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"D'Isis au Christ" de Jean-Pierre Chevillot (L'Harmattan)

20 Septembre 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Christianisme

On peut se demander s'il est encore d'un quelconque intérêt de savoir dans quelle mesure le christianisme fut juif ou hellénistique. Cette question occupe en tout cas sérieusement les historiens depuis quinze ans, et c'est un grand mérite de Jean-Pierre Chevillot, qui à l'origine est chercheur en électrochimie, d'avoir synthétisé d'une façon assez pédagogique l'état du savoir sur ce sujet.

Chevillot fait remonter la dichotomie juif-grec qui caractérise le christianisme, non pas aux communautés de l'Est du bassin méditerranéen (comme le fait par exemple Marie-François Baslez), mais à la première communauté, celle des apôtres de Jésus, et même au Christ lui-même, dont il affirme qu'il s'exprimait probablement autant en grec qu'en Araméen. La force de cette affirmation s'enracine dans un regard nouveau sur la Galilée, dont Chevillot montre qu'elle était pratiquement dé-judaïsée à l'époque du Christ, en ressuscitant notamment le souvenir de Séphoris, sa très grecque capitale (absente pourtant des Evangiles), à deux pas de Nazareth. La famille de Jésus devient ainsi une famille de notables hellénisés (ce qui explique sa fuite en Egypte quand Séphoris s'est révoltée contre Rome).

Pour Chevillot l'Evangile grecque de Jean ferait apparaître tous les disciples "grecs" de Jésus, absents des autres Evangiles : Etienne, Marie de Magdala, et même Paul (Saul) de Tarse (pour lui Paul a nécessairement connu Jésus sans quoi il n'aurait eu aucune légitimité dans le christianisme). Jésus, accueilli en sauveur à la veille de la Pâque par les Juifs hellénisés de la diaspora, est perçu comme un réformateur du judaïsme qui menace les pharisiens.

Dans ce dispositif hellénistique du christianisme, l'isisme aurait joué un rôle important aussi bien dans les rituels du baptême de Jean le Baptiste que dans l'imagerie de la Vierge, et dans la résurrection et la figure de Marie de Magdala (on a déjà dit ce que le New Age en avait fait), une tradition qu'on retrouve dans la Gnose alexandrine. Une spéculation, étayée par très peu d'éléments historiques, mais qui rend compte d'une possible censure de certains éléments "féminins" véhiculés par l'isisme, en Palestine, qui auraient ensuite ressurgi de façon plus ou moins clandestine dans des évangiles apocryphes ou des représentations iconographiques auxquelles le regard "canonique" du catholicisme n'avait peut-être pas prêté, jusque là, une attention suffisante.

Pour mémoire les deux Maries (la mère de Jésus et Marie de Magdala) sont liées à Isis.  En septembre 2013,  Jane Schatkin Hettrick de l'université de Rider (New Jersey) montrait par exemple que le plus vieil hymne à Marie connu (pour lequel Mozart et Handel firent un accompagnement musical) est une transposition par Origène d'une prière à Isis.

Le parti sénatorial romain n'aimait pas Isis. Gabinius et Pison, les consuls de 58 av JC en avaient fait abattre les autels (le culte avait déjà gagné l'Ouest du bassin méditerranéen vers le IIIe siècle av JC via les esclaves), ordre renouvelé par un décret sénatorial de 54, et le consul Lucius Aemilius Paulus de ses propres mains s'en prend à un sanctuaire d'Isis et Séparpis en 50. Dion Cassius (XLII) précise que l'assassinat de Pompée en Egypte poussa un augure à Rome à relancer la persécution des cultes isiaques. Auguste interdisit l'isisme dans le pomerium de Rome en partie contre le souvenir de Cléopâtre ("Nouvelle Isis"). Tibère fit expulser des adeptes de l'isisme.

Voici l'histoire d'amour liée au culte d'Isis à Rome qui motiva sa décision (on ne peut pas s'étonner qu'Isis inspirât pareilles passions...). C'est dans le livre XVIII des Antiquités juives de Flavius Josèphe :

"Vers le même temps un autre trouble grave agita les Juifs et il se passa à Rome, au sujet du temple d'Isis, des faits qui n'étaient pas dénués de scandale. Je mentionnerai d'abord l'acte audacieux des sectateurs d'Isis et je passerai ensuite au récit de ce qui concerne les Juifs. [66] Il y avait à Rome une certaine Paulina, déjà noble par ses ancêtres et qui, par son zèle personnel pour lu vertu, avait encore ajouté à leur renom ; elle avait la puissance que donne la richesse, était d'une grande beauté et, dans l'âge où les femmes s'adonnent le plus à la coquetterie, menait une vie vertueuse. Elle était mariée à Saturninus, qui rivalisait avec elle par ses qualités. [67]  Decius Mundus, chevalier du plus haut mérite, en devint amoureux. Comme il la savait de trop haut rang pour se laisser séduire par des cadeaux - car elle avait dédaigné ceux qu'il lui avait envoyés en masse - il s'enflamma de plus en plus, au point de lui offrir deux cent milles drachmes attiques pour une seule nuit. [68] Comme elle ne cédait pas même à ce prix, le chevalier, ne pouvant supporter une passion si malheureuse, trouva bon de se condamner à mourir de faim pour mettre un terme à la souffrance qui l'accablait. [69] Il était bien décidé à mourir ainsi et s'y préparait. Mais il y avait une affranchie de son père, nommée Idé qui était experte en toutes sortes de crimes. Comme elle regrettait vivement que le jeune homme eût décidé de mourir - car on voyait bien qu'il touchait à sa fin – elle vint à lui et l'excita par ses paroles, lui donnant l'assurance qu'il jouirait d'une liaison avec Paulina. [70] Voyant qu'il avait écouté avec faveur ses prières, elle dit qu'il lui faudrait seulement cinquante mille drachmes pour lui conquérir cette femme. Ayant ainsi relevé l'espoir du jeune homme et reçu l'argent demandé, elle prit une autre voie que les entremetteurs précédents, parce qu'elle voyait bien que Paulina ne pouvait être séduite par de l'argent. Sachant qu'elle s'adonnait avec beaucoup d'ardeur au culte d'Isis, Idé s'avisa du stratagème suivant. [71] Après avoir négocié avec quelques-uns des prêtres et leur avoir fait de grands serments, et surtout après avoir offert de l'argent, vingt mille drachmes comptant et autant une fois l'affaire faite, elle leur dévoile l'amour du jeune homme et les invite à l'aider de tout leur zèle à s'emparer de cette femme. [72] Eux, séduits par l'importance de la somme, le promettent ; le plus âgé d'entre eux, se précipitant chez Paulina, obtint audience, demanda à lui parler sans témoins. Quand cela lui eut été accordé, il dit qu'il venait de la part d'Anubis, car le dieu, vaincu par l'amour qu'il avait pour elle, l'invitait à aller vers lui. [73] Elle accueillit ces paroles avec joie, se vanta à ses amies du choix d'Anubis et dit à son mari qu'on lui annonçait le repas et la couche. Son mari y consentit, parce qu'il avait éprouvé la vertu de sa femme. [74] Elle va donc vers le temple et, après le repas, quand vint le moment de dormir, une fois les portes fermées par le prêtre à l'intérieur du temple et les lumières enlevées, Mundus, qui s'était caché là auparavant, ne manqua pas de s'unir à elle et elle se donna à lui pendant toute la nuit, croyant, que c'était le dieu. [75] Il partit avant que les prêtres qui étaient au courant de son entreprise eussent commencé leur remue-ménage, et, Paulina, revenue le matin chez son mari, raconta l'apparition d'Anubis et s'enorgueillit même à son sujet après de ses amies. [76] Les uns refusaient d'y croire, considérant la nature du fait : les autres regardaient la chose comme un miracle; n'ayant aucune raison de la juger incroyable eu égard à la vertu et à la réputation de cette femme. [77] Or, le troisième jour après l'événement, Mundus, la rencontrant, lui dit : « Paulina, tu m'as épargné deux cents mille drachmes que tu aurais pu ajouter à ta fortune, et tu n'as pourtant pas manqué de m'accorder ce que je te demandais. Peu m'importe que tu te sois efforcée d'injurier Mundus ; me souciant non pas des noms, mais de la réalité du plaisir, je me suis donné le nom d'Anubis. » [78] lI la quitta après avoir ainsi parlé. Elle, pensant pour la première fois au crime, déchire sa robe et, dénonçant à son mari la grandeur de l'attentat, lui demande de ne rien négliger pour la venger. Celui-ci alla dénoncer le fait à l'empereur. [79] Quand Tibère eut de toute l'affaire une connaissance exacte par une enquête auprès des prêtres, il les fait crucifier ainsi qu'ldé, cause de l'attentat et organisatrice des violences faites à cette femme; il fit raser le temple et ordonna de jeter dans le Tibre la statue d'Isis. [80] Quant à Mundus, il le condamna à l'exil, jugeant qu'il ne pouvait lui infliger un châtiment plus grave parce que c'était l'amour qui lui avait fait commettre sa faute. Voilà les actes honteux par lesquels les prêtres d'Isis déshonorèrent leur temple. "

C'est seulement sous les Flaviens et les Antonins que l'isisme allait trouver sa place officielle sur les pièces de monnaie.

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