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"Ethnoroman" de Tobie Nathan

14 Novembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

ethnoroman.jpgOn trouvera en cliquant ici mon compte-rendu du livre de Tobie Nathan "Ethnoroman" pour Parutions.com.

Le ventre des ethnopsychiatres

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, actuellement chercheur associé au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Université de Strasbourg), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, de La Nudité, pratiques et significations (Editions du Cygne) et Individualité et subjectivité chez Nietzsche (L’Harmattan).

Gide aurait dit qu’il vaut mieux faire raconter une histoire par un homme en colère. Pour raconter une époque, ou des milieux qui concoururent à en forger le style, rien ne vaut le témoignage d’un esprit non seulement brillant mais aussi et surtout foncièrement honnête (et les deux vont ensemble car il n’y a pas d’intelligence sans probité). « En voici un ! » pourrait-on s’exclamer, lanterne à la main comme Diogène : Tobie Nathan, ecce homo.

Le voilà donc le témoin utile, indispensable, pour vous faire comprendre les années 60 : la municipalité communiste de Gennevilliers, les ados en quête de sensations sexuelles qui se passionnent pour la psychanalyse, cette révolution qui leur tombe dessus en 1968 (Tobie Nathan a juste vingt ans et la traverse comme Fabrice à Waterloo) et en fait des bombes à retardement.

Les clichés en prennent un coup : non les activistes de mai 68 n’étaient pas tous des bourgeois du Quartier latin à la manière des Héritiers de Pierre Bourdieu, non la religion juive n’implique pas une foi aveugle en Dieu, et, oui, pour les maladies psychiques mieux vaut parfois une bonne séance d’exorcisme qu’une psychanalyse (dans la bouche d’un freudien « repenti », ou partiellement repenti, la remarque a sa valeur).
 

Le livre avance dans toutes les directions, d’un siècle l’autre, en avant et à reculons, on passe de l’évocation d’une guérisseuse de la Réunion dans les années 1980 aux ancêtres de Nathan dans l’Egypte du XIXe siècle, de la description de la brutalité du nassérisme en 1956 à celle des milieux psychiatriques à Paris dans les années 1970. Ces allers-retours de la mémoire ne sont jamais gratuits, et donnent un sens non seulement personnel, mais aussi collectif au vécu de l’auteur. Car l’individu est miroir du groupe (et même souvent de la tribu, quand il n'en est pas même le simple ventriloque) et réciproquement. Du maoïsme, Tobie Nathan avoue avoir gardé la conviction que ce sont les peuples qui pensent, plus que les êtres isolés. Ce sont les peuples qui inventent les mots, les gestes, les idées. Et de cette conviction est née son ethnopsychiatrie à lui, la discipline à laquelle l’auteur aura consacré sa vie.

Quiconque s’intéresse à l’histoire des idées trouvera dans ce livre des récits absolument captivants sur la manière dont cette théorie (mais aussi cette pratique clinique) tenta d’accommoder le freudisme (un freudisme d’ailleurs considéré avec beaucoup de scepticisme l’âge venant, et face aux excès dogmatiques du lacanisme) à la diversité des cultures, sur cette personnalité improbable que fut son fondateur Georges Devereux dont Tobie Nathan décrit avec beaucoup de nuances les prises de position et les comportements, offrant au passage un tableau saisissant de la relation ô combien complexe qui peut se nouer entre le maître et le disciple.

A côté du témoignage historique, l’ouvrage est aussi une déclaration d’amour : à ses amis, à sa famille, à ses ancêtres, dont de riches portraits nous sont offerts. L’amour comme la haine ne sont pas toujours justes (par exemple quand l’auteur prête à sa mère les traits de George Sand, que les fidèles d’Aurore Dupin ne reconnaîtront sans doute pas dans ce tableau, ou quand il attribue peut-être un peu trop rapidement à son instituteur de CM2 des penchants antisémites là où il s’agit peut-être tout simplement – quoique fort violemment – du banal assimilationnisme du vieil enseignement républicain, dont les cultures régionales firent aussi les frais). Qu’importe ! Chez un psychologue honnête les cris du cœur sont indissociables des partis pris théoriques.

A travers le témoignage de Tobie Nathan, on comprend mieux quels chemins le freudisme, le marxisme, le sionisme, l’appartenance républicaine à la France, toutes ces représentations, et les pratiques concrètes qui en dérivaient ont pu emprunter dans le dernier quart du XXe siècle, compte tenu des héritages qui se projetaient sur elles. On comprend aussi pourquoi la psychologie s’est faite « ethnologique », quoi que l’on pense de ce projet, qui vise au fond à ramener les dieux sur terre.

Christophe Colera

 

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