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Jeux et harmonies : la sphéristique de Nausicaa

2 Mars 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur, #Histoire secrète

Comme l'anthropologie dans des forêts lointaines, le voyage dans le temps est toujours un moyen de retrouver des gestes, des sons, reflets de présences au monde possibles dont nous avons perdu le sens (et que bien sûr nous ne pouvons plus reproduire le terreau culturel en ayant disparu). Et bien sûr à cela le voyage chez les Grecs anciens, qui nous ont laissé plus de traces écrites et picturales de cela que la plupart des autres cultures, est particulièrement propice.

Je tombe aujourd'hui sur les considérations de Louis-Aimé-Victor Bec de Fouquières dans les "Jeux des Anciens" de 1869 à propos de ce passage de l'Odyssée où laprincesse Nausicaa et ses servantes, après avoir lavé leur linge, l'étendent à terre et, en attendant qu'il soit sec, prennent leur repas et folâtrent sur la rive. « Lorsqu'elles furent rassasiées, dit Homère (Odyss. vr, 100), elles se débarrassèrent de
leurs voiles et se mirent à jouer à la balle. Nausicaa aux bras blancs conduisait le jeu  »

"Le voile que portent Nausicaa et ses servantes, écrit l'auteur, était une coiffure assez semblable aux coiffures égyptiennes, et venait se rattacher sous le menton en couvrant les épaules et les seins.
Elles s'en débarrassent pour être plus libres dans leurs mouvements  et aussitôt, voyez le génie plastique des Grecs, c'est une statue qu'Homère dresse à nos yeux, Nausicaa aux bras blancs. D'un mot il la dessine, désignant à nos regards la forme ravissante du haut du bras voilé jusqu'alors. Nous touchons la évidemment à une époque de plus grande liberté dans les mœurs, où la jeune fille ne craint pas de se découvrir hors de la maison, coutume qu'on retrouve à Sparte dans les exercicesgymnastiques, auxquels participaient les jeunes filles comme les jeunes garçons. Nausicaa prend ses ébats avec ses servantes et non pas, comme Europe, avec ses hétaires. Ce n'est pas ici comme à Lesbos, à Cio, à Sparte, une troupe de jeunes filles amies de coeur qui partagent leurs plaisirs, c'est une jeune fille au milieu de ses servantes, de femmes qui lui sont soumises .

C'est Nausicaa qui dirige le jeu, mais ce n'est pas le « jeu », que dit Homère, c'est plutôt le divertissement, ce que les anciens appelaient la molpée. Quand on n'entend pas par molpée le chant proprement dit, et c'est le cas dans ce passage, on désigne par ce mot bien hellénique tout ensemble de mouvements cadencés et harmonieux qu'accompagne toujours la voix. Or si les Grecs assimilaient le jeu à une danse mêlée de chants, c'est que pour eux la grâce et le goût devaient régler les gestes comme les paroles. Là où nous disons sauter et crier, ils se plaisaient à dire, par un euphémisme qui n'était pas exagéré, danser et chanter. En effet, dans ses jeux quels qu'ils fussent, la première préoccupa tion d'une jeune fille grecque était de régler, de mesurer chacun de ses gestes, chacune de ses intonations, afin que l'ensemble du jeu présentât une belle ordonnance et un ordre harmonieux. Nous avons peine aujourd'hui à bien comprendre ce sentiment exquis que les Grecs portaient en toutes choses, ce rien de trop qui faisait leur préoccupation constante. Il y a cependant quelque chose  de cela dans ce qu'en Europe on appelle la politesse française, dans cette grâce légère et dégagée que le français déploie au bal
comme au combat.


Ainsi, si Homère appelle molpée le jeu auquel Nausicaa se livre avec ses compagnes, il désigne par ce seul terme une série de conditions essentielles aux yeux de tout grec, et qui étaient un des objets les plus sérieux de l'éducation antique. Il n'est pas permis à la jeune fille d'offrir aux regards un visage empourpré et par suite enlaidi, d'exécuter un mouvement qui ne puisse plaire à l'oeil, de proférer un éclat de voix qui puisse blesser l'oreille tout doit être justement mesuré aux forces, et l'essoufflement même ne doit pas aller jusqu'à la perte de la respiration, mais seulement jusqu'à cette légère émotion qui soulève comme en cadence la juvénile poitrine de la vierge. C'est par la réalisation seule de ces conditions que les jeux chez les Grecs méritent d'être comparés à une danse qu'accompagne le chant et que sous le nom de molpée ils font partie intégrante des arts.

Ce que nous venons de dire ne surprendra pas les personnes tant soit peu familiarisées avec les monuments de l'art antique.

Quand on examine les peintures sur vases, où souvent est figuré l'exercice de la balle, et j'en citerai une entr'autres qui décore un vase de la collection Lamberg (t, p. 62, pl. xvm), où des jeunes filles jouent, l'une ù la balle céleste, les autres à la balle au rebond,quand on examine, dis-je, ces peintures, on est vivement frappé des mouvements mesurés et cadencés de tous les personnages. Rien de violent, ni d'excessif; les gestes n'y dépassent jamais une certaine limite convenue de bienséance. Pas d'agitation dans les vêtements; ils sont drapés avec une grâce modeste et les plis accompagnent et indiquent les mouvements.Devant ces peintures on est frappé de l'harmonie générale qui règne dans ces scènes antiques. Dans la marche et dans les gestes tout est rythmé. C'est là évidemment un jeu qui ne s'éloigne pas de la danse et dont la représentation, telle que l'ont comprise les artistes anciens, nous parait expliquer parfaitement ce que nous venons de dire sur l'éducation des jeunes filles grecques."

J'avoue que j'ai été surpris et très intéressé par cette définition d'un au delà de la catégorisation du jeu et de la danse.

Le docteur Clairian en 1802 n'avait pas cette subtilité quand il parlait de "La princesse Nausicaa nue, dans la sphéristique avec ses femmes" (peut-être en confondant avec la gymnopédie de Sparte ou la pyrrhique athénienne dont je parlais ici il y a 12 ans).

La discipline interdisant " à la jeune fille d'offrir aux regards un visage empourpré et par suite enlaidi, d'exécuter un mouvement qui ne puisse plaire à l'oeil, de proférer un éclat de voix qui puisse blesser l'oreille" et qui avait son pendant chez les hommes nous est étrangère. On ne peut cependant douter qu'elle contribuait à l'époque à l'élévation morale de toute la société.

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