Sainte Marie au Mont Carmel

La présence angélique de Marie (qui donne lieu à bien des spéculations New Age) est très prégnante dans la tradition mystique du Carmel dont j'avais déjà dit un mot il y a cinq ans lors d'une de mes passages à Lisieux. Comme l'a expliqué Kilian Healy (1912-2003), prieur général de l'Ordre des Carmes, dans "Elie, Prophète de Dieu" (Editions Parole et Silence, 2006), il faut partir du verset de la Bible dans 1 Rois 18:44 quand le prophète Elie sur le mont Carmel face aux prêtres de Baal fait tomber la pluie sur la terre sainte asséchée (et infestée par le paganisme) : " la septième fois, il dit: Voici un petit nuage qui s'élève de la mer, et qui est comme la paume de la main d'un homme. Elie dit: Monte, et dis à Achab: Attelle et descends, afin que la pluie ne t'arrête pas." "Dans le nuage, écrit le prieur général p. 130, suivant la tradition, Elie vit la figure de Marie immaculée, Mère du Dieu incarné". Un blason de l'ordre du carmel, le plus ancien connu, qui figure sur ses Constitutions de 1499, sur une vie de Saint Albert publiée la même année, et sur des missels des années ultérieures se présente comme un ovale soutenu par des anges et traversé par une ligne horizontale. Au dessous un triangle figurant le mont Carmel, au dessus la Vierge à l'enfant auréolée de 12 étoiles, le croissant sous ses pieds, avec la mention "luna sub pedibus eius". Deux bannières indiquent qu'Elie et Elisée, chefs du Carmel, conduisent à Marie "mater et decor Carmeli" (mère et splendeur du Carmel). Ce blason officiel allait être abandonné remplacé pendant la Contre-Réforme qui allait élider complètement l'image de Marie.
Jean-Baptiste Étienne Pascal (1789-1859). dans un ouvrage sur l'art chrétien, explique que le 16 juillet est la fête de Notre Dame du Carmel qui remit un scapulaire brun foncé à Simon Stock, général des Carmes le 16 juillet 1251. Un article de 1930 décrit une icône libanaise d'Harissa montrant une "Notre Dame du Mont-Carmel" "portant l'habit carmélitain" qui sort de la mer (ce qui évoque un peu Isis et Vénus) pour féconder la terre. Elle s'élève dans les airs pour féconder la Terre, un scapulaire à la main...
ND du Mont Carmel a joué un rôle important dans l'histoire de notre pays. En 1252, on vit saint Louis, gravir le mont en Palestine pour offrir à Marie le tribut de sa royale piété à la suite d'un voeu après avoir réchappé de peu à une tempête en mer. Il voulut,à son retour de France, emmener avec lui une colonie de religieux du Carmel pour l'établir dans son royaume. Il en revêtit le scapulaire. Cette montagne devint ainsi le berceau de ces couvents de Carmes qui se propagèrent au sein de l'Europe. La dernière apparition de Marie à Lourdes (la dix-huitième) fut un 16 juillet.
Voyez aussi RP Amédée de Damas (1821-1903), Voyage en Orient, 1883 p. 229 et suiv
Le bienheureux Simon, issu de l'illustre famille des barons de Stock, naquit au château d'Hestefort, dont son père était gouverneur, dans le comté de Kent, s'il faut en croire certains chroniqueurs; il fut, selon d'autres historiens, le fils d'un pauvre paysan de la Grande Bretaghe; mais, quelle que soit son origine, il se fit remarquer par les témoignages non équivoques d'une vertu précoce.
A peine âgé de douze ans, il se retira dans une vaste forêt où il n'eut pour logement que le tronc d'un vieux chêne dont la cavité lui offrit un asile. 11 y dressa un oratoire, l'orna d'un crucifix, d'une image de Marie, d'un psautier de David; et il y retraça, dans sa vie toutes les" austérités des anciens solitaires. L'eau du rocher était sa boisson, des herbes et des racines sa nourriture.
Il y avait vingt ans qu'il menait la vie d'un reclus, lorsque deux seigneurs anglais, revenant de la TerreSainte, amenèrent avec eux quelques Religieux du mont Carmel. Le bienheureux Simon fut extrêmement touché de la piété des nouveaux Religieux et de leur dévotion à la Reine du ciel, et il les pria de l'admettre dans leur société. Il fit sa profession vers l'année 1213. Ensuite il partit pour l'Orient, resta six ans dans la Palestine, et, ayant mérité d'être nommé supérieur général de son ordre, il revint en Occident pour l'y affermir et l'y développer d'avantage. Invité à passer en France, il s'embarqua pour Bordeaux où il mourut le 16 juillet 1265.
Or, il était au moment d'expirer lorsque la Reine du ciel lui apparut, environnée d'une multitude d'esprits célestes, tenant en main cet objet béni connu sous le nom de scapulaire du mont Carmel, et lui adressa ces paroles : « Reçois, mon fils, ce scapulaire de ton Ordre, comme le signe distinctif de ma confrérie et la marque d'un privilège glorieux. Celui qui mourra, pieusement revêtu de cet habit, sera préservé des flammes éternelles. C'est un signe de salut, une sauvegarde dans les périls, le gage d'une protection ppôciale, jusqu'à la fin des siècles ».
Pour mieux confirmer sa promesse, la sainte Vierge voulut bien ensuite apparaître au pape Jean XXII et lui en raconter les détails. Vingt-deux souverains Pontifes reconnurent successivement la vérité du fait et approuvèrent la dévotion par des jugements solennels.
Depuis lors, la Vierge du Carmel eut ses chevaliers comme le Saint-Sépulcre avait les siens. On porta l'habit de Notre-Dame,comme on avait porté la Croix rouge. La croisade de Marie se perpétua même au-delà de celle de la Palestine, et le dix-neuvième siècle compte parmi les chrétiens un grand nombre de chevaliers du Scapulaire.
Mais pourquoi demander au passé les marques de la prédilection de la sainte Vierge pour le Carmel ?
Aujourd'hui encore, elle se plaît à être honorée sur la sainte montagne; et la preuve en est dans ce couvent magnifique, dont les proportions grandioses attirent mes regards. Son existence est une sorte de miracle.
Voici le fait. Je le raconterai à la suite de Mgr Mislin. Il y a plus de quarante ans, en 1824, Abdallah-Pacha, le fameux gouverneur de Saint-Jean d'Acre, sous un prétexte menteur, renversa de fond en comble l'antique séjour des serviteurs de Marie. Avec leurs matériaux dispersés, il se construisit un palais, où il venait chercher la fraîcheur en été. Rome s'émut de ce désastre.
Le frère Jean-Baptiste de Frascati, carme déchaussé, fut envoyé en Orient par ses supérieurs pour étudier la situation. Il gravit la montagne, il s'assit sur la dernière pierre de son couvent renversé et demeura pensif. H pleura beaucoup et longtemps. Tout à coup, il se leva, réveillé comme par une illumination subite. Il courut à la sainte grotte d'Élie, où reposait la statue miraculeuse de la Vierge, se prosterna devant elle, lui adressa une ardente prière, et, se relevant, il prit la statue, l'emporta dans le pli de son scapulaire et revint-en Europe.-
On le vit aborder à Marseille. Il présenta à la France étonnée l'image de Notre-Dame du Mont-Carmel, et annonça le projet de promener partout cette divine solliciteuse, jusqu'à ce qu'elle eût obtenu la réédification de son couvent.
Ce fut pour l'Europe étonnée comme une apparition du moyen âge.
L'entreprise était gigantesque.
Il ne s'agissait de rien moins que de faire désavouer la conduite d'un pacha tout-puissant auprès du grand seigneur ; d'obtenir un acte de protection de la Porte, en faveur d'un monastère catholique ; de recueillir dans cette Europe qui détruit ses propres couvents, des sommes immenses afin d'en rebâtir un en Asie, de trouver un architecte, des ouvriers de toute espèce, des pierres de construction, des matériaux, du bois, de l'eau, sur une montagne où il n'y a rien
La statue de Notre-Dame du Mont-Carmel opéra ce miracle.
Sur les réclamations de la France, le sultan rétablit les carme: dans leurs anciens droits.
Le frère Jean-Baptiste se mit à parcourir l'Europe, portant avec lui son précieux trésor. Il ne sait que l'italien ; n'importe 1 avec cela, il ira à Paris, à Londres, à Vienne, à Berlin ; il sera accueilli dans les palais des souverains, chez les grands et chez les pauvres ; comblé de politesse et de présents.
Nos contemporains furent témoins de la merveille.
Pour le pauvre frère, les poètes faisaient des vers ; les premiers artistes, des tableaux ; les compositeurs, des morceaux inédits ; les romanciers, des réclames ; les grandes dames brodaient, organisaient des loteries et des concerts.
J'ai rencontré le frère Charles, compagnon et successeur du frère Jean-Baptiste, il m'a montré ses listes de souscriptions, et j'ai lu des noms bien étonnés de se trouver associés à l'oeuvre d'un religieux carme, comme celui de la reine d'Angleterre et du roi de Prusse; d'autres noms plus étonnés encore de leur rapprochement, M. de Rothschild et le primat de Hongrie, un cardinal et un curé de village, l'archevêque do Paris et Réchid-Pacba. Tous les pays, tous les rangs, toutes les religions viennent y rendre hommage à la Vierge du Carmel. Le roi de Prusse avait même ordonné qu'il fût accordé au frère Jean-Baptiste une place gratuite dans les diligences et sur les chemins de fer pour faciliter la quête dans ses États protestants
On prête différents miracles à Notre Dame du Carmel, y compris la victoire française de 1918 car l'offensive victorieuse fut conçue le 16 juillet 1918 après un dédicace du Maréchal Foch des armées au Sacré Coeur de Jésus.
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