La nudité en France équinoxiale
2 Juin 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps, #Généralités Nudité et Pudeur
Pendant trois ans, de 1612 à 1615, il exista sur l'Ile de Maragnan autour de la ville de Saint Louis une "France équinoxale". Elle a fait suite à la tout aussi éphémère "France antarctique", colonie huguenote située à Rio de Janeiro (1555-1560) sur lequel écrivit Jean de Léry qui s'y rendit en 1557.
Le capucin Claude d'Abbeville s'y rend en 1612 et rédigea un compte rendu de sa mission.
En p. 269, le P. d'Abbeville fait cette réflexion su la nudité des Indiens Topinamba (chap XLVI).

Il ne se trouve guère de nation tant puisse-elle être barbare qu'elle n'aie recherché de tout temps l'usage des vêtements ou de quelque chose pour couvrir au moins leur nudité : en qui les Indiens Topinamba sont d'autant plus étranges non seulement qu'ils vont ordinairement tout nus comme s'ils sortaient du ventre de leur mère, mais encore de ce qu'ils ne font paraître aucunement qu'ils aient tant soit peu honte ou vergogne de leur nudité.
Si tôt que nos premiers parents eurent mangé du fruit défendu, leurs yeux furent ouverts (dit l'Ecriture) et connaissant qu'ils étaient nus, ils prirent des feuilles de figuier et cachèrent leur nudité pour honte et vergogne qu'ils en avaient.
D'où vient donc que nos Topinamba ayant été faits participants de la coulpe d'Adam et héritiers de son péché, n'ont-ils pas aussi hérité la honte et vergogne (qui est un effet du péché) ainsi qu'ont fat toutes les autres nations du monde ?
On pourrait alléguer pour réponse la très ancienne coutume de ces peuples lesquels de tout temps ont été nus comme ils font, et que pour celui-ci ils n'ont point de honte ni de vergogne de leur nudité, ne s'étonnant non plus de voir le corps tout découvert que faisons ne voyant la main ou la face d'une personne.
Mais je dirai davantage que nos premiers parents ne cachèrent pas leur nudité et ne ressentirent aucune honte ou vergogne d'icelle jusques à ce que leurs yeux furent ouvertes, c'est à dire jusques à ce qu'ils eurent connaissance de leur péché, et qu'ils se virent nus et dépouillés de ce beau manteau de la justice originelle. car la honte ne provient que par la connaissance de la défectuosité du vice ou du péché, et la connaissance du péché ne provient que par la connaissance de la loi, Peccatum non cognovi (di St Paul) nisi par legem. Puis donc que les Maragnans n'ont jamais eu la connaissance de la Loi, ils ne peuvent aussi avoir la connaissance de la défectuosité du vice et du péché, ayant toujours les yeux fermés aux plus profondes ténèbres du paganisme. Et de là vient qu'ils n'ont honte ni vergogne d'aller tout nus sans aucune espèce d'habit ou autre couverture pour cacher seulement leur nudité.
Plusieurs croient que c'est une chose bien monstrueuse de voir ce peuple tout nu et qu'il y a bien du danger de fréquenter parmi les femme set les filles indiennes étant nues comme elles sont, parce qu'il ne se peut faire que cette nudité ne soit un objet bien fort pour attirer ceux qui s'y arrêtent et les faire tomber en quelque précipice de péché.
Il est ainsi que cette coutume de marcher nu est merveilleusement difforme et déshonnête, ressentant infiniment sa brutalité. Aussi le danger semble-il bien grand en apparence, mais en effet je puis dire qu'il a sans comparaison beaucoup moins de danger à voir la nudité des Indiennes que la curiosité des attraits lubriques des Dames mondaines de la France. Car ces Indiennes sont si modestes et retenue en leur nudité que l'on ne voit en elles ni mouvement, ni geste,ni parole, ni action, ni chose quelconque qui puisse offenser les yeux de ceux qui les regardent ; ains êtant fort soigneuses de l'honnêteté en ce qui es même de leur mariage, elles ne feront jamais rien publiquement qui puisse causer scandale ou quelque admiration. Joint que la difformité ordinaire ne donne pas peu d'adversion, la nudité de soi n'était peut-être si dangereuse ni attrayante que sont les attifects lubriques avec les effrénées mignardises et nouvelles inventions des Dames de par deçà, qui causent plus de péchés mortels et ruinent plus d'âmes que ne font les femmes et les filles indiennes avec leur nudité brutale et odieuse.
Et ce qui rend ordinairement les Indiens, soit hommes, soit femmes, d'autant plus désagréables qu'ils s'imaginent beaux, est qu'ils se peignent le visage et tout le corps de diverses couleurs. Vous leur voyez quelquefois la face toute bigarrée de rouge et de noir, quelquefois ils n'en peignent qu'un côté et la moitié du front avec la joue qui est à l'opposite, laissant le reste en son naturel : Ainsi vouez vous leur corps plein de diverses figures devant et derrière, depuis la tête jusques aux genoux, comme s'ils étaient vêtus de pantalon fait d'un satin noir figuré et découpé, ayant les mains et les jambes toutes noires de suc de junipap.
Ce n'est pas toutefois qu'ils soient toujours peints et figurés, cela est quand bon leur semble : et s'il y en a de plus coutumiers les uns que les autres à s'y plaie, ce sont principalement les jeunes filles qui prennent plaisir à se bigarrer et figurer ainsi tout le corps en diverses façons, chacune selon sa fantaisie.
lls ne se peignent pas toujours eux-mêmes, mais ils s'entreparent et figurent ainsi les uns les autres : les filles êtant les plus addrextrées et celles qui sont les plus ordinaires à ce métier. Et bien qu'elles 'aient jamais appris à pendre, vous seriez néanmoins étonnés de voir la diversité des belles figures qu'elles font sur les corps.
Vous verrez quelquefois un jeune homme tout deout les deux mains aux côtés et auprès une fille à genoux ou assise sur un talon avec un couy (espèce de vaisseau fait de la moitié d'un fruit) dedans lequel est une peinture, tenant en sa main un petit bout de pindo qui sert de pinceau dont elle tire les traits sur le corps d'icelui aussi droits que si elle avait une règle, et aussi dextrement que pourrait faire un peintre : si bien que faisant de telles figures qui lui plait vous n'y verriez pas un point passer l'autre.
Néanmoins il s'y trouve quelquefois des femmes lesquelles tenant un miroir en main gauche et en l'autre un petit pinceau de pindo, se peignent elles mêmes la face avec autant de curiosité que les Dames mondaines se fardent par deçà, faisant des petits traits de junipap au lieu des sourcils qu'elles ont arraché : c'est en cela qu'elles passent une bonne partie du temps, s'estimant bien braves d'être ainsi bigarrées.
Pour le regard des plus valeureux et grands guerriers, ils ont coutume, à ce qu'ils soient plus estimés entre ceux de leur nation et redoutés de leurs ennemis, de prendre un os de la jambe de quelques certains oiseaux, qu'ils assillent comme rasoirs, avec lequel ils se gravent et figurent le corps de diverses façons.
Partager cet article
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
- Bibliothèques où l'on trouve : "Individualité et subjectivité chez Nietzsche"
- Bibliothèques où l'on trouve : "La nudité, pratiques et significations"
- Bibliothèques où l'on trouve "Les Médiums" (L'Harmattan 2017)
- Bibliothèques où l'on trouve : "Une communauté dans un contexte de guerre : la 'diaspora' serbe"
- Présentation / Livres en vente
- Vidéos Interviews / passages à la TV
Catégories
- 380 Christianisme
- 241 Histoire des idées
- 192 Histoire secrète
- 184 Médiums
- 108 Anthropologie du corps
- 85 Pythagore-Isis
- 74 Philosophie
- 65 Notes de lecture
- 47 Nudité-Pudeur en Europe
- 45 Généralités Nudité et Pudeur
- 43 Spiritualités de l'amour
- 40 Otium cum dignitate
- 40 Shivaïsme yoga tantrisme
- 39 Alchimie
- 38 down.under
- 35 Publications et commentaires
- 33 Interviews en rapport avec mon livre "La nudité"
- 31 Sainte-Baume
- 20 Les tubes des années 1980
- 14 Massages
- 13 Sociologie des institutions
- 11 Ishtar
- 7 Guerre civile espagnole
- 7 Nudité-Pudeur en Amérique
- 6 Christophe
- 6 Nudité-Pudeur en Asie-Océanie
- 4 Présentation
- 3 Nudité-Pudeur au P.O. et au Maghreb
- 2 Cinéma
- 1 Nudité-Pudeur en Afrique
Commenter cet article