins bien explorées que le Proche-Orient (en Afrique par exemple) ? Force est de constater en tout cas que ce travail riche en sources de réflexions philosophiques sur l’aventure humaine, reste au plus près des découvertes scientifiques de son époque. On est d’un bout à l’autre (à la différence d’anciennes spéculations sur la préhistoire comme celles de Georges Bataille par exemple) dans l’étude la plus minutieuse des trouvailles archéologiques les plus récentes (celles du début des années 1990). Cette rigueur rend parfois le livre un peu aride, mais demeure aussi, naturellement, la meilleure caution de la thèse très stimulante qu’il défend.
Christophe Colera
Quelques remarques sur le sondage IFOP-TENA de 2009
Le sondage IFOP-TENA de l'an dernier sur la nudité féminine dont j'ai déjà parlé, ne laisse pas de m'interroger. On peut le lire in extenso sur Internet (ce qui est rare).
Adepte d'une sociologie plutôt "qualitative", je ne crois pas trop aux agrégats quantitatifs, mais ils peuvent s'avérer utiles malgré tout, quelles que soient les réserves qu'on peut éprouver à l'égard de certaines questions.
On eût aimé que ce genre de sondage existât à d'autres époques, et dans d'autres sociétés.
Je lis : la nudité pour les femmes c'est d'abord le naturel, puis la beauté, ensuite la liberté (mais beaucoup moins), le désir. Plus on est vieux plus la nudité c'est le naturel. Plus on est jeune plus c'est le désir (30 %). Beaucoup de nudité-désir chez les ouvrières aussi (34%), fort peu chez les professions intellectuelles et les retraitées...
Pour plus de la moitié des femmes la nudité partielle est déjà une nudité. Surtout chez les plus jeunes. Mais dans l'ensemble les chiffres sont assez homogènes d'une catégorie à l'autre.
Le maquillage est un vêtement pour 30 % des femmes (mais le chiffre tombe sous les 30 % chez les ouvrières et les employées... pourquoi ?). La nudité partielle dérange : les seins nus dans les jardins publics 57 % (et même 65 % des moins de 30 ans, et plus de 60 % en région parisienne, chez les femmes qui se trouvent laides, chez celles qui ont des fuites urinaires - intéressant que l'interviewer ait retenu ce paramètre), de même les femmes nues sur les plages naturistes dérangent 48 % des femmes (dont 66 % des 18-25 ans, une moitié des ouvrières et des employées, les pudiques, les plus libérales en revanche étant de loin les femmes du Sud-Ouest...). Sur cette dernière question les chiffres sont très homogènes, seuls 66 % des 18-25 ans se distinguent (celles-là même qui lient la nudité au désir). On peut s'étonner que la "territorialisation" de la nudité sur des plages répertoriées ne suffise pas à en neutraliser les effets. La nudité féminine dérange aussi la majorité des femmes de 18 à 24 ans dans les vestiaires de sport (contre 40 % de l'ensemble des interviewées, ce qui est tout de même beaucoup). La nudité publicitaire, elle, dérange le plus les deux extrêmes de la pyramide d'âge (les 18-25 et les plus de 60 ans) mais pas dans des proportions majoritaires. La gène n'est majoritaire que dans les professions libérales et chez les cadres supérieurs (et là encore Paris se distingue du reste de la France). Les seins nus sur les plages et l'allaitement sont les seuls (avec le nu pictural) à ne guère gêner le regard des femmes.
Une majorité relative de femmes veulent voir moins de nudité (masculine ou féminine), ou à la rigueur plus de nudité masculine pour équilibrer (sans différence significative selon les catégories). Les femmes plébiscitent la nudité de Laetitia Casta et d'Emmanuelle Béart là encore d'une façon assez homogène d'une catégorie à l'autre.
Les chiffres de pratiques de la nudité révèlent une banalité devant le conjoint (98 %), un partage 40-60 sur la nudité devant les enfants, et 37-63 devant les amies,une pratique beaucoup plus rare devant les parents, dans un jardin ou sur une plage naturiste. Le tabou de la pratique devant les enfants dépasse les 60 % dans les classes populaires et en région parisienne (contre 59 % pour l'ensemble des interrogées), avec un pic à 89 % chez les 18-24 ans. Sans surprise les femmes qui se déclarent "impudiques" sont majoritaires dans toutes les catégories de pratique de la nudité, sauf toutefois la pratique devant les parents ou les amis masculins, la nudité au jardin, le naturisme (pratique dans laquelle les femmes du Sud-Ouest se distinguent - 6 points au dessus de la moyenne qui est à 13 %). Les cadres supérieurs et professions libérales sont toujours au dessus de la moyenne pour toutes les pratiques.
Sur les pratiques sexuelles,on note que l'acceptation de la lumière (64 %) est plus forte dans les classes supérieures. La nudité intégrale est plébiscitée par 76 % des femmes, notamment les plus jeunes, avec une échelle de fluctuation qui n'est pas énorme suivant les catégories.
88 % des femmes se disent pudiques sans grande fluctuation suivant les catégories (avec sans surprise un pic chez celles qui n'aiment pas leur corps). Un peu moins de la moitié des femmes aiment leur corps (seulement 5 % "oui tout à fait" mais 11 % chez les 25-34 ans). Un chiffre qui culmine chez les 18-24 à 62 % et chez les cadres supérieurs pour chuter à 37 % chez les ouvriers. C'est dans le monde rural et chez les 25-49 ans qu'on aime le moins son corps (44 %).
Evidemment il faut être très prudent avec tous ces chiffres. L'impression qu'on peut dégager c'est au fond une assez grand homogénéité des réponses d'une catégories à l'autre. Des réflexes de pudeur assez persistants (ce qui recoupe ce que j'ai écrit dans La Nudité, pratiques et significations). Un lien fort entre nudité et désir qui peut nourrir une gêne à ce sujet chez les plus jeunes et les classes populaires, avec cependant une nuance : les jeunes femmes conjuguent souvent leur gêne avec un amour de leur corps, alors que les ouvrières et les employées versent plus souvent dans le désamour (désamour tout de même relatif puisque les réponses sont concentrées dans le "plutôt oui" "plutôt non" au lieu du "tout à fait" ou "pas du tout"). Les plus à l'aise étant plutôt dans les classes sociales supérieures.
C'est affaire de nuance. La question ensuite étant de savoir si l'homogénéité prédominante est affaire de conditionnement social ou de dispositions hormonales naturelles, ce qui devrait être discuté question par question.
"Comment les Gaules devinrent romaines" Pierre Ouzoulias, Laurence Tranoy (dir.)
Pour info, en suivant ce lien http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=4&ida=12291 vous trouverez mon dernier compte-rendu de lecture d'un ouvrage d'histoire qui donne aussi à penser dans le domaine de la sociologie.
Un nouveau « tour de Gaule » et un nouveau regard
Pierre Ouzoulias et Laurence Tranoy (dir.), Comment les Gaules devinrent romaines
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Dialogue sur les aléas de l’histoire (2010).
C'est une tendance dominante de l'historiographie contemporaine : la remise en cause les mythes de l'histoire nationaliste et romantique du 19 ème siècle, notamment celui d'une Gaule couverte de forêts et peuplée de rustres barbares qui n'attendaient que la conquête romaine pour se civiliser et constituer.... la France....
L'heure aujourd'hui est plutôt à tordre le bâton dans l'autre sens : souligner l'ampleur de la déforestation, montrer les routes, les circuits d'échange, l'importance de l'agriculture, de la monnaie, les hiérarchies sociales que cela supposait, bref une Gaule intégrée dans la "mondialisation" méditerranéenne posthellénistique bien avant l'arrivée de César, et qui déjà y apportait sa propre touche.
Les découvertes archéologiques sous les grandes excavations des autoroutes et des TGV dans les années 1980 ont plaidé pour cet aggiornamento des connaissances. Cependant, comme le souligne le toujours subtil Christian Goudineau dans son introduction : il faut savoir aussi, par delà les effets d'annonce rétablir la proportion exacte des phénomènes découverts (par exemple celui des cultures viticoles pré-romaines), car toute la Gaule ne marchait pas du même pas, et toute n'était point aussi ouverte aux influences romaines que les Eduens le long du Rhône par exemple. On serait d'ailleurs tenté d'abonder dans ce sens, en se souvenant qu'il y avait aussi une culture celte qui pratiqua longtemps les sacrifices humains – comme en atteste une récente découverte archéologique en Suisse – et, si la Gaule avait été si avancée à l’arrivée de César on ne comprend pourquoi ne n’y aurait pas répandu un outil d’organisation aussi fondamental que l’écriture…
C’est en tout cas à un véritable « tour de Gaule » (mieux que dans Astérix !) des débuts de l’occupation romaine, que nous convie ce très sérieux ouvrage collectif qui regroupe ici les actes d’un colloque international organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives et le musée du Louvres.
Dans cette collection hétéroclite d'articles que constituent nécessairement les acte d'un colloque, on retiendra particulièrement la contribution de Patrick Pion sur l'urbanisation en Gaule du Nord. A partir d'une étude minutieuse de la localisation et de la structure des oppida (définitivement identifiées à des villes, bien que sur un modèle différent du monde méditerranéen) en Gaule celtique et Belgique, l’historien en vient à avancer une explication risquée (compte tenu de la rareté des sources) mais stimulante, d’une volonté géopolitique de Rome de pousser l’urbanisation chez ses alliés éduens et rèmes dès le 2ème siècle avant Jésus-Christ, volonté ardemment respectée et relayée par ses puissants clients.
Pour ce qui concerne les lendemains de la conquête, diverses contributions du livre montrent la diversité des processus de romanisation (des romanisations ou des gallo-romanisations qu’il faudrait écrire au pluriel) et qui s’adaptent à la variété des tissus économiques et des structures sociale suivant les régions. Pierre Ouzoulias montre ainsi sque l’Armorique égalitaire avec ses petites exploitations agricoles diffère de la Gaule du Sud et ses grandes exploitations autour des villae, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle en soit moins romanisée ni moins propice aux progrès économiques. Les structures politiques elles aussi s’adaptent à la romanité suivant des modes différents : ici l’on garde les magistratures gauloises (le vergobret), là on adopte celles de Rome. Rome elle-même tarde à organiser ses conquêtes (César ne fit rien, Auguste le premier organisa les provinces), le limes sur le Rhin mettra plus d’une génération à s’installer tandis que le sort de la Germanie restait indécis jusqu’à la défaite de Drusus, et que certains peuples gaulois continuaient de s’insurger.
Le livre met en valeur le rôle de l’armée romaine dans la constitution des villes nouvelles, le rôle des spectacles comme vecteurs de la culture romaine, mais aussi celui du vin : importé massivement d’Italie dans les décennies qui précédèrent la campagne de César, il égayait les rituels de potlatch des chefs gaulois qui s’en enivraient sans retenue – après à la conquête c’est du vin de tout le bassin méditerranéen que l’on boit en Gaule, désormais « à la romaine ».
Certains chapitres peuvent déboucher sur une réflexion interdisciplinaire avec d’autres spécialités historiographiques, et d’autres sciences sociales. Tel est le cas notamment du chapitre que Wim de Clercq consacre à la ciuitas Menapiorum, à l’extrême nord de la Gaule belgique. Wim de Clercq qui n’hésite pas à recourir au vocabulaire du sociologue Pierre Bourdieu (« habitus », « sens pratique) et à défendre une « bottom-up » view pour questionner la notion de « romanisation ». L’article montre que bien que ce pays soit intégré aux courants d’échange de l’empire romain (à travers le commerce des salaisons notamment) et qu’il héberge une légion qui forme des auxiliaires locaux au maniement des armes et du latin, la population de cette cité conservent l’architecture de leurs maisons-étables, et, jusque dans leurs pratiques funéraires, valorisent leurs élites selon des rituels qui diffèrent du monde romain. Les emprunts au monde méditerranéen seraient plus stratégiques et complexes qu’une vague mécanique de « romanisation » qui aurait conquis le sud de la Belgique laissant le rivage de la mer du Nord à la « barbarie » et à la pauvreté économique. Faut-il pour autant renoncer à l’idée de romanisation ? Au sein même du livre, les avis divergent. Dans leur lecture des coutumes funéraires au centre et au sud-est de la Gaule, Frédérique Blaizot et Christine Bonnet, elles, emploient sans réserve cette notion, et montrent en quoi la romanisation fait émerger une sorte d’individualisation de la mémoire des chefs locaux au fil de l’évolution des cérémonies crématoires. De même la contribution de Véronique Zech-Matterne sur le développement de la fructiculture en Gaule du Nord décrit une « volonté de s’affranchir d’habitudes alimentaires gauloises et d’adopter un mode de vie directement inspiré de la sphère méditerranéenne » (p. 266) qui tout de même rejoint largement les grilles de lectures classiques.
La reconstitution a posteriori des modes d’acculturation et de leurs effets rendent évidemment ce genre de débat difficile à trancher, mais l’analyse de plus en plus précise de traces archéologiques, dont témoigne utilement ce livre, permet d’en affiner sensiblement les termes.
Christophe Colera
Rattachement institutionnel
Pour information, depuis le 12 avril 2010, je suis chercheur associé au Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe de l'Université de Strasbourg.
Epicurisme et taoïsme
On insiste souvent sur les ressemblances entre le shivaïsme indien et le dionysisme grec.
Ne peut-on pas dire qu'il y en existe aussi de fortes entre l' "église" épicurienne greco-romaine telle que Renée Koch-Piettre la décrivait dans le livre récent qu'elle lui a consacré, et l' "église" taoïste telle qu'elle est apparue en Chine il y a 2 000 ans :
- dans leur façon de se structurer toutes les deux hiérarchiquement et d'inventer des rituels
- dans leur refus commun de certains aspects des cultes traditionnels
- et surtout dans la place accordée à l'inspiration divine, aux techniques pour incorporer individuellement le divin ?
Voilà la question qui m'est venue ce weekend... peut-être à creuser.