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Un mot sur "Comment l'Islam a découvert l'Europe" de B. Lewis

3 Avril 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

songe.jpgJe me suis amusé il y a peu à recopier sur ce blog un paragraphe amusant de Candide de Voltaire qui évoquait la nudité des captifs des corsaires vendus comme esclaves à Alger. Le magnifique livre de l'orientaliste américain Bernard Lewis publié en 1995 "Comment l'Islam a découvert l'Europe" resitue cette question des enlèvements d'Européens en Méditerranée occidentale dans le contexte des relations internationales du XVIIIe siècle. Il montre notamment comment cette histoire de piraterie fut l'occasion d'un marché de dupes (au profit du bey d'Alger) entre Alger et l'Espagne. C'est étrange mais cette histoire de traité non respecté par Alger aurait presque pour effet de relativiser l'importance du non-remboursement par la France monarchiste de la dette contractée par la République en 1793 auprès du même bey, affaire que des militants sur Internet montent en épingle depuis deux ou trois ans parce qu'elle fut à l'origine directe de la colonisation française de l'Algérie... On a le sentiment qu'à ce moment-là le non respect des traités était un peu la règle entre les différentes autorités de la Méditerranée occidentale... Lewis sans aborder directement cet épisode sort en tout cas des archives des échanges de correspondance passionnants entre diplomates turcs et russes à l'heure où les monarchies européennes voulaient obtenir de la Sublime Porte l'interdiction des navires à cocarde tricolore dans ses ports (demande à laquelle Constantinople, trop heureuse de voir la fièvre révolutionnaire affaiblir ses ennemis chrétiens, n'accéda jamais). L'Orientaliste montre d'alleurs très bien comment le régime révolutionnaire français fut le premier à pouvoir parler au monde musulman et à pénétrer ses esprits, parce qu'il était laïque (et donc n'était pas l'émanation pure et simple d'une religion jugée hérétique, et donc interdite d'accès à l'Empire ottoman) et en même temps émanait d'une puissance militaire victorieuse dont les Turcs avaient beaucoup à apprendre.

 

Le livre retrace en des termes très clairs et très synthétiques toute la problématique de la conquête musulmane, des divisions qui ont ensuite traversé le nouvel empire "mahométan", le jeu de balancier entre djihad islamique et croisades chrétiennes, les affres de la conquête mongole, puis le déclin du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord sous l'effet d'une sorte d'encerclement du monde musulman par voie maritime et terrestre à partir de l'échec du second siège de Vienne. Il montre comment deux peuples des "limites" qui avaient subi pendant longtemps la domination musulmane, les Russes et les Espagnols, ont joué un rôle très important dans la reconquête chrétienne, et combien celle-ci a obligé le monde musulman à sortir d'une sorte de condescendance méprisante à l'égard des barbares chrétiens d'Europe (il y a un textes très intéressant d'un conseiller du sultan de Constantinople à propos du "bey" des Francs, François Ier qui a sollicité son aide).

 

Bernard Lewis est un personnage controversé qui a inventé le terme "choc des civilisations" et joue un rôle de premier plan chez les néo-conservateurs américains. Ses options idéologiques ne sont sans doute pas absentes de la manière dont il présente l'histoire. Mais son livre (qui est le premier ouvrage d'orientaliste que je lis après un livre de Marshall Hodgson) offre des panoramas d'ensemble très stimulants qui ne se perdent pas dans les détails inutiles, et qui vaut le détour ne serait-ce que pour les documents d'archives qu'il cite. Il peut se lire avec profit même si l'on ne partage pas les thèses de son auteur (d'ailleurs le travail académique honnête passe par la lecture de gens qu'on désapprouve). J'en redirai peut-être un mot à l'occasion.

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