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"Ius, l'invention du droit en Occident" d'Aldo Schiavone

18 Juillet 2009 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture, #Histoire des idées, #Philosophie

Je voudrais dire un mot ici du livre "Ius, l'invention du droit en Occident" d'Aldo Schiavone publié en décembre dernier chez Belin et que je commence à peine à parcourir.

Le livre n'est pas toujours très limpide et donne plus souvent l'impression de régler des problèmes ou de démontrer quelque chose que de le faire réellement. Toutefois, il a le mérite de s'attaquer à un problème d'une envergure immense : celui de l'invention du droit à Rome (et non pas en Occident) car pour moi Rome n'est pas l'Occident.

Je suis très intéressé par certaines remarques de Schiavone : son refus d'avoir une appoche évolutionniste des origines de Rome (ce qu'il appelle la genèse interdite - p. 62) pour lui substituer une approche structurale (avec un hommage rendu à Dumézil) puisque rien n'est connu avant le 550 av JC. Sa vision d'une société de chefs guerriers (la proto-aristocratie romaine) qui se coalisent sans homogénéité ethnique, l'aventurier en leur sein qui a pu fonder la ville en rompant les liens de sang (Romulus), le lien de réciprocité entre les pères de famille et leur attache directe au divin. L'auteur évoque comment le culte du divin est en lien étroit avec les prescriptions (dans un rapport d'échanges réciproques) et se demande comment la séparation de l'un et de l'autre (du cultuel et du prescriptif) débouche sur une autonomisation de la sphère de l'éthique au Proche-Orient, du politique en Grèce, et du droit à Rome. Le droit, nous explique Schiavone, naît d'une appropriation du prescriptif par des savants (notamment dan un premier temps les pontifes) qui, tout en l'ayant laïcisé, ne l'abandonnent pas à la société.

Pourquoi cette particularité romaine ? Schiavone la fait dériver d'un "syndrome prescriptif" qui enferme le rapport aux dieux dans un réseau de rituels obsessionnels (la cohorte de dieux et de pratiques qui leur sont associées alors que les Grecs ont préféré des inventions cosmogoniques qui donneraient naissance à la philosophie). Il s'agit de recevoir une garantie divine à chaque instant, symptôme de la crainte permanente des voisins (Sabins, Latins, Etrusques) (p. 70). Cet ensemble de gestes sacrés (la main qui prend, qui donne, le bâton du pouvoir, le pas en arrière, le mot du serment. Le ius porterait la notion indoeuropéenne de yaos, soumission aux rites.

Schiavone trace un parallèle entre le syndrome ritualo-prescriptif de Rome et celui d'Israël. Pour lui, le droit en est devenu le réceptacle à Rome, comme la morale l'est devenue dans la culture judéo-chrétienne. 

Les démonstrations sont parfois un peu rapides et gagneraient  à mobiliser davantage de comparaisons anthropologiques. Mais les hypothèses faites dans les premiers chapitres sont intéressantes. Je reviendrai peut-être sur ce livre quand j'aurai parcouru les chapitres suivants.
 
 

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"Le Sexe, l'Homme et l'Evolution" de Pascal Picq et Philippe Brenot

15 Juillet 2009 , Rédigé par CC

Ayant développé dans mon livre sur la nudité une approche évolutionniste de l'anatomie et de la psychologie humaines, je ne pouvais éviter de faire une recension pour Parutions.com du dernier livre Pascal Picq (paléoanthropologue au Collège de France) et  Philippe Brenot (psychiatre et directeur d'enseignement en sexologie).

"Ce livre n'est ni un traité, ni une encyclopédie du sexe ; il a la seule prétention d'éclairer la question de l'origine et de l'évolution de la sexualité humaine" avertissent les auteurs au début de l'ouvrage. Le livre est en effet loin des sommes universitaires, c'est avant tout une présentation très limpides de ce qui dans la sexualité animale permet de comprendre la sexualité humaine puis des facteurs de l'évolution qui en expliquent les particularités actuelles.

C'est un ouvrage pédagogique, qui ne laisse, au fil de ses développements, aucun concept dans l'ombre, des plus accessoires (anisogamie,*), aux plus essentiels (l'exogamie, l'uxolocalité, la compétition intersexuelle et intrasexuelle).

Il rappelle que la reproduction sexuée n'est pas la seule reproduction possible dans l'ordre du vivant, coûteuse (ne serait-ce que du fait qu'elle suppose l'existence de mâles) et même violente (p. 22), elle présente des avantages mais aussi beaucoup d'inconvénients. Quant aux orientations sexuelles "naturelles" de notre espèce, on ne peut la déduire des caractéristiques des différentes espèces multicellulaires qui habitent notre planète tant la diversité de leurs pratiques est grande, ni même de l'étude des singes chez lesquels l'on rencontre tout à la fois des couples fidèles et des pratiques de polyandrie ou de poligynie (les harems) avec une infinité de nuances dans les stratégies adoptées par les mâles et les femelles.

Tout au plus peut-on reconstituer les moeurs sexuelles de nos ancêtres à partir de la manière dont l'évolution a façonné notre morphologie. Du fait que les hommes sont en moyenne de plus haute stature que les femmes, on peut ainsi déduire**

Le livre de Picq et Brenot règle le compte de ce qu'ils considèrent comme des idées reçues, des plus anciennes aux plus récentes.

Ainsi démontre-t-il sans peine que la vie de harem est l'antithèse d'un paradis, tant la compétition entre les mâles pour le contrôle des femelles leur mine l'existence, surtout dans les harems où les femelles ne choisissent pas leurs protecteurs comme chez les gorilles (elle cause même des ulcères aux éléphants de mer). Le bonobo est détronné de son statut d'icone de la liberté sexuelle par l'orang-outan et même à certains égards le chympanzé (p. 51).

Plus subtilement les auteurs s'en prennent à la thèse selon laquelle le nouveau-né humain serait forcément prématuré à cause de la station verticale (p. 23). Il s'en prend aussi à la thèse popularisée entre autres par Helen Fisher (curieusement répertoriée en bibliographie sur un seul de ses livres, et pas le plus connu) selon laquelle "parce que les mâles produisent des millions de spermatozoïdes et les femelles des ovules beaucoup plus rares (...) ceux-là auraient une tendance naturelle à la multiplication des partenaires" (p. 24) - thèse au demeurant reprise par Steven Pinker, lui aussi cité par un seul de ses livres.

L'idée que l'orgasme serait une particularité humaine (développée par des sexologues humanistes comme Jacques Waynberg) est aussi battue en brèche (p. 72). Les auteurs s'en prennent avec force et à juste titre à l'obscurantisme des sciences humaines (qu'ils rapprochent de celui du créationnisme) et au refus obstiné de la culture française jusqu'à très récemment de s'intéresser sérieusement aux singes (p. 78).

L'hypothèse du redressement des hominidés qui fondait chez Timothy Taylor une théorie de la mutation de l'oestrus est abandonnée (p. 91-92), l'oestrus visible étant d'ailleurs jugé compatible avec une bipédie fréquente chez l'australopithèque - il aurait disparu chez le paranthrope (p. 104). Cette rupture avec la linéarité du gradualisme est présentée par les auteurs à la fois comme plus scientifique et source deplus d'incertitudes que la précédente.

Ce livre rend ainsi honnêtement compte, et dans un style agréable, de l'état le plus récent des savoirs sur l'histoire de la sexualité. Certains de ses partis pris (dont la science n'est jamais totalement exempte sur pareil sujet) prêtent cependant à questionnement. A certains moments de leur développement Picq et Brenot s'emportent contre les Etats-Unis taxés de "société malade du harcèlement sexuel, du viol et du puritanisme" (p. 36). L'attaque semble viser les oeuvres de vulgarisation comme celle de John Gray, mais aussi, comme on l'a vu, des travaux académiques comme ceux de Pinker. Or sur ce point la disqualification par la stigmatisation "globale" de la société où ont fleuri ces oeuvres n'apparaît pas totalement convaincante. D'autant que les thèses étatsuniennes attaquées sont souvent critiquées sans que la méthode dont elles résultent ne soit explicitement critiquée : ainsi de la thèse du faible engagement des mâles dans les conséquences procréatives de l'acte sexuelle (et sur le plan de la fidélité), qui, chez Helen Fisher, ne s'appuyait pas seulement sur la densité des gamètes mais aussi sur une étude statistique de l'organisation d'un grand nombre de sociétés humaines.

L'anti-américanisme du livre participe sans doute de l'air du temps comme la valorisation des femmes (affublées à plusieurs reprises dans le livre de l'attribut flatteur de "sexe écologique") ou des traits d'humour douteux (peut-on rire - p. 50 - du fait que les bonobos du zoo de Berlin en 1944 soient tous morts d'une crise cardiaque sous les bombardements, quand on sait quelle tragédie le carpet bombing fut pour la capitale de l'Allemagne ?)

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Une préhistoire polémique

 

 

Philippe Brenot et Pascal Picq, Le sexe, l’homme et l’évolution

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, aux Editions du Cygne, de La nudité, pratiques et significations (2009).

 

A l’heure où notre espèce, débarrassée des tabous religieux, ne cesse d’approfondir aussi bien sa connaissance de ses origines que sa réflexion sur les relations interpersonnelles, Pascal Picq (paléoanthropologue au Collège de France) et Philippe Brenot (psychiatre et directeur d'enseignement en sexologie) nous invitent à revisiter les origines d’un des aspects les plus intriguants de notre vie sociale : nos pratiques sexuelles.


"Ce livre n'est ni un traité, ni une encyclopédie du sexe ; il a la seule prétention d'éclairer la question de l'origine et de l'évolution de la sexualité humaine" avertissent les auteurs au début de l'ouvrage. Le livre est en effet éloigné des sommes universitaires. C'est avant tout une présentation très limpide de ce qui dans la sexualité animale permet de comprendre la sexualité humaine puis des facteurs de l'évolution qui en expliquent les particularités actuelles.

L’ouvrage, pédagogique, ne laisse, au fil de ses développements, aucun concept dans l'ombre, des plus accessoires aux plus essentiels (l'exogamie, l'uxolocalité, la compétition intersexuelle et intrasexuelle). Il rappelle que la reproduction sexuée n'est pas la seule reproduction possible dans l'ordre du vivant, coûteuse (ne serait-ce que du fait qu'elle suppose l'existence de mâles) et même violente (p. 22), elle présente des avantages mais aussi beaucoup d'inconvénients. Quant aux orientations sexuelles "naturelles" de notre espèce, on ne peut les déduire des caractéristiques des différentes espèces multicellulaires qui habitent notre planète tant la diversité de leurs pratiques est grande, ni même de l'étude des singes chez lesquels l'on rencontre tout à la fois des couples fidèles et des pratiques de polyandrie ou de poligynie (les harems) avec une infinité de nuances dans les stratégies adoptées par les mâles et les femelles.


Tout au plus peut-on reconstituer les moeurs sexuelles de nos ancêtres à partir de la manière dont l'évolution a façonné notre morphologie. Du fait que les hommes sont en moyenne d’un peu plus haute stature que les femmes, on peut ainsi déduire une compétition intrasexuelle modérée entre mâles. Et, compte tenu de la marge de développement du cerveau humain entre l’enfance et l’âge adulte (une singularité de notre espèce qui requiert des mâles un plus grand investissement dans l’éducation des enfants) à partir de l’homo ergaster, on peut supposer une relative permanence des couples sur plusieurs années, éventuellement tempérée par l’infidélité (qu’on remarque même dans les sociétés animales polygynes), les femelles gardant la haute main sur les techniques de séduction.


A mesure qu’ils développent ce scénario et les raisons d’y croire, Picq et Brenot règlent le compte de ce qu'ils considèrent comme des idées reçues, des plus anciennes aux plus récentes.


Ainsi démontrent-il sans peine que la vie de harem est l'antonyme du paradis, tant la compétition entre les mâles pour le contrôle des femelles leur mine l'existence, surtout dans les harems où les femelles ne choisissent pas leurs protecteurs comme chez les gorilles (elle cause même des ulcères aux éléphants de mer). Le bonobo est détrôné de son statut d'icône de la liberté sexuelle par l'orang-outan et même à certains égards le chimpanzé (p. 51).

Plus subtilement les auteurs s'en prennent à la thèse selon laquelle le nouveau-né humain serait forcément prématuré à cause de la station verticale (p. 23), ainsi qu’à l’idée que les caractéristiques actuelles du corps féminin porteraient les traces d’une néoténie (p. 125). Le livre s'attaque aussi à la thèse popularisée entre autres par Helen Fisher (curieusement répertoriée en bibliographie sur seulement deux de ses livres, et pas le plus connu) selon laquelle "parce que les mâles produisent des millions de spermatozoïdes et les femelles des ovules beaucoup plus rares (...) ceux-là auraient une tendance naturelle à la multiplication des partenaires" (p. 24) - thèse au demeurant reprise par Steven Pinker, cité par un seul de ses livres.


L'idée que l'orgasme serait une particularité humaine (développée par des sexologues humanistes comme Jacques Waynberg) est aussi battue en brèche (p. 72, p. 226). Les auteurs s'en prennent avec force et à juste titre à l'obscurantisme des sciences humaines (qu'ils rapprochent de celui du créationnisme) et au refus obstiné de la culture française jusqu'à très récemment de s'intéresser sérieusement aux singes (p. 78).


L'hypothèse du redressement des hominidés qui fondait chez Timothy Taylor une théorie de la mutation de l'oestrus est abandonnée (p. 91-92), l'oestrus visible étant d'ailleurs jugé compatible avec une bipédie fréquente chez l'australopithèque - il aurait disparu chez le paranthrope (p. 104). Cette rupture avec la linéarité du gradualisme est présentée par les auteurs à la fois comme plus scientifique et comme une source de plus d'incertitudes que la précédente. Au passage  l’image forgée par Yves Coppens d’un redressement « d’un coup de rein » dans le Rift est tournée en ridicule, Brenot et Picq reprochant même au documentaire produit sous le contrôle du célèbre paléoanthropologue « L’Odyssée de l’espèce » de comporter des scène « grotesques » (p. 166).

 

A longueur de chapitres, le goût de la démystification pousse souvent les auteurs sur les sentiers de la polémique, et ce sur un ton qui parfois peut prêter à questionnement. Ainsi lorsque Picq et Brenot s'emportent contre les Etats-Unis qualifiés de "société malade du harcèlement sexuel, du viol et du puritanisme" (p. 36). L'attaque semble viser les oeuvres de vulgarisation comme celle de John Gray, mais aussi, comme on l'a vu, des travaux académiques comme ceux de Pinker. Or sur ce point la disqualification par la stigmatisation "globale" de la société où ont fleuri ces oeuvres n'apparaît pas totalement convaincante. D'autant que les thèses étatsuniennes attaquées sont souvent critiquées sans que la méthode dont elles résultent ne soit explicitement invalidée : ainsi de la thèse du faible engagement des mâles dans les conséquences procréatives de l'acte sexuelle (et sur le plan de la fidélité), qui, chez Helen Fisher, ne s'appuyait pas seulement sur la densité des gamètes, comme le laissent croire Picq et Brenot, mais aussi sur une étude statistique de l'organisation d'un grand nombre de sociétés humaines sur laquelle les auteurs font complètement l’impasse. Leur haine de la psychologie évolutionniste confine même à la diffamation quand ils taxent implicitement de raciste la thèse de la préférence tendanciellement universelle des hommes pour les blondes (p. 176) sans prendre la peine d’en critiquer les arguments, par exemple les remarques factuelles de Desmond Morris sur l’usage des perruques blondes dans la Rome antique. Le degré zéro du débat scientifique est même atteint quand (p. 177) la thèse évolutionniste selon laquelle les hommes universellement préfèrent les femmes aux visages plus ronds et à la pilosité très légère est balayée sans argument par cette seule phrase assassine : « A croire que l’on cherche à justifier les horreurs du tourisme sexuel » (sic !).


L'anti-américanisme du livre, qui se révèle dans la disqualification du « puritanisme » étatsunien, participe sans doute d'un air du temps comme la valorisation des femmes (affublées à plusieurs reprises dans le livre de l'attribut flatteur de "sexe écologique") ou certains traits d'humour douteux (dans nos sociétés préservées de la guerre, peut-on rire au moyen d’un jeu de mot très étrange - p. 50 - du fait que les bonobos du zoo de Berlin en 1944 soient tous morts d'une crise cardiaque sous les bombardements, quand on sait quelle tragédie le carpet bombing fut pour la capitale de l'Allemagne ?), ainsi que la reprise de clichés médiatiques qui prêtent à caution (les femmes violées de Bosnie, dont le chiffre cité p. 211 a pourtant été maintes fois contesté). On aurait pu attendre mieux de chercheurs de ce niveau.

 

A part ces points faibles qui viennent parfois gâcher un peu sa lecture, il faut mettre à l’actif de ce livre qu’il rend honnêtement compte, et dans un style agréable, de l'état le plus récent des savoirs sur l'histoire de la sexualité humaine. A  travers leurs analyses subtiles des mille et une petites bizarreries des organes et des comportements de notre espèce (la rareté des poils, le volume des seins, celui du pénis dépourvu d’os, l’existence de l’homosexualité) les auteurs font finalement prendre conscience de la beauté (improbable dans la nature) de cet érotisme érigé par l’humain au rang de production quasi-artistique, qui, en retour, a influencé notre morphologie aussi bien que nos formes de vie sociale au point de constituer un facteur absolument central de la conquête de notre liberté.

 

Christophe Cole

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