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Polyeucte de Corneille

8 Juin 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Je lis dans le Panthéon populaire illustré de 1851 sous la plume d'Emile de la Bédollière :

"C'est dans l'immense collection de légendes recueillies en six volumes in-folio, par Laurent Surius, chartreux de Lubeck, que se trouve l'histoire de saint Polyeucte. Ce martyr, converti par son ami Néarque, périt le 9 janvier 260, sous l'empire de Décius. Félix, son beau-père, gouverneur d'Arménie, après avoir inutilement tenté de le ramener au paganisme, le condamna à la décapitation.

Corneille, avant de livrer sa pièce au théâtre, la lut chez madame de Rambouillet, où se rassemblaient tous les beaux esprits contemporains. La tragédie fut déclarée, à l'unanimité, indigne de l'auteur, et Voiture fut député auprès de lui pour l'engager à la garder en portefeuille. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne étaient du même avis. L'un d'eux, auquel on avait remis la pièce manuscrite, la jeta sur le baldaquin de son lit, où elle fut oubliée ; un domestique qui nettoyait l'appartement la retrouva par hasard au bout de dix-huit mois. Malgré ces condamnations anticipées, Polyeucte, représenté en 1640, excita une vive admiration. « L'extrême beauté du rôle de Sévère, a dit Voltaire, la situation piquante de Pauline, sa scène admirable avec Sévère an quatrième acte , assurent à cette pièce un succès éternel. Non-seulement elle enseigne la vertu la plus pure, mais la dévotion et la perfection du christianisme. Dacier, dans ses remarques sur la Poétique d'Aristote, prétend que Polyeucte n'est pas propre au théâtre, parce que le personnage n'excite ni la pitié . ni la crainte. il attribue tout le succès à Sévère et à Pauline. Cette opinion est assez générale, mais il faut avouer aussi qu'il y a de très beaux traits dans le rôle de Polyeucte, et qu'il a fallu un très-grand génie pour manier un sujet si difficile. »

Polyeucte contribua puissamment à concilier aux plaisirs des spectacles bon nombre de personnes qu'en éloignaient des scrupules religieux. On peut aussi présumer que cette tragédie fut une des causes déterminantes de l'édit de Louis XIII du 16 avril 1641, qui amnistiait les comédiens, si peu considérés jusqu'alors. On y lisait : « En cas que lesdits comédiens règlent tellement les actions du théâtre, qu'elles soient du tout exemptes d'impuretés, nous voulons que leur exercice, qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. »"

Ce n'est en réalité pas par cet article que j'ai connu Polyeucte, mais par la biographie de Péguy par Romain Roland. Charles Péguy, nous apprend Roland, voyait dans cette pièce le sommet de la littérature française. Et tous les auteurs chrétiens du XIXe siècle de Chateaubriand à Veuillot lui ont tiré leur révérence. C'est à travers leurs yeux qu'il faut aborder cette pièce, et non ceux de tous les athées de Voltaire à Clemenceau qui l'ont toujours détestée parce que justement il n'y était question que de l'amour de Dieu à placer au dessus de tous les sentiments humains (raison pour laquelle l'école républicaine n'enseigne pas cette pièce à ses enfants).

Les amateurs de curiosités pourront aussi lire avec intérêt le compte rendu d'une représentation de la pièce par une troupe de la Comédie française... à Cauterêts, en Bigorre en 1906. L'auteur, l'abbé Alexis Crosnier, directeur de la Revue des Facultés Catholiques de l'Ouest, voit dans Polyeucte l'incarnation du surhomme chrétien (Crosnier écrivait à une époque où ce thème à la suite de Nieztzsche et de d'Annunzio était très à la mode). Le prêtre décrit le jeu des acteurs, mais aussi le public, qui va des grands bourgeois snobs aux instituteurs et aux commerçants. Le tableau des réactions du marchand devant la pièce en p. 18 est digne de La Distinction de Bourdieu.

Une petite parenthèse : moi qui dans mon livre sur Lacordaire vous ai rappelé quels émois au XIXe siècle suscitait Ste Marie Madeleine, la femme "à qui il a été beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé" (Luc 7:47), je ne puis résister au plaisir de reproduire ici cette tirade de Veuillot que cite Crosnier à propos de la France : "La France est la nation qui a le plus aimé ; et, à cause de cet ancien amour demeuré au fond de ses veines, elle est celle qui versera son parfum sur les pieds du Sauveur". La France en Marie-Madeleine, voilà qui a de l'allure, et dans le camp socialiste Leroux qui voyait dans son peuple le troupeau le plus religieux du monde, aurait sans aucun doute souscrit à ce propos.

Il faut lire et relire cet aspect religieux et spirituel de notre littérature (même si, à mon avis, le christianisme littéraire est un genre toujours souillé par l'orgueil et l'humanisme - la confiances aux facultés humaines - , et c'est donc toujours d'un niveau spirituel inférieur à celui des ascètes qui ont su garder humblement le silence). On ne comprend rien à Louis XIII, à Corneille, à ce que fut notre pays, à ce qu'il redeviendra peut-être, d'une autre manière mais dans le prolongement de ce passé-là, un jour, si l'on ne revient pas au christianisme.

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