Le corps-signe de Gemma Galgani
Voici un récit du RP Germano di Santo Stanislao dans "Gemma Galgani, la séraphique vierge de Lucques" p. 77.
Nous sommes le mardi 29 août 1899. Ce jour là, si j'en crois le journal Le Temps du lendemain, leministre des colonies anglais Chamberlain a adressé un ultimatum aux Boers dans sa guerre contre eux, uen grande solennité est organisé à la basilique Saint-Pierre pour le centenaire de la mort de Pie VI en exil à Valence,la Serbie est agitée par le procès de l'ex-roi Milan, au conseil de guerre de Paris, le colonel Cordier dépose dans le cadre du procès Dreyfus, et des révolutionnaires menacent d'envahir Saint-Domingue.
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Loin de cette agitation, à Viareggio (14 000 habitants, en bord de mer) à 20 mn de Lucques (73 000 habitants), en Toscane, le RP Pietro Paul Camilo Morescini, provincial des passionistes, 41 ans, qui sera dix ans plus tard archevêque de Carmerino, se rend chez la pieuse Cecilia Giannini, 52 ans, soeur du chevalier Matteo Giannini. Il veut y constater les charismes de la jeune Gemma Galgani, 21 ans (dont il sera le directeur de conscience et qui mourra quatre ans plus tard, et sera canonisée en 1940). On sait que la jeune femme - connue pour dialoguer régulièrement avec son ange gardien - guérie miraculeusement d'une maladie mortelle 5 mois plus tôt le 3 mars 1899 par l'intercession de Sainte Marguerite-Marie Alacoque, a reçu des stigmates le 8 juin.
Voici son récit du 29 août :
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« J’avais, dit-il, entendu raconter sur la jeune fille des choses merveilleuses. Soupçonnant là de pures illusions, assez fréquentes dans son sexe, je formai le projet de m’en rendre compte par moi-même. Je me rendis donc à la maison de la famille Giannini ; c’était un mardi. Après l’avoir vue, je me sentis inspiré de demander à Dieu quelque signe palpable de l’origine divine de ces faits prodigieux, et, sans en rien dire à âme vivante, j’en spécifiai deux : une sueur de sang et la formation des stigmates.
« A l’heure des vêpres, la jeune fille se rend seule, pour ses prières habituelles, devant le grand crucifix de la salle à manger. Quelques minutes après, j’ouvre la porte et je la vois en extase, toute transfigurée. Bien que plongée dans une immense douleur, elle paraît vraiment un ange. Je m’approche: de son visage, de la tête, des mains et sans doute de toutes les parties de son corps coule un sang vermeil, qui se dessèche avant d’arriver à terre et ne s’arrête qu’après une demi-heure. Je me retire vivement ému.
« Sortie de l’extase. Gemma dit confidentiellement à madame Cécilia : « Le père a demandé deux signes à Jésus, et Jésus lui en a donné un ; il lui donnera également l’autre. Quels peuvent bien être ces signes ? le savez-vous ? » Le soir venu, cette dame m’aborde, haletante d’émotion : « Père, me demande-t-elle, n’attendriez-vous pas pour second signe les stigmates ? » Je restais interdit, et elle de reprendre : « Je vous le demande parce que s’il en était ainsi Gemma les a déjà ouverts ; venez voir. » J’y cours et je trouve cette enfant bénie en extase comme la première fois ; ses mains sont transpercées, transpercées, dis-je, de part en part ; elles portent en pleine chair une large plaie d’où le sang jaillit en abondance. L’émouvant spectacle dure cinq minutes. (Ici le prélat en fait une description minutieuse qui concorde parfaitement avec celle que le RP Germain a donnée). A la fin de l’extase l’épanchement sanglant cesse, les blessures se ferment, la peau déchirée reprend subitement son premier état, et dès que la servante de Dieu s’est lavé les mains on n’aperçoit plus aucune trace du phénomène. Jésus avait daigné entendre ma prière. En lui rendant de vives actions de grâces, je déposai tout doute défavorable, fermement convaincu qu’il y avait là le doigt de Dieu. »
Cette relation, envoyée par l’auteur à Monseigneur Volpi (évêque auxiliaire de Lucques) le 3 septembre 1899, se terminait par ces lignes : « J’ai vu de mes propres yeux les plaies des mains, tant celles de la face dorsale que de la face palmaire, et c’était de véritables blessures. A la fin de l’extase toutes s’étaient fermées ; il ne restait que les cicatrices. Or, comment est-il possible qu’une plaie se ferme ainsi naturellement ? Pour moi j’y reconnais l’opération divine. »
" Madame Cécilia, remarque le RP Germain, pour ne point contrister la servante de Dieu, ne manifestait aucun étonnement devant de tels faits prodigieux. Elle en bénissait le Seigneur, redoublant pour son hôte de vénération et d’amour. « Vive Jésus, disait-elle, nous possédons un ange à la maison. Comment correspondre à une si grande grâce ?"
Le carme Salvator Thor-Salviat (1881-1954) - qui bizarrement dans son livre déplace un peu le lieu et la date du témoignage du prêtre passioniste - pour sa part allait ajouter ceci à propos de ce phénomène :
"On n’a pas manqué d’objecter que des phénomènes de ce genre avaient pu être observés et suivis dans les cliniques où des médecins spécialisés soignent des maladies mentales et des tares physiques dont l’ensemble constitue ce que l’on a appelé d’un nom générique : l’hystérie... Il en fut grandement question, notamment à l’époque où le D r Charcot faisait des expériences plus ou moins probantes sur des sujets spéciaux qu’il traitait à la Salpêtrière, à Paris. Disons tout d’abord que, depuis le D r Charcot, il a été démontré que la plupart, pour ne point dire tous les sujets dits hystériques dont ce praticien éminent faisait grand cas, étaient des simulateurs plus ou moins conscients et qui se trouvaient produire sur eux- mêmes, à la suite de réactions psychologiques et physiologiques apparentes, les phénomènes qu’on leur suggérait.
On ne croit plus guère aujourd’hui, dans le monde médical, à l’hystérie, sous la forme où prétendait la décrire le D r Charcot, mais il y a toujours des simulateurs, spontanés ou suggérés. On va voir que ces faits ne nous gênent aucunement. Car d’abord — il convient de le répéter — il n’est point démontré qu’il y ait réellement des stigmates hystériques où les capacités de destruction régulière des tissus ou bien de reconstitution de ces mêmes tissus (ainsi qu’on le voyait dans les stigmates à périodicité fixe de Gemma Galgani) attesteraient un pouvoir persistant et une activité positive dans l’imagination du sujet « hystérique ». On n’a pu constater jusqu’à présent que des phénomènes approchant de celui des stigmates d’ailleurs non spontanés, mais provoqués par une force humaine relative, soit extérieure, comme serait la suggestion du médecin (cas le plus fréquent à la Salpêtrière), soit intérieure, par autosuggestion... suggérée.
Or, on n’explique pas le plus par le moins, et il est donc clair que l’hystérie n’explique pas les stigmates mystiques. C’en est, tout au plus, l’imitation ou plutôt la caricature. Cependant, soyons larges et concédons que l’on puisse parvenir quelque jour à présenter des « hystériques » qui, spontanément, régulièrement, périodiquement, offrent les caractères extérieurs de la stigmatisation. La question ne sera pas encore résolue en faveur de la thèse rationaliste selon laquelle les stigmatisés relèvent de l’hystérie pure. Il faut faire intervenir ici d’autres critères. En effet, rien n’empêchera qu’il y ait encore des stigmatisations surnaturelles à côté d’autres, naturelles. Le tout sera de les discerner. Comment? Par l’examen attentif de la stigmatisation dans chaque cas. Il faudra examiner le sujet sur lequel se produisent ces faits étranges, en fonction d’abord de son caractère, en fonction ensuite de sa vie naturelle et surnaturelle. Et c’est seulement après ces considérations globales que l’on pourra fixer la valeur, naturelle ou surnaturelle, de la stigmatisation. Ceci dit, venons aux critères permettant de faire les discernements voulus. Un sentiment vital, profond, doit se trouver à la base du phénomène surnaturel. Qu’un sujet hystérique arrive, après un dressage spécial, à reproduire certains phénomènes extérieurs de la vie spirituelle, il se borne après tout à mimer, à singer, et cela de façon faible et non spontanée. II y manque le point central, l’animation intérieure, le moteur, et ces phénomènes demeurent, chez « l’hystérique », larvaires, affaiblis, comme grimaçants. Ils accusent tout simplement l’état anormal du sujet. Au contraire, chez le stigmatisé, les phénomènes procèdent à la fois de dispositions intérieures très élevées et d’une idée centrale qui leur donnent un sens, une irection ascendante. Ces dispositions sont une piété régulière, un profond amour de Dieu, avec les austérités et retranchements souvent héroïques qui le manifestent. L’idée centrale, c’est la constante recherche de Dieu, c’est une aspiration continue vers la perfection. Voilà, en fait, le vrai lien synthétique des manifestations extraordinaires chez le stigmatisé et que l’on ne découvre pas, au contraire, chez l’hystérique. Dans le premier cas — le saint — les stigmates sont l’expression vitale d’un sentiment qui transcende, par ses origines et ses tendances, la nature humaine. Dans le second — l’hystérique — ils ne sont qu’une reproduction mécanique. Et l’on a rapproché les deux ordres de sujets et de phénomènes de la voix, qui est organique, et du disque, qui est mécanique. Ce caractère vital des manifestations mystiques chez Gemma apparaît aisément si l’on constate, en effet, chez elle, l’absence d’antécédents morbides dans son ascendance et dans son enfance, l’absence de suggestions extérieures autour d’elle, l’adéquation parfaite entre lesdits phénomènes et la vie profonde de la jeune fille. Et comme, en fait, ces conditions sont bien réalisées dans son « cas », on est logiquement autorisé à conclure à l’évolution harmonieuse, chez elle, d’une série de prodiges se déroulant dans les cadres réguliers et surnaturellement normaux d’une finalité transcendante ou divine. En résumé : l’unité, le rythme, l’originalité des manifestations extraordinaires chez Gemma attestent à la base et comme lien continu de ces phénomènes, un sentiment vital profond qui ne se trouve pas chez les sujets hystériques. La sainteté de sa vie, sa sincérité, excluent la simulation ou l’état mental anormal qui caractérisent les phénomènes artificiellement provoqués dans l’état de la pure hystérie"
Personnellement je ne connaissais pas les sueurs de sang, qui sont aussi une pathologie rare appelée hématidrose (exemples ici), mais qui va avec la morbidité, c'est pourquoi S. Thor-Salviat soutient que cela n'a rien à voir avec la psychologie de la sainte. Emmanuel Falque, philosophe qui s'intéresse à la "chair de Dieu" devrait peut-être nous dire un mot de ce phénomène.
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