Les Adamites
Les adamites, chrétiens hérétiques qui se dévêtissaient complètement dans leurs cérémonies et dans la rue, ont fait verser de l'encre au fil des siècles et sont souvent cités de nos jours dans les débats sur la pudeur (voir par exemple les travaux de JC Bologne).
Selon Bayle, Prodicus au IIe siècle fut le fondateur des adamites. Disciple de Carpocrate, il ajouta à ses théories la copulation publique comme les cyniques païens et la mise en commun des femmes. Selon lui les corps vivent pour chanter la louange des anges qui on créé le monde. Il soutenait avoir des livres cachés de Zoroastre et ne pas devoir invoquer Dieu.
Selon Clément d'Alexandrie déjà le gnostique Carpocrate éteignait les chandelles pour des parties après les cérémonies. On leur prêtait des pratiques magiques et une croyance en la réincarnation. Le Père jésuite André Gouilloud dans son "Saint Irénée et son temps" (1876) situe Carpocrate dans la voie des doctrines valentiennes et que son fils Epiphane alla plus loin que lui encore. Irénée (Contra hoereses, 1. I,c. vi) les accuse d'assister aux jeux du cirque et aux fêtes des païens et d'en manger la viande en disant qu'ils font à la chair la part de la chair et à l'esprit celle de l'esprit. Ils rejetaient l'idée de distinction entre le bien et le mal, prenaient les animaux comme modèle, et Epiphane prôna même le communisme en tout. Saint Epiphane de Salamine, évêque de Constance, dans son Haeresus XXXVI parle de Carpocrate et dans le Panarion, de même qu'Eusèbe dans son histoire de l'Eglise 1,IV c.VII et Clément d'Alexandrie, Strom 1,III. (Gouilloud recommande de relire Irénée contre le renouveau de la Gnose, notamment contre l'hegelianisme, Hegel ayant confessé puiser sa source dans la Gnose, fille de Simon le Mage d'après les Philosophumena I, VI). Pour Carpocrate, autrefois judéo-chrétien, Christ est un homme, qui s'est élevé au-dessus de l'humanité par une âme très haute (la généalogie de l'évangile de Mathieu allait dans ce sens).
Il y a dans le Panarion section II 4,3 un descriptif du "don des femmes" à l'hôte coréligionnaire qui rend visite. Il précise qu'après l' "agape" (la partie fine), les femmes et les hommes reçoivent a semence masculines dans leurs propres mains. Puis, nus, ils tournent leurs yeux vers le ciel, prient avec le sperme sur leurs mains, et disent "Père nous t'offrons ce cadeau, le corps du Christ", puis elles le mangent et le partagent en disant "Ceci est le corps du Christ ; et c'est le Pascha, à cause duquel nos corps souffrent et sont conçus pour reconnaître la passion du Christ". Et avec les émissions des femmes quand elles ont leurs - ils prennent de la même façon le sang menstruel non nettoyé, se réunissent, et le mangent en commun. Et "ceci" disent-ils "est le sang du Christ". Ils copulent, se baignent et apprêtent leur corps jour et nuit, mais refusent la procréation et pratiquent l'avortement et le cannibalisme du foetus (il y eut une accusation semblable contre les templiers eu 14e siècle à propos de leurs bébés). Tout cela est sous la section "contre les gnostiques et les borborites", mais semble englober les adamites. St Epiphane les appelle borboriens, koddiens, stratotique, phinionites, zacchaéens, berbélites, adeptes de l'Evangile d'Eve et de l'Evangile de la perfection.
Difficile de faire la part de la diffamation. Dans Le culte de Priape du RP Knight (Londres, 1786) p. 162, signale que l'administration de la semence virile comme un sacrement était aussi attribuée aux manichéens, et s'était perpétuée au Moyen Age comme rituel pour conserver l'amour (témoignages dans le Decretorum de Burchard de Worms lib XIX et dans le Liber Poenitentialis de Theodore en Angleterre).
Ces doctrines auraient fait leur chemin en Occident après avoir été persécutées en Orient.
Dans son Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours. Tome 3, Pierre Dufour (1853), affirme que "après Prodicus qui vivait en 420, les adamites subirent une réforme morale dont l'auteur est resté inconnu : ils se vouèrent à la continence et à la virginité, quoiqu'ils abusassent de l'imitation de leur patron, au point de vouloir revenir à l'état de nudité du premier homme". Autrement dit ils seraient passés d'une nudité sexuelle à une nudité chaste. C'est aussi l'avis de M. de Sénancourt dans De l'amour, selon les lois primordiales et selon les convenances des sociétés modernes .Troisième édition, 1829 p. 382
Les auteurs continuèrent cependant à nommer adamites les sectes libertines.
Taurmède au XIIIe siècle enlevait les femmes avec 3 000 soldats pour leur imposer des moeurs adamites (Dictionnaire historique, critique et bibliographique, contenant les vies des hommes illustres. T. 1 / ... suivi d'un dictionnaire abrégé des mythologies et d'un tableau chronologique des événements les plus remarquables qui ont eu lieu depuis le commencement du monde... (par L.-M. Chaudon et A.-F. Delandine, - 1821-1823). Avant lui au 12e siècle fut aussi parfois classé assimilé à ces sectes voluptueuses Tauchelin ou Tanchelm, Tanchelinus ou Tanchelmus (Légende des sept péchés capitaux de J. Collin de Plancy 1853) à Anvers qui "profita de l'illusion de ses disciples pour jouir des plus belles femmes de sa secte, et les maris et les pères, témoins avec le public des plaisirs de Tanchelin, rendaient grâce au ciel des faveurs que l'homme divin accordait à leurs femmes ou à leurs filles" (Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes, publ. par l'abbé Migne 1847).
Selon le Dictionnaire historique et critique de Bayle de 1715, p. 249, l'hérésie dirigée par un certain Picard qui allait plus loin dans la nudité que les adamites puisqu'il se disait sans péché. Son mouvement gagna au 14e siècle les Flandres et l'Allemagne, puis la Bohème. Une quarantaine de "picards" s'installèrent à 7 lieues de la place forte de Thabor où ils se livrèrent à des pillages et furent massacrés par le chef de guerre des hussistes Zizka. Selon Bayle, quand un homme de la secte voulait coucher avec une femme, il la prenait par la main, l'amenait au chef en lui disant "Mon esprit s'est échauffé pour celle-ci". Picard répondait "Allez croissez et multipliez". Ils considéraient les gens habillés comme des esclaves et c'est ce que dit, en 1420 Varillas cité par Bayle, une des femmes picardes retenues en prison par un seigneur de Bohème (mais selon Enee Sylvius Zizca n'épargna que deux hommes) . Elles accouchèrent en prison et furent condamnées au feu avec leurs maris ce qu'elles acceptèrent avec joie sans renoncer à leur libertinage.
Un film tchèque en 1917 Adamites de Prague ’ (Pražšti Adamité) aurait célébré le souvenir des néo-adamites de Bohême.
J'ai cité sur la base de JC Bologne, dans "La nudité pratiques et significations", le cas d'un pamphlet anonyme de 1684 L’adamiste ou le Jésuite insensible qui accusait un prêtre d’avoir créé une cellule adamite dans un monastère de Reims. Se prétendant insensible aux charmes féminins, ce confesseur de soixante ans avait persuadé quelques pensionnaires et novices (de seize à dix-neuf ans) ainsi que six religieuses, que la perfection était révélée par l’absence de honte à se montrer nues devant lui. Il avait établi une hiérarchie précise entre les Présomptives (qui osaient montrer leurs bras) jusqu’aux Ascendantes, aux Favorites, aux faciles ou aux Libres (qui montraient leurs cuisses). Venaient ensuite les Prédestinées (qui ne se voilaient plus que de leurs mains) et les Adamites (qui « pouvaient soutenir un regard actif et passif sans honte et sans émotion »). Le regard actif consistant à regarder sans rougir le père Roche tout nu"
Son contemporain le père Jésuite Jean Labadie né à Bourg sur Gironde en 1610 pervertit à partir de 1645 " presque toutes les filles d'un couvent de religieuses du Tiers-Ordre de Saint-François" de Toulouse fondé par M. de Nesmond, président au parlement de Bordeaux, "par cette malheureuse doctrine des Illuminés et des Adamites à la réserve seulement de quelques unes qui ne voulurent point adhérer à ses folies, et qu'il fit maltraiter par les autres, disant qu'elles étaient réprouvées et n'avaient point d'esprit de Dieu", si l'on en croit Mauduit dans son "Avis charitable à ces messieurs de Genève" de 1651 p. 13 cité par la revue Gascogne p. 269. Il avait fait de même parmi les Bernardines. En 1644 à Bazas il avait prêché l'indifférence à la communion et aux offices et l'écoute de l'Esprit saint en soi, comme avant lui le Mouvement du libre-esprit cher à Raoul Vaneigem. L'archevêque en fut averti par une soeur converse évadée. Labadie dénoncé se réfugia à une lieue de Toulouse, puis à La Graville dans le diocèse de Bazas (Antoine de Lantenay Revue de Gascogne : bulletin mensuel du Comité d'histoire et d'archéologie, 1886, tome XXVII p. 269).
A l'époque de Napoléon, le moine capucin Achazius au couvent de Duren en Belgique organisa un club de flagellants adamites mixte (Etude sur la flagellation à travers le monde, aux points de vue historique, médical, religieux, domestique et conjugal, : avec un exposé documentaire de la flagellation dans les écoles anglaises et les prisons militaires. Dissertation documentée, basée en partie sur les principaux ouvrages de la littérature anglaise en matière de flagellation et contenant un grand nombre de faits absolument inédits avec de nombreuses annotations et des commentaires originaux. - 1899 version reprise dans "Les flagellants et les flagellés de Paris" de Charles Virmaître, Paris Charles Carrington 1901)
Certains anabaptistes hollandais auraient repris la tradition adamite.
Selon un certain Lambert Hortensius dans "Relation des tumultes des Anabaptistes" que Bayle juge digne de foi, le 13 février 1535, 7 hommes et 5 femmes se réunirent à Amsterdam chez un certain Jean Sibert rue des Salines. L'un d'eux nommé Theodoret Sartor se disait prophète. Il se coucha par terre pour prier Dieu puis dit avoir vu son Seigneur, et être ensuite descendu aux enfers et qu'il avait appris que le jour du Jugement arrivait. Après quatre heures de prière, le prophète "jette son casque et sa cuirasse au feu, et se montre nu". Il ordonne aux autres de faire de même. On lui obéit et "on ne laisse pas même sur la tête un bout de ruban pour tenir les cheveux noués". Sur les ordres du prophète ils sortent dans la rue en criant en latin "vengeance divine" ce qui effraie le peuple qui croit la ville attaquée. On défère les illuminés au juge mais ils rejettent leurs habits. Mais le logis où ils ont mis leurs habits à brûler est en feu. On peine à l'éteindre. Le 28 mars on fait mourir les 7 hommes, puis quelques jours plus tard neuf de leurs complices. Un ministre nommé Gui de Bres rapporte cette histoire dans un livre contre les anabaptistes de 1565.
La secte des turlupins aussi pratiqua la nudité publique. Voir au sujet de sa porte-parole Jeanne Daubenton ici.
Commenter cet article