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L'Okhrana, les Harting et l'occultisme

12 Août 2020 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète

Dans mon livre "Le complotisme protestant contemporain" publié l'an dernier, j'avais rappelé qu'à la fin des années 1980, la plupart des professeurs d’histoire, notamment à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (« Sciences Po »), enseignaient que le « Protocole des Sages de Sion » était un faux forgé en 1901 par la police secrète du Tsar de Russie (l’Okhrana), et, plus précisément, il a été révélé ultérieurement que l’auteur du document était l’agent provocateur de cette police Matveï Golovinski sur ordre du chef du bureau de l’Okhrana à Paris, Ratchkovsky.

Ce texte présente un plan de conquête du monde par les Juifs et les Francs-maçons. Selon les historiens académiques, il plagie le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly, pamphlet satirique décrivant un plan fictif de conquête du monde par Napoléon III.

J'avais fait remarquer qu'en revanche dans les milieux conspirationnistes, au contraire, circule l’idée que ce protocole est authentique. Par exemple Henry Makow estime que les Protocoles des Sages de Sion ne sont que des « extraits condensés » de textes plus anciens qui remontent peut-être aux conspirations de Weishaupt. Il en veut pour preuve le fait qu’il manque des lignes à ce texte. Il renvoie à ce sujet aux déclarations du rabbin Mordecai Ehrenpries (1869-1951) grand rabbin de Suède.

Avant Makow, dans les années 1930, l’Anglaise Edith Starr Miller (Lady Queenborough) avait soutenu que les Protocoles provenaient d’une loge de Misraïm à Paris, exfiltrés en 1884, par  un certain Joseph Schorst. Ce transfuge, qui fut plus tard assassiné en Egypte, l’aurait offert à Yuliana (alias « Justine ») Glinka, fille d’un officier et ambassadeur franc-maçon russe. Cette Mademoiselle Glinka était elle-même initiée de la sorcellerie caribéenne et proche d’Helena Blavatsky. Les Protocoles, affirmait déjà Miller, ont été plagiés par Maurice Joly (Joseph Lévy). Joly était un protégé de l’avocat Adolphe Moïse Crémieux (1796-1880), célèbre juriste de l’époque, dirigeant de la loge de Misraïm, président de l’Alliance israélite universelle et dont Gambetta notamment fut la créature en 1870. Le Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu imiterait donc les Protocoles et non l’inverse. Certains en ont même attribué la paternité (par l’imagination ou la canalisation), à Yuliana Glinka elle-même, qui aurait déjà tenté de le vendre sous un autre titre dès 1893, voire à Mme Blavatsky…

Je lisais hier "Le mystérieux docteur Martin" de Pierre Péan et trouvais p. 150, la mention d'Arkadi Mikhaïlovitch Harting, baron balte responsable de l'Okhrana à Paris semble-t-il seulement après 1905, mais qui aurait dès 1901 organisé la fabrication des Protocoles.

La revue L'Univers israélite du 13 mai 1921 impute l'origine de l'idée de ces Protocoles au Général Orgevsky mais ne dit rien de Harting. L'Humanité du 15 juillet 1909 signale que ce Harting a travaillé avec Ratchkosvky à Genève, mais je n'ai rien trouvé sur sa participation à l'élaboration des Protocoles. On ignore donc d'où Péan tenait l'information sur sa participation à l'élaboration de ce texte, mais on peut admettre qu'elle ne soit pas entièrement fausse puisque Harting en tout état de cause était haut placé dans la section française de l'Okhrana quand celle-ci a travaillé sur ce texte.

Péan braque le projecteur sur le fils de ce Harting, Pierre de Harting, qui avait épousé la propriétaire de la librairie Honoré Champion à Paris, qui avait travaillé pour le renseignement français en 1914-1918. Il le désigne comme "haut en couleur, féru d'ésotérisme, imbattable sur la franc-maçonnerie" et précise qu'il "possédait la plus belle collection de Paris d'ouvrages consacrés... au phallus". Jacques de Place, membre de la Cagoule dit de lui : "La première fois que je l'ai vu, je me suis complètement trompé sur lui. Je l'ai pris pour un Bouddha introverti... J'étais un petit jeune. En fait, c'était un homme incroyablement intelligent. Il connaissait des gens dans tous les milieux politiques, les milieux les plus secrets. Harting, qui fait partie de la Cagoule, était aussi lié avec le deuxième bureau. il avait des liens avec les émigrés russes, mais aussi, j'en sui convaincu, avec des gens du Komintern". Après-guerre Harting est proche de Ribière, patron du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (ancêtre de la DGSE) - cf Péan p. 374.

On peut se demander ce qui se cache derrière cette expression "féru d'ésotérisme" et si Pierre de Harting ainsi que son père n'ont pas appartenu eux aussi à des cercles occultistes qui pourraient avoir un rapport avec la théosophie (la collection de livres sur le phallus peut faire penser à une pratique de la "magie sexuelle" répandue dans plusieurs cercles au début du XXe siècle, notamment dans les milieux d'extrême droite). Mais ce n'était pas le genre de sujet qui intéressait Pierre Péan, qui n'en dit rien, et je ne trouve sur Internet aucun élément là dessus. La question reste donc en suspend. Elle est pourtant peut-être d'une certaine importance pour comprendre mieux la généalogie (historique et spirituelle) des Protocoles...

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