Amour-passion soufi et accès à Dieu par l'immanence
24 Décembre 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Spiritualités de l'amour, #Sainte-Baume, #Christianisme
Une excellente conférence de Michael Barry, professeur à Princeton, spécialiste de très haut vol de la miniature persane. J'attire notamment votre attention sur ce conte étonnant extrait de la Conférence des Oiseaux (Barry l'appelle le Cantique des Oiseaux - le titre renvoie au langage des oiseaux du Coran transposé peut être dans l’ésotérisme où l'expression existe aussi, c'est une sourate qui parle de Salomon, auteur du Cantique des Cantiques) écrit en 1177 par le sage soufi iranien Farid al-Din Attar, le parfumeur.
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Barry le commente à partir d'une illustration d'Herat (Afghanistan) de 1527 par un cheikh soufi employé par la dynastie chiite séfévide qui venait de s'emparer de la ville qui illustra la version turque. Le conte raconte qu'un cheikh sunnite de La Mecque très légaliste, célèbre pour son rigorisme, reçoit de Dieu le message qu'il n'a rien compris. Le Créateur lui donne l'ordre de se mettre en route pour Constantinople. Là-bas il aperçoit une très belle princesse chrétienne dont il tombe follement amoureux. Celle-ci va tester son amour jusqu'à lui imposer de se faire chrétien et de garder ses porcs.
Dans la miniature de 1527 qu'il examine le spécialiste identifie un arbre automnal qui indique l'approche de la perfection. Le cerisier en fleur, c'est la beauté de la princesse. Une illustration ouzbèke sunnite de 1553 qui coûtait une fortune (peinte avec de la poudre de pierre précieuse) montre la pâmoison mystique du cheikh et la niche de lumière dans laquelle la princesse apparaît comme dans la maison de prière. Dans une version peinte à Ispahan dans les années 1600 (art sacré offert à la mosquée d'Ardabil), la princesse est vêtue de rouge (celle pour laquelle le coeur doit saigner, l'homme doit s'humilier comme Lancelot et St François d'Assise).
A la fin la princesse meurt sur les genoux de son amant, et lui, redevient musulman et rentre à la Mecque ayant enfin compris le mystère divin.
Je précise que cette conférence ne m'intéresse pas au titre de la "culture générale" ou de l'anthropologie, de l'esthétique, pour admirer la "beauté d'une civilisation", mais du point de vue de ma recherche spirituelle, c'est-à-dire de tout ce qui engage la transformation de l'âme, son élévation, et le salut de l'humanité.
Barry dans sa conférence (qui fait très vaguement écho à mes souvenirs de jeunesse du fameux livre de Denis de Rougemont) explique non seulement que la spiritualité soufie autour de l'amour-passion a enfanté aussi bien les cours d'amour des chevalier courtois chrétiens que Dante, Pétrarque, et Saint François d'Assise, mais surtout que cette approche de l'amour de la femme par l'homme (et de l'homme par la femme) est réellement perçue comme une voie de sanctification très élevée. C'est le chemin par lequel le cheikh du conte va comprendre la dimension immanente de Dieu qui apparaît dans le visage de la princesse chrétienne, qui lui est donnée par ce visage.
On se souvient que Simone Weil disait qu'en spiritualité il faut tenir ensemble immanence et transcendance. Dans mon livre sur Lacordaire j'avais rappelé l'effort du XIXe siècle pour repenser un accès à Dieu à travers l'amour de la femme par Marie-Madeleine. Je ne suis pas du tout sûr que cette voie puisse être licite, parce qu'elle est une voie de l'anéantissement de l'individu dans le Tout propre au soufisme (on retrouve l'antéprédication du mana que j'évoquais récemment) qui n'est pas orthodoxe sous les cieux chrétiens (du moins est-ce ainsi que je comprends les choses, sous réserve de nuances que je suis prêt à entendre si quelqu'un m'en propose). En même temps, à défaut d'anéantissement, on ne peut pas nier que dans le christianisme il faut du dépouillement, et il faut peut-être réellement interroger le dépouillement qui se vit dans la passion avant de la révoquer comme forme d'idolâtrie et de perversion morbide et fétichiste.
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