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Les sacrifices d'enfants par les Cathares

11 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

Il n'est pas rare que de nos jours que l'on accuse les grands banquiers, des archevêques ou les hommes politiques de pratiquer en secret des sacrifices d'enfants (voyez mon livre sur le complotisme protestant ou encore les conférences et interviews de mon ancienne camarade de promo Hélène Pelosse).

Les hérétiques jadis étaient couramment accusés de ces pratiques, depuis au moins Irénée de Lyon. Ce fut notamment le cas des cathares de Mayence (cf Laurence Moulinier https://www.academia.edu/7201119/Le_chat_des_cathares_de_Mayence). Cela rejoint les accusations faites aux Juifs (cf l'affaire de Metz ici), une point qui n'est pas forcément très étonnant dans la mesure où une certaine littérature chrétienne rattachait les hérésies aux "manoeuvres" des Juifs (voyez le thème "du juif manès" à l'origine du manichéisme, or l'on reliait souvent les hérésies, notamment le catharisme, au manichéisme).

Un manuscrit rédigé vers 1169 par une nonne du monastère de Ste Hildegarde à Rupertsberg (selon les rationalistes) qui se présente comme un interrogatoire de démon dans un exorcisme (de la possédée Sigewize)  accuse les cathares de Mayence (dont certains ont été brûlés dès 1143, Hildegarde elle-même prêcha contre l'hérésie à Cologne en 1163, Régine Pernoud dans sa biographie de la sainte cite des extraits de son sermon) d'avoir utilisé les cendres d’enfants nés de leurs orgies pour fabriquer une poudre diabolique.

Paul de Saint-Père de Chartres, le premier, avait soutenu que les hérétiques brûlés à Orléans en 1022 l'avaient fait , Adémar de Chabannes reprit l’accusation (Ademari Cabannensis, Chronicon, éd. P. Bourgain,Turnhout, 1999), et, au début du XIIe siècle, Guibert de Nogent prêta le même comportement aux disciples de Clément et Evrard de Bucy près de Soissons (Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. et trad. E .-R. Labande, Paris, 1981, p. 431 : « les gens [...] se passent l’enfant de main en main, puis le jettent dans les flammes où il va se consumer ; lorsqu’il se trouve réduit en cendres, ils fabriquent avec ces cendres un pain dont un morceau est distribué à chacun » - voir R. Moore, La Persécution….).

L'accusation est-elle fondée ?

D'un point de vue strictement théologique l'accusation de crime rituel contre les enfants peut se fonder sur l'insistance mise par Jésus dans l'Evangile à condamner le mal que font certains aux "tous petits" (cf Matthieu 18:6). On peut supposer que les forces des Ténèbres tirent une énergie particulière à profaner ce qui est innocent et ce que Dieu entend protéger le plus, indépendamment même de la thématique de l'adrénochrome très présente dans les débats actuels (mais il semble que ce soit assez récents).

Cependant quelques difficultés apparaissent quand on songe que, dans le document de la moniale de Rupertsberg, elle s'accompagne d'autres accusations comme celle de baiser illicite avec un chat de la taille d'un chien, accusation qui avait été aussi été portée contre d'autres hérétiques antérieurement. L'accusation d'infanticide est-elle sur le même plan que celle concernant le rapports aux chats ou d'autres accusations anecdotiques ? Si oui le chrétien doit-il valider tout le "package" comme on dirait aujourd'hui ?

Un problème plus important encore tient au fait que l'accusation est formulée par un démon que les clercs interrogent dans le cadre d'un exorcisme, un genre très répandu au Moyen-Age et jusqu'au XVIIe siècle (voyez l'histoire de l'exorcisme à la Sainte-Baume). Aujourd'hui encore des exorcistes citent des choses que les démons leur ont dites à travers les possédés, et l'on peut même trouver sur YouTube des vidéos de démons parlant par la bouche de possédés soumis à interrogatoire). Beaucoup de clercs doutent de la légitimité de cet exercice puisque les démons sont censés ne pas dire la vérité. En outre le possédé peut mêler aux propos de l'entité des considérations humaines propres à sa nature.

A supposer même que ce soit une entité qui parle par la bouche de Sigewize se peut-il qu'elle se contente de propager une rumeur déjà lancée par des religieux d'Orléans et de Bucy ? Ou se peut-il que Sigewize ait un peu "capté" un égrégore (ou un champ morphogénétique) religieux dont elle a repris plus ou moins consciemment le contenu pendant la séance d'exorcisme ?

Ou bien le récit de l'exorcisme est-il tout simplement déformé, son auteur y ayant introduit des éléments empruntés à une littérature antérieure à des fins d'édification ou d'endoctrinement (ce serait en quelque sorte un "pieux mensonge"), mais alors se pose la question de la compétence de l'auteur. Si, comme l'avance Laurence Molinier, dans le cas du couvent de Rupertsberg, il s'agit d'une simple moniale, comment a-t-elle pu connaître les accusations d'Orléans et de Bucy (entre autres). Est-ce quelque chose qui "se savait", qui flottait dans les conversations de monastères ? ou bien s'agit-il d'une écriture collective mobilisant des clercs savants ?

Evidemment si l'accusation est fondée, les cathares deviennent moins sympathiques au yeux du public actuel que ce que les littératures protestante et laïque en ont fait. La plupart des écrivains catholiques des deux derniers siècles (par exemple Hilaire Belloc) n'insistent pas sur les sacrifices d'enfants chez les Cathares. Ils se contentent de dire qu'ils prohibaient le mariage et la procréation, ce qui, en soi, suffisait à conduire la société au suicide collectif. C'était un chef d'accusation plus solide en effet puisque les inquisiteurs épargnaient ceux qu'ils accusaient d'hérésie dès lors qu'ils acceptaient de se marier et de fonder une famille.

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