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La mort de Nicias et la Lune

24 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Philosophie, #Pythagore-Isis

Je ne sais si je vous ai déjà parlé du livre de Plutarque sur le visage de la Lune. Ce soir inaugurant une nuit de pleine lune, je me permets d'y faire allusion même si c'est un livre compliqué que je ne suis pas qualifié pour commenter plus avant. Je note que dans ses Vies parallèles, Plutarque, qui compare le romain Crassus à l'athénien Nicias, attribue la défaite et la mort de ce dernier, en 413 av. JC à une mauvaise interprétation des signes divins, et plus précisément d'un signe lunaire.

Lors de sa bataille finale contre les armées de Syracuse, nous dit Plutarque, Nicias a commis deux erreurs. La première est d'avoir pris une éclipse de lune (le 27 août 413) pour un signe néfaste. Cette erreur fut due à l'absence de son devin Stilbidès, mort peu de temps auparavant, qui, d'ordinaire, le délivrait de ses craintes superstitieuses. S'appuyant sur Philochore, Plutarque estime que le signe était au contraire favorable puisque "l'obscurité est nécessaire aux actions accomplies dans la crainte".

La seconde erreur de Nicias fut d'avoir attendu la lunaison suivante pour passer à l'action (c'est à dire fuir de Sicile tant qu'il était encore temps). D'une part il oublia "qu'en général les gens ne tenaient compte des signes donnés par le soleil et la lune que pendant trois jours", d'autre part il ne vit pas que la lune s'était "purifiée tout de suite, une fois sortie de la zone d'ombre projetée par la terre". De sorte que Nicias, homme pieux mais trop pusillanime, fut attaquée par les soldats de Syracuse qui remportèrent la victoire et exhibèrent dans un sanctuaire le bouclier de Nicias jusqu'à l'époque de Plutarque.

La double erreur sur l'éclipse lunaire fut la cause métaphysique (liée à un défaut moral de manque d'audace) qui plongea le général athénien dans la défaite alors qu'il avait été jusque là militairement et politiquement avisé (il avait modéré l'impérialisme athénien comme le rappelle la fiche Wikipedia).

Le passage est aussi l'occasion de rappeler qu'à cette époque ceux qu'il appelle les "physiciens" comme Anaxagore ou Protagoras, les "bavards célestes" comme on les appelait (et comme les prêtres notamment les nommaient sans doute), étaient mal vus à Athènes où l'on comprenait les éclipses solaires mais pas celles de la lune. Les gens tenaient absolument à voir dans les différents aspects des astres des signes de la volonté des dieux, qui ne pouvait être réduite à des lois prévisibles. Car cela donnait l'impression que l'on voulait par ces lois enchaîner les plans divins. C'est seulement à partir de Platon que l'étude empirique des astres fut jugée respectable, parce que Platon était très prestigieux du fait de son charisme personnel et parce que son système philosophique, nous dit Plutarque, "subordonnait les nécessités physiques à des principes divins et souverains". On pourrait dire subordonnait "en dernière analyse", puisqu'à la fois il estimait que les phénomènes astronomiques suivaient des lois, et que ces lois obéissaient aux principes divins, ce qui ôtait à leur étude le soupçon d'impiété (et c'est grâce à cela sans doute que Pythéas de Marseille - ville intellectuellement influencée par Athènes -, quelques décennies après la mort de Platon, put avec son bagage pythagoricien s'embarquer pour le pôle nord afin de mesurer l'étendue de la terre, et étudier les marées).

La mort de Nicias est ainsi l'occasion d'une triple réflexion sur l'interprétation des signes lunaires, la bonnes mesure à accorder à la piété religieuse, et l'équilibre complexe entre le respect de la liberté des décrets divins et l'utilité de l'étude rationnelle "confiante" des phénomènes physiques dont procèdent ces décrets. Ces questions n'avaient rien de gratuit puisque l'avenir politique et militaire des cités sur le champ de bataille en dépendait.

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