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La voyance étrusque chez Lucain

3 Octobre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Histoire des idées, #Pythagore-Isis

Le dernier article de Larissa Bonfante sur les Grecs et les Etrusques m'a donné envie de revenir à cette histoire un peu étrange que j'évoquais en 2015. Quand, au Ie siècle de notre ère, dans sa Pharsale Lucain qui était, selon toute vraisemblance, un initié néo-pythagoricien (je vous renvoie à ce sujet sur l'hypothèse d'une "église pythagoricienne secrète" chez les républicains romains), décrit le moment où, César ayant franchi le Rubicon le 11 janvier 49 av JC, la panique s'empare de Rome, il met en scène trois figures prophétiques : l'haruspice étrusque Arrun de Lucques, qui lit dans le mouvement des oiseaux et le foie des animaux (et qui ordonnera les rituels d'expiation), le sénateur Nigidius Figulus, fondateur du néo-pythagorisme, qui prophétise par les astres et les nombres, et une patronne pythonisse, possédée par l'esprit d'Apollon.

L'étrusque vient en premier dans cette chaîne d'évocations. Ce qui n'est peut-être pas un hasard.

Dans "Ius, l'invention du droit en Occident", Aldo Schiavone (que j'avais évoqué dans ce blog en 2009), on peut lire (p. 81) que les Etrusques ont contribué à désacraliser la royauté à Rome ainsi que l'autorité du grand pontife en introduisant un système hoplitique  : "des troupes de fantassins armés, recrutés sur la base d'une appartenance civique progressivement construite sur l'identité entre guerrier qui combat, citoyen qui participe à l'assemblée et propriétaire terrien qui produit" (d'où la polysémie du mot "centurie" qui couvre les trois registres). "Dès lors, écrit Schiavone, le mécanisme unique roi-prêtres, exalté et protégé par l'enveloppe magico-sacrée, allait perdre de son poids, tout en demeurant un élément de premier plan". L'auteur y voit même "peut-être l'apport le plus important de la présence étrusque" (p. 82). L'armée centuriate introduit de la coopération en plus de la discipline, et un pouvoir croissant des assemblées au sein desquelles le pouvoir magique des pontifes d'apporter des réponses inspirées (responsa) va constituer un "ius" sédimenté ancêtre du "droit" romain.

Dans "Les sources de Lucain" en 1912, le professeur de Normale Sup'-Sèvres René Pichon estimait qu'il y avait une progression entre Arruns, Nigidius Figulus, et la matronne. Il note p. 187 : "Arruns se sert de procédés matériels routiniers, tels que l'inspection du foie de la victime ; Figulus interroge les astres, qui, d'après les stoïciens, sont des êtres divins; enfin, la matrone est directement inspirée par Phébus, qui, ainsi qu'on le sait, n'est pour Lucain qu'une incarnation ou une émanation de l'âme du monde." 

A la lumière des remarques de Pichon, on a l'impression que, comme dans la structure politique de la République romaine, les Etrusques fournissent une sorte de "base" des dispositifs prophétiques romain (lesquels sont tout aussi indispensables au fonctionnement de la République et de ses rituels), des dispositifs dont la forme la plus achevée est la possession mystique (avec tous les dangers de folie et de mort qu'elle comporte, Pichon développe cela à propos de la consultation de la Pythie à Delphes par Appius et du risque de mort qu'elle encourt, d'où son refus de répondre au départ), l'occultisme pythagoricien (via l'astrologie notamment) n'étant qu'une étape intermédiaire dans ces effrayants processus.

 

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