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Laruns vu par L'Univers

17 Février 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Alors que l'Empereur Napoléon III et son épouse sont à Gavarnie, le Mémorial des Pyrénées du 8 septembre 1859 publie le compte rendu des fêtes de Laruns du 15 août que Léon Aubineau a adressé au journal catholique l'Univers. On est dans l'âge d'or du renouveau du christianisme (voir mon livre sur Lacordaire). La génération romantique après l'athéisme révolutionnaire essaie de renouer avec la Religion saccagée (sauf quand elle sombre dans l'occultisme, le mauvais versant de la religieux). Veuillot, le fondateur de l'Univers était un converti, peut-être Aubineau aussi, je ne sais pas.

Elle prend le sujet souvent par le mauvais angle, celui du sentimentalisme, mais elle a le mérite d'essayer. Son naufrage viendra du ralliement des catholiques au Parti de l'Ordre, Napoléon, les riches (la dictature de la finance, déjà...), au mépris des aspirations du prolétariat à la justice sociale... En 1859 on n'est encore qu'au début de ce ralliement.

" Les Pyrénées ont eu à se louer cette année de la presse Parisienne; il y aurait injustice à le méconnaître. Pour notre part, nous ne croyons pouvoir mieux témoigner notre reconnaissance aux journaux qui ont bien voulu s’occuper de notre pays qu’en reproduisant les parties saillantes de leurs articles. On lira à ce titre, avec plaisir, la lettre suivante adressée à l' Univers par M. Léon Aubineau, un de ses principaux rédacteurs. C’est un compte-rendu pittoresque et religieux de ia fête de Laruns, dont il a été déjà parlé dans notre journal au point de vue artistique :

Le 15 août est le jour de la fête de Laruns. Cette année, dès midi, les voitures, selon la coutume , amenaient des hautes vallées les curieux qui venaient accroître la foule et augmenter le spectacle. Les fenêtres et les balcons étaient garnis de curieux. Les danses étaient formées sur la place. Les ménétriers , assis au milieu des rondes, jouaient de leurs instruments, et autour d’eux s’agitaient et se trémoussaient les danseurs. On sait que la danse , dans le midi de la France , n’a pas le même caractère que dans le Nord. Je ne sais ce qu’en pense M. le curé de Laruns, mais rien ne m’a paru plus décent et plus convenable que les danses de la place publique de sa paroisse , et au premier coup-d’œil il m’a semblé que j’y laisserais sans scrupule sauter et se balancer mes enfants. La ronde se compose d’un nombre indéterminé de garçons et de filles. Tous se tiennent par la main : c’est un garçon qui conduit la bande. Le cercle s’agite et tourne en s’élargissant et en se rétrécissant tour à tour. Celui qui ouvre la danse se retourne à chaque instant vers celle à qui il donne la main; c’est celui-là surtout qui donne à admirer son élégance et sa légèreté; il accompagne la musique en poussant des cris en cadence; il gesticule et s’agite , et fait de certains entrechats qui me paraissent du dernier fin. Chaque garçon , à son tour , devient le chef des autres, et lorsqu’il à terminé, il. se repose volontiers, ce n’est pas sans grand besoin, et quitte la danse quelques instants. Sa compagne, au contraire, est infatigable ; elle va prendre ia main des dernières danseuses et se met à leur suite. 

Ce qui frappe au premier regard , c’est la légèreté et l’aisance du danseur. Mme de Sévigné parle quelque part des passe-pieds bretons si joliment dansés par M. de Loc-Maria. Je ne sais si les paysans de la vallée d’Ossau dansent des passe- pieds béarnais , mais ils exécutent bien joliment des pas assez compliqués et non dépourvus de grâce. Leur costume ajoute encore à leur bon air. On sait comment il se compose : des guêtres de laine blanche tricotée qui rejoignent aux genoux la culotte courte de velours noir , le gilet de laine blanche , la veste écarlate , le plus souvent jetée sur l’épaule et mise bas pour la danse, les larges manches de ia chemise fermées aux poignets , le col étroit dessinant le gosier et n’atteignant pas les joues , enfin le berret brun du pays de Béarn , forment un ensemble aussi pittoresque que gracieux. On dirait que tout dans ce riche costume a été calculé avec un raffinement de coquetterie savante pour faire valoir les avantages de ceux qui le portent: leur taille souple, leur jarret fin et musculeux, leur vigueur et leur agilité. De grands cheveux, pendant par derrière, tombent sur les épaules, tandis que ia tête , rasée au sommet et sur les tempes, laisse à découvert un front intelligent , un visage ouvert , noble et animé d’une fine gaité. Est-ce l'habitude de la montagne , des dangers et des fatigues qu’elle entraîne qui donne au paysan de la vallée d’Ossau cet air ouvert et poli? N’est-ce pas plutôt la pratique de la vie chrétienne depuis de longues générations et l’usage des sacrements qui, en maintenant dans ce peuple les qualités du cœur, lui conservent aussi cette élégance et cette noblesse extérieures ? 

A mesure que les étrangers arrivaient, les garçons offraient aux dames des petits bouquets de (leurs de montagne , et ils le faisaient avec une bonne grâce, une politesse, un air respectueux et aisé qu’on ne trouve pas aujourd’hui dans tous les salons de Paris. La veille déjà, au petit village d’Aas, qui faisait sa fête , j’avais remarqué cet usage et la bonne grâce avec laquelle il était rempli....

Tandis que les filles et les garçons dansaient et sautaient , les anciens formaient des groupes , causaient et regardaient les rondes. Leur costume , à peu près pareil à celui des jeunes gens, en diffère seulement par les couleurs sombres qu’il affecte de préférence : la veste aussi , au lieu de s’arrêter à la taille , descend à grand pans et couvre les hanches. Les femmes qui ne prennent pas part aux danses sont groupées autour des maisons, debout ou assises sur le seuil. Tout cela cause , rit et s’agite. Les enfants circulent partout , s'accrochent partout, aux jambes de ceux qui causent, aux robes de celles qui sont assises ; ils traversent les rondes, coiffés pour la plupart de petits bonnets aux couleurs éclatantes et ornés d’une houpe de laine vers l’oreille droite. Mais au milieu de ce bruit et de ce mouvement règne une sorte de calme que les fêtes populaires du Nord ne connaissent pas. Point d’ivrognes, point de cabarets , aucun bruit de verres ni depots, pas même de cris discordants. Partout la gaîté, la décence et la gravité! N’esl-ce pas déjà un beau spectacle, bien rare aujourd’hui dans notre France? Et que pouvez-vous imaginer ici- bas de plus beau et de plus aimable que la créature humaine joyeuse et épanouie dans toute sa noblesse et sa simplicité? 

Mais je n’ai pas tout dit. Le clocher de l’cglise apparaissait dans l’angle de la grande place où l’on dansait : un vieux cIocher massif dont je ne sais pas bien l’àge , tout revêtu de cette végétation que les archéologues détestent et qui se marie si bien aux vieux bâtiments. Vers trois heures , ce vieux clocher tout fleuri voulut montrer qu’il n’était pas un bâtiment inutile et mit ses cloches en branle. Les danses cessèrent aussitôt et la foule entra dans l’église pour assister à l'office des vêpres. 

Vous savez bien ce que peut être l’église d’un gros bourg. Celle de Laruns est grande; elle se compose d’une seule et large nef; elle a d’assez belles voûtes. Tout cela parait dater du XVf siècle. Quatre chapelles flanquent la nef et remplissent les bas-côtés. A la porte, un bénitier en marbre blanc marqué du signe de Jésus et orné d’entrelacs; l’intérieur de la cuve présente trois figures dont une sirène tenant un poisson à la main ; et un centaure. Devant l'autel est suspendue une belle lampe en cuivre repoussé et doré, ornée,de têtes en haut relief avec toutes ses chaînes qui m’a paru de loin une fort belle pièce d’orfèvrerie du . XVII» siècle ; peut-être serait-ce un don de Louis , XIII rétablissant l’exercice public du culte ca„ Iholique dans le Béarn ? Je puis d’ailleurs me tromper dans ces appréciations ; j’avais à Laruns autre chose à faire que le métier d’archéologue. N’était- ce pas le jour de l’Assomption? Et toute cette foule qui remplissait l’église y était à l’intention  de louer la bienheureuse Vierge. Je m’en serais voulu de ne pas me mettre à l’unisson et de pensera autre chose. 

L’église était pleine. J’y reconnus les plus intrépides danseuses, encore tout échauffées et qui cependant n’avaient pas grand peine à se recueillir. Les danseurs étaient dans la tribune, car, selon un usage général , la nef est abandonnée aux femmes, tandis. qu’au fond de l’église une large tribune , est réservée aux hommes. Dans la foule, je distingue et je salue la longue cornette blanche recou-verte du capuchon et du manteau noir des Sœurs de Saint-André-de-la-Puye. Si l’église est la maison de tous , si tous les chrétiens s’y trouvent à l’aise, si ces murs bénits nous, disent quelque chose, le costume des Sœurs de Charité a aussi son langage. Ceux qui sont loin du foyer n’y trouvent-ils pas comme un sourire de la famille absente ? Il abrite des cœurs tendres et dévoués , vrais cœurs de mères pour les pauvres, les malades et les enfants. Les bonnes Sœurs, dans l’église de Laruns, étaient, fort occupées à faire placer et presser leurs élèves, dont les bonnets huppés et éclatants se serraient et s’agitaient snr les bancs. L’église semblait en effet trop étroite et les paroissiens avaient grande peine à retrouver leurs places envahies par les étrangers, jaloux de s’unir aux louanges de la Mère de Dieu. 

Faut-il ajouter que ces belles et consolantes vêpres delà Sainte Vierge nous gardaient un petit mécompte. Un orgue-harmonium et des chanteurs et chanteuses s’étaient faufiiés dans l’église; au moment de la bénédiction ils on fait des leurs. Je ne leur en veux pas; l’art musical est un enfant prodigue , il ne faut pas le rebuter. Que deviendrait-il s’il trouvait un accueil sévère au seuil de la maison paternelle; il y a longtemps qu’il en est éloigné; on ne doit pas s’étonner s’il n’en sait plus le langage. Un jour viendra, qui est prochain peut-être, où il demandera lui-même la robe nuptiale, il comprendra alors que toute voix et tout son qui ne prient pas dans l’égfise est une dissonnance. La beauté du timbre et sa finesse, l’agilité et la force des doigts n’y font rien. Tout ce que la science, l'expérience et le don naturel posséderont jamais, pourra toujours être employé aux louanges de Dieu ; mais c’est toujours le cœur qui donne le ton et qui le module et en définitive c’est le cœur qui chante. Il n’v a point d’art musical sans le mouvement da cœur et l’état où est tombée la musique de nos jours le prouve bien. Le cœur, au contraire, sans îes ressources de l’art et laissé à lui-même peut encore se tirer d'affaire et louer Dieu dignement. J’en ai eu la preuve à Laruns et la manière dont toute l’assistance , sans fioriture et sur un mode familier à chacun , a chanté l' Ave maris Stella n’était-elle pas digne de la maison de Dieu , propre à réjouir la piété et à satisfaire l'oreille? 

Après le salut du Saint-Sacrement, on commença la procession. Cette procession est principalement l'objet de la curiosité des visiteurs, et elle mérite en effet d’ètre vue. Les jeunes garçons l’ouvrent, les hommes suivent, le clergé vient ensuite, des flambeaux en main. Derrière le clergé , les jeunes filles habillées de blanc portent une statue de la sainte Vierge : c’est la fête de Marie qu’on célèbre, c’est le vœu de Louis XIII qu’on exécute. Les Sœurs, derrière la statue de la Mère de Dieu , rangent et conduisent leurs enfantg; les femmes viennent en dernier lien. La procession est nombreuse; elle a un grand développement. Les costumes de !a vallée d’Ossan y brillent de tout leur éclat. Je les ai décrits; il faudrait signaler encore le manteau à grand capuchon , de coulenr brune ou grise, orné de houppes de laine de même couleur, vrai manteau de pasteur , propre à défendre de la pluie et des brouillards de la montagne , et qui jeté sur les épaules de ces hommes marchant à pas lents , les bras croisés , tombe à larges plis et ajoute singulièrement à la noblesse de la physionomie humaine. Un grand nombre de femmes supplée au capulet ou le couvre avec une sorte de grande mante en forme de sac , d’une grosse étoffe de laine blanche , descendant jusqu’à leurs pieds; vêtement singulier qui , s’il est sans élégance , n’est pas sans modestie ni sans caractère.

La procession traverse le bourg; elle passe sur la place où les danses avaient lien avant vêpres, où elles vont se reformer tout à l’heure. Elle n’y trouve d'autre foule que celle des étrangers. La population tout entière fait cortège à la statue de la sainte Vierge , et marche derrière le croix. Rien n’est beau comme une procession et rien n’est plus simple. Pourquoi ne peui-on considérer , sans être touché jusqu’aux larmes , ces deux longues files d’hommes marchant gravement derrière une croix et chantant les louanges du Seigneur ? pourquoi ? Ah ! pourquoi ! C’est que la Croix renferme tout ; elle est toute notre espérance et tout notre amour- nous ne vivons que par elle , c’est elle qui nous montre la patrie et qui nous y conduit ! et toutes les fibres d’une âme chrétienne tressaillent et s’émeuvent aux hommages qu’on lui rend. Au milieu d’une réjouissance populaire, ces hommages acquièrent quelque chose de plus pénétrant encore. A Laruns , les costumes sont beaux, éclatants , riches , singuliers ; les danseurs sont agiles, polis et aimables; le vrai charme de la fête , son prix et son éloquence , c’est l’apparition de la croix portée en triomphe sur le champ de la fête. C’est elle , en effet, elle seule qui répand partout cette gaîté discrète et tous ces,agréments qu’on ressent et qu’on ne sait définir. La procession explique tout et couronne tout merveilleusement. C’est l’esprit de l’Eglise de dilater et d’épanouir les cœurs ; elle ne répugne pas à s’unir aux divertissement populaires; elle leur donne la saveur et l’honnêteté. N’est-elle pas la mère de la piété comme ta source de la joie ? Léon Aubineau. "

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PS : A noter que le bénitier existe toujours dans l'église rénovée à Laruns. A l'entrée de l'église le centaure est décrit comme un sagittaire...

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