Jeanne de la Noue (1666-1736)
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Dans ce témoignage de Jacqueline Aubry (née en 1935), voyante de l'Ile-Bouchard (du 8 au 12 décembre 1947), recueilli en 1995, apparition liée au salut de la France montre (vers la 50ème minute) que cette apparition est liée à Jeanne de la Noue. On peut penser ce que l'on veut du témoignage de Mme Aubry. Il a l'inconvénient de réciter un texte appris par coeur, ce qui par moment peut sembler un peu inauthentique - voir à la minute 1h01, quand elle se trompe sur son texte puis se rattrape (mais il y a d'autres récits sur Youtube, par exemple ici). Et il y a des aspects un peu bizarres des propos de l'apparition (mais c'est le cas pour toutes les mariophanies) : pour des paroles censées être dites par un être céleste : elle répète qu'elle n'est pas là pour réaliser des miracles mais pour appeler à prier pour la France, puis les réalise quand même, et sur le second miracle semble hésiter ("si je ne la guéris pas demain, je la guérirai ailleurs"), le geste de baiser les mains des enfants, la main de la Sainte Vierge qui paraît humaine etc. Toutefois, ce récit donne l'occasion de s'intéresser à Jeanne de la Noue.
Un aumônier de l'hospice de la Providence de l'ancienne ville protestante de Saumur (Sarthe), en 1845, a publié une biographie de ce personnage.
Née en 1666, douzième et dernier enfant d'un marchand de Saumur, elle commença sa vie, à l'âge d'un an en échappant aux conséquences de la chute d'un cuvier plein de lessive tombé sur elle. Très tôt émerveillée de la majesté de Dieu et soucieuse de ne pas lui déplaire, et convaincue d'être pécheresse, elle s'inflige des mortifications dès l'enfance et se confesse une à deux fois par jour, passait beaucoup de temps à l'église, priait beaucoup. Première de sa classe à l'école, elle est aimable envers ses camarades mais a tendance à tirer de la fierté de son intelligence et réprimanda même sa mère. Consciente de ce défaut, elle s'efforça de le combattre. Les démons sexuels la travaillèrent aussi, notamment au moment de la communion. Enfermée dans un recoin de la maison paternelle, nous dit son biographe, elle luttait, en sanglots, les bras en croix, suppliant Dieu de la délivrer. Elle finit par comprendre que ces tentations entraient dans le plan divin, et elle commença, à vingt ans, à les combattre par le jeûne. Elle allait même être tentée de changer de confesseur parmi les oratoriens qui tentaient d'atténuer son excès de zèle en la matière.
Elle avait perdu son père en bas âge, puis sa mère à 24 ans, en 1690, elle poursuivit alors le commerce de de ses parents, ce qui endurcit son coeur et la détourna de a charité. En 1693, la flambée du prix du pain conduit les autorités à fixer un montant d'aumône obligatoire pour les nombreux indigents.
Jeanne de la Noue reste hantée par la peur de déplaire à Dieu, mais loin de compenser cette peur par l'aide aux pauvres, elle l'oriente uniquement vers la dévotion. Ayant entendu en chaire le père Genneteau, recteur des religieuses de l'Hôtel-Dieu insister sur le fait qu'aucune considération humaine ne doit influencer le choix du confesseur, Jeanne y voit un message pour elle, et choisit ce prêtre comme directeur de conscience. Le prêtre tout d'abord refusa de la confesser car il ne voulait sous sa direction que des âmes exigeantes. Puis, il accepta à condition qu'elle ne vendît aucune marchandise les dimanches et jours de fêtes. Elle accepta. En échange le prêtre la confessa et l'autorisa à jeûner trois jours. Elle commença alors à perdre ses angoisses, ainsi que son attachement aux biens terrestres.
La veille de l'Epiphanie 1693, à 27 ans, Jeanne héberge une pieuse veuve de Rennes dévouée aux pauvres, Françoise Souchet, qui recevait des offrandes de riches redonnait tout et vivait dans le dénuement, dans une chambre sans meubles. Habituée des pèlerinages à Ste Anne d'Auray, et Notre Dame de Redon, elle vient à Saumur pour celui de Notre dame des Ardilliers, sanctuaire construit en souvenir d'un miracle survenu autour d'une piétà en pierre. Françoise Souchet se rendra à Saumur pendant dix ans. A Pentecôte elle revient. Jeanne de la Noue, préférant héberger des pèlerins riches, refuse de loger Françoise Souchet. Celle-ci insiste en vain.
Toute la nuit Françoise hébergée dans le voisinage se sent poussée à retourner voir Jeanne de la Noue. Au petit matin celle-ci est à la messe. Françoise fut accueillie par la nièce de celle-ci qui aidait au ménage. Elle le lui dit qu'elle ne comprend pas elle-même pourquoi elle est poussée à revenir chez cette personne qui a refusé de l'héberger. A son retour de la messe la nièce pleine de de méfiance en parle à Jeanne .
Macé, le biographe, raconte l'échange ainsi : « "Il paraît, ma tante, lui dit sa nièce, que « cette bonne femme est une sorcière ; car elle dit choses qu'elle n'entend pas elle - même. — Ce n'est pas à dire que ce soit une sorcière, reprit Jeanne : c'est sans doute quelque diseuse de bonne aventure; je m'en vais bien l'envoyer faire ses contes à d'autres." Elle va trouver Françoise : Bonne femme, lui dit-elle, qu'est ce donc que vous dites, que vous-même vous ne comprenez pas? — Je ne sais, répondit la pauvre veuve, si ce n'est point le démon qui me dit toutes les belles choses dont j'ai l'esprit rempli." Jeanne, par un mouvement de curiosité, l'invite à parler; mais bientôt les paroles qui sortent de la bouche d'une femme si simple, captivent son attention, la frappent d'étonnement. Françoise parle de détachement et d'aumône ; Jeanne sent le feu de la charité embraser son coeur, y consumer, jusqu'aux dernières racines, tout attachement aux biens de la terre. Dès ce moment, la bonne veuve est à ses yeux un ange que le Seigneur lui envoie ».
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Très frappée par ces propos, Jeanne pendant deux jours se tient à prière et demande à Dieu ce qu'elle doit faire. Puis elle franchit le pas de la charité. Elle donne sa chemise à une femme qui n'était pas spécialement dans l'indigence, et ce geste de détachement est le premier pas, qui ensuite la conduit à aller soulager des enfants à Saint Florent, dans une maison de pauvres située à 4 km de chez elle. Elle y trouve six enfants en haillons qui dorment à même le sol, près de leurs parents, nettoie elle-même leurs vêtements à la rivière. Elle n'était pas habituée à ces tâches ménagères, mais la parole de François Souchet "Ayez bien soin des pauvres, un jour vous en serez appelée la mère", suffisait à la porter.
Le lendemain, fête du Saint-Sacrement (deuxième dimanche après la Pentecôte), la pieuse veuve bretonne retourne à Rennes. Elle tombe dans un état particulier : trois jours sans manger. Elle a des visions; Elle entend une voix qui lui dit : « venez avec moi, que je vous conduise à la reine du ciel. Je lui ai déjà présenté un grand nombre de filles, elle n'a voulu en accepter aucune, je n'ai plus que vous à lui présenter.» Elle fut aussitôt conduite à la sainte Vierge qui vint au devant d'elle et l'embrassa en lui disant : « Voilà enfin, voilà celle que je fais chercher depuis longtemps. »
« Dans une autre vision, raconte son biographe, Jeanne se vit prosternée, avec son confesseur, aux pieds de Marie, qui leur présentait à chacun un rosaire , en leur promettant la grâce. Jeanne se trouva encore transportée dans une vallée profonde ; devant elle s'étendait une plaine immense entièrement sillonnée ; les ouvertures qui partageaient les sillons, lui laissaient entrevoir l'enfer et les réprouvés. Elle reçut ordre de traverser la plaine, en marchant sur les sillons, et elle obéit malgré la terreur dont elle était saisie. Au sortir de là , elle aperçoit une foule de malheureux qui étaient comme des bêles dans leurs tanières. Pressée d'y entrer pour les secourir, elle implore l'assistance de plusieurs hommes qu'elle rencontre ; ils ne font que se rire de sa prière. Elle se disposait à en aller chercher d'autres, quand tout-à-coup se présentent à ses yeux plusieurs filles qu'elle reconnaît. Elle les conjure de l'aider à sauver ces infortunés qui vont se perdre; mais toutes refusent, et même la plus jeune se moque d'elle : alors Jeanne hors d'elle-même, lui plonge une épée dans le sein et la quitte. »
Toutes les personnes qu'elle vit alors allaient dans la réalité se joindre à Jeanne pour devenir parmi les premières religieuses de l'ordre qu'elle fonda. Seule celle qu'elle perça d'un glaive dans sa vision allait se détourner de cette vocation pour se marier. Le biographe s'interroge sur cette image peu chrétienne de l'assassinat d'une femme, et pense qu'il s'agit d'une métaphore de l'amertume que ressentit ensuite cette femme.
Pendant trois mois, malgré ses trois jeûnes par semaine, elle se rend deux ou trois fois par semaine à Saint Florent, par tous les temps, à pied, avec un panier rempli de vivres et de vêtements.
« Dans l'hiver qui suivit 1693, revenant par un froid extrêmement rigoureux , d'une de ses courses, elle aperçut une masure , entra et vit une femme malade , couchée sur du chaume, couverte seulement de quelques lambeaux. Retenu par un mal de jambe, son mari ne pouvait aller chercher ce dont ils avaient besoin. Ils étaient sans pain et sans bois. Notre charitable fille apparaissait dans ces chaumières comme un ange envoyé du ciel ; jamais en effet elle ne manquait de donner quelque secours accompagné d'une parole d'édification et d'encouragement; mais, ce jour-là, ses provisions s'étaient épuisées à soulager d'autres misères. Laissera-t-elle deux infortunés dans une situation si déplorable? Oubliant et les exigences de son état et la rigueur de la saison, elle se dépouille en leur faveur des vêtemens qui la couvrent, et ne conserve que ce que la décence l'oblige rigoureusement de garder. Elle donna, disent nos mémoires, sa chemise, ses bas et une de ses jupes. »
Jeanne veut donner sa propre maison aux pauvres, mais sa nièce est co-propriétaire du commerce (qui ne cesse de péricliter du fait des dons abondants qu'elle fait). Celle-ci s'y oppose et commence à avoir des accès de frénésie pendant plusieurs mois. A Saumur on commence à en conclure que les actes de charité de Jeanne sont inspirés par le démon et non par Dieu. Plu personne ne lui fait de dons. Elle s'endette lourdement. Les prêtres ne savent quoi lui conseiller. Mais Françoise Souchet revient à Rennes en 1694 et l'incite à persévérer. Finalement des marchands acceptent à nouveau de lui donner de l'argent. Le cycle de la grâce reprend. Un jour sa nièce lui demande combien elle a donné. Elle répond qu'elle ne sait pas : au moins six ou sept livres, alors qu'elle n'est partie le matin qu'avec trente sous. Dieu a multiplié les pièces dans sa besace. En 1695 elle distribue 400 Kg de blé en un jour. Quand un pauvre lui montrait qu'il n'avait plus que du pain moisi pour se nourrir, elle en faisait son propre repas afin de se mortifier. Elle demandait qu'on lui fasse du pain avec des balayures de moulin pour contrer le goût qu'elle avait acquis pour la bonne nourriture dans son enfance, et son confesseur Genneteau dut la retenir dans ces excès.
Elle ne portait plus qu'une tunique de grosse serge au lieu d'une chemise pendant huit ans, dormait sur un coffre trop petit - qu'elle appelait sa crêche - qui la faisait souffrir, une pierre lui servait d'oreiller. elle allait encore durcir davantage son mode de vie par la suite.
Françoise Souchet lui avait annoncé que sa maison deviendrait un hôpital et qu'il y aurait une croix sur la porte. Cela se réalisa en 1700 (elle avait 34 ans). En 1702 elle accueillait douze enfants. Cette année là un rocher de la falaise à proximité détruit sa maison. Elle loue de nouvelles maisons pour y ré-installer ses pauvres, et accueille aussi des filles de mauvaise vie repenties. Les pères de l'Oratoire se plaignent de ce que Jeanne attire à leur porte plus de pauvres qu'ils ne peuvent en nourrir.
Pour attendrir encore plus son coeur qui était par nature fermé aux pauvres, Jeanne voulut ressentir elle-même l'indigence et la honte de mendier das les rues, et, pour cela, se rendit à Tours. Elle y partit avec une autre femme et de l'argent à donner aux pauvres. Son biographe Macé, raconte chaque jour du voyage à pied. A Saint-Martin de Tours, elle voit une femme en haillons, la suite jusqu'à sa maison, coupe son vêtement en deux pour le lui donner comme fut Saint Martin. Elle aura appris là qu'il était plus facile de faire l’aumône de la demander et revint de son pèlerinage plus sensible. Elle visita les prisonniers, notamment un condamné à mort qu'elle convertit avant l'exécution de la sentence.
Sa réputation commence à lui permettre de percevoir des honoraires qu'on lui verse en échange de ses prières pour obtenir des bienfaits.
En 1704 Jeanne commença à fonder une communauté religieuse, et choisit pour patronne Sainte Anne, dont la fête était le 26 juillet. Pendant les 18 dernières années de sa vie (1718 à 1736) des succursales de sa congrégation allaient être fondées à Nantes, à Josselin (en Bretagne), à Châtillon-su-Indre et au Blanc dans le Berry, à Puy-Notre-Dame dans le Poitou, et à l'Ile-Bouchard en Touraine.
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