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Brighton : masseuses et médiums dans la rue
C'était le jour de la Children's parade hier dans la ville branchée et bobo de Brighton (elle a un député écologiste). 5 000 enfants de 37 écoles défilaient au son de tambours, de chants ou de sonos sur des thèmes et un imaginaire définis par chaque école.
Sur un trottoir d'East Road, une dame proposait un massage du dos et de la nuque pour quelques livres. A côté d'elle une médium néo-zélandaise.
Juste sur le trottoir d'en face, une autre médium que j'ai prise en photo : Nina Anne.
Elle a son cabinet 86 Rotherfield Crescent, et son site ici.
Les masseuses et les médiums étaient les deux seules professions à proposer ainsi leurs services en marge du défilé dans cette rue. Les rationalistes et les chrétiens pratiquants le regretteront sans doute, les proches de la mouvance New Age s'en réjouiront, mais cela fait en tout cas partie du paysage urbain actuel de l'Angleterre "à la mode"...
Lu dans "Le démon de Socrate" de Plutarque
"Infinis sont les chemins de vie, mais peu nombreux ceux où les hommes sont guidés par des démons" (§16 - p. 97).
"Homère, lui aussi, on le voit bien, connaît cette distinction dont nous parlons (entre hommes ordinaires et supérieurs) ; en effet il appelle certains devins augures et prêtres, mais il en est d'autres qui, selon lui,prédisent l'avenir parce qu'ils comprennent le langage des dieux eux-mêmes et sont dans le secret de leurs pensées" (propos de Theanor qui cite le cas d'Helenos fils de Priam) - §24 p. 115)
On peut lire le voyage astral de Timarque de Chéronée à Trophonios et celui d'Hermotimos de Clazomènes.
Michael Jackson et la sorcellerie
Sermon intéressant du pasteur G. Craige Lewis sur Michael Jackson en 2014 (même s'il a le tort d'être homophobe et très imprécis sur ses sources). Peut enrichir mon livre sur les tubes des années 1980.
En gros le propos est le suivant : ce chanteur a acheté le catalogue musical des Beatles pour invoquer l'esprit d'Aleister Crowley (Madonna aussi fut fan de lui, ce fut le cas aussi de David Bowie et Genesis), qui, dans son livre Liber 777 apprenait aux gens à invoquer des entités, et vénérait Cybèle, dont les prêtres, les corybantes qui avaient des cheveux coiffés et ondulés comme ceux des femmes, des visages blancs comme des murs délavés, ils étaient castrés, gardiens des enfants et des nourrissons, participaient à leurs rites de passage à l'âge adulte Ils pratiquaient la magie et la divination pour de l'argent. Ces corybantes poussaient des hurlements sauvages et lançaient des sons stridents durant leurs pas de danse au son de la flûte et du rythme sourd du tambourin. Quand la divinité entrait en eux, ils étaient remplis de pouvoirs divins et se mettaient à danser de manière incontrôlée dans des transes extatiques. M. Jackson était un médium qui avait canalisé ces énergies-là. Selon le pasteur des magazines comme Ebony de décembre 2007 donnent une image angélique de lui pour tromper les gens (c'est discutable...). Il relève certaines phrases hérétiques de ses chansons. "As God has shown us by turning stones to bread" dans We are the world. Dans Mathieu 4:3 c'est le diable qui met Jésus au défi de le faire. Dans "Another part of me " (qu'il a chantée habillé comme l'androïde maléfique Maria du film Métropolis) il décrit le néphilim qui l'habite qui dit "We're taking over/We have the truth,/This is our planet / You're one of us" et surtout "The planets are lining up", ce qui, en astrologie païenne selon le Pasteur correspond au retour de Nimrod, petit fils de Noe, pour finir la tour de Babel. "Blame it on the Boogue" parle d'un rythme ensorcelé (spellbound) comme une drogue, "the devil's got in to me" (Quincy Jones dansa comme un possédé dans la rue après avoir écrit cette chanson). M. Jackson a dit dans une interview à Martin Bashir qu'il grimpait dans "l'arbre qui donne" ("the giving tree") pour recevoir ses chansons. La mage sataniste Aleister Crowley a dit dans son livre qu'il avait une salle des miroirs et que si l'on regarde dans un miroir on peut voir à l'intérieur de soi-même et canaliser les esprits de ceux qui nous ont précédé et qui ont abusé de nous pour en faire des guides. M. Jackson a créé une salle des miroirs où il pouvait canaliser les esprits. Il a avoué dans Psychic News du 14 février 1987 qu'il y parlait avec l'esprit du pianiste Lee Liberace, son ange gardien, lequel lui donna la permission d'enregistrer "I'll be seeing you" (. Il a reçu ses meilleures chansons dans ses rêves. Le pasteur en conclut qu'il a canalisé Morphée, dieu des rêves soumis à Serapis Bey (membre de la Fraternité blanche, selon le pasteur c'est lui que les catholiques vénèrent à tort en croyant que c'est Jésus), Hypnos et Thanatos frères de Morphée. Il dormait parfois trois jours de suite. Un Esprit lui aurait dit que s'il refuse de dormir pour recevoir une chanson, l'Esprit la donnerait à Prince. Il provoquait son sommeil par des sédatifs. Dans l'album History il est représenté par une statue de lui comme Nébucadnetsar (Nabuchodonosor ) avec 777 sur son bras droit.
Dans le même esprit voir cette page de blog : il y a toute la problématique de la référence à l'union avec une entité démoniaque dans le clip Billie Jean, et l'apparition de Jackson en Sgt Pepper aux American Music Awards de 1984 quand il travaillait avec McCartney - Sgt Pepper avait mis Aleister Crowley sur la couverture (à rapprocher du fait que Freddy Mercury de Queen qui avait fait un pacte avec le diable a enregistré "Bohemian Rhapsody" sur la piano de McCartney, c'est la même connexion diabolique).
Sur d'autres aspects de l'investissement anti-chrétien dans la musique, on peut aussi se reporter aux travaux du père Benoît Domergue, dont certains estiment qu'il a repris des thématiques du père canadien Jean-Paul Regimbal.
Une actrice de X pose pour PETA à Londres
PETA ne s'arrange pas : l'association eu recours aux services de l'actrice X Samantha Bentley pour poser aujourd'hui nue devant l'ambassade de Russie à Londres en signe de protestation contre un projet russe d'envoyer des singes sur Mars. Il est vrai que Mme Bentley, 28 ans, a des talents diversifiés puisqu'elle a joué dans Game of thrones.
NB - actualisation 2019 PETA, qui joue beaucoup sur la nudité, est une cause qui attire beaucoup la sorcellerie, à preuve Alyssa Milano, qui y a adhéré en 2003 (rappelé dans Elle du 25 juillet 2019).
Dans US Magazine du 1er février 2018, on apprenait que l'actrice Rose McGowan (qui a joué la sorcière dans Conan le Barbare et dans Charmed) avait attaqué son ex-compagne de scène dans Charmed Alyssa Milano, elle aussi coutumière des rôles de sorcière, dans une interview accordée à la présentatrice de Nightline Juju Chang diffusée le 31 janvier sur la chaîne ABC. elle y explique derrière Time's Up, le mouvement des femmes en colère contre les agressions masculines, il y a la CAA (Creative artists agency - l'Agence des artistes créatifs), une entreprise de 1 800 employés créée en 1975 qui représente les intérêts d'acteurs, de musiciens, d'écrivains parmi les plus célèbres d'Hollywood auprès de sociétés de production artistique. Cette agence a intrigué beaucoup d'Internautes il y a quelque temps par le fait que son immeuble au 2 000 avenue of the Stars à Los Angeles avait, vu d'en haut, de nombreux symboles d'yeux d'Horus et de pyramides. L'immeuble a été construit par Ieoh Ming Pei l'architecte chinois de la pyramide du Louvre à Paris devant laquelle Macron avait paradé lors de son intronisation. En fait pour certains cet immeuble est un temple maçonnique et Rose McGowan explique que Time's Up s'y réunit.
Le mari d'Alyssa Milano est Dave Bugliari, agent de la CAA et Milano y est intervenante. Tous ces milieux baignent dans l'occultisme.
Les Adamites
Les adamites, chrétiens hérétiques qui se dévêtissaient complètement dans leurs cérémonies et dans la rue, ont fait verser de l'encre au fil des siècles et sont souvent cités de nos jours dans les débats sur la pudeur (voir par exemple les travaux de JC Bologne).
Selon Bayle, Prodicus au IIe siècle fut le fondateur des adamites. Disciple de Carpocrate, il ajouta à ses théories la copulation publique comme les cyniques païens et la mise en commun des femmes. Selon lui les corps vivent pour chanter la louange des anges qui on créé le monde. Il soutenait avoir des livres cachés de Zoroastre et ne pas devoir invoquer Dieu.
Selon Clément d'Alexandrie déjà le gnostique Carpocrate éteignait les chandelles pour des parties après les cérémonies. On leur prêtait des pratiques magiques et une croyance en la réincarnation. Le Père jésuite André Gouilloud dans son "Saint Irénée et son temps" (1876) situe Carpocrate dans la voie des doctrines valentiennes et que son fils Epiphane alla plus loin que lui encore. Irénée (Contra hoereses, 1. I,c. vi) les accuse d'assister aux jeux du cirque et aux fêtes des païens et d'en manger la viande en disant qu'ils font à la chair la part de la chair et à l'esprit celle de l'esprit. Ils rejetaient l'idée de distinction entre le bien et le mal, prenaient les animaux comme modèle, et Epiphane prôna même le communisme en tout. Saint Epiphane de Salamine, évêque de Constance, dans son Haeresus XXXVI parle de Carpocrate et dans le Panarion, de même qu'Eusèbe dans son histoire de l'Eglise 1,IV c.VII et Clément d'Alexandrie, Strom 1,III. (Gouilloud recommande de relire Irénée contre le renouveau de la Gnose, notamment contre l'hegelianisme, Hegel ayant confessé puiser sa source dans la Gnose, fille de Simon le Mage d'après les Philosophumena I, VI). Pour Carpocrate, autrefois judéo-chrétien, Christ est un homme, qui s'est élevé au-dessus de l'humanité par une âme très haute (la généalogie de l'évangile de Mathieu allait dans ce sens).
Il y a dans le Panarion section II 4,3 un descriptif du "don des femmes" à l'hôte coréligionnaire qui rend visite. Il précise qu'après l' "agape" (la partie fine), les femmes et les hommes reçoivent a semence masculines dans leurs propres mains. Puis, nus, ils tournent leurs yeux vers le ciel, prient avec le sperme sur leurs mains, et disent "Père nous t'offrons ce cadeau, le corps du Christ", puis elles le mangent et le partagent en disant "Ceci est le corps du Christ ; et c'est le Pascha, à cause duquel nos corps souffrent et sont conçus pour reconnaître la passion du Christ". Et avec les émissions des femmes quand elles ont leurs - ils prennent de la même façon le sang menstruel non nettoyé, se réunissent, et le mangent en commun. Et "ceci" disent-ils "est le sang du Christ". Ils copulent, se baignent et apprêtent leur corps jour et nuit, mais refusent la procréation et pratiquent l'avortement et le cannibalisme du foetus (il y eut une accusation semblable contre les templiers eu 14e siècle à propos de leurs bébés). Tout cela est sous la section "contre les gnostiques et les borborites", mais semble englober les adamites. St Epiphane les appelle borboriens, koddiens, stratotique, phinionites, zacchaéens, berbélites, adeptes de l'Evangile d'Eve et de l'Evangile de la perfection.
Difficile de faire la part de la diffamation. Dans Le culte de Priape du RP Knight (Londres, 1786) p. 162, signale que l'administration de la semence virile comme un sacrement était aussi attribuée aux manichéens, et s'était perpétuée au Moyen Age comme rituel pour conserver l'amour (témoignages dans le Decretorum de Burchard de Worms lib XIX et dans le Liber Poenitentialis de Theodore en Angleterre).
Ces doctrines auraient fait leur chemin en Occident après avoir été persécutées en Orient.
Dans son Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours. Tome 3, Pierre Dufour (1853), affirme que "après Prodicus qui vivait en 420, les adamites subirent une réforme morale dont l'auteur est resté inconnu : ils se vouèrent à la continence et à la virginité, quoiqu'ils abusassent de l'imitation de leur patron, au point de vouloir revenir à l'état de nudité du premier homme". Autrement dit ils seraient passés d'une nudité sexuelle à une nudité chaste. C'est aussi l'avis de M. de Sénancourt dans De l'amour, selon les lois primordiales et selon les convenances des sociétés modernes .Troisième édition, 1829 p. 382
Les auteurs continuèrent cependant à nommer adamites les sectes libertines.
Taurmède au XIIIe siècle enlevait les femmes avec 3 000 soldats pour leur imposer des moeurs adamites (Dictionnaire historique, critique et bibliographique, contenant les vies des hommes illustres. T. 1 / ... suivi d'un dictionnaire abrégé des mythologies et d'un tableau chronologique des événements les plus remarquables qui ont eu lieu depuis le commencement du monde... (par L.-M. Chaudon et A.-F. Delandine, - 1821-1823). Avant lui au 12e siècle fut aussi parfois classé assimilé à ces sectes voluptueuses Tauchelin ou Tanchelm, Tanchelinus ou Tanchelmus (Légende des sept péchés capitaux de J. Collin de Plancy 1853) à Anvers qui "profita de l'illusion de ses disciples pour jouir des plus belles femmes de sa secte, et les maris et les pères, témoins avec le public des plaisirs de Tanchelin, rendaient grâce au ciel des faveurs que l'homme divin accordait à leurs femmes ou à leurs filles" (Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes, publ. par l'abbé Migne 1847).
Selon le Dictionnaire historique et critique de Bayle de 1715, p. 249, l'hérésie dirigée par un certain Picard qui allait plus loin dans la nudité que les adamites puisqu'il se disait sans péché. Son mouvement gagna au 14e siècle les Flandres et l'Allemagne, puis la Bohème. Une quarantaine de "picards" s'installèrent à 7 lieues de la place forte de Thabor où ils se livrèrent à des pillages et furent massacrés par le chef de guerre des hussistes Zizka. Selon Bayle, quand un homme de la secte voulait coucher avec une femme, il la prenait par la main, l'amenait au chef en lui disant "Mon esprit s'est échauffé pour celle-ci". Picard répondait "Allez croissez et multipliez". Ils considéraient les gens habillés comme des esclaves et c'est ce que dirent, d'après en 1420 Varillas cité par Bayle, des femmes picardes retenues en prison par un seigneur de Bohème (mais selon Enee Sylvius Zizca n'épargna que deux hommes) . Elles accouchèrent en prison et furent condamnées au feu avec leurs maris ce qu'elles acceptèrent avec joie sans renoncer à leur libertinage.
Un film tchèque en 1917 Adamites de Prague ’ (Pražšti Adamité) aurait célébré le souvenir des néo-adamites de Bohême.
J'ai cité sur la base de JC Bologne, dans "La nudité pratiques et significations", le cas d'un pamphlet anonyme de 1684 L’adamiste ou le Jésuite insensible qui accusait un prêtre d’avoir créé une cellule adamite dans un monastère de Reims. Se prétendant insensible aux charmes féminins, ce confesseur de soixante ans avait persuadé quelques pensionnaires et novices (de seize à dix-neuf ans) ainsi que six religieuses, que la perfection était révélée par l’absence de honte à se montrer nues devant lui. Il avait établi une hiérarchie précise entre les Présomptives (qui osaient montrer leurs bras) jusqu’aux Ascendantes, aux Favorites, aux faciles ou aux Libres (qui montraient leurs cuisses). Venaient ensuite les Prédestinées (qui ne se voilaient plus que de leurs mains) et les Adamites (qui « pouvaient soutenir un regard actif et passif sans honte et sans émotion »). Le regard actif consistant à regarder sans rougir le père Roche tout nu"
Son contemporain le père Jésuite Jean Labadie né à Bourg sur Gironde en 1610 pervertit à partir de 1645 " presque toutes les filles d'un couvent de religieuses du Tiers-Ordre de Saint-François" de Toulouse fondé par M. de Nesmond, président au parlement de Bordeaux, "par cette malheureuse doctrine des Illuminés et des Adamites à la réserve seulement de quelques unes qui ne voulurent point adhérer à ses folies, et qu'il fit maltraiter par les autres, disant qu'elles étaient réprouvées et n'avaient point d'esprit de Dieu", si l'on en croit Mauduit dans son "Avis charitable à ces messieurs de Genève" de 1651 p. 13 cité par la revue Gascogne p. 269. Il avait fait de même parmi les Bernardines. En 1644 à Bazas il avait prêché l'indifférence à la communion et aux offices et l'écoute de l'Esprit saint en soi, comme avant lui le Mouvement du libre-esprit cher à Raoul Vaneigem. L'archevêque en fut averti par une soeur converse évadée. Labadie dénoncé se réfugia à une lieue de Toulouse, puis à La Graville dans le diocèse de Bazas (Antoine de Lantenay Revue de Gascogne : bulletin mensuel du Comité d'histoire et d'archéologie, 1886, tome XXVII p. 269).
A l'époque de Napoléon, le moine capucin Achazius au couvent de Duren en Belgique organisa un club de flagellants adamites mixte (Etude sur la flagellation à travers le monde, aux points de vue historique, médical, religieux, domestique et conjugal, : avec un exposé documentaire de la flagellation dans les écoles anglaises et les prisons militaires. Dissertation documentée, basée en partie sur les principaux ouvrages de la littérature anglaise en matière de flagellation et contenant un grand nombre de faits absolument inédits avec de nombreuses annotations et des commentaires originaux. - 1899 version reprise dans "Les flagellants et les flagellés de Paris" de Charles Virmaître, Paris Charles Carrington 1901)
Certains anabaptistes hollandais auraient repris la tradition adamite.
Selon un certain Lambert Hortensius dans "Relation des tumultes des Anabaptistes" que Bayle juge digne de foi, le 13 février 1535, 7 hommes et 5 femmes se réunirent à Amsterdam chez un certain Jean Sibert rue des Salines. L'un d'eux nommé Theodoret Sartor se disait prophète. Il se coucha par terre pour prier Dieu puis dit avoir vu son Seigneur, et être ensuite descendu aux enfers et qu'il avait appris que le jour du Jugement arrivait. Après quatre heures de prière, le prophète "jette son casque et sa cuirasse au feu, et se montre nu". Il ordonne aux autres de faire de même. On lui obéit et "on ne laisse pas même sur la tête un bout de ruban pour tenir les cheveux noués". Sur les ordres du prophète ils sortent dans la rue en criant en latin "vengeance divine" ce qui effraie le peuple qui croit la ville attaquée. On défère les illuminés au juge mais ils rejettent leurs habits. Mais le logis où ils ont mis leurs habits à brûler est en feu. On peine à l'éteindre. Le 28 mars on fait mourir les 7 hommes, puis quelques jours plus tard neuf de leurs complices. Un ministre nommé Gui de Bres rapporte cette histoire dans un livre contre les anabaptistes de 1565.
La secte des turlupins aussi pratiqua la nudité publique. Voir au sujet de sa porte-parole Jeanne Daubenton ici.
Jacqueline-Aimée Brohon (1731-1778)
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Parmi les auteurs oubliés de notre histoire littéraire, une femme, Jacqueline-Aimée Brohon qui vécut à Gisors au XVIIIe siècle. Peu de mentions d'elle de nos jours sur le web francophone, à part un appel à communication qui la décrit comme ayant "succombé à l’attrait des hétérodoxies, en même temps qu’à celui du romanesque" et une fiche de l'ULB qui donne comme date date de sa mort 1778, alors que Hersan la fait mourir en 1792, et ses Instructions édifiantes publiées en 1791 la donnent morte "douze ans" plus tôt). Pourtant le personnage compta en son temps et fut une source de polémiques à l'échelle nationale dans les décennies qui suivirent sa mort.
Dans son Histoire de la ville de Gisors (p. 201-202), P.-F.-D. Hersan, ancien instituteur en 1858, l'évoque en ces termes :
"A cette époque, vivait à Gisors la demoiselle Jacqueline-Aimée Brohon, auteur des ouvrages suivants : "Les amans philosophes" (orthographe de l'époque), un volume in-12, "les Tablette enchantées", un volume in-12, "Instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus-Christ au Désert, un volume in-12 ; "Manuel des victimes de Jésus" ; "les Charmes de l'Ingénuité," etc. Elle vécut au couvent des Annonciades de Gisors, dont une de ses parentes était supérieure. Fatiguée du monde, duquel elle avait fait les charmes par sa beauté et son instruction, elle embrassa les douceurs du cloître, sous la direction de l'abbesse qui lui était dévouée. Là, elle s'occupa de l'instruction et de l'éducation des pensionnaires du couvent. Quelques années auparavant, Voltaire lui avait fait obtenir une pension de mille livres, en considération de ses premiers ouvrages. Ses romans sont d'une hardiesse et d'une exaltation religieuse extraordinaires. Elle vécut aux Annonciades de Gisors dans un état dévotieux qui fit l'admiration des religieuses de cette maison. Elle mourut à l'époque de la révolution en 1792." Tout indique qu'Hersan se trompe et que JA Brohon est morte en 1778 à Paris, à 47 ans, après avoir vécu 14 ans (de 1764 à 1778, de 33 à 47 ans) au couvent de Gisors.
Les "Amans philosophes ou le triomphe de la raison" sont facilement accessibles sur Google Books. L'ouvrage, a été publié sous couvert d'anonymat à Amsterdam en1755 (l'auteure n'avait que 24 ans si l'on en croit la fiche de l'ULB, mais l'Histoire littéraire des femmes françoises lui en donne 18, ce qui signifie peut-être qu'il y eut une première publication en 1749). JA Brohon y annonce dans sa préface vouloir y exposer des réflexions qu'elle a "puisées dans la nature et dans le sentiment", et sollicite l'indulgence de ses juges en précisant que l'accueil fait à son livre déterminera son choix de poursuivre dans la voie littéraire ou pas.
Ce roman raconte l'amitié entre Mérindor, philosophe à l'esprit juste, à l'âme généreuse mais fuyant le commerce des hommes, et Damon, moins raisonnable, qui, sans avoir encore connu la passion amoureuse, est mal armé pour lui résister.
Près de chez Damon vit Emilie, beauté dans la fleur de l'âge, "fourbe, artificieuse et coquette à l'excès". Elle détourne Damon du goût de l'étude, lequel déserte l'amitié de Mérindor aussi bien que le salon de la tendre veuve Uranie chez qui ils avaient coutume de se réunir et qui avait des sentiments discrets pour lui. Comme Mérindor console, par les arguments de la raison, Uranie de sa solitude, celle-ci lui présente le jeune Déricourt, dont il tombe peu à peu amoureux. Comme il confie à Uranie la mélancolie que lui inspire cet amour interdit, son amie lui révèle que Déricourt est en réalité une femme nommée Victoire.
Suit une histoire de Victoire, fille d'une famille de deux enfants en Champagne. L'ayant rencontrée à 15 ans, Uranie l'a soustraite à l'influence néfaste de son grand frère Dorante, qui est amoureux d'elle, en l'initiant à la lecture, puis, à la mort de son père comme la flamme de Dorante se fait plus pressante, Victoire s'enfuit à Paris déguisée en homme, et se réfugie chez Uranie.
Mérindor s'ouvre alors de ses sentiments à Victoire, découvre qu'ils sont réciproques. L'auteur nous révèle alors la vie de Mérindor, initialement attaché à un courtisan aux belles manières mais qui ignorait les vertus authentiques, Oronte, puis amoureux d'une jeune Sylvie qu'Oronte lui ravit perfidement, alors pourtant qu'Oronte était promis en mariage à une autre femme. Oronte finit par abandonner Silvie, tandis que sa promise apprenait sa trahison. Mérindor vengé des injustices subies, mais désormais amer, tandis que son père tente de lui faire épouser Angélique, fille d'un chevalier. il perd les trois quarts de sa fortune du fait de la trahison d'un sien ami juge qui préfère les yeux d'une femme à la justice, et, du même coup, la promesse de mariage avec Angélique.Son père en meurt de chagrin, et sa mère décède peu de temps après.
Mérindor allait recouvrer sa fortune grâce au père de Damon. Après que Mérindor eut raconté ses infortunes à Victoire, celle-ci l'assure de la force de ses sentiments pour lui. Peu après, déguisée en Déricourt, elle croise Emilie dans un jardin de rencontres, où elle trompe abondamment et secrètement Damon. Séduite à la vue de Déricourt, elle entreprend de le soustraire aux enseignements d'Uranie. Instruite par Damon, s'étant introduit dans le cercle de Madame de Joinville, que fréquentaient Uranie et Déricourt, elle plait à celui-ci. Alors que Victoire et Uranie ont décidé de ne plus entrer dans le jeu d'Emilie et de ne plus fréquenter le salon de Mme de Joinville, Damon vient rencontrer Victoire déguisée en Déricourt en qui il voit un rival.
Comme Damon tire son épée contre Déricourt, Mérindor, présent, le repousse et lui révèle que Déricourt n'est pas un homme mais une femme vertueuse. Emilie de son côté entreprend de reconquérir Damon. Allant à sa rencontre, elle obtient de lui sans s'y attendre l'aveu que Déricourt est une femme. Après avoir reconquis le coeur de Damon, Emilie se venge de Victoire en écrivant à son frère. Uranie empêche néanmoins Dorante d'enlever sa soeur par la violence. Invoquant le "ciel protecteur de l'innocence" et la philosophie, elle persuade sa protégée de suivre son frère. Uranie fait en sorte que son enfermement dans une abbaye ne soit pas trop douloureuse pour elle et qu'elle puisse continuer à correspondre avec l'extérieur.
JA Brohon présente ensuite un échange de lettres touchant entre Mérindor et Victoire. Ne pouvant plus attendre que sa soeur consente à s'accoupler avec lui, Dorante décide de l'enlever où elle est recluse pour la placer dans un couvent sordide au fond d'un bois, mais l'émissaire d'Uranie les a suivis. En prise aux tourments de la solitude et de la mauvaise compagnie des religieuses, Victoire ne tient que par sa confiance en l'amour de Mérindor, lequel est en proie à la tentation du suicide. Informé de la situation, Damon, qui ignore toujours que Victoire est au couvent à cause d'Emilie, va rencontrer Mérindor. Instruit par Uranie, il prend enfin conscience de sa responsabilité dans le drame que vivent Mérindor et Victoire et va tuer Dorante dans un duel avant de s'exiler. Acquitté au tribunal grâce au soutien de Mérindor, Damon épousera uranie, et Mérindor Victoire tandis que tout le monde est réconcilié dans l'amour et le sentiment de la justice restaurée.
Le roman fait penser au conte ultérieur de Sade "Justine ou les infortunes de la vertu", mais à l'envers car la vertu y est récompensée. On comprend que Hersan cent ans plus tard l'ait trouvé "audacieux" en faisant implicitement mais probablement allusion entre autre à la question de la bisexualité. L'histoire du travestissement pour sauver l'indépendance ou l'intégrité d'une femme était banale à l'époque (cf le chevalier d'Eon ou certains passages des mémoires de Casanova), et cela entre chez JA Brohon dans une problématique de la nature vertueuse plus importante que les apparences, et le regard sur l'homosexualité différent de ce qu'il allait devenir au XIXe siècle, même si Melle de Brohon fait référence au fait qu'elle reste un "crime" du point de vue de la religion.
L' "Histoire littéraire des femmes françoises ou Lettres historiques et critiques" tome V, recueil de lettres d'une société de gens de lettres anonymes, publié chez Lacombe librairie en 1769, évoque (p. 517) les "Amans philosophes" et "Charmes de l'ingénuité" présenté comme un "très joli conte, inséré dans le Mercure de France" mais regrette à propos de Mademoiselle Brohon que "depuis plus de douze ans, il n'a paru aucun écrit sous son nom, aucun qui lui ait été attribué" et qu'elle soit soit "rentrée dans le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe" (nous verrons plus loin qu'il n'en fut rien). L'auteur de l'article estime que "les amans ne sont pas plus philosophes qu'ailleurs. Mais sans faire attention au titre de l'ouvrage de justes éloges, et pour les sentiments qu'il donne à ses personnages et pour la manière dont il les exprime". L'auteur de la revue précise ensuite que le conte "Charmes de l'ingénuité" a été repris par M. Marin sous forme 'une pièce de théâtre de comédie sous le titre "Graces de l'ingénuité.
Les archives du Mercure de France attestent que l'éloge des "Amans Philosophes" a été fait par la revue en mai 1755, estiment qu'elle s'est peinte dans "les Grâces de l'Ingénuité" et ajoutent : "heureux qui pourrait être son Tervile !". La revue de mars 1756 publie un compliment anonyme en vers (comme c'était l'usage) à la nouvelle "les Grâces de l'Ingénuité" parue en février (p. 84-85). Dans celle d'avril (p.51) paraissent des stances à Mademoiselle de Brohon, d'un certain comte Jean Charles de Relongue de la Louptière, qui ecrit de la Louptière en Champagne, dont on peut retenir ces quatre vers :
"Ton coeur nous peint avec finesse
Les charmes de la vérité ;
Et tu décores la sagesse
Des habits de la volupté (...)
Brohon, à ton sexe perfide
Apprends l'art d'aimer constamment ".
Ces poèmes montrent qu'elle était devenue dès le plus jeune âge une "star" de la bonne société parisienne, ce qui rend mystérieux son silence des années qui suivirent.
Venons en maintenant à la seconde partie, mystique, de sa vie.
En 1923, le jeune Auguste Viatte lui consacra un article très malveillant "Une visionnaire au siècle de Jean-Jacques, Mademoiselle Brohon" dans La revue des questions historiques XCVIII 1er avril 1923 p. 336, qui a cependant le mérite de donner un bon aperçu des visions de la romancière devenue religieuse. Il se trompe quand il affirme qu'elle était inconnue de son vivant, mais ses recherches sur l'utilisation de Mlle Brohon par les jacobins sont fascinantes. Il y explique que Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne sous Robespierre, dans son "Journal prophétique" récupéra les dires visionnaires de Suzette Labrousse et les "papiers de Mlle Brohon", ce qui aboutit à leur publication en librairie par Firmin Didot sous la forme des Entretiens édifiants "qui n'offre rien de plus remarquable qu'un livre de piété quelconque" selon Viatte, et ses "Réflexons édifiantes" qu'il qualifie en revanche de "document des plus curieux". Ces réflexions, écrites entre 1772 et 1778, date de la mort de Mlle Brohon, s'ajouteraient selon l'abbé Grégoire à un Manuel des Victimes de Jésus dont il ne connaissait qu'un exemplaire, et deux volumes inédits de ses mémoires cités dans l'Histoire des sectes religieuses (Paris 1928, t. II, p. 36). Ce manuel fut publié en fait en 1799.
"Leur auteur était une convertie, écrit Viatte. Au cours de son passé mondain, elle avait composé des romans doucereux, aujourd'hui parfaitement illisibles" qu'il classe au nombre des imitateurs de Rousseau. Il attribue au "sentimentalisme du Vicaire Savoyard" son intérêt pour Jésus qui lui a recommandé d'écouter son coeur plutôt que son esprit, ce que Viatte impute à la crédulité du siècle des Lumières (on peut aussi penser aux récits de Pauwells sur Mme d'Urfé dupée par Casanova. L'historien rapproche Mlle de Brohon du mage suédois Swedenborg, qui serait du même niveau qu'elle "l'un n'est pas supérieur à l'autre" (mais Viatte veut en indiquant cela rabaisser Swedenborg, notamment par rapport au théosophe Saint-Martin). Il tourne en dérision le passage de ses Réflexion où Mlle de Brohon raconte comment Dieu la porta sur un nuage transparent et lumineux, avec un nuage noir qui enveloppe le monde en dessous d'elle, et comment lorsque les nuages s'ouvrent elle voit le monde dans son crime et un tourbillon de poussière sale en émaner. "D'autres visions, par leur sensiblerie presqu'indécente, font songer Mme Guyon" ajoute-t-il à propos de sa vision de son arrivée au pied du trône de Jésus. Il décèle dans ses visions et dans sa propension à se décrire comme une victime expiatoire l'orgueil, comme chez Rousseau. Mlle Brohon se pose selon lui en créatrice d'un nouvel ordre sacerdotal. "Elle se voit à la tête de 'troupes auxiliaires de l'Eglise', nous dit-il", douze hommes et femmes avec des règles spécifiques, annonce la venue d'un Cardinal qui offrira aux Victimes une ère de prospérité. Ces Victimes serviront Dieu dans l'Eglise d'une manière spéciale, et Jésus lui annonce la venue d'une autre Eglise, comme Swedenborg avait annoncé que l'Esprit divin quittait le corps ecclésiastique en 1757. Elle annonce que l'Espagne privera la France de ses princes si l'autorité des Victimes n'était pas acceptée, que l'ancien clergé lancera des persécutions, que les Juifs se convertiront, et que les Chrétiens s'installeront bientôt en Palestine. Elle fait revenir Elie et Enoch pour guider le peuple fidèle. Vaincus et tués ils seront vengés, et le règne de Jésus commencera en 1866 car les 22 000 coudées de l'Apocalypse sont 22 000 mois.
Viatte, indigné par l'immodestie de Mlle Brohon, déplore qu'au XIXe siècle elle ait gardé un public, et que, par exemple, en 1811, lorsque la mystique Barbara von Krüdener se rendit à Strasbourg, celle-ci y rencontrât un cercle "nourri des Réflexions édifiantes" et en fut éblouie. Les ouvrages de Mme de Krüdener, ajoute Viatte "il est vrai se ressentaient d'une inspiration analogue. Dans leurs âmes féminines, le mysticisme des théosophes s'affadissait, se compliquait de sentimentalité rousseauiste. La notion de péché disparaissait, elle qui occupe une si grand place dans la philosophie martiniste. Le 'moi' tendait à une émancipation complète. la Révolution achèvera de libérer l'expression de cette volonté de puissance ; elle ne la créera pas, car elle s'épanchait déjà avec une suprême impudeur dans le secret des journaux intimes. Ainsi se préparait le romantisme : nous le voyons déjà tout entier, avec son caractère de 'mysticisme impérialiste' comme s'exprimerait Ernest Seillère." Viatte conclut que les théosophes chrétiens eurent le mérite d'exercer "une influence modératrice" face à des mysticismes comme ceux de Mlle Brohon ou Suzette Labrousse, "tout en fournissant au romantisme un important bagage d'images surnaturelles". Mlle Brohon était à ses yeux le précurseur de "cette religion de l'instinct aveugle et de l'individualisme exaspéré qui s'épanouit vers 1830 et dont nous subissons encore les conséquences".
Je trouve cette critique en soi aussi intéressante que les visions de la mystiques de par les réflexions éthiques et politiques qu'elle suscite. Il faudrait un autre article pour en discuter sérieusement.
On mentionnera par ailleurs pour mémoire, que, toujours selon la Revue des questions historiques, Henri d'Alméas parle aussi du mysticisme de Mlle Brohon dans ses ouvrages.
Pour aller plus loin dans les évocations de l'abbé Grégoire auxquelles Auguste Viatte faisait référence on peut se reporter à l'article de John Murray en octobre 1822, dans la Quarterly review de Londres sur le livre dudit abbé (tome 2) Histoire des Sectes Religieuses qui depuis le Commencement du Siècle dernier jusqu’à I’Epoque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du Monde, qui éclaire la notion de "victime" chez Mlle Brohon en expliquant que la fondatrice des Religieuses adoratrices perpétuelles du très Saint Sacrement de l’Autel au XVIIe siècle instituait les religieuses comme des "victimes réparatrices" des souffrances de Jésus puisqu'elles se sacrifient à sa place. Selon Grégoire Melle Brohon aurait abusé du terme. Après le succès littéraire de ses 18 ans, la mystique se repentit de ses premiers romans ayant, disait-elle, été sauvée par un miracle (on ignore lequel à la lecture de l'article). A partir de là elle se consacra à la publication anonyme d’œuvres de dévotion. Grégoire vante son style mais condamne sa prétention (critique qu'allait reprendre Viatte) de créer un collège de six hommes et six femmes "victimes" qui se crucifieront pour que Jésus ne le soit plus (le chiffre 12 équivalait à celui des apôtres, mais rééquilibré en faveur des femmes). Mlle Brohon demanda au nom du Seigneur à Louis XV que madame Victoire, une de ses huit filles née en 1733 (Mlle Brohon avait peut etre pensé à elle dans son premier roman), devînt une "Victime", ce qui serait un privilège pour elle car ces douze Victimes seraient élevées au dessus des anges et instruites dans les secrets de Jésus et Marie. Elles auraient le pouvoir sur le monde sous la présidence d'Ennoch et Elie. Selon Grégoire, Mlle Brohon, comme Mlle Labrousse qui allait mener une prédiction semblable à Rome où la dernière allait être emprisonnée, avaient des soutiens très importants auprès du Pape lui-même, malgré leur coloration hérétique.
Avant Viatte, l'érudit Alfred Maury avait aussi été peu tendre pour la visionnaire l'avait mentionnée dans ce paragraphe d'un article de la revue « Annales médico-psychologiques » de 1855 (où bizarrement il lui prête un itinéraire lorrain en oubliant Gisors).
"L’enthousiasme qui faisait croire aux Franciscains à un second avènement de Jésus-Christ, dans la personne de leur fondateur, et les mettait ainsi sur la pente d’une nouvelle religion différente du christianisme, se reproduisit ; vers 1732, à propos des victimes. Des rêveurs débitèrent que le second retour de Jésus-Christ serait précédé de l’immolation de victimes, dont le sang mêlé à celui du Sauveur apaiserait la colère divine. La plus célèbre des femmes qui donnèrent dans ces extravagances est mademoiselle Brohon, morte à Paris en 1778. Cette visionnaire avait, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse et d’autres mystiques connues, un mérite de style. Elle n’entra point dans l’ordre qu’avait fondé Catherine de Bar, mais ayant vécu longtemps en Lorraine, où les bénédictines du Saint-Sacrement étaient alors fort nombreuses, elle subit l’influence de ses idées. Elle parvint à exercer un véritable empire sur des gens distingués, et elle occupa de ses hallucinations et de ses prétendues prophéties une foule de membres du clergé et des [p. 203] personnes de la haute société. Ses visions avaient la plus grande analogie avec celles des stigmatisés. Un jour elle voyait Jésus-Christ lui montrer la plaie de son côté, en lui disant : « Voilà ton tombeau, ton lit nuptial, ne me cherche plus sur la croix ; je t’ai cédé cette place ; je ne serai plus crucifié, mes victimes le seront pour moi. » Une autre fois, Jésus lui communiqua le calice d’amertume qu’il a bu sur le Calvaire. Mademoiselle Brohon représente le côté allégorique et métaphysique des idées dont, vers la même époque ou un demi-siècle plus tard, Colombe Schanolt, morte à Bamberg en 1787, Madeleine Lorger, morte à Hadamar, en 1806, Anne-Catherine Emmerlch, à Dulmen, quinze ans plus tard, présentaient le côté physique,
Dans le midi de la France, la propagation des mêmes idées fit apparaître dans la Provence une stigmatisée, celle de Villecroze, madame Miollis, et l’histoire de Rose Tamisier ne semble pas étrangère à ces influences. Quant à l’Italie et à l’Espagne, le mysticisme y avait toujours régné, et nous ne nous étonnerons pas de rencontrer encore au commencement de ce siècle, à Ozieri, en Sardaigue, une stigmatisée, Rose Cerra, religieuse capucine."
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A paraître dans une revue :
Jacqueline Aimée Brohon, l’autre mystère de Gisors
Christophe Colera
Le mystère du trésor des templiers a fait la réputation de Gisors au niveau mondial. Certains n’hésitent pas à lui rattacher d’autres énigmes de l’histoire secrète de notre pays comme les tableaux de Nicolas Poussin ou les obscures découvertes de l’abbé Saunières à Rennes-le-Château dans l’Aude[1]. Il en est un autre dont on ne sait s’il peut avoir un rapport quelconque avec les templiers mais qui nourrit de nombreux débats à l’époque de la Révolution française et encore tout au long du XIXe siècle, celui des visions d’une femme écrivaine qui vécut 14 ans à Gisors au couvent des Annonciades, avant de décéder le 18 octobre 1778 à Paris.
Dans son Histoire de la ville de Gisors, P.-F.-D. Hersan, ancien instituteur, membre de la Société académique de l’Oise, en 1858[2], l'évoque en ces termes :
« A cette époque, vivait à Gisors la demoiselle Jacqueline-Aimée Brohon, auteur des ouvrages suivants : "Les amans philosophes" (orthographe de l'époque), un volume in-12, "les Tablette enchantées", un volume in-12, "Instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus-Christ au Désert, un volume in-12 ; "Manuel des victimes de Jésus" ; "les Charmes de l'Ingénuité," etc. Elle vécut au couvent des Annonciades de Gisors, dont une de ses parentes était supérieure. Fatiguée du monde, duquel elle avait fait les charmes par sa beauté et son instruction, elle embrassa les douceurs du cloître, sous la direction de l'abbesse qui lui était dévouée. Là, elle s'occupa de l'instruction et de l'éducation des pensionnaires du couvent. Quelques années auparavant, Voltaire lui avait fait obtenir une pension de mille livres, en considération de ses premiers ouvrages. Ses romans sont d'une hardiesse et d'une exaltation religieuse extraordinaires. Elle vécut aux Annonciades de Gisors dans un état dévotieux qui fit l'admiration des religieuses de cette maison. Elle mourut à l'époque de la révolution en 1792. »
A part l’erreur de sa date de sa mort (qui est pourtant clairement explicitée dans le titre de la publication post-mortem de ses Instructions édifiantes publiées en 1791), l’évocation a le mérite de tracer le contraste entre une carrière d’écrivaine mondaine au cœur du siècle des Lumières, protégée par Voltaire, et l’enfermement au cloître. Mais ce contraste n’est pas la seule source d’étonnement que recèle l’itinéraire de ce personnage. A vrai dire plutôt que d’un mystère à son propos il faudrait parler de mystères au pluriel, car on peut en énoncer au moins trois autour de ce personnage : celui de son génie littéraire précoce, celui de sa conversion mystique, celui enfin du destin posthume singulier de ses visions.
Le génie littéraire précoce de Jacqueline-Aimée Brohon
On connaît l’enfance de Mlle Brohon à travers ce qu’en dit le tome 2 de l’Histoire des sectes de l’abbé Grégoire[3]. Fille de receveur, elle passa, précise-t-il, une partie de son enfance en Lorraine, et fut « livrée de très bonne heure à la culture des lettres » qui débuta par « des articles de journaux et des romans ». Dans la mesure où les mémoires de l’intéressée que l’abbé a consultées ne sont plus d’un accès aisé à la bibliothèque nationale de France, on n’en saura pas plus.
Son premier roman, "Les Amans philosophes ou le triomphe de la raison" sont facilement consultables sur Google Books dans une version publiée sous couvert d'anonymat à Amsterdam en 1755 (l'auteure avait 24 ans si l’on retient 1731 pour sa date de naissance comme le font la plupart des fiches biographiques, mais l'Histoire littéraire des femmes françoises[4] ne lui en donne que 18). JA Brohon y annonce dans sa préface vouloir y exposer des réflexions qu'elle a "puisées dans la nature et dans le sentiment", et sollicite l'indulgence de ses juges en précisant que l'accueil fait à son livre déterminera son choix de poursuivre dans la voie littéraire ou pas.
On peut ici donner un aperçu du livre en retraçant son intrigue légèrement alambiquée.
Ce roman raconte l'amitié entre Mérindor, philosophe à l'esprit juste, à l'âme généreuse mais fuyant le commerce des hommes, et Damon, moins raisonnable, qui, sans avoir encore connu la passion amoureuse, est mal armé pour lui résister.
Près de chez Damon vit Emilie, beauté dans la fleur de l'âge, "fourbe, artificieuse et coquette à l'excès". Elle détourne Damon du goût de l'étude, lequel déserte l'amitié de Mérindor aussi bien que le salon de la tendre veuve Uranie chez qui ils avaient coutume de se réunir et qui avait des sentiments discrets pour lui. Comme Mérindor console, par les arguments de la raison, Uranie de sa solitude, celle-ci lui présente le jeune Déricourt, dont il tombe peu à peu amoureux. Comme il confie à Uranie la mélancolie que lui inspire cet amour interdit, son amie lui révèle que Déricourt est en réalité une femme nommée Victoire.
Suit une histoire de Victoire, fille d'une famille de deux enfants en Champagne. L'ayant rencontrée à 15 ans, Uranie l'a soustraite à l'influence néfaste de son grand frère Dorante, qui est amoureux d'elle, en l'initiant à la lecture, puis, à la mort de son père comme la flamme de Dorante se fait plus pressante, Victoire s'enfuit à Paris déguisée en homme, et se réfugie chez Uranie.
Mérindor s'ouvre alors de ses sentiments à Victoire, découvre qu'ils sont réciproques. L'auteur nous révèle alors la vie de Mérindor, initialement attaché à un courtisan aux belles manières mais qui ignorait les vertus authentiques, Oronte, puis amoureux d'une jeune Sylvie qu'Oronte lui ravit perfidement, alors pourtant qu'Oronte était promis en mariage à une autre femme. Oronte finit par abandonner Silvie, tandis que sa promise apprenait sa trahison. Mérindor vengé des injustices subies, mais désormais amer, tandis que son père tente de lui faire épouser Angélique, fille d'un chevalier. il perd les trois quarts de sa fortune du fait de la trahison d'un sien ami juge qui préfère les yeux d'une femme à la justice, et, du même coup, la promesse de mariage avec Angélique. Son père en meurt de chagrin, et sa mère décède peu de temps après.
Mérindor allait recouvrer sa fortune grâce au père de Damon. Après que Mérindor eut raconté ses infortunes à Victoire, celle-ci l'assure de la force de ses sentiments pour lui. Peu après, déguisée en Déricourt, elle croise Emilie dans un jardin de rencontres, où elle trompe abondamment et secrètement Damon. Séduite à la vue de Déricourt, elle entreprend de le soustraire aux enseignements d'Uranie. Instruite par Damon, s'étant introduit dans le cercle de Madame de Joinville, que fréquentaient Uranie et Déricourt, elle plait à celui-ci. Alors que Victoire et Uranie ont décidé de ne plus entrer dans le jeu d'Emilie et de ne plus fréquenter le salon de Mme de Joinville, Damon vient rencontrer Victoire déguisée en Déricourt en qui il voit un rival.
Comme Damon tire son épée contre Déricourt, Mérindor, présent, le repousse et lui révèle que Déricourt n'est pas un homme mais une femme vertueuse. Emilie de son côté entreprend de reconquérir Damon. Allant à sa rencontre, elle obtient de lui sans s'y attendre l'aveu que Déricourt est une femme. Après avoir reconquis le coeur de Damon, Emilie se venge de Victoire en écrivant à son frère. Uranie empêche néanmoins Dorante d'enlever sa soeur par la violence. Invoquant le "ciel protecteur de l'innocence" et la philosophie, elle persuade sa protégée de suivre son frère. Uranie fait en sorte que son enfermement dans une abbaye ne soit pas trop douloureuse pour elle et qu'elle puisse continuer à correspondre avec l'extérieur.
JA Brohon présente ensuite un échange de lettres touchant entre Mérindor et Victoire. Ne pouvant plus attendre que sa soeur consente à s'accoupler avec lui, Dorante décide de l'enlever où elle est recluse pour la placer dans un couvent sordide au fond d'un bois, mais l'émissaire d'Uranie les a suivis. En prise aux tourments de la solitude et de la mauvaise compagnie des religieuses, Victoire ne tient que par sa confiance en l'amour de Mérindor, lequel est en proie à la tentation du suicide. Informé de la situation, Damon, qui ignore toujours que Victoire est au couvent à cause d'Emilie, va rencontrer Mérindor. Instruit par Uranie, il prend enfin conscience de sa responsabilité dans le drame que vivent Mérindor et Victoire et va tuer Dorante dans un duel avant de s'exiler. Acquitté au tribunal grâce au soutien de Mérindor, Damon épousera uranie, et Mérindor Victoire tandis que tout le monde est réconcilié dans l'amour et le sentiment de la justice restaurée.
Le roman fait penser au conte ultérieur de Sade "Justine ou les infortunes de la vertu", mais à l'envers car la vertu y est récompensée. On comprend que Hersan cent ans plus tard l'ait trouvé "audacieux" en faisant implicitement mais probablement allusion entre autre à la question de la bisexualité. L'histoire du travestissement pour sauver l'indépendance ou l'intégrité d'une femme était banale à l'époque (cf le chevalier d'Eon ou certains passages des mémoires de Casanova), et cela entre chez JA Brohon dans une problématique de la nature vertueuse plus importante que les apparences, et le regard sur l'homosexualité différent de ce qu'il allait devenir au XIXe siècle, même si Melle de Brohon fait référence au fait qu'elle reste un "crime" du point de vue de la religion.
JA Brohon allait ensuite se distinguer par une nouvelle insérée dans la revue Le Mercure de France, les « Charmes de l’Ingénuité » (ou les « Grâces de l’ingénuité »).
L' "Histoire littéraire des femmes françoises[5] évoque (p. 517) les "Amans philosophes" et "Charmes de l'ingénuité" présenté comme un "très joli conte, inséré dans le Mercure de France" mais regrette à propos de Mademoiselle Brohon que "depuis plus de douze ans, il n'a paru aucun écrit sous son nom, aucun qui lui ait été attribué" et qu'elle soit "rentrée dans le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe" (nous verrons plus loin qu'il n'en fut rien). L'auteur de l'article estime que "les amans ne sont pas plus philosophes qu'ailleurs. Mais sans faire attention au titre de l'ouvrage de justes éloges, et pour les sentiments qu'il donne à ses personnages et pour la manière dont il les exprime". L'auteur de la revue précise ensuite que le conte "Charmes de l'ingénuité" a été repris par le futur censeur du roi et académicien François-Louis Claude Marin (1721-1809) sous forme d'une pièce de théâtre de comédie sous le titre "Grâces de l'ingénuité ». On lui attribua aussi les « Tablettes enchantées » et « Le Sacrifice ».
Les archives du Mercure de France attestent que l'éloge des "Amans Philosophes" a été fait par la revue en mai 1755, mais l’abbé Grégoire fait état d’une insertion plus tôt, en février 1755, avec éloge de l’académicien Louis de Boissy qui en était alors le rédacteur. L’honorable correspondant de la revue y expose que Mlle Brohon s'est peinte dans "les Grâces de l'Ingénuité" et ajoute en forme galante : "heureux qui pourrait être son Tervile !". L’année suivante (en mars 1756) la revue publie un compliment anonyme en vers (comme c'était l'usage) à la nouvelle "les Grâces de l'Ingénuité" parue en février (p. 84-85). Dans celle d'avril (p.51) paraissent des stances à Mademoiselle Brohon, d'un certain comte Jean Charles de Relongue de la Louptière, qui écrit de la Louptière en Champagne, dont on peut retenir ces vers :
"Ton coeur nous peint avec finesse
Les charmes de la vérité ;
Et tu décores la sagesse
Des habits de la volupté (...)
Brohon, à ton sexe perfide
Apprends l'art d'aimer constamment ".
Ces poèmes montrent qu'elle était devenue dès le plus jeune âge une "star" de la bonne société aristocratique, et l’on comprend que les chroniqueurs littéraires se soient étonnés de son silence, croyant à tort qu’elle s’était mariée, suivant « le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe »…
Le mystère de l’entrée au couvent de Mlle Brohon et de ses visions.
L’orientation chrétienne de Mlle Brohon est ancienne. Selon l’abbé Grégoire[6], l’intéressée raconte elle-même dans ses ouvrages qu’à l’âge de neuf ans « ayant éprouvé d’une manière sensible la protection de la sainte Vierge, elle se consacra à son service ». L’abbé relève qu’en Lorraine les bénédictines du Saint-Sacrement étaient nombreuses et attribue la dévotion de notre auteure à leur influence.
Mlle Brohon s’est-elle retirée au couvent de l’Annonciade en 1764 où, nous dit-on, une de ses parentes était abbesse ?
Etrangement les avis divergent sur ce point. Les commentateurs de la vie de la mystique s’entendent pour reconnaître qu’elle en eut l’intention. Cette décision serait due à un miracle produit par le saint lorrain Pierre Fourier de Mattaincourt (mort en 1640, béatifié en 1730, canonisé en 1897). Pourtant selon l’abbé Grégoire « cela n’eut pas lieu ». Se repentant d’avoir écrit des romans, l’écrivaine consulta l’abbé Clément, prédicateur du roi de Pologne, qui la dirigea quelque temps. Elle s’en remet ensuite au vicaire de Saint-Pierre-aux-Bœufs puis au curé d’Avray (futur réfractaire), du Garry, puis serait décédée dans la solitude le 18 septembre 1778 « à quarante et quelques années » à Paris…
Ainsi donc, Mlle Brohon n’aurait pas vécu à Girors…
Les Annonciades pourtant sur leur site[7] se vantent bien d’avoir hébergé Mlle Brohon pendant quatorze ans :
« À partir de 1734, la communauté est dirigée par sœur Saint-Paul, dans le monde Marie-Anne Brohon, parente d’une pensionnaire, Jacqueline-Aimée Brohon, véritable auteur spirituel. Jacqueline Aimée Brohon a publié les Amants philosophes, les Tablettes enchantées, des instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus Christ au désert, un manuel des victimes de Jésus, les charmes de l’ingénuité etc. Sa dévotion fait l’admiration de la communauté. »
Comme on l’a vu PFD Hersan le confirme. L’ambiguïté semble tenir au fait que JA Brohon n’était pas devenue religieuse (en cela, son intention première ne se réalisa pas), mais resta, bien attachée au couvent en tant que pensionnaire, c’est-à-dire, comme l’indique Hersan, chargée de l’instruction des moniales On peut supposer que cela lui permettait de réaliser des allers-retours entre Paris et Gisors, ce qui explique qu’elle mourût finalement « en odeur de sainteté », dans la capitale.
Pourquoi cette intention de rejoindre le couvent ? de quel « miracle », le saint lorrain fut-il l’auteur ? Et pourquoi l’intention se limite-t-elle finalement à l’obtention d’un statut de pensionnaire ? On l’ignore.
Il semble que si l’abbé Grégoire ne s’attarde pas sur les liens entre la mystique et Gisors, c’est qu’il est surtout préoccupé par la volonté de rattacher ses visions aux spécificités du terroir lorrain.
Selon lui, les positions religieuses de JA Brohon s’ancrent dans le sillage de Catherine de Bar, appelée mère Mechtilde, née à Saint-Diez en Lorraine en 1619 et morte en 1698 qui avait institué en 1659, à Rambervillers, un ordre monastique féminin, qui se répandit rapidement en France. Celui-ci suivait la règle de Saint Benoît, mais aevc des modifications exposées dans son livre « Le véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Très-Saint Sacrement de l’Autel ». « Le caractère propre de ces religieuses est d’être victimes en réparation des outrages faits à Jésus-Christ dans l’Eucharistie (…) Tous les jours, une religieuse entre en retraite depuis le matin jusqu’à vêpres. Son office est d’être victime réparatrice. Quand les sœurs vont au réfectoire, la réparatrice sort du chœur la dernière, la corde au cou, la torche à la main. Toutes étant placées, elle leur rappelle qu’elles sont victimes immolées à la place de Jésus-Christ ; elle s’incline, retourne au chœur pendant le dîner, et reste jusqu’après vêpres, comme victime, séparée du troupeau et destinée au sacrifice ».
Cette thématique de la victime il est vrai traverse toutes les visions de la mystique.
Outre cette influence, il faut noter celle du rousseauisme qui trace une continuité entre sa période littéraire et sa période religieuse. C’est ce qu’ a brillamment souligné en 1923, le jeune érudit suisse fraîchement couronné du doctorat Auguste Viatte dans un article assez malveillant "Une visionnaire au siècle de Jean-Jacques, Mademoiselle Brohon" dans La revue des questions historiques[8]. Pour lui, aussi bien ses "romans doucereux, aujourd'hui parfaitement illisibles" que ses visions procèdent du "sentimentalisme du Vicaire Savoyard".
Viatte, comme l’abbé Grégoire avant lui, rapproche Mlle de Brohon du mage suédois Swedenborg, qui serait du même niveau qu'elle "l'un n'est pas supérieur à l'autre" (mais Viatte veut en indiquant cela rabaisser Swedenborg, notamment par rapport au théosophe Saint-Martin). Il tourne en dérision le passage de ses Réflexions[9] où Mlle de Brohon raconte comment Dieu la porta sur un nuage transparent et lumineux, avec un nuage noir qui enveloppe le monde en dessous d'elle, et comment lorsque les nuages s'ouvrent elle voit le monde dans son crime et un tourbillon de poussière sale en émaner. "D'autres visions, par leur sensiblerie presqu'indécente, font songer Mme Guyon" ajoute-t-il à propos de sa vision de son arrivée au pied du trône de Jésus. Il décèle dans ses visions et dans sa propension à se décrire comme une victime expiatoire l'orgueil, comme chez Rousseau. Mlle Brohon se pose selon lui en créatrice d'un nouvel ordre sacerdotal. "Elle se voit à la tête de 'troupes auxiliaires de l'Eglise', nous dit-il", douze hommes et femmes avec des règles spécifiques, annonce la venue d'un Cardinal qui offrira aux Victimes une ère de prospérité. Ces Victimes serviront Dieu dans l'Eglise d'une manière spéciale, et Jésus lui annonce la venue d'une autre Eglise, comme Swedenborg avait annoncé que l'Esprit divin quittait le corps ecclésiastique en 1757. Elle annonce que l'Espagne privera la France de ses princes si l'autorité des Victimes n'était pas acceptée, que l'ancien clergé lancera des persécutions, que les Juifs se convertiront, et que les Chrétiens s'installeront bientôt en Palestine. Elle fait revenir Elie et Enoch pour guider le peuple fidèle. Vaincus et tués ils seront vengés, et le règne de Jésus commencera en 1866 car les 22 000 coudées de l'Apocalypse sont 22 000 mois.
Ces visions poussèrent Mlle Brohon à beaucoup d’audace. En 1774, elle écrit à Beaumont, archevêque de Paris pour lui prédire que Dieu « va exercer son jugement sur les nations, décimer la terre, se choisir un peuple nouveau ; mais auparavant établir des victimes qui s’immoleront continuellement à Dieu : l’abbé Du Garry en sera le directeur[10]. Puis elle demande au nom du Seigneur à Louis XV malade que madame Victoire, une de ses huit filles née en 1733 (Mlle Brohon, qui n’est son ainée que de deux ans, avait peut être pensé à elle dans son premier roman), devînt une "Victime", ce qui serait un privilège pour elle car ces douze Victimes seraient élevées au dessus des anges et instruites dans les secrets de Jésus et Marie. Elles auraient le pouvoir sur le monde sous la présidence d'Ennoch et Elie. Sophie du Castelle, fille d’un notaire de Péronne (en Picardie), postulante chez les bénédictines de Gomer-Fontaine, doit aussi faire partie des douze victimes.
D’où venaient ces visions ?
La postérité de JA Brohon
La mystique de Gisors eut un succès considérable à l’époque de la Révolution française, et ce succès lui aussi a quelque chose de mystérieux, même si l’on peut lui trouver des explications sociologiques a posteriori. Auguste Viatte note que Pierre Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne sous Robespierre, dans son "Journal prophétique" récupéra les "papiers de Mlle Brohon", ainsi que les dires visionnaires de sa cadette périgourdine Clotilde Suzanne dite Suzette Labrousse, réfugiée à Rome, ce qui aboutit à leur publication en librairie par Firmin Didot sous la forme des Entretiens édifiants "qui n'offre rien de plus remarquable qu'un livre de piété quelconque" selon Viatte, et ses "Réflexions édifiantes" qu'il qualifie en revanche de "document des plus curieux". Nul doute que le succès politique de la protégée de Pontard, Suzette Labrousse, qui prêchait pour la constitution civile du clergé ait aidé à la publication des écrits de JA Brohon, mais comment ceux-ci sont-ils arrivés entre les mains de l’évêque constitutionnel ? la duchesse Louise Henriette de Bourbon Conti, fille du duc d’Orléans, qui hébergea Suzette y fut-elle pour quelque chose ?
L’Eglise restait vigilante à l’égard de ses prédictions et de ses tendances hérétiques. En 1792, selon l’abbé Grégoire[11] fut imprimée une consultation « de plusieurs docteurs et professeurs de Sorbonne », délibérée le 4 mars 1792, sur les deux ouvrages « Instructions édifiantes » et « Réflexions édifiantes » etc, mais qui ne furent guère favorables à la mystique, la Sorbonne continuant d’incarner l’orthodoxie ecclésiastique. Il lui reproche notamment des « idées charnelles, des peintures libres capables de souiller l’imagination ».
En 1811, lorsque la mystique balte et baronne Barbara von Krüdener se rendit à Strasbourg, celle-ci y rencontra un cercle "nourri des Réflexions édifiantes" et en fut éblouie. Les ouvrages de Mme de Krüdener, ajoute Viatte « il est vrai se ressentaient d'une inspiration analogue. Dans leurs âmes féminines, le mysticisme des théosophes s'affadissait, se compliquait de sentimentalité rousseauiste. La notion de péché disparaissait, elle qui occupe une si grand place dans la philosophie martiniste. Le 'moi' tendait à une émancipation complète. La Révolution achèvera de libérer l'expression de cette volonté de puissance ; elle ne la créera pas, car elle s'épanchait déjà avec une suprême impudeur dans le secret des journaux intimes. Ainsi se préparait le romantisme : nous le voyons déjà tout entier, avec son caractère de 'mysticisme impérialiste' comme s'exprimerait Ernest Seillère. »
Pour Viatte, il ne faisait aucun doute que les visions sentimentalistes, aussi hérétiques qu’immodestes de JA Brohon sont déjà le creuset du romantisme "cette religion de l'instinct aveugle et de l'individualisme exaspéré qui s'épanouit vers 1830 et dont nous subissons encore les conséquences", ce qui explique son succès au début du XIXe siècle, bien que la réalité des faits ne corrobore point les prophéties de la visionnaire. L’historien suisse n’était pas loin de reprendre à son compte l’expression de Léon Bloy à propos de George Sand : « Cette fille trouvée de Jean-Jacques Rousseau » [12].
L’érudit Alfred Maury dans les « Annales médico-psychologiques » avec une approche rationaliste allait écrire en 1855[13] « Mademoiselle Brohon représente le côté allégorique et métaphysique des idées dont, vers la même époque ou un demi-siècle plus tard, Colombe Schanolt, morte à Bamberg en 1787, Madeleine Lorger, morte à Hadamar, en 1806, Anne-Catherine Emmerlch, à Dulmen, quinze ans plus tard, présentaient le côté physique ». Puis il semble que la visionnaire soit tombée dans l’oubli.
Il y a peu l’Université libre de Bruxelles lançait un appel à contribution à un colloque sur le thème « Femmes des anti-Lumières, femmes apologistes », la présentant comme ayant « succombé à l’attrait des hétérodoxies, en même temps qu’à celui du romanesque ». Il est vrai que le féminisme ou le « post-féminisme » aujourd’hui peut trouver matière à réflexion dans ce collège des « victimes » que JA Brohon souhaitait instaurer (et dont elle prendrait la tête) au dessus des anges, avec autant de femmes que d’hommes, nous dit l’abbé Grégoire « pour humilier le sexe masculin qui a abusé de sa supériorité, et pour le piquer de jalousie quand il verra le zèle du sexe faible »[14]. Peut-être l’angle des gender studies contribuera-t-il à ressusciter l’intérêt pour cette auteure méconnue, ressusciter l’intérêt… et peut-être en éclairer les mystères que nous avons évoqués plus haut, si tant est que l’approche des gender studies soit sensible aux mystères.
Reste à déterminer la part de dette de sa spiritualité à l’égard de la Lorraine, et à l’égard de Gisors. N’en déplaise à l’abbé Grégoire, le nom même de Brohon est associé à la Picardie, au Nord-Pas-de-Calais… et à la péninsule du Cotentin normand[15], mais est absent de Lorraine. Ce n’est sans doute pas un hasard si une parente de la mystique dirigeait le couvent des Annonciades à son époque, et son statut de pensionnaire du couvent jusqu’à sa mort est avéré.
Gisors a baigné dans une ambiance de prophéties apocalyptiques autant que la Lorraine sinon plus, et celles de Melle Brohon ne pouvaient qu’y recevoir un bon accueil, voire y trouver des sources d’inspiration. Ce qui explique que la « dévotion (de JA Brohon ait) fait l’admiration de la communauté » sans y susciter la moindre réserve. Quelles(s) présence (s) l’écrivaine repentie a-t-elle trouvé (es) dans cette ville ? que lui a-t-elle apportée en retour ? Une étude fouillée des mémoires de la visionnaire nous éclairerait peut-être sur la dette réciproque que celle-ci a pu contracter à l’égard du Vexin normand.
Christophe Colera
Christophe Colera : docteur en sociologie, philosophe, auteur notamment de « Dialogue sur les aléas de l’histoire », Paris, L'Harmattan 2010.
Blog http://down.under.over-blog.com/
[1] Gérard de Sède, L'Or de Rennes ou la Vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château, Paris, Cercle du Nouveau livre d'histoire, 1968, éclairé par Patrick Ferté, La clé de l'oeuvre codée de Maurice Leblanc, Arsène Lupin supérieur et inconnu, Paris, La Maisnie-Tredaniel, 2004.
[2] PFD Hersan, Histoire de la ville de Gisors, Imprimerie Librairie Lapierre, 1858, p. 201-202.
[3] Henri Grégoire, Histoire des Sectes Religieuses qui depuis le Commencement du Siècle dernier jusqu’à I’Epoque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du Monde, édition de 1828, tome 2, Paris, Beaucouin frères eds, livre fort lu à son époque, dont la première version fut commentée par exemple par John Murray en octobre 1822, dans la Quarterly review de Londres.
[4] Histoire littéraire des femmes françoises ou lettres historiques et critiques, par une Société de gens de Lettres, Tome cinquième, Paris, Lacombe éditeur, 1764 p. 515. L’auteur serait l’abbé jésuite Joseph La Porte selon l’abbé Grégoire qui cite une versiondu livre de 1779.
[5] ibid p. 517.
[6] Ibid p. 34
[7] http://www.annonciade.info/2013/12/gisors-1622-1792/
[8] La revue des questions historiques XCVIII 1er avril 1923 p. 336
[9] Ces Réflexions, écrites entre 1772 et 1778, date de la mort de Mlle Brohon, s'ajouteraient selon l'abbé Grégoire à un Manuel des Victimes de Jésus dont il ne connaissait qu'un exemplaire, et deux volumes inédits de ses mémoires cités dans l'Histoire des sectes religieuses (Paris 1928, t. II, p. 36). Ce manuel fut publié en fait en 1799.
[10] Abbé Grégoire ibid p. 38.
[11] Abbé Grégoire ibid p. 42.
[12] Léon Bloy, Le symbolisme de l’apparition, Rivages, 2008.
[13] Alfred Maury. Les mystiques extatiques et les stigmatisés. Article parut dans la revue « Annales médico-psychologiques », (Paris), 2e série, tome premier, 1855, pp. 181-232
[14] Abbé Grégoire ibid p. 38
[15] Voir par exemple Jean Brohon, La description d'une merveilleuse horrible et prodigieuse comette, et apparition effroyable d'hommes armes, et combatans en l'air, sur nostre horison de Costentin en Normandie, Constances 28 octobre 1568 .
Oublier les médiums
Je sais d'expérience que les médiums et grands voyants (de renommée internationale ou locale) ne sont aimables que tant qu'on leur sert docilement la soupe et flatte leur égo. Tant que vous allez dans leur sens, ils se présenteront comme des parangons d'amour universel et vous décriront vous-même comme un être lumineux qu'ils sont ravis d'aider. Commencez à douter des sources de leur inspiration et ils vous rayeront de leur carnet d'adresse avec une muflerie qu'aucun psychanalyste n'égalerait ( alors que les médiums se disent pourtant comme eux des thérapeutes). En somme ce ne sont pas les rois du dialogue constructif ni du respect des divergences, et l'on comprend pourquoi, leur don ne s'étant la plupart du temps forgé que dans une grande solitude. Voilà qui devrait encourager leurs clients à ne pas perdre trop de temps avec eux. Lorsque l'essentiel des messages des "Guides" ou des "esprits" ont été communiqués, il faut savoir chercher vers d'autres horizons. De toute façon le "développement personnel" que ces visionnaires promettent, avec toutes ses connotations petites bourgeoises, ne saurait être une fin en soi. Le véritable objectif est que le meilleur ordre universel possible se réalise, un ordre qui, en tant que tel, ne peut pas être antagoniste de nos aspirations profondes, lesquelles il nous suffit de retrouver, en dialogue avec l'au-delà, par d'autres intermédiaires que les médiums. On en connaît les techniques : l'écoute des synchronicités, l'ouverture des chakras, la respiration, la concentration, la prière, l'écoute des rêves.
Esotérisme languedocien

Lorsque j'entends le mot "cathare", je repense souvent à cette description que fait Céline dans "D'un Château d'Autre" d'un évêque "cathare" autoproclamé à Sigmaringen. Toutes les spéculations ésotériques autour de cette hérésie ont souvent eu le ridicule et l'abjection morale de cet évêque.
J'y songeais encore en lisant Rennes-le-Château: le dossier, les impostures, les phantasmes, les hypothèses (1988) de Gérard de Sède où l'occultisme et l'ésotérisme occitan hantent toutes les pages. Je n'ai pas d'avis définitif sur ce livre qui réduit peut-être un peu trop l'énigme de Rennes-le-Château à de dérisoires affaires de politique habsbourgeoise, un peu comme d'autres ne voient dans les sociétés secrètes que des repères d'espions des services secrets. Mais il n'est pas mauvais de découvrir une histoire intriguant à travers toute la malhonnêteté et toute la rouerie stupide que les mythomanes de tous horizons sont susceptibles d'y investir (et il est vrai que l'ésotérisme se prête particulièrement à ce genre de délire, en cela il est à bon droit considéré comme un terrain de prédilection des démons).
Je suis venu à m'intéresser à Rennes-le-Château en lisant une mise au point qu'une écrivaine espagnole avait faite sur l'histoire de la Catalogne (où j'ai quelques origines lointaines et encore de la famille). J'y ai trouvé la triste histoire du premier comte de Barcelone, Bera, nommé par Charlemagne, puis exilé de force par les Francs à Rouen (ce que les Normands ne savent sans doute pas). Ce nom de Bera, cherché sur Google me renvoya à des groupes de discussion passionnés qui débattent sur Rennes-le-Chateau où l'abbé Bérenger Saunière fit fortune, il y a cent ans, grâce à de mystérieux manuscrits ésotériques, une affaire qui inspira le Da Vinci Code (Saunière est le nom de l'érudit français tué dans le roman de Dan Brown).
De Sède a peut-être raison de douter du fait que les manuscrits de Saunière portent vraiment une révélation d'une importance capitale pour notre époque autant qu'il doute (mais là dessus je crois qu'il a tort) de l'apparition de Sainte Vierge à La Salette. En tout cas, l'histoire de Rennes-le-Château, comme celle de la Catalogne, a le mérite de nous plonger dans le monde wisigothique de la Novempopulanie et de la "marche hispanique" de l'empire franc, un monde peu visible depuis Paris et donc gommé de nos manuels d'histoire. C'est un bon moyen de "dépayser son regard", préalable nécessaire à toute méditation sérieuse.
Saint Augustin dialogue avec les divinités païennes
A titre préliminaire, je précise que le présent article ne s'adresse pas aux esprits laïques mais à ceux qui sont convaincus de ce que des entités de l'au-delà parlent par les esprits inspirés et par les médiums.
Ceux-là admettront facilement que les dieux de l'Antiquité ont réellement parlé par les oracles, notamment à Delphes, sanctuaire auquel la revue Books consacrait un article en janvier dernier, et ne sont pas juste une "arnaque" ou une "hallucination collective", comme le supposent les esprits épais. La question n'étant pas de savoir si les dieux ont parlé, mais ce qu'étaient ces "dieux" devenus largement muets après la victoire du christianisme (les oracles se sont tus) ou parlant seulement de façon marginale dans l'alchimie, les hérésies du christianisme, ou la sorcellerie.
La Cité de Dieu de Saint-Augustin peut être lue comme un dernier regard (et quel regard !) du christianisme lettré (l'évêque d'Hippone étant un des derniers auteurs latins à aussi lire le Grec et avoir accès à beaucoup de classiques) sur l'Antiquité, avec notamment un procès extraordinaire de la République romaine et de ses crimes.
Par delà le style en apparence polémique, il s'agit d'un dialogue brillant avec les dieux du paganisme et leurs divers sous-produits dans la Cité des hommes, produits philosophiques, politiques etc.
Toute l'oeuvre réserve mille surprises mais je n'en examinerai qu'une seule, en page 135 du tome 3 (édition de poche).
Augustin y entame une discussion intérieure avec le néo-platonicien Porphyre, qu'il qualifie de "plus savant des philosophes, quoique le plus ardent des chrétiens", ce qui prouve bien qu'il ne s'agit pas de simple polémique.
Contrairement à ce que peuvent penser les esprits laïques de notre temps, notamment les universitaires "intellocentriques", il ne s'agit pas non plus d'un échange intellectuel comme il peut y en avoir entre philosophes athées, c'est à dire d'une confrontation des intelligences sur la base d'une rationalité coupée de Dieu ou des dieux. Il s'agit d'une confrontation entre deux destinataires de révélations surnaturelles incompatibles entre elles, le christianisme et le paganisme, dont ni l'un ni l'autre ne peuvent douter que la révélation dont l'interlocuteur/adversaire est bien une émanation de l'au-delà, la question étant "simplement" de savoir de quel au-delà il s'agit.
Au fondement de cette confrontation, nous dit Saint Augustin, il y a un passage du traité "Philosophie des Oracles" de Porphyre, dans lequel le philosophe examine de très près une prophétie adressée peut-on supposer à Delphes (Augustin ne précise pas où) à un païen qui voulait "retirer sa femme du christianisme". Dans cet oracle Apollon a parlé, et il a dit au pèlerin de laisser sa femme "célébrer, suivant de faux et d'abominables rites, les funérailles de ce Dieu mort (Apollon parle de Jésus), condamné par d'équitables juges, et livré publiquement au plus ignominieux des supplices".
Cela n'a l'air de rien, mais nous avons là le témoignage du point de vue "officiel" porté par Apollon - à travers la Pythie - sur Jésus-Christ. Ce n'est pas une spéculation de Porphyre, c'est une base factuelle, sur laquelle Porphyre et Augustin vont s'entendre pour travailler.
Le verdict des dieux antiques sur les dieux chrétiens ne s'arrête pas là, puisque ceux-ci toujours par la voix d'Apollon à l'occasion de cet oracle, allèrent jusqu'à affirmer que le vrai Dieu au dessus des Dieux n'est pas le Dieu des Chrétiens mais celui des Juifs : "Père souverain, les saints Hébreux dont il est la loi, l'honorent religieusement."
Augustin bien sûr devant cette aberration, a beau jeu de répondre que le Dieu des Juifs par la voix de ses prophètes a proscrit aux hommes de sacrifier à d'autres dieu que lui, ce qui est incompatible avec la Foi païenne d'un Porphyre. Augustin peut ainsi en conclure que le prétendu Apollon est en fait un démon facétieux et destructeur qui construit juste des sophismes pour égarer le coeur et l'intelligence de l'homme. Tout comme étaient, pour Augustin, inspirés par des démons menteurs ceux croyaient qu'on pouvait construire une vraie République (c'est à dire une République juste) sans l'inspiration du Dieu unique.
Il va trouver un autre exemple qui va lui permettre de disqualifier les oracles des dieux antiques en la personne d'une "canalisation" (diraient les médiums contemporains) d'Hécate (déesse lunaire depuis l'époque de Plutarque), mais l'on ne sait pas si c'est une "canalisation" quelconque ou si elle fut rendue dans un de ses sanctuaires officiels (ce qui peut-être lui donnerait plus de poids). Interrogée sur la divinité du Christ, Hécate répond que l'âme du Christ est celle du "plus religieux des hommes", qu' "après sa mort son âme, comme celle des autres justes, a été douée de l'immortalité, mais que c'est aux chrétiens une erreur de l'adorer". On notera que c'est là typiquement l'opinion de la théosophie sur Jésus, et celle que beaucoup de médiums aujourd'hui reçoivent par "canalisation" : Jésus était un homme merveilleux, très sage, religieux, et son âme est devenue éternelle comme celle de tous les grands hommes, c'est un "guide de lumière", comme Bouddha, qui vient nous aider, voilà tout, une âme plus avancée que d'autres, mais pas le Dieu unique ressuscité... Et même, pour Hécate, Jésus a commis une petite erreur : il n'a pas su connaître ou reconnaître Jupiter, et c'est pourquoi il a été crucifié. Dans sa magnanimité Jupiter l'a admis dans son ciel, car c'était un juste, et donc il ne faut pas le maudire, mais il ne faut pas non plus le vénérer car il n'est pas très haut dans la hiérarchie divine".
On comprend qu'Augustin s'exclame devant cet oracle : "Qui est assez insensé pour ne pas voir, ou que ces oracles sont des inventions de ce perfide et implacable ennemi des chrétiens (le diable) ou qu'ils ont été rendus à mêmes fins par des démons impurs ?". Pour l'évêque d'Hippone l'éloge du Dieu des Juifs contre celui des Chrétiens par Apollon, ou celui de l'humanité de Jésus au détriment de sa divinité par Hécate ne sont que des leurres pour désamorcer le potentiel révolutionnaire du christianisme en renvoyant ceux qu'il attire, soit vers le judaïsme, soit vers les hérésies (celle du culte du Christ homme par Photin évêque de Smyrne condamné en 301) et empêcher que se réalise l’œuvre de rédemption de l'humanité produite par la crucifixion du fils de Dieu.
On ne détaillera pas plus avant le reste de l'argumentation qu'Augustin déploie à l'encontre des conclusions que Porphyre tire de ces deux oracles, mais on retiendra juste qu'il y avait là un "point de vue" des dieux antiques sur le christianisme, exprimé moins par la voix d'un intellectuel (Porphyre) que par la voix canonique des oracles (même si on ne sait pas hélas s'il s'agissait d'oracles isolés de prêtresses ou de prêtres peu inspirés ou d'oracles "validés" par la présence de sanctuaires, encore qu'on puisse douter que le paganisme ait eu des instances de validation des oracles comme le catholicisme en a pour valider les apparitions et les miracles).
On remarquera que ces oracles sont d'une forme très différente du style sibyllin qui était en vogue avant le siècle de Périclès, au moment par exemple de la fondation des colonies phocéennes... Est-ce parce que des dieux (ou des démons) s'étaient substitués aux dieux d'origine, ou parce que Prophyre "élague" les messages et en appauvrit la complexité ou l'ambigüité ? On comprend en tout cas qu'Augustin ne perçoive dans ces deux "canalisations" que des facéties démoniaques. Si Apollon et Hécate ont tenu effectivement le langage que leur prêtait Porphyre (tel que rapporté par Augustin), on peut estimer effectivement que cela ne "volait pas bien haut", ni poétiquement, ni intellectuellement (car ce n'était cohérent avec rien de l'histoire même des notions que cela mobilisait - la religiosité des Juifs par exemple). C'était aussi facile à balayer par un intellectuel chrétien que le paganisme l'a été (en quelques siècles seulement) du Bassin méditerranéen.
Le Tadjikistan durcit sa législation contre la sorcellerie
Le président tadjik Emomali Rakhmon a annoncé avoir modifié le Code pénal le jeudi 23 septembre lors d'une réunion du gouvernement, pour porter à sept ans de prison la punition des actes de sorcellerie déjà sanctionnés par des amendes depuis 2008. 5 000 personnes seraient passibles de ces sanctions. A titre de curiosité, pour un regard salifiste tunisien sur la sorcellerie, vous pouvez jeter un oeil à ce billet,
Le marché les médiums en Italie
4,5 milliards d'euros par an correspondant à 33 000 personnes chaque jour, c'est le chiffre avancé par le directeur de l'Osservatorio Antiplagio dans ABC. Age moyen 47 ans, 51 % de femmes.
Eustache-Hyacinthe Langlois

Eustache-Hyacinthe Langlois, né à Pont de L'Arche en 1777, relate dans le tome 1 de son essai sur les danses des morts (publié en 1832 puis en 1852 à titre posthume) une danse macabre au cimetière des Innocents à Paris en 1424 et (p. 132) une procession évoquée par De Villeneuve Bargemont dans son Histoire de René d'Anjou organisée par le duc de Beford après la victoire de Verneuil à Paris que présidait "un squelette ceint du diadème royal tenant un sceptre dans ses mains décharnées, et assis sur un trône resplendissant d'or et pierreries", spectacle auquel seuls les soldats anglais daignèrent assister. Cette procession fut unique mais Langlois estime que les danses macabres à but d'édification morale furent répandues dans les monastères et au cimetière des Innocents. Il y voit une résurgence de l'Antiquité puisqu'au IXe siècle le concile de Reims condamnait les beuveries avec présence de danseuses et acteurs à masques de démons aux anniversaires des décès des chers disparus.
Langlois note (p. 170) que l'usage de danser dans les églises s'est perpétué longtemps (avec parfois des dégénérescences en profanations).
Dans le tome 2, il déplore la disparition des monastères qui avaient tous leur conteur. Langlois écoutait à 11 ans celui de l'abbaye de Bonport. Un ancien sacristain perclus des jambes y conversait avec un corbeau. Il lui raconta l'histoire d'une jeune comtesse de Brionne victime d'un enchantement, poussée en rêve par son cousin qui s'était suicidé à exécuter une danse macabre avec lui sur les conseils d'un médecin juif, finit par y consentir et l'ayant fait après avoir craché sur son crucifix, mourut sur le champ - son fantôme hanta ensuite le lieu de son trépas.
Un regard catholique du XIXe siècle sur les médiums : le chevalier Roger Gougenot des Mousseaux
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J'ai évoqué en février cet épistolier qui signala à Spinoza que la plupart des philosophes de l'Antiquité avaient cru aux revenants. Un autre auteur fait le même constat en plein cœur du XIXe siècle, en ajoutant même que Lucrèce lui-même malgré son atomisme croyait aux apparitions (p. 447), c'est le chevalier monarchiste ultramontain Roger Gougenot des Mousseaux, dans La magie au XIX siècle: ses agents, ses vérités, ses mensonges.
L'ouvrage, publié en 1854 puis à nouveau en 1864, est souvent mis en parallèle avec un autre du même tonneau que lui, la "Pneumatologie" de Jules de Mirville, paru la même année. Il a fait l'objet d'une attention particulière dans les milieux scientifiques (commentaire de la Gazette médicale du 25 février 1854, et dans le Revue médicale française et étrangère du 31 mai 1861). Par ailleurs Gougenot des Mousseaux dans l'édition de 1864 se vante d'avoir reçu des soutiens ecclésiastiques tels que l'archevêque de Besançon et le cardinal Ferdinand Donnet, archevêque de Bordeaux qui dans une lettre du 26 juillet 1863 lui écrivait : "Etranges contradictions de l'esprit humain quand il s'abandonne à ses propres forces ! Dans le siècle qui a précédé le nôtre, un matérialisme abject et grossier était hautement enseigné par plusieurs philosophes en renom ; aujourd'hui, une nouvelle doctrine a surgi, elle a écrit sur son drapeau : spiritisme. Malheureusement, elle ne s'est pas tenue au dogme de la spiritualité des âmes et de l'existence des esprits ; mais, dépassant toutes les bornes, se laissant entraîner aux aberrations de la magie, elle en a renouvelé sous nos yeux le hideux spectacle."
Gougenot des Mousseaux écrit en un temps où l'Eglise et la science ont le spiritisme (défendu notamment par La mystique divine, naturelle et diabolique de l'écrivain républicain allemand Joseph Görres paru en France en 1854) comme ennemi commun, mais où elles doivent malgré tout tâcher de comprendre précisément ce qui se développe en son sein.
Des Mousseaux cultive une vision englobante de la nature qui inclut les anges, les démons, et les âmes animaux qui n'existent selon lui "que pour les besoins et les fins de l'être organique" et périssent avec lui (pour Des Mousseaux, très hostile à la dictature des naturalistes du XVIIIe siècle, le théologien est donc le naturaliste complet). Dès lors que l'âme humaine est éternelle, "il ne doit point nous sembler impossible, avant examen, qu'étant séparée de son corps, elle anime la machine du fantôme et se prête au actes prestigieux de la magie". Cela lui permet de rester fidèle à l'Eglise sans rationaliser la croyance, sans exclure du christianisme le merveilleux : "Nous croyons, de la meilleure foi du monde, à tout ce qui a jamais été raconté de plus miraculeux sur les saints de Dieu" écrit-il en renfort de l'initiative de Montalembert de ne retrancher aucun miracle de la vie de sainte Elisabeth de Hongrie pour "complaire à l'orgueilleuse raison de notre siècle".
Résumons en quelques lignes ici son ouvrage volumineux :
A l'appui de sa thèse, l'auteur commence par la description des expériences de spiritisme auxquelles il a pu se livrer du fait de la notoriété que lui ont valu ses premiers livres. A Paris, dans une grande maison, il se retrouve avec quelques personnes dont une jeune fille médium de 16 ans qui écrit. Un esprit se manifeste au nom du seigneur de Saint-Fare qui dit appartenir à un homme vivant. L'usage est de tutoyer pareil esprit cavalier, ce qui va avec son humeur bavarde. L'esprit se dit bilocalisé, et un participant rattache cela au mesmérisme. Puis, les participants font tourner une table. Le meuble bouge, bondit, sans que personne le touche. On fait imiter à l'esprit des sons produits sur la table. Il charge le guéridon d'un poids qu'il peut lui enlever aussi vite.
Des Mousseaux se permet une digression ici comme il en fera d'autres dans son livre : il a connu le médium écossais Daniel Home qu'utilisait le comte Théobald Walsh de Serrant (un membre de la chambre de pairs française) et dénoncé dans son autre livre "Médiateurs de la magie" les esprits menteurs qui l'habitaient. Né en 1833 à Edimbourg, de tempérament très nerveux. Son berceau balançait déjà tout seul, et à 13 ans il eut une vision d'un ami mort qui lui apparut dans les 3 jours suivant son décès conformément à une promesse qu'il avait faite. Sa mère était voyante et prédit diverses morts, et tenait ce don peut-être de son grand oncle Colin Uquart et de son oncle Mackensie qui étaient aussi doués de seconde vue. Après sa mort en 1850 elle lui révéla en apparaissant qu'il avait pour mission de convaincre les infidèles, guérir les malades et consoler les souffrants. A partir de 18 ans, il est célèbre et assailli de visites. Les pouvoirs "médianimiques" (sic) le quittèrent par moments, souvent à titre de punition, mais il était toujours averti de leur départ comme de leur retour.
Après cette parenthèse Des Mousseaux reprend le récit de son expérience personnelle avec la médium. Notamment comment il fait participer un somnambule mesmérisé aux séances qui perçoit les mêmes choses que la médium. Il demande (p. 28) à l'esprit qui parle à travers sa médium de bien vouloir parler à travers quelqu'un d'autre. Elle demande l'autorisation "à un conseil supérieur, et répond d'après la sentence de ce sénat". Un des invisibles refusa "à grand renfort de coups et d'écritures" d'avoir pour médium la "femme du solliciteur qui venait de se le faire adjuger" et préféra une fillette de 6-7 ans. Les esprits font usage de la vérité comme d'un appât pour ensuite nous tirer vers le mensonge, estime Des Mousseaux. Le somnambule dit qu'il voit Saint-Fare tracer un cercle lumineux incomplet. pour protéger des esprits malins "Walbins et des Jonconrils". Au même moment la médium écrit "Ils sont drôles les errants, les Jonconrils et les Walbins" (des termes que Des Mousseaux retrouvera dans le De Inferno et statu doemonum ante mundi exitium d'Antoine Rusca de 1624 et qui désigneraient les premiers des chefs démons tourmenteurs et les seconds leurs gardes chiourmes subordonnés. L'esprit de Saint-Fare défie le somnambule dont il n'aime pas les visions, qui réplique en décrivant Saint-Fare. Un meuble se renverse (p. 33). Les participants entendent le sifflement de Saint-Fare, puis quand le somnambule désigne la taille (naine) de Saint Fare et déclare le prendre dans ses mains, ils entendent ses pas de félin. Il leur fait voir des lumières phosphorescentes.
Un soir, un esprit apparu pendant la séance accompagna Des Mousseaux chez lui et provoqua des "knockings" auxquels il mit fin en priant Dieu. Des Mousseaux conclut son premier chapitre en racontant l'histoire de la famille d'une médium et en insistant sur la folie qui peut s'abattre sur ces gens. Ce qui lui donne l'occasion de blâmer la relégation dans les asiles de victimes des Esprits de maladie (Spiritus infirmitatis - Luc XIII, 2) - c'est l'époque où certains demandent une Loi Grammont, celle sur les animaux, pour les aliénés (je note tous ces petits détails qui n'ont pas vraiment leur place dans ce billet simplement pour les garder à l'esprit et pouvoir les réutiliser dans le cadre d'autres recherches).
Dans un second chapitre, des Mousseaux étudie les anges, à travers la Bible, mais aussi en lisant Jamblique, Porphyre. Puis il critique les faux inspirés comme Swedenborg et Molriva, et détaille à nouveau des expériences de spiritisme qui révélaient des messages d'anges en apparence authentiques, puis il en vient à citer divers miracles autour de mouvements de statues dans les églises comme à Verviers près de Liège le 18 septembre 1692 ou en Italie en 1796 (il précise au passage que, selon lui, les miracles ne se répètent pas afin que les rationalistes n'en fassent pas des lois).
Le chapitre 3 est consacré aux démons. Ses considérations vont de l'Egypte antique à l'évangélisation des Mennomonis (Wisconsin) près du lac Michigan. Au nombre des "agents "de la magie, Des Mousseau recense le fluide, très à la mode en son temps. Selon l'auteur il s'appelait jadis "feu vivant", "magnès", et "les Pythagoriciens, élèves de la philosophie indienne, le nommèrent l'âme du monde" (p. 232). Dans la même veine au chapitre 7 il traite des oracles et s'en prend à Plutarque qu'il accuse de "matérialisme honteux" (sic) - p. 246 - ce qui n'est toutefois pas un rejet complet des auteurs antiques puisqu'il cite Lucain p. 353 par exemple. Les tentatives pour trier le bon grain de l'ivraie sont asse désordonnées.
Agacé par les gens qui nient sans les examiner les phénomènes surnaturels (comme le genevois de Gasparin), Des Mousseaux s'efforce de diaboliser ceux qui se traduisent par des prédictions et de la clairvoyance mais qui vont à l'encontre des dogmes catholiques : les dons médiumniques de certains prophètes convulsionnaires camisards (p. 353), les convulsionnaires jansénistes de Saint-Médard, une voyante (p. 388) qu'il a connue (fille d'un officier, un ange lui annonça la mort prochaine de sa sœur, puis elle put prévoir des malheurs à la minute près), les apparitions de fantômes à Elisabeth Eslinger à la forteresse de Weinsberg en 1835 (p. 423), relatées par le Dr Justinus Kerner (dont les ouvrages étaient traduits en de nombreuses langues), les visions de Frédérique Hauffeu, la voyante de Prévorts dans le Wurtemberg (commentée dans le Revue des deux Mondes du 15 juillet 1842), auxquelles il oppose Sainte Marie Bagnésie et sainte Liduine, voyantes elles aussi, mais que les démons ne détruisirent pas pour prix des dons qu'elle avaient reçus et qui, au contraire, rayonnaient de la présence du Saint Esprit.
En postface à l'édition de 1864, Des Mousseaux polémique avec un ouvrage de Louis Figuier, partisan de Calmeil et Bertrand, "Histoire du Merveilleux dans les temps modernes", paru en 1860, qui traite des épidémies de possession qui confère des dons (en 1700 dans les Cévennes, au XIXe siècle chez les Nonnains d'Allemagne), met sur un pied d'égalité les Saints, le païen Apollonios de Tyane et le juif Simon de Samarie, et affirme que la science moderne reproduira de pareils miracles. Des Mousseaux met la science au défi de ressusciter les morts et de multiplier les pains.
Je n'ai pas d'opinion sur l'ensemble de l'œuvre de des Mousseaux que je connais mal. Sans doute ses opinions anti-judaïques (le vieil anti-judaïsme chrétien qui caractérisait le catholicisme du XIXe siècle, et qu'on distingue de l'anti-sémitisme racial) ou anti-républicaines sont-elles antipathiques, mais elles sont relativement absentes de son livre qu'on ne signale ici que pour la lecture qu'il fait des expériences surnaturelles de son époque. Son travail a le grand mérite de suivre très attentivement et en détail le récit des phénomènes magiques relatés par des livres à la mode, tout en ajoutant aussi des témoignages de ce que lui-même a vécu. Il a des mots très justes pour condamner le scepticisme malhonnête des rationalistes. La manière dont il condamne comme démoniaque la plupart des expériences de clairvoyance devrait faire réfléchir beaucoup de médiums de notre propre époque. En lisant son livre, on découvre des auteurs du XIXe siècle dont Internet porte à peine la trace car notre culture laïque les a faits passer à la trappe. On découvre combien le romantisme allemand s'est intéressé aux médiums à travers par exemple la figure de Görres qui était très connue dans la France des années 1850 (on avait déjà vu dans ce blog le romantisme allemand s'intéresser à des expériences mystiques comme celle de Böhme). La similitude des expériences médiumniques de l'époque avec celles de notre temps est frappante. On découvre les oppositions qui peuvent naître entre catholiques et protestants à leur sujet. On remarque qu'au sein des rationalistes matérialistes, enfants du 18ème siècle, la mauvaise foi et la volonté de "ne rien savoir" et de travestir systématiquement les faits étaient aussi fréquentes que de nos jours. Mais elle était parfois compensée par un certain flou sur la définition de la science (c'était l'époque où celle-ci était ouverte au magnétisme, à l'homéopathie etc). De sorte qu'un Louis Figuier pouvait quand même pousser l'honnêteté jusqu'à accepter la réalité des miracles, tout en affirmant qu'une base scientifique leur serait découverte un jour. A n'en pas douter, pour notre propre réflexion sur les facultés de l'esprit et de la matière, les décennies de recherche et de réflexion de des Mousseaux sur la magie et le surnaturel méritent d'être redécouvertes.
Apollonios de Tyane, Vindex et Epaminondas

Continuons notre lecture au hasard de la Vie d'Apollonios de Tyane...
Page 1182 du recueil de La Pleiade, la rencontre entre le grand pythagoricien thaumaturge Apollonios de Tyane et le gouverneur (qui n'est pas nommé) de Bétique (l'actuelle Andalousie).
Les rencontres entre les sages et les gouverneurs sont souvent mentionnées dans leurs biographies (ou leurs hagiographies). On connaît la rencontre entre Jésus et Pilate. Un peu moins celle entre Saint Paul et le gouverneur d'Achaïe qui était le frère de Sénèque...
Ici le biographe Philostrate nous dit que ce gouverneur est un opposant à Néron. La dictature de Néron incarne à l'époque l'anti-philosophie, et la théatrocratie (pour reprendre un terme de Platon) dans toute sa laideur. C'est un mélange de populisme et de despotisme de mauvais goût qui passe beaucoup par la chanson et l'image comme le pouvoir de nos médias de masse. La Vie d'Apollonios nous parle de ces chanteurs de cabarets qui déclament des poèmes de Néron et dénoncent à la police quiconque n'applaudit pas. Apollonios à Rome, où les philosophes sont interdits de séjour, s'est distingué par quelques actes de bravoure.
En Espagne, Apollonios séjourne à Gadès, l'actuelle Cadix, qui est la plus vieille ville de l'Ouest du bassin méditerranéen. C'est une ville fondée par les Phéniciens, qui baigne dans le culte de Baal et d'Ishtar-Astarté-Tanit. On a déjà parlé dans ce blog des danseuses nues de Gadès célèbres à Rome, comme la fameuse Télétuse qui doit son nom à la fervente dévote crétoise de la déesse égyptienne Isis dans la légende d'Iphis racontée par Ovide.
Apollonios fait venir le gouverneur (qui a peut être sa résidence à Hispalis) à Gadès. D'une part pour montrer que c'est le gouverneur qui doit se déplacer et non le philosophe. d'autre part parce que sans doute Gadès revêt une importance particulière pour lui (sans quoi il eût choisi un autre endroit).
Les pythagoriciens n'hésitaient pas à se mêler de politique, et Philostrate signale le goût d'Apollonios dans les cités grecques pour un système qu'on pourrait qualifier de "démocratie représentative" parce qu'il permet à deux partis de s'équilibrer. Et le biographe signale que, selon son secrétaire Damis Philosotrate aurait comploté pendant trois jours contre Néron avec le gouverneur puisqu'il lui aurait dit à la fin de la conversation "Souviens toi de Vindex". Vindex (que Philostrate crédite d'une inspiration philosophique, c'est à dire, dans sa bouche, divine ou pythagoricienne, pour lui ces mots sont équivalents) était un sénateur aquitain gouverneur de la Gaule lyonnaise, qui allait mener en 68 le premier soulèvement contre Néron qui allait constituer le début de sa fin. Philostrate crédite Apollonios d'une prescience de la prochain insurrection de Vindex qui n'a pas encore eu lieu. Apollonios s'embarque alors pour la Sicile. C'est là, au bout de plusieurs semaines qu'il apprend le suicide de Vindex (en juin 68) et l'échec provisoire du soulèvement. Et là Philostrate nous confie ceci :
"Comme ses compagnons lui demandaient à quoi cela aboutirait, et à qui finalement, appartiendrait le pouvoir, il répondit : 'A beaucoup de Thébains'. Car il comparait la puissance dont disposèrent, pour peu de temps, Vitellius, Galba et Othon, à celle des Thébains qui, pendant une période extrêmement brève, dirigèrent le monde hellénique".
J'ai déjà parlé dans ce blog d'Epaminondas, le général pythagoricien qui assura à la démocratie thébaine l'hégémonie, en abrogeant notamment dans la pratique militaire le tabou de l'usage de la main gauche. Je crois que la référence à Thèbes (la ville sacrée pillée par Alexandre, pour la reconstruction des murailles de laquelle l'hétaïre athénienne Phryné était prête à sacrifier sa fortune) va au delà d'une référence au caractère éphémère d'une hégémonie, et pointe plutôt vers une sacralité du pouvoir à venir d'Othon, Galba et Vitellius.
C'est l'occasion pour Philostrate de faire l'éloge de l'art divinatoire de la philosophie pythagoricienne (un art divinatoire qu'on avait vu aussi, dans la Pharsale de Lucain - le jeune écrivain inspiré assassiné par Néron - à travers la figure de l'astrologue étrusque néo-pythagoricien Figulus quand César entre à Rome) contre les magiciens (on dirait aujourd'hui "les médiums") que Philostrate qualifie de "plus infortunés des humains". Le philosophe, dit Philostrate, écoute les signes des dieux, là où les magiciens "ont tantôt recours à l'évocation, sous la contrainte, des esprits, tantôt à des sacrifices barbares, tantôt à des incantations ou à des onguents pour obtenir, disent-ils, que change le destin". Il souligne aussi que la philosophie pythagoricienne (dont Kingsley a bien montré les origines chamaniques en Asie mineure, et le lien avec la déesse mère), refuse de chercher à comprendre (par exemple pour Apollonios lorsqu'il était confronté à des automates en Grèce). C'est une philosophie de la soumission à l'essence des choses et de recherche de l'unité, contre l'affirmation des Egos (par une compréhension artificielle et une volonté d'agir sur les événements) et la recherche du conflit. Une philosophie de l'humilité et de l'harmonie.
Ce passage rappelle celui où le néo-platonicien Plutarque dans la Vie de Périclès fait l'éloge de l'herméneutique sacrée contre la science explicative (dans l'affaire du bélier à trois cornes), et aussi un autre passage de Plutarque dans son étude sur les visages de la lune où il tente de légitimer une religiosité grecque lunaire contre les pouvoirs magiques des Mèdes autour du culte superstitieux du feu. Dégager une religiosité philosophique "positive" des dérives de la magie noire est toujours un des enjeux majeurs de la pensée grecque de la période romaine.
Ce passage est un des plus politiques de la Vie d'Apollonios de Tyane, mais aussi un de ceux qui tracent le plus clairement le lien historique Pythagore-Epaminondas-Apollonios, et définissent leur rapport concret à l'être et aux modalités d'action humaines sur le devenir.
Le perroquet d'Aimée Morgana
On connaissait le singe de Cléopâtre de Lucien de Samosate, voici le perroquet de feu l'artiste Aimée Morgana, N'kisi, une histoire qu'évoque souvent la voyante Maud Kristen dans ses conférences.
Le site métapsychique.org résume ainsi le témoignage de Rupert Sheldrake (dans ~~Rupert Sheldrake, le Septième Sens, 2004, ed. Du Rocher) à son sujet :
"Aimée a de quoi se flatter de posséder un animal hors du commun, et des talents de pédagogue animalier à la hauteur, ceci expliquant peut-être cela. Mais ce n’est pas tout encore. Aimée s’en est aperçue un jour où, perdue dans ses pensées (donc sans mot dire), elle songeait à appeler un de ses amis, Rob, en se reprochant d’avoir trop différé l’appel. Et au moment où elle se lève du canapé vers le combiné, N’kisi, à côté d’elle, prend la parole et dit : « Bonjour, Rob. »
Là... Comme, cette fois, cela dépasse le simple pouvoir d’abstraction, et même les pouvoirs humains dits normaux, Aimée se pose des questions. Ou plutôt, elle envoie un message électronique circonstancié sur les talents de N’kisi à Rupert Sheldrake, dont elle a entendu parler des travaux (L’histoire ne dit pas si, du coup, elle n’a pas oublié de téléphoner à Rob).
Sheldrake estime que le voyage en vaut la chandelle. Il lui rend visite à new York, muni du matériel permettant de tester les dons de l’animal. Il monte à domicile une expérience simple et efficace. N’kisi est laissé seul à l’étage, sous vidéo surveillance, et Rupert et Aimée, suivis par une deuxième caméra, synchronisée, s’installent au rez-de chaussée. Là, Sheldrake propose à Aimée des enveloppes opaques contenant des photos couleurs. Aimée les découvre une à une par tirage au sort, autrement dit sans prévention possible. La première est une superbe orchidée. Et à ce moment précis, à l’étage, N’kisi parle : « oh, la belle fleur ».
A chaque nouvelle image, même effet. Le deuxième représente une couple courant le long d’une grève. On remarque surtout sur le cliché la silhouette de l’homme. N’kisi : « regarde mon beau corps nu ! » Troisième image, une scène de rue à new York : le client d’un taxi, sur un trottoir, parle à son chauffeur, lequel sort la tête de la vitre. N’kisi : « attention la tête, attention la tête ». "
Ses découvertes sur la télépathie des animaux (entre autres) ont rendu Sheldrake sceptique sur le scientisme.
Voir notamment son interview par Deepak Chopra (une de mes références depuis un an).