Un roi khmer qui finit par préférer Vishnu à Shiva
20 Juin 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme, #Histoire des idées
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Contrairement à ce que laissent entendre le New Age, et diverses autres formes de "néo-orientalisme" contemporaines, l'hindouïsme n'est pas forcément une religion aussi "inclusive" qu'il y paraît, et elle a même connu des luttes intestines virulentes dont témoigne par exemple l'histoire du Cambodge.
Dans un article de 2021 rendant compte de leur travail Dominic Goodall et Chhunteng Hun sur une stèle découverte en 2019 dans le nord-ouest de ce pays, en présentent le contenu qui se réfère au règne de Jayaverman III, un roi khmer du IXe siècle qui après avoir évincé de le bouddhisme de son royaume pour le devenir adepte Shiva/Śiva, se convertit au culte de Vishnu/Viṣṇu après que son chapelain shivaïte Kulacandra ait vu sa langue éclater et soit mort sur le champ dans un débat dans un temple de cette divinité (après sa mort on l'appela Viṣṇuloka).
Il y avait déjà dans le corpus théologique un support à la rivalité entre les deux divinités. Selon un ancien mythe, Viṣṇu a pris la forme de Narasiṁha pour débarrasser le monde du redoutable démon Hiraṇyakaśipu, que personne d'autre ne pouvait vaincre. Mais les récits Śaiva de ce mythe le modifient pour glorifier Śiva à la place. Car ils ajoutent que Narasiṁha s'est ensuite déchaîné, et Śiva prit la forme d'un oiseau doré avec un corps de lion à quatre pattes tournées vers le bas et quatre vers le haut. D'autres mythes autour de divinités subalternes de l'un et l'autre dieu vont aussi dans le sens d'une compétition entre les deux cultes.
A Chidambaram (Tamil Nadu), au XIIe siècle le roi Vikrama Chola (1118-1135) fit jeter à la mer la statue de Vishnu. La façon dont sont représentés les trônes des divinités - par exemple en représentant un avatar de Vishnu au pied d'un trône de Shiva, révèle aussi cette rivalité, rivalité qu'à l'inverse en certains lieux ou certaines époques on chercha à pacifier - par exemple en sculptant une statue dont la moitié droite représente Shiva et la gauche Vishnu, ou par le culte de Harihara.
La stèle de 85 com de haut examinée par Dominic Goodall et Chhunteng Hun est légèrement postérieure à 877. Elle raconte l'histoire de l'infortuné chapelain Kulacandra terrassé par Vishnu
La face B de la stèle raconte aussi une étrange histoire. Le roi maria deux filles de sa soeur, Vaiṣṇavī et Nārāyaṇī, à deux brahmanes appelés Keśava et Atharvaveda. A ces deux hommes, installés à Kusumāstrapura, il confia le culte de la statue de Viṣṇu. Un jour, l'épouse du roi était entrée dans dans le temple de Viṣṇu alors qu'elle avait ses règles. Du sang coula alors de ses seins, elle maigrit affreusement. Le roi la voua alors au dieu avec en plus des dotations spécifiques au temple, puis, quand la colère de Vishnu fut apaisée, il la maria à un prêtre de cette divinité.
A propos des menstruations dans la religion hindouïste, les commentateurs expliquent que "étant rituellement impure à cause de ses règles, la reine aurait bien sûr dû éviter d'entrer dans le temple. L'impureté causée par les menstruations est un sujet important dans le courant dominant Dharmaśāstra, mais il est peut-être moins facile de trouver des prescriptions sur son rapport avec les pratiques de dévotion théiste. Un texte qui parle de ce sujet, mais dans un contexte Śaiva, est le Prāyaścittasamuccaya, un recueil d'injonctions relatives aux rites d'expiation et de réparation compilé par l'écrivain sud-indien du XIIe siècle Trilocanaśiva. Parmi ses nombreuses autres restrictions imposées aux femmes menstruées, le texte précise qu'une femme ne peut accomplir qu'un culte mental (et non un culte externe) tant qu'elle est impure (versets 531-536), et son impureté est considérée comme ayant un puissant pouvoir polluant."
Cela m'a fait penser à une anecdote ancienne d'un Grec qui avait eu une flatulence dans un temple d'Artémis et avait été pour cela durement puni par la déesse.
Voilà en tout cas l'histoire d'un roi qui avait dû arbitrer entre deux tendances de l'hindouïsme, et qui avait été si marqué par les événements surnaturels qui l'attachaient à Vishnu qu'il avait jugé utile de les graver dans une stèle... Pourquoi Vishnu dut-il prendre l'ascendant sur Shiva dans son royaume au IXe siècle ? Qu'est ce que cela impliqua pour les habitants et pour l'équilibre du monde asiatique à ce moment-là ? L'article ne le dit pas, et ne peut sans doute pas le déduire de la stèle...
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