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Le platonisme de Marsile Ficin

21 Décembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Pythagore-Isis

leornardo.jpgDans mon ouvrage sur la nudité (je pourrais parler d'autres livres que j'ai écrits, mais celui-ci est populaire et évoque de nombreuses problématiques, alors pourquoi ne pas continuer là-dessus ?), je mentionne, à propos de la "nudité-affirmation", l'importance du néo-platonisme du XVe siècle, en m'appuyant sur François Jullien.

 

Mais on assume toujours trop facilement comme une évidence que la Renaissance italienne (par exemple Léornard de Vinci) fut néo-platonicienne, et il est toujours bon de se plonger dans le détail des choses. Je recommande à ce sujet la lecture du grand classique d'André Chastel de 1954 "Marsile Ficin et l'art", qui présente l'histoire de l'Académie néo-platonicienne de Careggi à Florence et de son fondateur. Bien sûr il est toujours facile de rattacher le mouvement des idées à de grands phénomènes sociaux, comme le platonisme italien à la migration des érudits byzantins à l'approche de la chute de leur ville, mais ce qu'il advint réellement dépend de l'histoire des individus qui laisse toujours une part aux aleas. Celle de Marsile Ficin conduisit à la création d'un aimable groupe de pensée retiré dans un magnifique jardin de Florence, où les gens devinrent des maniaques de Platon, au point de se référer tout le temps à lui, et de fêter systématiquement les anniversaires (conventionnels) de sa naissance, le 7 novembre (comme dans l'Antiquité les épicuriens fêtaient aussi celui de leur maître dans leur jardins). Ce faisant, et en s'inspirant des maîtres du platonisme tardif (Plotin, Porphyre etc), remaniés aux goûts italiens de l'époque, ils inventèrent un platonisme nouveau, plus ouvert aux arts, à la création, qui allait se diffuser largement dans l'intelligentsia artistique italienne.

 

J'avoue que j'ai beaucoup aimé ce platonisme délicat de Marsile Ficin que je ne connaissais guère. Moins pour sa volonté de "purifier l'âme" pour la faire accéder au monde des essences éternelles, que pour sa relative ouverture aussi au monde "d'en bas" en quelque sorte, et à sa volonté de saisir à travers la création, l'inspiration du génie créateur de l'artiste qui reproduit celle du Démiurge ou de Dieu, la profonde unité de l'univers, à laquelle initient l'alchimie, le jeu des analogies (dont on parlait précédemment sur ce blog à propos de la magie égyptienne), l'étude de la poésie antique, la réconciliation du christianisme et du paganisme, l'intérêt pour les hiéroglyphes égyptiens et l'astrologie des Mèdes etc...

 

Ce sentiment de l'unité de l'univers pensé à travers une métaphysique de la lumière, et de la similitude (classique depuis Aristote) entre le microcosme humain et le macrocosme universel ou terrestre (avec des images amusantes comme l'idée que l'herbe ce sont les poils de la Terre !) est certes purement imaginaire, mais c'est une source d'optimisme créatif et de sérénité, d'autant qu'il se construit à équidistance et au dessus de la débauche comme de la recherche du pouvoir social (la réussite professionnelle, l'engagement politique etc), avec une forte valorisation de la contemplation, des rêves nocturnes (ce qui me paraît très important et qui disparaît aujourd'hui de nos horizons à mesure que s'efface la psychanalyse) etc.

 

C'est parce qu'il y a eu Marsile Ficin à Florence, et sa façon très spécifique d'ouvrir le platonisme à l'art, attirant à lui une bonne partie de ce que Florence (mais aussi ensuite par capillarité le reste de l'Italie) comptait de théoriciens de la création, de grands peintres et de sculpteurs, que nous avons eu ensuite les Vénus de Botticelli (avant la conversion de Botticelli et d'ailleur d'une partie des disciples de Ficin à l'obscurantisme de Savonarole) ou la Joconde de Vinci, les Vénus de Botticelli étant, rappelons le au passage, des allégories de la connaissance pure platonicienne réunissant idéal artistique et élévation de la matière à une forme mathématique. Bien sûr la doctrine philosophique n'est jamais reçue dans sa pureté, elle connaît des mutations dans le langage philosophes (par exemple quand Pic de la Mirandole reformule l'héritage de Ficin) ou dans le langage mondain (quand la recherche de la Vénus céleste et de la connaissance pure se cristallise sur la vénération de femmes réelles). Mais la caution philosophique de la théorie initiale fonctionne toujours comme un point d'appui de légitimation du geste artistique, qui oriente ses partis pris (par exemple les thèmes qu'il choisit d'illustrer) et détermine sa place dans l'ordre social, l'artiste pouvant devenir, grâce au néo-platonisme de l'Académie de Careggi, un médiateur de la puissance divine, et un recréateur de l'unité du monde à l'instar du philosophe, ce qui n'est tout de même pas rien !

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