L'ancien ouvroir de Jurançon
14 Juillet 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #down.under
L'ancien ouvroir Saint Ange de Jurançon (64), propriété du diocèse de Bayonne, désaffecté depuis très longtemps, est en travaux.
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L'occasion pour moi ce matin d'interviewer une ancienne couturière jurançonnaise (née en 1934) qui y a fait son apprentissage (au premier étage du bâtiment qu'on voit à gauche sur la photo). Elle évoque ainsi ses souvenirs de sa formation en 1949 :
"Après mon certificat d'études j'aurais aimé poursuivre des études pour devenir pharmacienne, ou même devenir comédienne à Pars - j'adorais le théâtre et ma mère était bien partie à la capitale avec son premier mari dans les années 1920. Mais celle-ci était toujours malade, et comme mes trois frères étaient destinés à partir, elle avait besoin de moi près d'elle. Elle m'a donc inscrite en apprentissage comme couturière chez les bonnes soeurs. Ce n'était pas facile pour moi de m'y adapter car je venais de l'école publique.
Il y avait là six religieuses. Elles n'étaient pas de la région. On se moquait d'elles parce qu'elles parlaient pointu. La maison mère de leur congrégation était à Tours.
Elles étaient six religieuses. La mère supérieure, soeur Suzanne, soeur Johanna qui nous apprenait la couture ; soeur Félix qui allait soigner les gens : elle prenait le solex avec ses seringues pour aller soigner ma mère (son moyen de transport était très moderne) ; soeur Henri-Joseph qui enseignait à l'école des soeurs (école Notre Dame) adjacente ; soeur Bernadette qui faisait la cuisine. Toutes étaient trentenaires, sauf l'infirmière soeur Félix qui devait avoir 55 ans
Comme j'étais très bonne ouvrière, j'étais souvent chargée de superviser le travail des autres. Elles ne s'en sortaient pas toujours très bien. Parfois elles faisaient un faux mouvement avec la pédale et cassaient l'aiguille.
J'avais mauvais caractère et cela provoquait des tensions avec soeur Johanna, qui était pourtant d'un naturel assez timide, et d'une complexion physique fragile (elle était asthmatique). Elle devenait toute rouge quand je lui tenais tête. Un jour elle m'a envoyé chez la mère supérieure. Mais quand la mère supérieure m'a reçue, elle m'a seulement dit de ne pas m'inquiéter, de continuer à travailler comme ça, que Soeur Johanna était fragile.
Soeur Johanna avant d'être religieuse avait travaillé dans un atelier de grand couturier à Paris. Les six soeurs ne s'entendaient pas bien entre elles, elles se disputaient beaucoup.
J'ai effectué un pèlerinage à Lourdes avec elles une fois. On avait trempé nos pieds dans la piscine, puis on avait fait de la barque sur le lac de Lourdes. Les soeurs avaient peur de mouiller leurs cornettes et devaient relever leur tenue qui tombait jusqu'aux pieds".
Je trouve que ce témoignage révèle un peu les contradictions que provoquent l'ouverture au monde de femmes qui s'étaient en premier lieu consacrées à Dieu (la gestion des ouvrières, venues du monde laïque et même laïcard, les règles de décence quand elles prennent la baque avec des tenues qui n'étaient évidemment pas adaptées au tourisme).
Sur la vie quotidienne mon informatrice précise : "Nous étions une dizaine d'apprenties, dont sept jurançonnaises. Une venait d'Uzos, deux de Rontignon. La plupart avaient été instruites à l'école publique. Néanmoins on devait suivre les rituels religieux. Le matin on offrait la journée à Dieu, à midi on récitait l'angelus, l'après midi une partie des complies et des vêpres. Ca me pesait. On allait aussi à la messe à la chapelle qui était à l'endroit où les soeurs logeaient. C'était un véritable atelier et très renommé. Des gens de Pau et de la région venaient faire faire des robes sur mesure. Ils apportaient le tissu. Soeur Johanna se faisait payer la façon. J'y ai ainsi confectionné la robe de mariage de la femme de mon frère ainé".
La Société Ouvroir Saint Ange existe encore avec une numéro de SIREN et est signalée comme ayant été fondée le 1er janvier 1900. L'école Notre-Dame à l'asile Saint-Ange a célébré sa dernière fête le 15 juin 1991. Au fond il y avait là une sorte de complexe de bienfaisance. Le Patriote des Pyrénées du 8 août 1906 y signalait une attribution de primes en ces termes :
"Dimanche, a eu lieu à Jurançon, à l’asile Saint-Ange, la première distribution des primes de la Caisse dotale fondée l’année dernière sous l’initiative de M. le Curé. Il n’est peut-être pas inutile de dire deux mots de cette intéressante œuvre, fondée sur le modèle de celle qu’a organisée A Pithiviers l’abbé Le Sècheroux, bien connu des catholiques qui s’occupent d’action sociale. Elle a pour but de développer et de récompenser chez les jeunes filles le goût de l’économie : les jeunes filles sont encouragées à faire des économies et à les verser à la Caisse : celle-ci les leur place d’abord en livrets de caisse d’épargne, puis, au bout de l’exercice annuel, elle leur attribue une prime proportionnelle à leurs versements et constituée par des cotisations de membres fondateurs, bienfaiteurs et honoraires.
M. le curé de Jurançon, désireux de ne pas moins stimuler la pratique des devoirs religieux que les habitudes de prévoyance matérielle, a institué, parallèlement A cette prime, une prime d’assiduité au cathéchisme de persévérance. L’accumulation de ces primes, que l’on replace aussi au fur et à mesure et qui portent à leur tour intérêt, fournit aux titulaires le moyen de se préparer une petite dot, dont elles auront la satisfaction de toucher le montant au moment de leur mariage qui leur permettra d’entrer en ménage dans des conditions bien plus favorables que si elles ne s’étalent pas appliquées à songer à l'avenir et à épargner.
Ainsi s'accroîtra A Jurançon le nombre des foyers où l'aisance rend plus facile à la famille la pratique des vertus chrétiennes, dont elle est en même temps comme une première récompense. L'œuvre, établie à la fin du mois de novembre dernier, a parfaitement réussi. Si jeune encore, elle compte déjà 64 membres participantes, et le chiffre des économies réalisées en ce court laps de temps 549 fr., est tout-à-fait encourageant ; celui des primes accordées, grâce à l’abondance relative des ressources assurées à la caisse cette première année ne l’est pas moins : 440 fr. et la lecture détaillée de ce palmarès d’un nouveau genre faisait hier, à ce double point de vue, vraiment plaisir à entendre.
Cette lecture avait été précédée par celle d'un rapport, rédigé par la dévouée secrétaire de l’œuvre, Mme Bergeron, qui expliquait à merveille le mécanisme de la Caisse dotale et ses avantages matériels et moraux et indiquait très clairement les résultats d'ensemble obtenus pendant ses huit premiers mois d’existence , , Avant, entre et après ces deux lectures, on a entendu plus d’une demi-douzaine de chansons, chansonnettes, monologues et saynettes , dont le nombreux auditoire a paru enchanté."
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