Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"Traité de la constance" de Juste Lipse (Justus Lipsius)

12 Janvier 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Philosophie

Juste Lipse (que j'ai connu par la lecture de De Maistre, qui sans doute admirait son côté "protestant converti au catholicisme", qui l'apparente à la conversion courageuse du cardinal Newman d'Oxford 350 ans plus tard) est une référence de l'humanisme flamand. Wikipedia le présente comme un restaurateur du stoïcisme sous les cieux de la Renaissance, un homme doux et mélancolique qui cultivait une amitié délicate pour les tulipes et son chien, comme le mit en scène Rubens dans ses portraits (on oublie souvent que le peintre Rubens, bien qu'il peignît des natures plantureuses, cultivait lui aussi un stoïcisme austère, et fut le disciple favori de Juste Lipse - cf l'analyse de ses correspondances p. 14).

Son Traité de la constance de 1594 réunit ces traits dès la première ligne. On y perçoit un homme blessé par les guerres de religions qui ravagèrent les Flandres pendant des décennies (et aboutirent à l'indépendance de la Hollande). Ces Flandres où l'on voit "les champs être gâtés et ruinés, les villes être brûlées et renversées, les hommes être rançonnés et tués, les femmes d'honneur être violées, les vierges déshonorées".

Il dit comment, ayant tenté de fuir vers Vienne (dans les années 1580), il s'arrêta à Liège chez son ami Charles Langius (chanoine de la cathédrale Saint Lambert à Liège) qui le persuada de renoncer à s'évader pour rechercher le mal en lui-même à travers la lecture des philosophes qui lui étaient déjà chers du temps où il étudiait chez les Jésuites à Cologne, et y remédier en se forgeant une morale stoïcienne.

"J'appelle constance, fait-il dire à Langius au premier livre, la juste et ferme force d'un esprit qui n'est point élevé ou abaissé de ce qui est externe ou fortuit". Il l'oppose à l'obstination inspirée par l'orgueil (à l'image du ballon plein de vent qui tend toujours à s'élever). La constance a pour mère la patience et l'humilité.

L'âme est le feu, participant de l'esprit divin nous dit Lipse en empruntant à Sénèque, mais le corps qui provient de la terre et inspire l'opinion tente de le recouvrir. La partie la plus pure de l'âme est la raison. La constance est la Népanthe (l'herbe homérique anti-mélancolie qu'on mélange au vin). Il faut vaincre la convoitise, la joie, la crainte et la douleur pour qu'elle se manifeste pleinement.

Certains ont opté pour le stoïcisme pour vaincre les maux que leur causent l'amour. Lipse, lui, le confesse : son mal vient tout entier de son amour pour son pays livré aux flammes. Langius lui oppose que le souci du bien public et de la paix est surtout inspiré par la volonté de se préserver soi-même et que tout homme doit se soucier des malheur de tout l'univers et non de sa seule patrie. Il faut mourir pour la patrie mais non pleurer pour elle et ses malheurs sont envoyés par Dieu. Condamner ces malheurs ou les fuir c'est prétendre voler le sceptre de Dieu duquel ainsi que Platon l'a enseigné il faut toujours se rapprocher, et dont la constance sera notre bouclier.

La Providence est au dessus du Destin, comme jadis Isis au dessus de Fortuna.

Outre le corps du livre lui-même il est utile d'en lire la préface qui rappelle la difficulté à l'époque de faire l'éloge des philosophes païens face à la très puissante hiérarchie catholique. Bien que la philosophie soit sa passion, Lipse se sent contraint de l'abaisser face à la théologie, et même la réduire au rang d'une frivolité pour éviter la censure. On comprend mieux pourquoi au même moment Montaigne, qui était lui aussi tout acquis à la cause philosophique (en penchant vers celle des stoïciens mais moins nettement que Lipse), ne cessait de ranger ses Essais dans le registre du divertissement et de la détente. Les traits de caractère communs entre Lipse et Montaigne sont d'ailleurs assez perceptibles.

Le christianisme depuis St Augustin (ses remarques sur Caton d'Utique) jusqu'à Brunetière (ses propos sur Marc-Aurèle) blâma chez les stoïciens leurs orgueil. Lipse invente un stoïcisme sans orgueil.

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article