Joseph Glanvill, défenseur de Descartes, et des témoignages sur la sorcellerie
1 Février 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums
Le protestant Balthasar Bekker (1634-1698), docteur en théologie et pasteur, partisan de Descartes, publie en français à Amsterdam (eds Pierre Rotterdam) en 1694 "Le monde enchanté" A propos d'un ensorcellement de 1670 il y expose tome 4 p. 576 et suiv (chap XIX) :
"L'on a fait grand bruit depuis vingt deux ou vingt trois ans, d'un ensorcellement inouï, qui fut en Suède , au village de Mohra , dans la Province d'Elfdalen, où les sorcières transportaient plusieurs enfants dans un lieu inconnu, qu'ils appelaient Blocula. Le bruit et les plaintes que l'on en fit, allèrent si loin » que le Roi fut obligé d'y envoyer des Commissaires, pour, avec les juges & les prêtres du lieu, établir un Tribunal- lesquels condamnèrent plus de septante personnes comme Sorcières , & quinze enfants qui s'y trouvèrent enveloppés, sans compter cinquante six autres. que l'on punit plus doucement, & quarante sept, que l'on laissa jusques à un nouvel examen. Le fameux Anglais, Joseph Glanvill, fait bien du bruit de cette affaire, jusques là, qu'il en a fait un extrait du Protocole du Roi, qu'il a mis à la fin de son Sadducismus triumphatus comme une preuve incontestable, à son avis, de la véritable Magie Diabolique. Mais je m'en vais en faire voir la vanité, & la fausseté notoire des confessions sur lesquelles ces pauvres malheureux ont été brûlés. L'on imprima dans la même année à la Haye, une pareille relation en Flamand, sur laquelle je m'arrêterai. Mais comme je serais trop long, si je voulais la mettre ici toute entière & y ajouter mes remarques, je n'en tirerai que le principal, & je ferai voir par les mêmes termes de la relation, tirés de différents endroits, que toute cette affaire n'était que pure imposture , & que les Dénonciateurs, les Sorciers, & les Juges mêmes, étaient ensorcelés.
§••2. L'abrégé de cette relation est donc qu'il y a un certain lieu appelé Blokula, qui n'est connu que des Sorciers & qui est le lieu où le Diable les emporte lequel après qu'ils l'ont invoqué par trois fois à l'entrée d'un antre, en disant 'Antesser, viens & nous porte à Blocula, leur apparait sous différentes formes , mais la plupart du temps en juste-au-corps, gris, en chausses rouges & en bas bleus , avec une barbe rousse, un chapeau pointu , des rubans bigarrés tout autour, & de longs rubans à ses chausses'. Il les porte donc à travers de l'air, mais il faut qu'ils aient quelques enfants soit des leurs, ou de quelqu'autre qu'ils aient dérobés & cette heure beaucoup plus qu'autrefois ,car il en faut jusques à quinze ou seize , & cela toutes les nuits qu'ils vont au Sabbat. Ils montent sur toutes sortes de bestiaux, mais particulièrement sur des chèvres, Ils se servent même pour cet usage d'hommes, de bâtons & de piques , seIon que cela leur échet Quand ils sont,arrivés à Blocula, l'on fait un festin. Les Sorciers se mettent à table, mais les enfants se tiennent debout contre la muraille.
§ 3. Voici les propres termes de la relation. 'La première chose qu'il faut qu'ils fassent à Blocula, c'est, qu'ils renient tout ce qu'ils ont de plus saint , qu'ils le donnent au Diable en corps en âme , & qu'ils ratifient ce don par serment', (je ne sais par quel Dieu ils jurent) (...) § 7 Que si ces échantillons ne suffisent pas, pour faire voir que toute cette affaire de Blocula n'est qu'une méchante sottise, considérez, je vous prie, ce qui s'ensuit." Et il continue de détailler les absurdités du récit de Glanvill (Glanvill dont on a évoqué précédemment la mémoire et le livre de 1681 à propos de Wesley).
Glanvill, on le voit dans cet exemple, a donné du fil à retordre à ses contemporains. Il a assez d'autorité intellectuelle pour susciter les controverses, et cependant (Wesley lui-même le lui reprochera), il accorde trop de crédit aux témoignages des gens simples (quoique sur les sorciers le témoignage en rejoigne beaucoup de remarques de Carlo Ginzburg dans "Le sabbat des sorcières").
"Le mysticisme, la théurgie, l'hermétique, la magie, la kabale se sont dans plus d'un esprit supérieur confondus avec la sagesse. Depuis les Alexandrins, ces illusions ne se sont jamais peut-être emparées d'un esprit plus sain et plus vigoureux que celui de Joseph Glanvill" allait dire de lui Charles de Rémusat au XIXe siècle (Histoire de la philosophie en Angleterre t2 : p. 187 et suiv) "c'était un écrivain plein de verve et d'esprit, continue-t-il, et il promettait à la vérité un utile et brillant athlète. Malheureusement, il ne tarda pas à compromettre sa cause; son premier ouvrage avait paru depuis peu, que dans sa Scepsis scientifica qui n'en est guère que la paraphrase, il donnait déjà le scandale d'un scepticisme qui admet la possibilité de la sorcellerie, et il confirmait aussitôt celte rêverie avec un grand appareil de preuves dans un traité spécial.C'est un point dont il n'a jamais douté". Il s'agit du traité "A Blow at modern Saduccesims in Some philosophical considerations touching the beings of Witches and Witchcraft" de 1666. "Il n'est pas le seul de ses contemporains que le spiritualisme entraînât au spiritisme" ajoute Rémusat qui précise que Glanvill était un admirateur et disciple de Descartes comme Bekker : il voyait en lui un chantre du pouvoir de l'esprit, du scepticisme et du spiritualisme. Glanvill était une illustration grandiose de la possibilité de concilier défense de la science et de la philosophie et adhésion aux témoignages sur la sorcellerie.
Edgar Poe allait citer Glanvill dans "Les plus beaux contes" traduit par Baudelaire.
En Amérique Cotton Mather, savant théologien né à Boston en 1663 allait suivre les pas de Glanvill dans un traité "Wonders of the Invisible World" ("Les Merveilles du monde invisible, tirées de l'analyse des procès de différents sorciers, exécutés récemment dans la Nouvelle Angleterre), sur la chasse aux sorcières de Salem, publié par ordre du gouverneur du Massachussetts et réimprimé à Londres en 1693. Sur le "champ" de discussion dans lequel s'insère le débat sur les sorciers, voir la page Wikipedia ici.
Ce que personnellement je trouve très intéressant chez Glanvill comme chez Wesley, c'est qu'il voit dans l'adhésion au témoignage des personnes victimes de sorcellerie un argument décisif contre l'athéisme. Dans sa préface au "A blow to modern saducceism" il écrit "I appear thus much concerned for the justification of the belief of Witches, it suggesting palpable, en current evidence of our Immortality, which I am exceedingly solicitous to have made good".
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