La "Sainte Philomène" du Dr Rozier
En 1907, le Dr Fernand Rozier (1839-1922), médecin, élève d'Eliphas Lévy, publiait "Les Puissances invisibles, les dieux, les anges,les saints, les égrégores, Sainte Philomène" aux éditions Chaumont. Rozier est un homme de sciences très complet puisque, outre ses compétences en médecine, il est physicien, et il a été secrétaire de l'astronome Urbain Le Verrier, qui avait découvert la planète Neptune, en 1846. C'est aussi un voyant qui a prédit les inondations de Paris en 1910. Collaborateur de la revue L’Initiation fondée par Papus (1865-1916) il enseignait à la Faculté Libre des Sciences Hermétiques qui appartenait au même groupe.
Après une introduction savante sur les divers plans de réalité, et les diverses forces occultes qui agissent dans l'Invisible, forces qu'il pense à partir d'une théorie élargie de la matière (hylè) qu'il forge en dialogue avec les hindouistes et la kabbale, toute la première partie de l'ouvrage synthétise une analyse des traditions hébraïques, païennes et orientales sur les forces invisibles.
A partir de la page 95, il se penche sur le cas de sainte Philomène dont la tombe fut découverte à Rome en 1802 (encore que l'existence de cette sainte prête à controverse et donc l'authenticité de cette sainte aussi). Cette tombe était celle d'une jeune fille de 13 ans dot les reliques furent emportées à Mugnano près de Naples par Don Francesco di Lucia. Un frère de Saint Jean de Dieu qui avait visité Mugnano visita à Lyon une malade riche, atteinte d'une affection au coeur, Mlle Jaricot. Celle-ci, en 1835, se rendit à Mugnano après un court séjour à Rome où le pape Grégoire XVI avait tenté de la dissuader de s'y rendre. Mlle Jaricot avait fait promettre au pape d'autoriser le culte de Ste Philomène si elle guérissait. Elle y fit une neuvaine à la sainte et guérit. En janvier 1837, le culte public fut autorisé. Des reliques de la

sainte furent déposées à St Gervais à Paris par une paroissienne reconnaissante.
En 1833, la Mère Maria Luisa de Jésus, une religieuse napolitaine eut la révélation que la sainte était une princesse grecque vierge que Dioclétien aurait voulu séduire et martyrisa par dépit, vision dans la plus pure tradition de la Légende dorée. A partir de 1906, une étude plus soignée des plaques sur le tombeau révéla un montage. On pensa que Ste Philomène avait été une invention, comme St Expedit, soldat de la légion thébaine, avait été une invention des dominicains pour contrer le St Antoine de Padoue des franciscains. Le pape commença à faire enlever les statues des églises (et la sainte, dont la fête était célébrée le 11 août allait être officiellement radiée du calendrier canonique en 1961).
Le Dr Rozier milite pour la défense du culte de Ste Philomène. Lui-même descendait d'une grand-mère et d'une mère médiums qui avaient des visions. Sa mère, nous dit-il, avait prédit l'époque de sa mort (vieux fantasme des voyants, très en vogue aussi dans l'occultisme du XVIIe siècle) et le lieu où elle serait enterrée plusieurs années à l'avance. et ce don fut transmis à sa propre fille comme il l'a raconté dans l'Echo du Merveilleux. Proche de Dieu toute sa vie, Rozier voyait parfois une jeune personne fort belle qui le prenait par le main en lui souriant. "Quelquefois elle s'asseyait auprès de moi, me prenait sur ses genoux, me berçait" ajoute-t-il même p. 107. Ce n'est que vers 1895 qu'il a su que cette entité était Ste Philomène. Selon lui cette sainte lui a permis de guérir ses malades et a aidé ses élèves.
Selon Rozier, le 13 avril 1900, Ste Philomène s'est déclarée patronne des Occultistes chrétiens et a fondé une Fraternité invisible. Sur ses ordres, il a fait une conférence aux sociétés savantes le 25 mai suivant. La Fraternité vise à constituer la partie humaine d'un Egrégore dont Ste Philomène est l'âme. Rozier présente l'opération comme de la haute magie blanche et suppose un abandon complet à la volonté de la sainte. Il précise toutefois (p. 112) que cela "n'exclut pas Dieu, Jésus et la sainte Vierge", car prier Ste Philomène pour lui dire "accordez moi quelque chose" veut dire "utilisez une partie des pouvoirs que Dieu ne cesse de vous donner pour me faire avoir telle chose". Il faut seulement ne pas chercher à garantir sa demande auprès de Ste Philomène par des demandes adressées à d'autres saints ou par des talismans. Rozier explique ensuite que la vie est une lutte, et la souffrance est l'obstacle à vaincre. Des entités ont été envoyées pour instruire les païens après la chute, des entités qui ont du se faire barbares pour parler aux brutes que les humains étaient devenus. Puis il y eut d'autres entités plus élevées, jusqu'à ce qu'on arrive à l'envoi du Christ qui est le véritable libérateur. Le message de Jésus a été abimé par "l'égréqore épiscopo-impérial" catholique romain oppressif.
Dieu a ensuite envoyé la Vierge Marie qui est en mission permanente parmi nous jusqu'à la fin des temps. Elle nous dirige dans l'invisible et prendra soin de nous après la mort. Dieu a aussi envoyé des prophètes. Ste Philomène, elle, est venue nous révéler la cause cachée des choses (p. 129). Depuis 1895 elle a plein pouvoir pour protéger la France et la libérer de l'ultramontisme qui ment sur les apparitions de la Vierge.
Elle a sans doute existé, selon Rozier, au début du IVe siècle. Et, si elle n'a jamais existé physiquement, elle existe au moins comme entité (p. 141) à la tête d'un groupe de puissances célestes.L'argument qui plaide le plus pour son existence physique est que Dieu veut surtout donner puissance aux humains pour agir sur le monde ici-bas, plutôt qu'aux puissances célestes (p. 142).
Parmi les citations intéressantes : "On n'est pas occultiste parce qu'on professe telle doctrine ; les occultistes sont tout simplement ceux qui étudient l'Invisible et qui tiraient compte des choses cachées, soit pour leur conception du monde, soit pour leur conduite. Aussi, comme vous devez vous y attendre, il y a plusieurs écoles d'Occultistes." (p. 146)
Il semble qu'au temps de Rozier les polémiques sur Ste Philomène ont été fort vives : "Quelqu'un a dit qu'il était très dangereux de prier sainte Philomène, écrit-il p. 149. Elle est une puissance de l'Invisible, pas très bonne, pas très forte, mais pouvant cependant procurer quelques avantages ; seulement, elle les fait payer très cher. Quant à lui, il a fait la sottise de s'adresser à elle autrefois, mais il n'a eu de paix qu'après qu'il a eu cessé de s'adresser à elle". On ne saura pas de qui il s'agissait.
Rozier raconte comment au contraire cette personne "avait été jadis sous la domination de mauvais esprits" et comment il l'a exorcisé au nom de Philomène. Il en a retiré de nombreux profits dans sa vie affective et professionnelle. Mais un thaumaturge néfaste placé sur on chemin a réveillé en lui l'orgueil et la soif de pouvoir et les mauvais esprits son revenus en lui
."Lorsqu'une grande puissance céleste se manifeste, l'Adversaire se dresse devant elle, d'autant plus féroce et d'autant plus formidable que cette puissance céleste est elle-même plus formidable. Si vous vous mettez sous la protection de sainte Philomène, vous irritez l'Adversaire contre vous, mais ses coups ne vous atteignent pas. Vous êtes à l'abri à cause de la protection qui vous couvre comme d'un bouclier". Mais, si vous abandonnez sainte Philomène, elle ne vous retire pas sa protection, mais c'est vous qui vous éloignez de cette protection, et l'Adversaire peut taper sur vous à loisir, et il n'y manque pas; la vengeance lui est douce".
Très attaché au christianisme, Rozier critique le penchant orientalisant de la théosophie pour la fusion dans le Nirvana. Mais il reconnaît son aide intellectuelle comme précieuse, comme celle des spirites. Il affirme qu'il a été informé par Ste Philomène de l'importance de la magie comme cause des choses et dénonce sans la nommer une école aux ramifications planétaires qui abuse de cette magie. Quant aux sorciers, Rozier estime que ce n'étaient que des associations de malfaiteurs même pas dignes d'intérêt.
Rozier avoue vouloir constituer un égrégore autour de Ste Philomèn. C'est un mot auquel il donne un sens plus précis qu'Eliphas Lévy. Eugène Nus, rappelle-t-il, expliquait le spiritisme devant des assemblée par une sorte de mutualisation des fluides des participants sous forme d'égrégores (p. 165). Les égrégores collectifs purement humains peuvent intégrer par erreur des esprits négatifs qui les font échouer, d'où l'intérêt de s'adjoindre un esprit, explique Rozier. Il arrive même que ce soient les Esprits qui veuillent susciter un égrégore (égrégore descendant) pour une durée donnée.
La mission de Philomène a pris fin dans les années 1900 puisqu'elle a sauvé la France et écrasé l'égrégore épiscopo-impérial. La religion y gagnera car il n'y a pas de religion sans liberté.
Il est intéressant de comparer cette vision que Rozier a de Ste Philomène avec celle du curé d'Ars qui était aussi disciple de cette sainte (voir le film ci dessous) et a beaucoup contribué à sa popularité ("le grand argument en faveur du culte de Sainte Philomène, c'est le Curé d'Ars" s'était exclamé le pape Pie X en juin 1907). Pour Rozier ce curé était un saint homme (p. 137) mais il a menti sur les révélations mariales et les manipulations ecclésiastiques à leur sujet :
"Vous vous rappelez dans quelles circonstances le curé d'Ars a menti : Dans un but de réclame, on lui avait amené le jeune Maximin de la Salette. Vianney, qui voyait assez souvent les pensées des autres, regarde Maximin et lui dit qu'il est un petit menteur. Maximin se trouble, balbutie et avoue qu'il n'a jamais vu la sainte Vierge. Depuis ce temps, Vianney disait partout que la Salette n'était qu'une imposture ; il le prêchait même en chaire. Son évêque lui dépêcha un grand vicaire, lui écrivit, pour le persuader qu'il vaudrait mieux, pour les intérêts de l'Eglise, ne pas parler comme il le faisait. Vianney répondit à l'évêque par une lettre dont je n'ai plus le texte sous les yeux, mais dont le sens était que, au contraire, l'Eglise n'avait qu'à gagner en repoussant les fourberies, etc., etc. Il reçut alors l'ordre de soutenir la Salette. Depuis ce temps, le curé d'Ars évitait d'en parler ; mais, quand ou l'interrogeait, il répondait : Il faut croire à la Salette.
Cette phrase a été exploitée, et les souteneurs de la Salette ne manquent pas d'imprimer dans tous leurs écrits que le curé d'Ars a dit lui-même qu'il fallait croire à la Salette.
Pauvre homme I Dans ta pensée, il faut voulait dire il est ordonné, j'ai reçu l'ordre ; tu transigeais avec ta conscience ; tu ne voulais pas désobéir à tes supérieurs hiérarchiques, pareî qu'on t'avait enseigné que cette obéissance était la première des vertus, et tu le croyais. Tu aurais cru faire un bien plus gros péché en désobéissant qu'en mentant."
Dans le numéro de la Revue des Sciences ecclésiastiques et la Science catholique décembre 1907, p. 754 et suiv, sous "Glanes spirites", le Chanoine Ferdinand Gombault qui dit avoir conversé avec Rozier quelques années plus tôt l'accuse de croire à la réincarnation (le mot d'ailleurs figure bien en p. 171 du livre de Rozier), et trouve très suspecte cette sainte qui s'est donné pour objectif selon Rozier (et sa révélation de 1900) de renverser la puissance temporelle de l'Eglise et qui se réjouit de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il "prévient le docteur Rozier qu'un démon-femelle a abusé de sa crédulité... enfantine". Dans la Revue "Foi et vie" p. 241 du 16 avril 1911 G. Mondain expliquera que le Dr Rozier organise le culte de Ste Philomène à Paris "au troisième étage d'une maison de la rue de Buci, sous la forme d'une statue couchée sur un socle de pierre, et assez semblable à ce qu'on peut voir exposé chez les marchands de statuettes et ornements d'églises habitant autour de Saint-Sulpice. Chaque dimanche le docteur Rozier professe une sorte de cours d'occultisme". L'auteur lui préfère le christianisme ésotériste d'Albert Jounet.
L'Eglise catholique d'après Vatican II renonçant à son pouvoir temporel et acceptant la séparation de l'Eglise et de l'Etat aura politiquement donné raison à la Ste Philomène de Rozier, sans toutefois souscrire à sa gnose sur la réincarnation et le rôle des forces invisibles dans l'Histoire.
Depuis la radiation de la sainte du calendrier, l'Eglise romaine n'organise plus de cérémonies publiques en l'honneur de la jeune martyre. Même le site du sanctuaire d'Ars le rappelle, tout en soulignant que les pèlerins peuvent rendre une dévotion privée à la chapelle Sainte Philomène dans la basilique. Il existe encore une église Sainte Philomène à Naujac-sur-Mer (Gironde), une à Comps-sur-Artuby (Var),une à Montcerf-Lytton et à Fortierville au Québec, une au Cannet (Alpes maritimes) gérée par une association privée, une pour les traditionalistes à Toulon, et des chapelles Sainte Philomène à Lyon, à Puget dans le Var, au hameau d'Igniel près de Cambrai dans le Nord, à Montmaur dans les Hautes-Alpes, dans l'église Saint-Jean-Baptiste du Marillais dans le Maine-et-Loire, dans la collégiale Saint-Pierre d'Aire-sur-la-Lys dans le Pas-de-Calais, l'église Saint-Gervais-Saint-Protais, au hameau de Chassagne en Ardèche, au Lycée Professionnel Privé Saint-Joseph de Bourg-en-Bresse etc. A l'étranger on trouve des chapelles Ste Philomène de Puerto Montt ou Valaparaiso au Chili à Sao Bernardo do Campo au Brésil (fondée par des Italiens) en passant Managua au Nicaragua. Il y a une cathédrale Ste Philomène à Mysore en Inde, des églises qui lui sont dédiées aux Etats-Unis à Cincinnati, Pittsburgh, Franklinville etc.
Le livre de Rozier a été republié récemment dans une édition commentée par l'historien de l'occultisme Serge Caillet.
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