Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les dons de vision des jeunes filles : le cas de George Sand

7 Avril 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Anthropologie du corps

Dans un ouvrage récent "Marian Apparitions : Natural Phenomena?", le britannique catholique James Patrick Hynes interroge la capacité de visualisation assez surnaturelle qu'ont souvent les jeunes filles pré-pubères. Cette dimension n'épuise évidemment la totalité de la problématique des mariophanies, qui est éminemment complexe, mais elle est à prendre en compte.

Je relisais il y a peu ce passage des mémoires de George Sand. Cette écrivaine n'est pas un personnage "spirituellement neutre", et des auteurs comme Léon Bloy n'étaient pas loin de voir en elle une sorcière (d'ailleurs son rapport aux oiseaux, aux cadavres etc, plaide dans ce sens : une sorcière qui s'ignorait comme il y en a tant...), mais il est intéressant qu'elle ait situé l'épisode qui suit en 1815, quand elle avait 15 ans, ce qui rejoint les remarques de James Patrick Hynes...

"Une fois je songeai que j'emportais [l'Empereur Napoléon] à travers l'espace et que je le déposais sur la coupole des Tuileries. Là j'avais un long entretien avec lui, je lui faisais mille questions, et je lui disais : « Si tu me prouves par tes réponses que tu es, comme on le dit, un monstre, un ambitieux, un buveur de sang, je vais te précipiter en bas et te briser sur le seuil de ton palais; mais si tu te justifies, si tu es ce que j'ai cru, le bon, le grand, le juste empereur, le père des Français, je te reporterai sur ton trône, et avec mon épée de feu je te défendrai de tes ennemis. » Il m'ouvrit alors son cœur et m'avoua qu'il avait commis beaucoup de fautes par un trop grand amour de la gloire, mais il me jura qu'il aimait la France, et que désormais il ne songerait plus qu 'à faire le bonheur du peuple, sur quoi je le touchai de mon épée de feu qui devait le rendre invulnérable.

Il est fort étrange que je fisse ces rêves tout éveillée, et souvent en apprenant machinalement des vers de Corneille ou de Racine que je devais réciter à ma leçon. C'était une espèce d'hallucination, et j'ai remarqué depuis que beaucoup de petites filles, lorsqu'elles approchent d'une certaine crise de développement physique, sont sujettes à des extases ou à des visions encore plus bizarres. Je ne me rappellerais probablement pas les miennes si elles n'avaient pris obstinément la même forme pendant quelques années consécutives, et si elles ne s'étaient pas fixées sur l'empereur et sur la grande armée, il me serait impossible d'expliquer pourquoi. Certes j'avais des préoccupations plus personnelles et plus vives, et mon imagination eût dû ne me présenter que le fantôme de ma mère dans l'espèce d'Éden qu'elle m'avait fait envisager un instant, et auquel j'aspirais sans cesse. Il n'en fut rien pourtant, je pensais à elle à toute heure et je ne la voyais jamais; au lieu que cette pâle figure de l'empereur que je n'avais vue qu'un instant se dessinait toujours devant moi et devenait vivante et parlante aussitôt que j'entendais prononcer son nom.

Pour n'y plus revenir, je dirai que, lorsque le Bellérophon l'emporta à Sainte-Hélène, je fis chavirer le navire en le poussant avec mon épée de feu; je noyai tous les Anglais qui s'y trouvaient, et j'emportai une fois encore l'empereur aux Tuileries, après lui avoir bien fait promettre qu'il ne ferait plus la guerre pour son plaisir. Ce qu'il y a de particulier dans ces visions, c'est que je n'y étais point moi-même, mais une sorte de génie tout-puissant, l'ange du Seigneur, la destinée, la fée de la France, tout ce qu'on voudra, excepté la petite fille de onze ans, qui étudiait sa leçon ou arrosait son petit jardin pendant les promenades aériennes de son moi fantastique.

Je n'ai rapporté ceci que comme un fait physiologique. Ce n'était pas le résultat d'une exaltation de l'âme ni d'un engouement politique, car cela se produisait en moi dans mes pires moments de langueur, de froideur et d ennui, et souvent après avoir écouté sans intérêt et comme malgré moi ce qui se disait à propos de la politique. Je n'ajoutais aucune foi, aucune superstition à mon rêve, je ne le pris jamais au sérieux, je n'en parlai jamais à personne. Il me fatiguait, et je ne le cherchais pas. Il s'emparait de moi par un travail de mon cerveau tout à fait imprévu et indépendant de ma volonté."

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article