Cité par l'Express à propos du naturisme

Je suis cité cette semaine par L'Express en p. 51 après avoir été interviewé par Virginie Skrzyniarz (voir aussi ici).

Ci-joint l'ensemble de l'interview que j'ai donnée à la journaliste le 24 juillet dernier (ses questions figurent en gras).
------------------------
1-Si la nudité est perçue par certains comme quelque chose de naturel et de libérateur, pourquoi ne s’y met-on pas tous ?
Le rapport à la nudité est très ambivalent. Il y a un fantasme d'une nudité édénique, celle d'Adam et Eve, dans laquelle chacun exprimerait une expression authentique de soi, et une acceptation d'autrui, dans un esprit égalitaire, libéré des barrières sociales et identitaires que constitue le vêtement. Et puis il y a la réalité : les réflexes intimes d'attirance et de répulsion qui peuvent se cristalliser autour de la nudité d'autrui. Ce sont des réflexes dont certains anthropologues disent qu'ils se seraient gravés dans notre ADN avant même l'apparition de l'homo sapiens chez des espèces ancêtres de la nôtre : notamment le fait que les seins et les fesses des jeunes femmes éveillent le désir sexuel des hommes, même lorsque la femme ne fait rien de particulier pour susciter ce désir, ou que la nudité virile puisse être perçue comme menaçante et répulsive auprès des femmes lorsque sa présence n'est pas souhaitée. Beaucoup de projections personnelles se font sur la nudité. Celle des personnes âgées par exemple peut être répulsive parce qu'elle manifeste une déchéance qui nous menace tous. Le vêtement atténue des émotions que la mise à nu ravive. On se souvient à l'été 2016 de la rixe qui avait éclaté en Charente lorsque, près d'une place, une dame qui jouait au pingpong topless a refusé de se rhabiller devant des enfants qui passaient. La frontière entre la nudité pacifique "bonenfant" et l'effet de violence de l'exhibition façon Femen est toujours très ténue.
2-Pourquoi les naturistes inspirent-ils encore souvent méfiance et dégoût auprès d’une large tranche de la population ?
Dans le cas des naturistes, il y a ce fait que dans toutes les cultures pudeur et modestie vont de pair. Celui qui se déshabille manifeste qu'il aime être vu. Cette volonté n'est pas forcément bien perçue par tout le monde. Longtemps le naturisme a souffert de son image avant-gardiste, un peu anarchisante (au XIXe siècle le nudisme était né chez les anarchistes. Sa position sur une nudité dé-sexualisée passait pour suspecte, d'autant qu'il existait en son sein un courant ouvertement libertin (au Cap d'Agde notamment). Le naturisme a recommencé à attirer des publics nouveaux à partir des années 2000 (chez les trentenaires notamment), mais le fait que cela reste lié aux classes sociales supérieures cultive l'idée d'une nudité imposée d'une façon un peu arrogante aux autres, au nom d'idéaux sociaux abstraits, renforce un effet de violence symbolique qui serait subie par ceux qui n'ont pas la même conception des rapports humains.
3-La ville de Paris envisage d’ouvrir un espace naturiste d’ici à l’été 2018, un projet de restaurant naturiste est également dans les tuyaux… Que penser de ce naturisme urbain ? Qui concerne-t-il (des bobos ?) ? Pourquoi tant de réticences ?
Le naturisme urbain (qui s'exprime notamment par les cortèges annuels de "cyclonudistas" à Brighton, à Bruxelles ou Espagne) correspond à un idéal d'humanisation des villes, de refus des logiques mécanistes (la réduction de l'humain au statut de robot), de réintroduction du naturel dans une ambiance de convivialité. Et c'est un idéal effectivement porté par des bobos, et des partis politiques de écologistes ou de centre-gauche (aussi depuis peu les communistes qui ont invité des nudistes à la Fête de l'Humanité). Mais c'est une pratique plus problématique que celle d'espaces sanctuarisés comme les plages, car il n'y a plus de limites de temps et d'espace, et donc les risques de confrontation avec des publics qui ne partagent pas les valeurs de la "nudité émancipatrice" sont plus aigus... Notamment les pratiquants des diverses religieux (et dans une société multiculturelle comme la notre ils sont nombreux), les gens qui ont des problèmes avec leur propre corps ou celui d'autrui (un sondage IFOP TENA de 2009 montrait qu'un tres grand nombre de femmes détestent voir d'autres femmes nues dans un vestiaire de gymnase, ou dans le jardin d'à côté, et même dans des publicités)
4-Quel est le profil-type des naturistes ? Peut-on le diviser en plusieurs groupes totalement distincts (familles, libertins, homosexuels…) ?
Il est très difficile de trouver des statistiques. On a le sondage IFOP TENA de 2009 sur la pratique du naturisme par les femmes, et les témoignages des gens qui fréquentent assidument les clubs naturistes qui laissent entrevoir une surreprésentation des publics diplômés (cadres, enseignants) et des artisans-commerçants, avec peut-être un peu plus de mixité sociale dans le Sud-Ouest. Il y a du naturisme homosexuel, libertin, familial très mis en valeur par la Fédération française de naturisme, et du naturisme minoritaire comme un naturisme chrétien ou mormon aux Etats-Unis. Et puis il y a une façon de coller l'épithète "naturiste" à tout et n'importe quoi pourvu qu'il y ait de la nudité dedans, comme les massages naturistes dans certains salons de bien-être, des coiffeuses naturistes etc. Personne n'a le monopole du naturisme. Et puis il y a des frictions entre le naturisme classique de ceux qui veulent juste bronzer nus au soleil et les défenseurs de la "randonue" et de la nudité publique en tout lieu comme l'APNEL dont les positions ne sont pas consensuelles; Peut-être pourriez vous interviewer Marc Bordigoni sur le poids numérique de ces différents groupes.
5-Assiste-t-on à un engouement pour le naturisme en France ces dernières années ? La perception du naturisme est-elle en train d’évoluer ? Sommes-nous en retard par rapport à d’autres pays ?
Le naturisme se porte moins mal que dans les années 2000. En 2015 la FFN a enregistré une augmentation de ses adhésions de 40 % en 2015, mais on reste à seulement 5 % de pratique fréquente et 17 % de gens qui se disent éventuellement attirés (y compris les 5 % précédents). Mais que signifient ces chiffres ? Au niveau qualitatif beaucoup de camps naturistes se plaignent de la venue de visiteurs qui gardent leurs vêtements donc ça reste à géométrie très variable. La moitié des gens tentés par le naturisme ont moins de 50 ans, mais ce ne sont pas des gens très jeunes. Nous sommes historiquement moins portés sur le naturisme que les pays germaniques parce que nous associons plus la nudité à la sexualité. Je ne sais pas si c'est un signe de "retard". Il est certain que la valorisation de la nudité comme facteur de revendication au service de causes écologiques ou sociales, ainsi qu'une certaine banalisation de la nudité des corps dans les médias contribuent à rendre la cause naturiste plus sympathique même si sa pratique minoritaire.
6-Le naturisme est-il un problème face à des enfants ou à des adolescents ?
Selon un sondage TENA d'il y a 8 ans les femmes de la tranche 18-35 ans restaient les plus réticentes à supporter la vue d'autres femmes nues sur des plages naturistes.Beaucoup de naturistes "chevronnés" ont des problèmes avec leurs enfants qui, arrivés à l'adolescence, ne veulent plus montrer leur corps et tiennent à leur pudeur pour diverses raisons psychologiques. Quant aux enfants, tout dépend de la manière dont ils sont éduqués. Certains peuvent banaliser la vision de la nudité sous l'influence de leurs parents, d'autres au contraire seront très tôt portés à en rire, ou à la regarder avec une curiosité malsaine.
Commenter cet article