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"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

22 Janvier 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

Il faut accorder à l'imaginaire tout ce qu'on peut lui accorder, en toute liberté, tout en sachant bien sûr qu'il n'a rien à voir avec le réel et qu'il n'a pas vocation à trouver à se réaliser dans le monde extérieur. C'est parce qu'on bride trop l'imaginaire aujourd'hui, en voulant le rendre réaliste, politiquement correct et utile à la société que les gens s'asservissent en amour au porno, et dans les autres domaines à des stéréotypes cinématographiques absurdes. Que les hommes hétéros soient libres s'ils le souhaitent de rêver d'une féminité soumise ou dominatrice à leur guise, que les femmes rêvent d'hommes héroïques ou esclaves. Il faut surtout qu'ils puissent rêver sans limite selon leur sensibilité la plus intime. C'est indispensable au bonheur d'exister.

J'ai toujours trouvé chez les auteurs de la Renaissance une inspiration pour ma liberté de rêver. Ne me demandez pas pourquoi. Quand j'étais ado c'était Montaigne. Je retrouve le même souffle chez Brantôme.

Pierre de Bourdeille, chevalier de Brantôme, homme de cour et d'action, militaire, qui accompagna les nobles princesses de son temps d'Edimbourg à Madrid, et qui alla porter le fer jusqu'au Maroc. Un témoin fiable, et un homme qui aimait les femmes, non seulement par instinct, mais aussi parce que le Moyen-Age catholique, à travers la figure de Marie, ainsi que nous l'enseigne Montalembert, nous avait appris, à nous autres Européens, à vénérer le Mystère féminin, qu'ensuite les troubadours et la chevalerie allait projeter sur des femmes réelles.

Brantôme nous promène dans le féminin, celui qui touche au plus profane, et celui qui touche au plus sacré.

Du côté du profane, il y a les "Dames galantes", ces dames éprises de sexe, qui séduisent et qui cocufient. Elles exigent beaucoup de leurs amants - qu'ils aient six, sept orgasmes pendant la nuit - puis les jettent comme des kleenex quand ils sont hors d'usages. Elles dissimulent, mentent, ploient aussi souvent sous le joug d'un vieux barbon jaloux qui n'a plus les moyens de les satisfaire sexuellement. Elles meurent souvent sous les épées ou par le poison, sauf si elles parviennent à ressusciter le désir de leur mari après avoir jeté leur amant par la fenêtre, ou si, comme Françoise de Daillon, elles parviennent à convaincre leur époux trompé que quelque miracle de Notre Dame de Lorette agit derrière tout cela.

Brantôme invoque la parole de Jésus sur la pêcheresse lapidée, et se demande pourquoi en des temps catholiques, on assassine si allègrement les femmes adultères, alors que même les tyrans romains païens avaient le bon goût de se contenter de les répudier sans leur faire aucun mal. Après tout elles ne nous appartiennent pas, remarque Brantôme. Réflexion humaniste, tendre et profonde dont beaucoup encore aujourd'hui devraient se laisser pénétrer.

Et puis il y a les dames qui touchent au sacré, par leur beauté, leur délicatesse, et souvent les qualités morales qui vont avec cela. Cela peut paraître parfois un peu kitsch sous la plume de Brantôme qui, après tout est d'abord un courtisan, comme dans le vocabulaire des "fans" de nos jours, avec des phrases stéréotypées pour flatter (les princesses chez lui ont nécessairement une taille parfaite et un visage de déesse), mais pas seulement : Brantôme les a connues de près, il s'est battu pour elles. Galerie de portraits.

"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

Anne de Bretagne (1477-1514) est une reine que Brantôme n'a pas connue, mais il en parle d'après sa grand mère qui vivait à la Cour et en fut la mémoire vivante. Modèle de piété (elle aida à la propagation du courant religieux des Minimes), à l'image d'Isabelle de Castille son homologue espagnole avec laquelle elle a de bonnes relations, amie des poètes et des pauvres, aussi eut-elle un très bel enterrement que Brantôme détaille, à la différence de l'égoïste Isabeau de Bavière qu'on mit dans un petit cercueil avec une cérémonie de funérailles à Saint Denis à peine digne d'une subalterne.

"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

Catherine de Médicis ()

"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

Marie Stuart reine d'Ecosse et reine douairière de France (1542-1587). Elle incarne la grandeur du martyr catholique, aussi humainement injuste que sublimé par Dieu et finalement accepté. Marie, la délicate blonde, élevée à la cour des rois de France dans tous les raffinements possibles. Parlant le latin, conversant avec Ronsard et Du Bellay. Ce jeune être magnifique, mariée en la cathédrale Notre Dame de Paris à 17 ans, à l'éphémère roi François II qui meurt au bout de quelque mois. Contrainte de rejoindre son triste pays septentrional embrumé, elle pleure toutes les larmes de son corps quand son bateau s'éloigne de Calais. Brantôme est à bord, et compagnie. La douce reine sait qu'un sort funeste l'attend dans cette Ecosse sauvage convoitée par les protestants anglais. Et le fatum ne manque pas de se réaliser. Elle tombe entre les griffes de l'horrible Elisabeth Ière d'Angleterre, qui, au mépris de tous les usages - un roi ne juge pas un roi - l'enferme dans la tour de Londres. Et c'est le supplice. Quand on aime un grand personnage, on raconte son agonie. Thomas de Quincey le fut avec Kant, Brantôme avec sa chère Marie Stuart. Rien ne nous est épargné : ses dernières prières, ses dernières larmes, sa grandeur stoïque, l'abjection du duc de Kent protestant qui veut lui interdire de porter un petit crucifix contre elle ("il faut avoir Jésus dans le coeur", comme Caton d'Utique prétendait avoir Jupiter en lui), celle du bourreau qui la fait se dévêtir jusqu'à la taille (elle a une jolie expression sur l'étrange cabinet privé qu'on lui réserve devant 500 personnes), y revient à trois fois pour lui couper la tête puis joue avec ses quelques cheveux blancs, et se réserve le doit de faire ce qu'il veut de son cadavre comme le muletier de sa maîtresse dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre. Ni la France ni la famille de Guise à laquelle se rattachait Marie n'ont levé le petit doigt. L'abomination des Anglais dans cette affaire révèle par contraste la grandeur de Marie qui accepte son calvaire avec sérénité et dignité, sûre que le Christ le lui impose pour la gloire de la vraie religion. Brantôme est convaincu qu'elle sera bientôt canonisée. L'idée allait naître en Ecosse de demander cette canonisation cinq siècles plus tard, comme pour Christophe Colomb en Espagne. Mais dans l'un et l'autre cas cela allait retomber comme un soufflet. Les grands sujets historiques ne sont pas très digestes aux ventres des évêques.

"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

Elizabeth de France, reine d'Espagne (1545-1568). Brantôme en disant qu'il ne s'en était pas vu d'aussi vertueuse depuis Sainte Elisabeth de Hongrie et que toutes les Elisabeths semblent prédestinées à la vertu. Marie Stuart incarnait la grandeur du martyr chrétien, Elizabeth de France celle de la beauté morale et de la dévotion. C'est une belle brune et de grande taille, ce qui ne pouvait que faire de l'effet à la cour de Madrid où les femmes étaient petites, tandis que son teint pâle faisant contraste avec le cheveu très noir, fascinait qui la rencontrait. Il fallait détourner la vue pour ne pas la convoiter, surtout lorsqu'on était grand d'Espagne ou prêtre. Elle avait appris le castillan en quelques mois et le maniait aussi bien que le Français. "Reine de la paix", parce qu'elle avait scellé la réconciliation de la France et de la Castille, elle inspirait une ferveur populaire sans égale. Quand elle tomba malade, les chemins de pèlerinage furent défoncés par tous les chrétiens espagnols qui allèrent accomplir des dévotions pour elles, nous dit Brantôme, si bien que lorsqu'elle guérit, on ne sut si c'était dû aux soins du médecin obscur qui l'était venu soigner, ou aux prières si nombreuses de ses sujets. Elizabeth elle-même ne manqua point à ses dévotions, notamment à la Vierge de Guadalupe. Elle était de grande classe, comme les plus belles fleurs de la famille de France, et ne porta jamais deux fois la même robe (ses robes et pierreries étaient pourtant fort chères), et cependant elle assumait sa charge de reine avec simplicité, toujours disponible pour les autres, à la différence à cette triste ressortissante de la famille de Foix qui, devenue reine d'Espagne en épousant Ferdinand, toisait avec mépris même ses frères. Elizabeth de France donc, c'est la vertu, la distinction et la simplicité. Trois qualités chrétiennement associées. On ne sait comment elle mourut. Promise à Don Carlos, fils de Philippe II, elle épousa finalement le premier. Les mauvaises langues dit que son mari la surprit dans le lit du fils et les tua tous les deux. Brantôme dit ne même pas vouloir entendre parler de cette méchante rumeur.

"Le recueil des Dames" : la féminité selon Brantôme

Reine Jeanne de Naples

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