Les sorciers et sorcières de Wicca et la nudité
Historiquement, la nudité est assez fortement liée au souvenir de la prêtrise celtique féminine antique. Voir par exemple le texte sur ce site (un extrait de "L’instruction popularisée par l’illustration", par Bescherelle, de 1851, p.40).
« Druidesses. Prêtresses gauloises que l’on touve aussi appelés Druiades, Dryades*, mais qui, dans la langue gauloise, avaient des noms correspondant à ceux de Senœ et Kenœ, que leur donnaient aussi les Romains, et qui signifiaient saintes, vénérables. – Elles formaient des collèges indépendants les uns des autres. Les unes, qui paraissent avoir occupé le premier rang, vivaient dans une virginité perpétuelle ; celles de quelques collèges étaient mariées, mais n’avaient avec leurs maris que de rares communications. Les plus célèbres de leurs sanctuaires étaient ceux de lîle de Sein ou de Sains, sur les côtes du Finistère ; de l’île de Sana, sur la Loire, et du Mon-Jou (Mont Saint-Michel), sur les côtes de la Manche. Celles de l’île de Sein, nommées Barrigènes par les Gaulois, selon P. Mela, et du Mont-Jou, étaient au nombre de neuf. Leur costume ordinaire consistait en une longue robe noire à larges manches, serrée par une ceinture de cuir noir, et en un bonnet blanc en forme de cône tronqué, attaché sous le menton et recouvert d’un grand vile violet. Les Gaulois croyaient qu’elles pouvaient, par leurs enchantements, exciter des tempêtes, se métamorphoser en toutes sortes d’animaux, guérir les maladies les plus invétérées, et prédire l’avenir, surtout aux navigateurs. Elles expliquaient les songes, rendaient invulnérables ceux auxquels il leur plaisait d’accorder ce privilège, évoquaient les morts, les ressuscitaient même, et détournaient la grêle et les inondations au moyen d’opérations magiques qui ne pouvaient être faites que la nuit, à la lumière des torches ou au clair de la lune. On les voyait, dit Tacite, accomplissant des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint en noir, les cheveux en désordre, des torches à la main et s’agitant comme des furies. Leur réputation de prophétesses était aussi grande et plus grande peut-être dans l’Italie que dans la Gaule [...] Les auteurs chrétiens des six premiers siècles parlent souvent des Druidesses ; ils les qualifient de sorcières, en font les portraits les plus odieux et leur donnent même le nom de Lamies, de Stries, etc., qui annoncent des mœurs barbares et féroces ; mais nous croyons que de la part de ces dévots écrivains il y avait parti pris et haine religieuse. Nous ne saurions, en effet, attribuer aux Druidesses, comme l’ont fait inconsidérement certains auteurs, ce que Strabon rapporte (liv. VI) des prêtresses des Cimbres. Lorsque l’armée avait fait des prisonniers, dit cet auteur, les Druidesses accouraient vêtues de blanc et l’épée à la main, jetaient les prisonniers par terre, les trainaient jusqu’au bord d’une grande citerne ; là, une autre Druidesse attendait les victimes, et, à mesure qu’elles arrivaient, elle leur plongeait un couteau dans le sein et tirait des prédictions de la manière dont le sang coulait ; les autres Druidesses ouvraient ensuite les cadavres et en examinaient les entrailles pour en tirer des prédictions que l’armée attendait avec impatience. Sous les rois de la seconde race, où elles portaient les noms de Fadae, Fanae, Gallicae, on nous les montre habitant les cavernes, les puits desséchés, les lieux déserts, où de nombreux visiteurs venaient les interroger, et leur apportaient des présents en échange de leurs consultations ».
Ces textes ont beau relever largement de la légende (un signe : le nombre de neuf prêtresses comme les druidesses du Mont Saint Michel, ou les sorcières de Kaer Loyw - Gloucester - revient souvent), on voit bien que cette référence à la nudité a imprégné les imaginaires dans le cadre du néo-paganisme celtique en vogue depuis quelques décennies sous le nom de religion wiccane.
Le livre de référence sur l'histoire du renouveau de la sorcellerie celtique est "The triumph of the Moon : A history of Modern Pagan Witchcraft" de Ronald Hutton Oxford Universitary Press, 2000, gros ouvrage de 500 pages qui explique comment la sorcellerie païenne a connu un renouveau à la fin du 18ème siècle en Angleterre quand les rationalistes ont fait abolir la loi interdisant la sorcellerie. Gerald Gardner a pu fonder la religion wiccane sur cette base, qui a ensuite migré en se transformant sous la houlette de Margaret Murray. Comme le note Hitton (p. 361) "Pagan witchcraft travelled from Britain to the United State as a branch of radical conservatism ; it returned as a branch of radical socialism".
Une des preuves de l'importance de la nudité dans cet univers là (qu'on trouve aussi dans l'imagerie de la page Facebook en français des Sorcières de Wicca), est cette question posée sur un site wiccan : "I'm thinking about joining a Wiccan coven, but I read somewhere that Wiccans practice in the nude. That sounds kind of embarrassing. What's up with that?"
La prêtresse Phyllis Curott ici répond "pas toujours, pas forcément", et insiste sur le fait que cela n'est pas obligatoire, et sur le fait que cela est interdit chez les mineurs, tout en soulignant qu'il faut tout de même valoriser la sexualité naturelle du corps et en citant une analogie avec le yoga tantrique ("your body is an embodiement of the divine").
"Skyclad" ("vêtu de ciel") est le mot réservé à la nudité rituelle. Tant l'orthodoxie gardnerienne que la tendance alexandrienne ont valorisé celle-ci. Sur cette page Angelina Rosenbush, wiccane de Minneapolis (Minnesota) met en garde contre le fait que la nudité lors de la fête de Baltane (le 1er mai) peut provoquer une hypothermie.
La question rejoint celle de la sexualité orgiastique, imputée à certaines dérives sataniques. Ce site insiste sur le fait que le sexe rituel ("grand rite"entre prêtres féminin et masculin qui se transforment en dieu et déess) ne se vit le plus souvent qu'en privé parmi les couples "établis" ou symboliquement avec une baguette magique et un calice, mais que les expériences orgiaques des années 70 ont quasiment disparu avec l'apparition du SIDA et de la "syphilis résistante aux antibiotiques". Il reconnaît cependant certains recours occasionnels à une sexualité rituelle qui ne serait cependant pas centrale dans les cultes.
Une wiccane prétend exprimer ici le point de vue le plus répandu dans les milieux wiccans (mais cela devrait être vérifié avec une enquête sociologique). Les wiccans sont "sex positive" (valorisent positivement le sexe), les femmes, même si elles sont mariées, ne sont pas la propriété de leur homme, et par conséquent leur demander si elles ont un homme dans leur vie est "irrelevant". Les wiccans dissocient la nudité du sexe. Tous ne sont pas naturistes mais beaucoup le sont. Pour les gens qui vont à des festivals païens (Free Spirit, Pagan Spirit Gathering, etc) il faut être prêt à voir certaines personnes nues. La plupart des groupes que cette témoin connaît pratiquent habillés.
Une émission de la chaîne du National geographic sur la nudité rituelle, dont un extrait gratuit a été visionné plus de 700 000 fois sur You Tube a suscité un commentaire à propos d'un "coven" de Sidney. D'autres témoignages sur le rapport à la nudité et à la sexualité des wiccans en Australie se trouve ici.
Pour l'utilisation de la nudité dans les religions, je renvoie à mon livre "La nudité pratiques et significations" (Editions du Cygne).
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