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Hommage à la duchesse de Chaulnes

6 Octobre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète

On le sait, le premier inventeur du phonographe fut l'occultiste français Charles Cros, et non pas l'autre occultiste (théosophe) que fut l'américain Thomas Edison. Selon Le Chat noir (journal occultiste "opposé à la culture judéo-chrétienne"), 14 septembre 1889 cité en 2009 par Elizabeth Giuliani, l'humoriste Alfonse Allais, sur un bateau entre Le Havre et Honfleur, en discutant avec un admirateur d'Edison, lui avait rétorqué que c'était un "admirable truqueur (...)faisant travailler toute une ruche d’ingénieurs et utilisant habilement les essais de chacun" (c'est à dire qu'Edison avait volé l'invention de Cros qu'Allais connaissait personnellement).

Cros (ami de Verlaine et de Manet, ce qui lui fut inventer la photo couleur, et habitué des "mercredis" de Camille Flammarion) en avait dessiné les plans déposés à l'Académie des Sciences en 1877, mais cela ne put aboutir à un appareil concret. Selon des propos de Cros rapportés par Jacques Bernard (petit-neveu de Charles), l'inventeur avait exposé à la duchesse de Chaulnes, épouse de son mécène potentiel : « Je recueille la parole et j’ai la machine qui parle ». "La Duchesse entra dans un mouvement peu contenu de colère et lui défendit d’en parler dorénavant, ajoutant que Dieu seul pouvait créer la parole et que c’était blasphémer terriblement que d’oser vouloir s’égaler à lui en essayant de faire croire à une puissance impossible."

C'était là un réflexe tout catholique qui, semble-t-il, n'avait plus cours outre-atlantique dans l'entourage théosophique d'Edison. Il est vrai que le projet était ancien dans les milieux occultistes. Déjà Cyrano de Bergerac dans son très alchimique livre "L'Histoire comique des États et Empires de la Lune" (1655), décrivait ainsi l’appareil enregistreur et reproducteur de la voix humaine : « Quand quelqu’un donc souhaite lire, il bande avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs cette machine ; puis il tourne l’aiguille sur le chapitre qu’il désire écouter, et au même temps il en sort comme de la bouche d’un homme, ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent, entre les grands lunaires, à l’expression du langage. » Les esprits du Soleil écrivent leurs livres de cette manière, uniquement verbale et harmonique, comme il est manifeste que la cabale traditionnelle fut toujours transmise, c’est-à-dire oralement, concluait de Bergerac. Et quelques décennies après l'invention d'Edison, le mage sataniste anglais Aleister Crowley allait recevoir instruction de ses "entités" d'écouter sur les phonographes les disques à l'envers, idée à l'origine du backmasking pour conditionner les consciences (à croire que l'invention du phonographe ne devait au fond servir qu'à cela...).

La duchesse Marie-Sophie de Chaulnes (Versailles,1859- Paris,1883) princesse Galitzine (deuxième plus grande famille princière de Russie) avait épousé en 1875 (à 16 ans) un ancien attaché de l'ambassade de France à Constantinople, amateur d'art et de science, très riche (alors qu'elle était sans dot et n'avait, dit le dictionnaire de Larousse, à lui offrir que sa beauté), descendant d'un favori de Louis XIII, était très riche, mais qui vivait sous l'empire d'une belle-mère dévote, influencée par les moines, et despotique dans la Sarthe (au château de Sablé). Lui mourut de phtisie en 1881 (malgré un pèlerinage à Lourdes) alors qu'il y avait eu séparation de corps entre eux car elle avait été prise en flagrant délit d'adultère, et elle se vit ensuite soustraire la garde de ses deux enfants. Elle alla finalement se réfugier chez une amie de condition modeste à Paris et y mourut à 24 ans "d'une maladie courte".

Cette princesse malheureuse avait donc 18 ou 19 ans seulement quand elle avait  dissuadé Cros d'exploiter son invention, épargnant ainsi à la France la honte d'avoir apporté à l'humanité cette machine infernale...

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 Hommage de Cros à la duchesse de Chaulnes à son décès (l'allusion à la belle-mère tyrannique est explicite) :

 Elle est morte, la duchesse,

La duchesse aux cheveux longs,

Mêlés, roux, châtains et blonds,

Sa plus réelle richesse.

On l'a tuée avec soin,

Au nom de toutes les frimes.

Moi, je trouverai des rimes

Qui s'en vont bien loin, bien loin...

Pour écraser, joie amère,

La vieille affreuse qui mord

Et poursuit jusqu'à la mort

Cette femme, cette mère !

Ils s'aimaient bien tous les deux :

Et puis la vieille est venue,

Puis une histoire inconnue,

Et deux tombes restent d'eux.

Je bénis vos derniers hôtes,

Belle morte en satin blanc ;

Dans votre regard troublant

Ils n'ont pas cherché de fautes.

Cheveux roux, châtains et blonds,

Notre réelle richesse,

Vous la leur léguez, duchesse,

En allant où nous allons,

Où nous avons l'espérance,

Après le passage noir,

De retrouver, de revoir

Les belles dames de France.

Belle, belle, belle, belle,

Que voulez-vous que je dise

A votre frimousse exquise ?

Riez, rose sans cervelle.

Vos yeux de saphir grands et clairs,

Inquiètent comme les ondes

Des fleuves, des lacs et des mers,

Et j'en ai des rages profondes.

Mais je suis pourtant désarmé

Par la bouche, rose de mai,

Qui parle si bien sans parole,

Et qui dit le mot sans pareil,

Fleur délicieusement folle,

Eclose à Paris, au soleil. 

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