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La vie de Sainte Elisabeth de Hongrie par le comte de Montalembert
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Les hasards de la vie (mais il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous) me poussent à m'intéresser aux franciscains. Je suis un peu choqué par ce qui me paraît être, dans les Fioretti, la marque d'un masochisme excessif, mais je trouve aussi dans l'imagerie du feu qui entoure le séraphin qui s'adresse à St François juste avant sa stigmatisation des éléments qui me parlent. Et puis je ne peux pas oublier non plus que Christophe Colomb lui aussi faisait partie du tiers-ordre franciscain, et moi qui aime tant depuis longtemps la Hongrie, j'ai été amené à m'intéresser il y a peu à une autre tertiaire illustre qui a une belle église à Paris inaugurée par une de mes vieilles connaissances, le cardinal de Retz au XVIIe siècle, Sainte Elisabeth de Hongrie - 1207-1231 - (Elisabeth est le nom d'une de mes deux grand-mères refermons la parenthèse).
En 1836, le comte de Montalembert, le catholique libéral défenseur des peuples opprimés, qui n'avait alors que 26 ans mais était déjà pair de France, lui consacra une biographie à la mémoire de sa soeur, morte à quinze ans, et qui elle aussi portait ce prénom. Il ouvre son récit sur l'évocation de sa visite à Marbourg, le jour de la fête de la sainte, où il avait trouvé la basilique largement profanée par les protestants, abandonnée alors même qu'elle avait été le lieu d'immenses pèlerinage. La tristesse de l'abandon de la sainte l'avait poussé à enquêter sur elle. Après une vaine tentative pour se rendre à Presbourg sa ville natale de Hongrie (aujourd'hui Bratislava en Slovaquie), il s'était rendu à son château de Wartbourg, à Creuzburg où elle fut mère, au monastère de Reinhartsbrunn où elle entra à 20 ans tandis que son mari partait pour les Croisades où il allait mourir, à Marbourg où elle-même mourut à 24 ans (un peu comme Isabelle Sandy, dont je lisais il y a trois jour le roman sur Nicolas Flamel en pleine bombardement de Pais en 1914 se rendait sur les lieux de la vie du célèbre alchimiste).
Cette seule évocation des lieux de vie de la sainte nous fait apercevoir son itinéraire, un itinéraire de météorite, celui d'une éternelle jeune fille comme les saintes martyres du bas empire romain, ou Sainte Bernadette Soubirous).
Montalembert souligne combien Elisabeth de Hongrie est la fille d'un XIIIe siècle apogée spirituel du christianisme. Pourtant observe-t-il, le XIIe siècle avait mal fini et "l'écho de la voix de saint Bernard" avait fini par se perdre, après la prise de Jérusalem par Saladin, l'assassinat de Thomas Becket, la captivité de Richard Coeur-de-Lion, les violences de Philippe-Auguste contre sa femme, les cruautés de l'empereur Henri VI en Sicile, les progrès des hérésies vaudoise et albigeoise, le relâchement des religieux. Mais en 1198 le sacre du beau pape Innocent III, l'homme qui faillit effacer le schisme avec l'Orient et répara mille injustices de l'Espagne à la Scandinavie, annonce un renouveau qui allait notamment s'incarner dans la croisade des enfants de rois de 1212 où ils périrent tous, la prise de Constantinople, las Navas de Tolosa, la magna carta anglaise, la chute des Hohenstaufen, la sainte bataille de Bouvines, la prédication de St Dominique et de St François. En 1277, 417 couvents dominicains, les franciscains sont des milliers. St Louis fut un pénitent du tiers ordre. Clara Sciffi, Ste Claire, ordonnée par St François fonde les clarisses. Elisabeth de Hongrie sera la première princesse franciscaine, mais sa cousine Agnès de Bohème et Isabelle de France, soeur de St Louis, et les deux filles de Ferdinand de Castille et la soeur du roi du Portugal, et des membres de la famille de Ste Elisabeth - sa belle soeur reine de Galicie, sa nièce duchesse de Pologne, deviendront clarisses et sa petite fille devenue reine du Portugal sera du tiers ordre. Tout cela devait beaucoup à Marie. Les dominicains ont institué le rosaire et les franciscains le dogme de l'immaculée conception. Elle inspira la fondation du Carmel, des servites dont un saint instaura la dévotion aux sept douleurs de la Vierge, et l'ordre de ND de la Merci. Des ordres naissent partout et des saints, avec des apparitions et des miracles. Ce christianisme dominait la sphère politique et intellectuelle. Les cathédrales allaient exprimer cela. Et le culte marial de la poésie mystique française et allemande allait déboucher sur le culte de la femme terrestre chez Dante.
Elisabeth venue de la Hongrie inconnue, grandit à la cour de Thuringe. Epouse exemplaire elle voit son mari céder à l'appel des Croisades et se tourne vers Dieu. A la mort de son mari, elle est jetée à la rue avec ses enfants à 20 ans, mais refuse de se remarier, reste avec les pauvres et épouse le Christ. Elle meurt en chantant un cantique.
L'oeuvre biographique de Montalembert vise surtout à contribuer à la restauration du christianisme. "Tous ont le droit d'entrer dans la famille de Jésus-Christ,quand ils font un excellent usage de leur Rédempteur et de leur père, et du lait de la sacrée Vierge, leur mère ; oui, de ce sang adorable qui encourage les martyrs, qui enchante leurs douleurs... et de ce lait virginal qui adoucit nos amertumes en apaisant la colère de Dieu" (vie de Ste Elisabeth par le RP Apollinaire, 1660, p. 41) . Inverser la volonté des savants modernes de remplacer la Vierge par Vénus (la fleur "soulier de la Vierge" devient Cypripedium Calceolus). "Un jour viendra où l'humanité demandera à sortit du désert qu'on lui a fait" (CXIII)
Sa longue préface à la vie de la sainte sert à cela. Et l'on est surpris d'y trouver tant de profondeur, de piété et d'intelligence. On y trouve aussi une forme de christianisme germanophile qui se fera plus rare après 1870 en France.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6106035h p. LI
Pour ce qui concerne la postérité d'Elisabeth de Hongrie (de Thuringe), j'ai appris il y a peu avec étonnement que dans la basilique Saint François de Majorque la tombe de Raymond Lulle, moine alchimiste et martyr décédé en 1315, est ornée d’une statue grandeur nature de Sainte Elizabeth de Hongrie (dite encore de Thuringe) portant dans un pan de son manteau une couronne de roses d’or.
Brantôme (1537-1614) fait commencer son hommage à Elisabeth de France (1545-1568) en disant qu'il ne s'en était pas vu d'aussi vertueuse depuis Sainte Elisabeth de Hongrie et que toutes les Elisabeths semblent prédestinées à la vertu.
Akita
Un certain M. Dalibert dans un numéro des Missions catholiques : bulletin hebdomadaire de l'Oeuvre de la propagation de la foi de 1898 p. 140, raconte qu'un proverbe dit que les montagnes de l'Akita (ancienne Kubota) renferment l'or et l'argent dans leurs flancs mais que les montagnes du Shonaï l'attirent par leur sainteté. De l'or comme dans les montagnes de Rennes-les-Bains, et la spiritualité attire l'or (dans l'alchimie par exemple). Dalibert voulait établir un pèlerinage chrétien à la Vierge immaculée à Shonaï pour soustraire le Japon aux "erreurs shintoïstes et bouddhiques". Les secousses sismiques sont fréquentes dans cette région . Par exemple le 15 mars 1914 (dépêche de Reuters publiée dans Le Matin du 16 mars), faisant état de centaines de maisons effondrées dans la province du fait de l'activité du volcan Asama.
On a recensé à Akita 3 messages mariaux (du 6 juillet au 13 octobre 1973 relatifs à des inondations et du feu qui tombera du ciel, à l'infiltration du diable dans l'Eglise) et 101 lacrimations (du 4 janvier 1975 au 15 septembre 1981, avec des larmes humaines selon des analyses scientifiques). L'apparition a été validée par le cardinal Joseph Ratzinger au Vatican en 1988. Soeur Agnès Sasagawa qui reçut le premier message avait été stigmatisée à la main de la même manière que la statue de la Vierge (une Vierge debout sur un globe et adossée à la Croix, réplique de la Vierge apparue à Amsterdam). En juin 1973, alors qu'elle était malade à l'hôpital, la soeur reçut une apparition de son ange gardien qui lui dit la prière de Fatima (inconnue au Japon à l'époque), à dire après chaque décade du rosaire, puis la soeur eut une blessure à la main, puis les apparitions eurent lieu (cf vidéo ci-dessous).
En 2011, les responsables de l'église japonaise ont confirmé que le diocèse de Niigata, dans le nord du pays, a été le plus durement touchés par le tremblement de terre de magnitude 8,8 - le pire dans l'histoire japonaise - et le tsunami qui en a résulté. Akita elle-même a été relativement épargnée quoique située à l'épicentre.
L'évêque Tarcisio Isao Kikuchi de Niigata (3 préfectures qui incluent Akita) confiait en 2014 qu'il était difficile de maintenir une présence catholique dans la région du fait de la laïcisation de la jeunesse, de la méfiance à l'égard des religions suscitée par les suicides occasionnés par les sectes, du fait du désir des campagnes de rester fidèles à leurs traditions, et du fait que les programmes d'aide à la population étaient gérés par l'Etat, le christianisme ne pouvant se faire connaître que par la charité (l'évêque dirige aussi Caritas au niveau du Japon). Il remarquait que les statistiques gouvernementales recensaient 3 713 187 de shintoïstes, 2 257 855 bouddhistes, ce qui est incohérent avec le fait que le diocèse ne compte que 4 488 904 habitants.
Trésors de Gisors

A partir de 1158 Gisors a été administré quelques années par les Templiers (PFD Hersan) car il était censé constituer la dot de Marguerite fille de Louis VII future épouse du fils d'Henri II d'Angleterre qui n'avait que 10 ans. Entre 1158 et 1161, 3 chevaliers de l'Ordre du Temple seraient restés dans la forteresse. Ils s'appelaient Richard de Hastings, Toestes de Saint Omer et Robert de Pirou.
Dans les années 1180, diverses réunions eurent lieu entre le roi de France et celui d'Angleterre qui se disputaient le Vexin, sous l'orme des conférences de Gisors. En 1183, Philippe Auguste rencontra Henri II, puis à nouveau en 1185 et en 1187. Pour contrebarrer la forteresse de Gisors contrôlée par les Anglais, Philippe Auguste fit élever un château fort au Val-Corbin, entre Gisors et Trye, non loin de l'orme des conférences, en 1186, selon le témoignage de Benoît de Peterborough. Un nouveau parlement eut lieu entre Trye et Gisors en 1188 entre Henri II et Philippe II pour y parler de l'appel à la croisade lancé par le pape, après la conquête du Saint Sépulcre par Saladin.
Selon le récit de PFD Hersan "Sous les tentes de différentes couleurs et placées de diverses manières, brillaient les écus et les armoiries de Richard, duc de Guyenne, de Philippe, comte de Flandre, de Thibaud, comte de Dreux, des comtes de Soissons, de Bar, de Clermont, de Beaumont, de Jacques d'Avesne, du brave Guillaume des Barres, de Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, etc
On se trouva réuni à Gisors, en parlement solennel, en plein champ, le jour de Sainte Agnès, dans les kalendes de février 1188. Il faisait un froid excessif et les barons étaient couverts de leurs hermines. On était en train de discuter sur les hommages, les redevances et les possessions de Gisors, de Fretteval et du Vexin normand, lorsqu'on vit s'avancer, vers le lieu de la réunion, deux prélats, précédés de a croix. Ils étaient montés sur des mules ainsi que le cortège qui les accompagnait. Après eux venaient plusieurs vieux chevaliers du Temple.
Par l'ordre de Philippe Auguste, des hérauts d'armes allèrent à leur rencontre et revinrent dire au camp que Guillaume, archevêque de Tyr, Henri, cardinal d'Albano, légat du Saint-Siège et quelques Templiers échappés au désastre des Lieux Saint venaient raconter les malheurs de Jérusalem". Des témoignages qui selon Benoît de Peterborough, provoquèrent une grande exaltation des auditeurs, et tous les présents prirent la croix à commencer par Henri I, mais chacun gardant sa couleur : la croix rouge pour le roi de France, blanche pour les Anglo-normands, verte pour les Flamands. Le lieu où le parlement de Gisors fut réuni, près de l'orme gigantesque, reçut le nom de Champ sacré et l'on y construisit une chapelle, ce qui n'empêcha pas cependant de nouvelles querelles entre les princes croisés puisque le suzerain d'Henri II, Richard, duc de Guyenne, allait peu de temps après attaquer le comte de Toulouse allié du roi de France, et il fallut une nouvelle entrevue sous l'orme près de la porte de Cappeville pour apaiser les esprits. On était sur le point de conclure un accord quand, selon Guillaume-le-Breton, dans sa Philippide chant III, Henri II se reposa sous l'immense orme tandis que Philippe Auguste et ses hommes devaient supporter un soleil très lourd. Les Anglais se moquèrent d'eux (p. 81). Les soldats français furieux chassèrent les Anglais et firent abattre l'Orme ferré par les Anglais (qui rappelle l'orme de justice de Boury). Cela donna lieu à une bataille rangée. Les choses ne s'apaisèrent qu'en 1189 avec le décès d'Henri II, rongé par le remord d'avoir fait assassiner Thomas Becket et par le conflit entre ses fils Richard Coeur de Lion et Jean Sans terre.
La reine Blanche de Castille, mère de Saint Louis, se retira au château de Gisors en 1226. La reine Blanche de Navarre, veuve de Philippe de Valois, s'y retira à son tour en 1359 à 28 ans, et devait mourir en 1398 à Neaufles à une lieue de Gisors. On dit que la tour de Neaufles communiquait avec le château de Gisors par un long tunnel qui passait sous la rivière la Levrière. Une tradition affirme qu'un trésor s'y trouve.
D'après Jean-Pierre Legrand, l’entrée se trouverait à la Grange, près de l’église, rue de la Grange Courcelles.
Hersan p. 135 cite un extrait des "Lettres sur Gisors" de "M. de la Mairie"
"Le jour de Noël, à l'instant où le célébrant lit la généalogie, les obstacles qui s'opposent aux efforts de ceux qui auraient voulu s'enfoncer dans cette merveilleuse caverne se dissipent comme par enchantement, les flammes diaboliques s'éteignent, le gardien infernal du magique trésor s'endort et toutes les richesses sur lesquelles il veille comme un autre Argos peuvent devenir la proie du plus audacieux qui aura tenté l'aventure". Une autre tradition veut que la reine Blanche (celle de Castille ou celle de Navarre, on ne sait pas laquelle), s'y serait réfugiée après être sortie imprudemment avec son armée du château de Gisors au milieu d'une bataille.
Blanche de Navarre avait selon la légende une réputation d’alchimiste et ses châteaux renfermaient des laboratoires. Elle aurait eu en sa possession un livre d’alchimie très rare paru en Languedoc au XIVe siècle. Ce traité serait né à la fin de la dynastie mérovingienne. Blanche d’Évreux serait la protectrice de l'alchimiste Nicolas Flamel …
Guy Tarade, auteur notamment d'une livre sur l'ordre des Antonins, estime que le principal trésor de Gisors est de nature alchimique. La preuve en serait donnée dans l'église Saint Gervais--Saint Protais qui abrite, "un Livre Muet voué tout entier à l'Alchimie" : la chapelle de l'Assomption.
Beaucoup d'auteurs se sont intéressés au trésor que les Templiers ont pu laisser à Gisors.
Victor Hugo alla même graver son nom sur une paroi de la tour du Prisonnier dans le château.
Depuis les travaux du journaliste belge Gérard De Sède a témoigné des fouilles effectuées par le gardien du site Roger Lhomoy, dont celui-ci avait tenté en vain de révéler le résultat à la municipalité en 1946. Il aurait trouvé dans une crypte, une ancienne chapelle romane en pierre de Louveciennes ; le long des murs, posés au sol, gisaient dix-neuf sarcophages de pierre de deux mètres de long sur soixante centimètres de large. Dans la nef, trente coffres de métal rangés par colonnes de dix abritaient le trésor de l'Ordre du Temple, mis en sécurité en 1307.
Depuis les travaux de de Sède, Gisors, comme Stenay dans les Ardennes, est associée aux énigmes de Rennes Le Chateau (dans l'Aude) et au mythe de la descendance cachée des Mérovingiens (et de Marie Madeleine) lancé par Pierre Plantard et popularisé récemment par Dan Brown dans le Da Vinci Code.
Après la sortie de l'ouvrage," Les Templiers sont parmi nous" de de Sède en 1961, le parc du château fut envahi par des radiesthésistes, des médiums, des touristes, et des fouilleurs clandestins.
Trois années de fouilles officielles furent furent infructueuses, les archéologues renoncèrent, mais les curieux amateurs continuèrent jusqu'aux années 80. Malraux fit intervenir l'armée en 1964 (un personnage de La Condition humaine s'appelait Gisors...) mais fit savoir que rien n'avait été trouvé.
Dans Gisors, ses mystères et ses trésors, Eddy Dasko, collaborateur de l'association Atlantis explique que le Prieuré de Sion, au coeur des spéculations sur Rennes-le-Château et du Da Vinci Code, serait né de la scission de l’Ordre de Sion avec ce qui allait devenir l’Ordre du Temple , et que cette scission fut réalisée à Gisors. A l’Ordre du Temple revenait la mission de protéger les routes de Jérusalem et la logistique de l’installation de deux cents cathédrales en Europe, d’églises et lieux de culte ; au Prieuré de Sion de protéger le descendants de la famille du Christ, mélangée aux familles Mérovingiennes qui régnèrent sur le pays jusqu'à l'assassinat de Saint Dagobert II.
Les deux ordres seraient entrés en conflit lors de la coupure de l’Orme de lumière en 1188 (dont on a cité le récit historique par Hersan). La partie spirituelle et ésotérique représentée par l’Ordre de Sion se séparait de la partie matérielle et opérationnelle (exotérique) représenté par l’Ordre du Temple. Le Prieuré de Sion nomma son premier Grand Maître après 1188 : Jean de Gisors, seigneur du château de Gisors.
En 1307 Guillaume de Gisors, Grand maître de Sion aurait facilité l'arrestation des Templiers et aurait organisé la disparition des archives du Temple et son trésor.
En 1629, alors que la confrérie des Rose-Croix était à son apogée, Robert Denyau ou Deniaud, docteur en droit canon, curé de Gisors et biographe de Louis XIV déclara dans un écrit que Jean de Gisors fut le fondateur des Rose-Croix en 1188 (mais l'Annuaire des cinq départements de la Normandie de 1909 p. 309 dénonce la présence d'erreurs nombreuses dans son Histoire de Gisors). Il était porteur du coeur d'or sur son blason comme Guillaume de Gisors (et comme le templier Jean de Gisors qui rencontra Thomas Becket en 1169) et premier Français à citer Dagobert II.
L'affirmation s'expliquerait par une conjecture sur le mot "ormus",qui serait une savante combinaison entre Ursus (ours en latin qui est une allusion aux Mérovingiens et à Dagobert II, il rappelle aussi ce moine en provenance de la Calabre et qui s’installa à Orval), « Urmus » (orme en latin), « Or » et la lettre « M » signe astrologique de la Vierge signifiant Notre-Dame.Le signe d’Ormus reprend cette symbolique. Ormus serait par ailleurs un mystique égyptien converti par Saint Marc en 46 qui serait à l'origine de la croix rouge ou rose des rosicruciens.
Dans un documentaire diffusé sur la chaîne Planète réaisé en 2008 par David Galley avec l'aide de Jean-Patrick Pourtal qui travaille depuis les années 1990 sur Gisors , Gino Sandri présenté comme secrétaire général du prieuré de Sion affirme que l'inspirateur du Da Vinci Code Pierre Plantard avait rencontré Lhomoy et aurait pu le manipuler. On trouvera le documentaire ci-dessous.
Jacqueline-Aimée Brohon (1731-1778)
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Parmi les auteurs oubliés de notre histoire littéraire, une femme, Jacqueline-Aimée Brohon qui vécut à Gisors au XVIIIe siècle. Peu de mentions d'elle de nos jours sur le web francophone, à part un appel à communication qui la décrit comme ayant "succombé à l’attrait des hétérodoxies, en même temps qu’à celui du romanesque" et une fiche de l'ULB qui donne comme date date de sa mort 1778, alors que Hersan la fait mourir en 1792, et ses Instructions édifiantes publiées en 1791 la donnent morte "douze ans" plus tôt). Pourtant le personnage compta en son temps et fut une source de polémiques à l'échelle nationale dans les décennies qui suivirent sa mort.
Dans son Histoire de la ville de Gisors (p. 201-202), P.-F.-D. Hersan, ancien instituteur en 1858, l'évoque en ces termes :
"A cette époque, vivait à Gisors la demoiselle Jacqueline-Aimée Brohon, auteur des ouvrages suivants : "Les amans philosophes" (orthographe de l'époque), un volume in-12, "les Tablette enchantées", un volume in-12, "Instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus-Christ au Désert, un volume in-12 ; "Manuel des victimes de Jésus" ; "les Charmes de l'Ingénuité," etc. Elle vécut au couvent des Annonciades de Gisors, dont une de ses parentes était supérieure. Fatiguée du monde, duquel elle avait fait les charmes par sa beauté et son instruction, elle embrassa les douceurs du cloître, sous la direction de l'abbesse qui lui était dévouée. Là, elle s'occupa de l'instruction et de l'éducation des pensionnaires du couvent. Quelques années auparavant, Voltaire lui avait fait obtenir une pension de mille livres, en considération de ses premiers ouvrages. Ses romans sont d'une hardiesse et d'une exaltation religieuse extraordinaires. Elle vécut aux Annonciades de Gisors dans un état dévotieux qui fit l'admiration des religieuses de cette maison. Elle mourut à l'époque de la révolution en 1792." Tout indique qu'Hersan se trompe et que JA Brohon est morte en 1778 à Paris, à 47 ans, après avoir vécu 14 ans (de 1764 à 1778, de 33 à 47 ans) au couvent de Gisors.
Les "Amans philosophes ou le triomphe de la raison" sont facilement accessibles sur Google Books. L'ouvrage, a été publié sous couvert d'anonymat à Amsterdam en1755 (l'auteure n'avait que 24 ans si l'on en croit la fiche de l'ULB, mais l'Histoire littéraire des femmes françoises lui en donne 18, ce qui signifie peut-être qu'il y eut une première publication en 1749). JA Brohon y annonce dans sa préface vouloir y exposer des réflexions qu'elle a "puisées dans la nature et dans le sentiment", et sollicite l'indulgence de ses juges en précisant que l'accueil fait à son livre déterminera son choix de poursuivre dans la voie littéraire ou pas.
Ce roman raconte l'amitié entre Mérindor, philosophe à l'esprit juste, à l'âme généreuse mais fuyant le commerce des hommes, et Damon, moins raisonnable, qui, sans avoir encore connu la passion amoureuse, est mal armé pour lui résister.
Près de chez Damon vit Emilie, beauté dans la fleur de l'âge, "fourbe, artificieuse et coquette à l'excès". Elle détourne Damon du goût de l'étude, lequel déserte l'amitié de Mérindor aussi bien que le salon de la tendre veuve Uranie chez qui ils avaient coutume de se réunir et qui avait des sentiments discrets pour lui. Comme Mérindor console, par les arguments de la raison, Uranie de sa solitude, celle-ci lui présente le jeune Déricourt, dont il tombe peu à peu amoureux. Comme il confie à Uranie la mélancolie que lui inspire cet amour interdit, son amie lui révèle que Déricourt est en réalité une femme nommée Victoire.
Suit une histoire de Victoire, fille d'une famille de deux enfants en Champagne. L'ayant rencontrée à 15 ans, Uranie l'a soustraite à l'influence néfaste de son grand frère Dorante, qui est amoureux d'elle, en l'initiant à la lecture, puis, à la mort de son père comme la flamme de Dorante se fait plus pressante, Victoire s'enfuit à Paris déguisée en homme, et se réfugie chez Uranie.
Mérindor s'ouvre alors de ses sentiments à Victoire, découvre qu'ils sont réciproques. L'auteur nous révèle alors la vie de Mérindor, initialement attaché à un courtisan aux belles manières mais qui ignorait les vertus authentiques, Oronte, puis amoureux d'une jeune Sylvie qu'Oronte lui ravit perfidement, alors pourtant qu'Oronte était promis en mariage à une autre femme. Oronte finit par abandonner Silvie, tandis que sa promise apprenait sa trahison. Mérindor vengé des injustices subies, mais désormais amer, tandis que son père tente de lui faire épouser Angélique, fille d'un chevalier. il perd les trois quarts de sa fortune du fait de la trahison d'un sien ami juge qui préfère les yeux d'une femme à la justice, et, du même coup, la promesse de mariage avec Angélique.Son père en meurt de chagrin, et sa mère décède peu de temps après.
Mérindor allait recouvrer sa fortune grâce au père de Damon. Après que Mérindor eut raconté ses infortunes à Victoire, celle-ci l'assure de la force de ses sentiments pour lui. Peu après, déguisée en Déricourt, elle croise Emilie dans un jardin de rencontres, où elle trompe abondamment et secrètement Damon. Séduite à la vue de Déricourt, elle entreprend de le soustraire aux enseignements d'Uranie. Instruite par Damon, s'étant introduit dans le cercle de Madame de Joinville, que fréquentaient Uranie et Déricourt, elle plait à celui-ci. Alors que Victoire et Uranie ont décidé de ne plus entrer dans le jeu d'Emilie et de ne plus fréquenter le salon de Mme de Joinville, Damon vient rencontrer Victoire déguisée en Déricourt en qui il voit un rival.
Comme Damon tire son épée contre Déricourt, Mérindor, présent, le repousse et lui révèle que Déricourt n'est pas un homme mais une femme vertueuse. Emilie de son côté entreprend de reconquérir Damon. Allant à sa rencontre, elle obtient de lui sans s'y attendre l'aveu que Déricourt est une femme. Après avoir reconquis le coeur de Damon, Emilie se venge de Victoire en écrivant à son frère. Uranie empêche néanmoins Dorante d'enlever sa soeur par la violence. Invoquant le "ciel protecteur de l'innocence" et la philosophie, elle persuade sa protégée de suivre son frère. Uranie fait en sorte que son enfermement dans une abbaye ne soit pas trop douloureuse pour elle et qu'elle puisse continuer à correspondre avec l'extérieur.
JA Brohon présente ensuite un échange de lettres touchant entre Mérindor et Victoire. Ne pouvant plus attendre que sa soeur consente à s'accoupler avec lui, Dorante décide de l'enlever où elle est recluse pour la placer dans un couvent sordide au fond d'un bois, mais l'émissaire d'Uranie les a suivis. En prise aux tourments de la solitude et de la mauvaise compagnie des religieuses, Victoire ne tient que par sa confiance en l'amour de Mérindor, lequel est en proie à la tentation du suicide. Informé de la situation, Damon, qui ignore toujours que Victoire est au couvent à cause d'Emilie, va rencontrer Mérindor. Instruit par Uranie, il prend enfin conscience de sa responsabilité dans le drame que vivent Mérindor et Victoire et va tuer Dorante dans un duel avant de s'exiler. Acquitté au tribunal grâce au soutien de Mérindor, Damon épousera uranie, et Mérindor Victoire tandis que tout le monde est réconcilié dans l'amour et le sentiment de la justice restaurée.
Le roman fait penser au conte ultérieur de Sade "Justine ou les infortunes de la vertu", mais à l'envers car la vertu y est récompensée. On comprend que Hersan cent ans plus tard l'ait trouvé "audacieux" en faisant implicitement mais probablement allusion entre autre à la question de la bisexualité. L'histoire du travestissement pour sauver l'indépendance ou l'intégrité d'une femme était banale à l'époque (cf le chevalier d'Eon ou certains passages des mémoires de Casanova), et cela entre chez JA Brohon dans une problématique de la nature vertueuse plus importante que les apparences, et le regard sur l'homosexualité différent de ce qu'il allait devenir au XIXe siècle, même si Melle de Brohon fait référence au fait qu'elle reste un "crime" du point de vue de la religion.
L' "Histoire littéraire des femmes françoises ou Lettres historiques et critiques" tome V, recueil de lettres d'une société de gens de lettres anonymes, publié chez Lacombe librairie en 1769, évoque (p. 517) les "Amans philosophes" et "Charmes de l'ingénuité" présenté comme un "très joli conte, inséré dans le Mercure de France" mais regrette à propos de Mademoiselle Brohon que "depuis plus de douze ans, il n'a paru aucun écrit sous son nom, aucun qui lui ait été attribué" et qu'elle soit soit "rentrée dans le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe" (nous verrons plus loin qu'il n'en fut rien). L'auteur de l'article estime que "les amans ne sont pas plus philosophes qu'ailleurs. Mais sans faire attention au titre de l'ouvrage de justes éloges, et pour les sentiments qu'il donne à ses personnages et pour la manière dont il les exprime". L'auteur de la revue précise ensuite que le conte "Charmes de l'ingénuité" a été repris par M. Marin sous forme 'une pièce de théâtre de comédie sous le titre "Graces de l'ingénuité.
Les archives du Mercure de France attestent que l'éloge des "Amans Philosophes" a été fait par la revue en mai 1755, estiment qu'elle s'est peinte dans "les Grâces de l'Ingénuité" et ajoutent : "heureux qui pourrait être son Tervile !". La revue de mars 1756 publie un compliment anonyme en vers (comme c'était l'usage) à la nouvelle "les Grâces de l'Ingénuité" parue en février (p. 84-85). Dans celle d'avril (p.51) paraissent des stances à Mademoiselle de Brohon, d'un certain comte Jean Charles de Relongue de la Louptière, qui ecrit de la Louptière en Champagne, dont on peut retenir ces quatre vers :
"Ton coeur nous peint avec finesse
Les charmes de la vérité ;
Et tu décores la sagesse
Des habits de la volupté (...)
Brohon, à ton sexe perfide
Apprends l'art d'aimer constamment ".
Ces poèmes montrent qu'elle était devenue dès le plus jeune âge une "star" de la bonne société parisienne, ce qui rend mystérieux son silence des années qui suivirent.
Venons en maintenant à la seconde partie, mystique, de sa vie.
En 1923, le jeune Auguste Viatte lui consacra un article très malveillant "Une visionnaire au siècle de Jean-Jacques, Mademoiselle Brohon" dans La revue des questions historiques XCVIII 1er avril 1923 p. 336, qui a cependant le mérite de donner un bon aperçu des visions de la romancière devenue religieuse. Il se trompe quand il affirme qu'elle était inconnue de son vivant, mais ses recherches sur l'utilisation de Mlle Brohon par les jacobins sont fascinantes. Il y explique que Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne sous Robespierre, dans son "Journal prophétique" récupéra les dires visionnaires de Suzette Labrousse et les "papiers de Mlle Brohon", ce qui aboutit à leur publication en librairie par Firmin Didot sous la forme des Entretiens édifiants "qui n'offre rien de plus remarquable qu'un livre de piété quelconque" selon Viatte, et ses "Réflexons édifiantes" qu'il qualifie en revanche de "document des plus curieux". Ces réflexions, écrites entre 1772 et 1778, date de la mort de Mlle Brohon, s'ajouteraient selon l'abbé Grégoire à un Manuel des Victimes de Jésus dont il ne connaissait qu'un exemplaire, et deux volumes inédits de ses mémoires cités dans l'Histoire des sectes religieuses (Paris 1928, t. II, p. 36). Ce manuel fut publié en fait en 1799.
"Leur auteur était une convertie, écrit Viatte. Au cours de son passé mondain, elle avait composé des romans doucereux, aujourd'hui parfaitement illisibles" qu'il classe au nombre des imitateurs de Rousseau. Il attribue au "sentimentalisme du Vicaire Savoyard" son intérêt pour Jésus qui lui a recommandé d'écouter son coeur plutôt que son esprit, ce que Viatte impute à la crédulité du siècle des Lumières (on peut aussi penser aux récits de Pauwells sur Mme d'Urfé dupée par Casanova. L'historien rapproche Mlle de Brohon du mage suédois Swedenborg, qui serait du même niveau qu'elle "l'un n'est pas supérieur à l'autre" (mais Viatte veut en indiquant cela rabaisser Swedenborg, notamment par rapport au théosophe Saint-Martin). Il tourne en dérision le passage de ses Réflexion où Mlle de Brohon raconte comment Dieu la porta sur un nuage transparent et lumineux, avec un nuage noir qui enveloppe le monde en dessous d'elle, et comment lorsque les nuages s'ouvrent elle voit le monde dans son crime et un tourbillon de poussière sale en émaner. "D'autres visions, par leur sensiblerie presqu'indécente, font songer Mme Guyon" ajoute-t-il à propos de sa vision de son arrivée au pied du trône de Jésus. Il décèle dans ses visions et dans sa propension à se décrire comme une victime expiatoire l'orgueil, comme chez Rousseau. Mlle Brohon se pose selon lui en créatrice d'un nouvel ordre sacerdotal. "Elle se voit à la tête de 'troupes auxiliaires de l'Eglise', nous dit-il", douze hommes et femmes avec des règles spécifiques, annonce la venue d'un Cardinal qui offrira aux Victimes une ère de prospérité. Ces Victimes serviront Dieu dans l'Eglise d'une manière spéciale, et Jésus lui annonce la venue d'une autre Eglise, comme Swedenborg avait annoncé que l'Esprit divin quittait le corps ecclésiastique en 1757. Elle annonce que l'Espagne privera la France de ses princes si l'autorité des Victimes n'était pas acceptée, que l'ancien clergé lancera des persécutions, que les Juifs se convertiront, et que les Chrétiens s'installeront bientôt en Palestine. Elle fait revenir Elie et Enoch pour guider le peuple fidèle. Vaincus et tués ils seront vengés, et le règne de Jésus commencera en 1866 car les 22 000 coudées de l'Apocalypse sont 22 000 mois.
Viatte, indigné par l'immodestie de Mlle Brohon, déplore qu'au XIXe siècle elle ait gardé un public, et que, par exemple, en 1811, lorsque la mystique Barbara von Krüdener se rendit à Strasbourg, celle-ci y rencontrât un cercle "nourri des Réflexions édifiantes" et en fut éblouie. Les ouvrages de Mme de Krüdener, ajoute Viatte "il est vrai se ressentaient d'une inspiration analogue. Dans leurs âmes féminines, le mysticisme des théosophes s'affadissait, se compliquait de sentimentalité rousseauiste. La notion de péché disparaissait, elle qui occupe une si grand place dans la philosophie martiniste. Le 'moi' tendait à une émancipation complète. la Révolution achèvera de libérer l'expression de cette volonté de puissance ; elle ne la créera pas, car elle s'épanchait déjà avec une suprême impudeur dans le secret des journaux intimes. Ainsi se préparait le romantisme : nous le voyons déjà tout entier, avec son caractère de 'mysticisme impérialiste' comme s'exprimerait Ernest Seillère." Viatte conclut que les théosophes chrétiens eurent le mérite d'exercer "une influence modératrice" face à des mysticismes comme ceux de Mlle Brohon ou Suzette Labrousse, "tout en fournissant au romantisme un important bagage d'images surnaturelles". Mlle Brohon était à ses yeux le précurseur de "cette religion de l'instinct aveugle et de l'individualisme exaspéré qui s'épanouit vers 1830 et dont nous subissons encore les conséquences".
Je trouve cette critique en soi aussi intéressante que les visions de la mystiques de par les réflexions éthiques et politiques qu'elle suscite. Il faudrait un autre article pour en discuter sérieusement.
On mentionnera par ailleurs pour mémoire, que, toujours selon la Revue des questions historiques, Henri d'Alméas parle aussi du mysticisme de Mlle Brohon dans ses ouvrages.
Pour aller plus loin dans les évocations de l'abbé Grégoire auxquelles Auguste Viatte faisait référence on peut se reporter à l'article de John Murray en octobre 1822, dans la Quarterly review de Londres sur le livre dudit abbé (tome 2) Histoire des Sectes Religieuses qui depuis le Commencement du Siècle dernier jusqu’à I’Epoque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du Monde, qui éclaire la notion de "victime" chez Mlle Brohon en expliquant que la fondatrice des Religieuses adoratrices perpétuelles du très Saint Sacrement de l’Autel au XVIIe siècle instituait les religieuses comme des "victimes réparatrices" des souffrances de Jésus puisqu'elles se sacrifient à sa place. Selon Grégoire Melle Brohon aurait abusé du terme. Après le succès littéraire de ses 18 ans, la mystique se repentit de ses premiers romans ayant, disait-elle, été sauvée par un miracle (on ignore lequel à la lecture de l'article). A partir de là elle se consacra à la publication anonyme d’œuvres de dévotion. Grégoire vante son style mais condamne sa prétention (critique qu'allait reprendre Viatte) de créer un collège de six hommes et six femmes "victimes" qui se crucifieront pour que Jésus ne le soit plus (le chiffre 12 équivalait à celui des apôtres, mais rééquilibré en faveur des femmes). Mlle Brohon demanda au nom du Seigneur à Louis XV que madame Victoire, une de ses huit filles née en 1733 (Mlle Brohon avait peut etre pensé à elle dans son premier roman), devînt une "Victime", ce qui serait un privilège pour elle car ces douze Victimes seraient élevées au dessus des anges et instruites dans les secrets de Jésus et Marie. Elles auraient le pouvoir sur le monde sous la présidence d'Ennoch et Elie. Selon Grégoire, Mlle Brohon, comme Mlle Labrousse qui allait mener une prédiction semblable à Rome où la dernière allait être emprisonnée, avaient des soutiens très importants auprès du Pape lui-même, malgré leur coloration hérétique.
Avant Viatte, l'érudit Alfred Maury avait aussi été peu tendre pour la visionnaire l'avait mentionnée dans ce paragraphe d'un article de la revue « Annales médico-psychologiques » de 1855 (où bizarrement il lui prête un itinéraire lorrain en oubliant Gisors).
"L’enthousiasme qui faisait croire aux Franciscains à un second avènement de Jésus-Christ, dans la personne de leur fondateur, et les mettait ainsi sur la pente d’une nouvelle religion différente du christianisme, se reproduisit ; vers 1732, à propos des victimes. Des rêveurs débitèrent que le second retour de Jésus-Christ serait précédé de l’immolation de victimes, dont le sang mêlé à celui du Sauveur apaiserait la colère divine. La plus célèbre des femmes qui donnèrent dans ces extravagances est mademoiselle Brohon, morte à Paris en 1778. Cette visionnaire avait, comme sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse et d’autres mystiques connues, un mérite de style. Elle n’entra point dans l’ordre qu’avait fondé Catherine de Bar, mais ayant vécu longtemps en Lorraine, où les bénédictines du Saint-Sacrement étaient alors fort nombreuses, elle subit l’influence de ses idées. Elle parvint à exercer un véritable empire sur des gens distingués, et elle occupa de ses hallucinations et de ses prétendues prophéties une foule de membres du clergé et des [p. 203] personnes de la haute société. Ses visions avaient la plus grande analogie avec celles des stigmatisés. Un jour elle voyait Jésus-Christ lui montrer la plaie de son côté, en lui disant : « Voilà ton tombeau, ton lit nuptial, ne me cherche plus sur la croix ; je t’ai cédé cette place ; je ne serai plus crucifié, mes victimes le seront pour moi. » Une autre fois, Jésus lui communiqua le calice d’amertume qu’il a bu sur le Calvaire. Mademoiselle Brohon représente le côté allégorique et métaphysique des idées dont, vers la même époque ou un demi-siècle plus tard, Colombe Schanolt, morte à Bamberg en 1787, Madeleine Lorger, morte à Hadamar, en 1806, Anne-Catherine Emmerlch, à Dulmen, quinze ans plus tard, présentaient le côté physique,
Dans le midi de la France, la propagation des mêmes idées fit apparaître dans la Provence une stigmatisée, celle de Villecroze, madame Miollis, et l’histoire de Rose Tamisier ne semble pas étrangère à ces influences. Quant à l’Italie et à l’Espagne, le mysticisme y avait toujours régné, et nous ne nous étonnerons pas de rencontrer encore au commencement de ce siècle, à Ozieri, en Sardaigue, une stigmatisée, Rose Cerra, religieuse capucine."
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A paraître dans une revue :
Jacqueline Aimée Brohon, l’autre mystère de Gisors
Christophe Colera
Le mystère du trésor des templiers a fait la réputation de Gisors au niveau mondial. Certains n’hésitent pas à lui rattacher d’autres énigmes de l’histoire secrète de notre pays comme les tableaux de Nicolas Poussin ou les obscures découvertes de l’abbé Saunières à Rennes-le-Château dans l’Aude[1]. Il en est un autre dont on ne sait s’il peut avoir un rapport quelconque avec les templiers mais qui nourrit de nombreux débats à l’époque de la Révolution française et encore tout au long du XIXe siècle, celui des visions d’une femme écrivaine qui vécut 14 ans à Gisors au couvent des Annonciades, avant de décéder le 18 octobre 1778 à Paris.
Dans son Histoire de la ville de Gisors, P.-F.-D. Hersan, ancien instituteur, membre de la Société académique de l’Oise, en 1858[2], l'évoque en ces termes :
« A cette époque, vivait à Gisors la demoiselle Jacqueline-Aimée Brohon, auteur des ouvrages suivants : "Les amans philosophes" (orthographe de l'époque), un volume in-12, "les Tablette enchantées", un volume in-12, "Instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus-Christ au Désert, un volume in-12 ; "Manuel des victimes de Jésus" ; "les Charmes de l'Ingénuité," etc. Elle vécut au couvent des Annonciades de Gisors, dont une de ses parentes était supérieure. Fatiguée du monde, duquel elle avait fait les charmes par sa beauté et son instruction, elle embrassa les douceurs du cloître, sous la direction de l'abbesse qui lui était dévouée. Là, elle s'occupa de l'instruction et de l'éducation des pensionnaires du couvent. Quelques années auparavant, Voltaire lui avait fait obtenir une pension de mille livres, en considération de ses premiers ouvrages. Ses romans sont d'une hardiesse et d'une exaltation religieuse extraordinaires. Elle vécut aux Annonciades de Gisors dans un état dévotieux qui fit l'admiration des religieuses de cette maison. Elle mourut à l'époque de la révolution en 1792. »
A part l’erreur de sa date de sa mort (qui est pourtant clairement explicitée dans le titre de la publication post-mortem de ses Instructions édifiantes publiées en 1791), l’évocation a le mérite de tracer le contraste entre une carrière d’écrivaine mondaine au cœur du siècle des Lumières, protégée par Voltaire, et l’enfermement au cloître. Mais ce contraste n’est pas la seule source d’étonnement que recèle l’itinéraire de ce personnage. A vrai dire plutôt que d’un mystère à son propos il faudrait parler de mystères au pluriel, car on peut en énoncer au moins trois autour de ce personnage : celui de son génie littéraire précoce, celui de sa conversion mystique, celui enfin du destin posthume singulier de ses visions.
Le génie littéraire précoce de Jacqueline-Aimée Brohon
On connaît l’enfance de Mlle Brohon à travers ce qu’en dit le tome 2 de l’Histoire des sectes de l’abbé Grégoire[3]. Fille de receveur, elle passa, précise-t-il, une partie de son enfance en Lorraine, et fut « livrée de très bonne heure à la culture des lettres » qui débuta par « des articles de journaux et des romans ». Dans la mesure où les mémoires de l’intéressée que l’abbé a consultées ne sont plus d’un accès aisé à la bibliothèque nationale de France, on n’en saura pas plus.
Son premier roman, "Les Amans philosophes ou le triomphe de la raison" sont facilement consultables sur Google Books dans une version publiée sous couvert d'anonymat à Amsterdam en 1755 (l'auteure avait 24 ans si l’on retient 1731 pour sa date de naissance comme le font la plupart des fiches biographiques, mais l'Histoire littéraire des femmes françoises[4] ne lui en donne que 18). JA Brohon y annonce dans sa préface vouloir y exposer des réflexions qu'elle a "puisées dans la nature et dans le sentiment", et sollicite l'indulgence de ses juges en précisant que l'accueil fait à son livre déterminera son choix de poursuivre dans la voie littéraire ou pas.
On peut ici donner un aperçu du livre en retraçant son intrigue légèrement alambiquée.
Ce roman raconte l'amitié entre Mérindor, philosophe à l'esprit juste, à l'âme généreuse mais fuyant le commerce des hommes, et Damon, moins raisonnable, qui, sans avoir encore connu la passion amoureuse, est mal armé pour lui résister.
Près de chez Damon vit Emilie, beauté dans la fleur de l'âge, "fourbe, artificieuse et coquette à l'excès". Elle détourne Damon du goût de l'étude, lequel déserte l'amitié de Mérindor aussi bien que le salon de la tendre veuve Uranie chez qui ils avaient coutume de se réunir et qui avait des sentiments discrets pour lui. Comme Mérindor console, par les arguments de la raison, Uranie de sa solitude, celle-ci lui présente le jeune Déricourt, dont il tombe peu à peu amoureux. Comme il confie à Uranie la mélancolie que lui inspire cet amour interdit, son amie lui révèle que Déricourt est en réalité une femme nommée Victoire.
Suit une histoire de Victoire, fille d'une famille de deux enfants en Champagne. L'ayant rencontrée à 15 ans, Uranie l'a soustraite à l'influence néfaste de son grand frère Dorante, qui est amoureux d'elle, en l'initiant à la lecture, puis, à la mort de son père comme la flamme de Dorante se fait plus pressante, Victoire s'enfuit à Paris déguisée en homme, et se réfugie chez Uranie.
Mérindor s'ouvre alors de ses sentiments à Victoire, découvre qu'ils sont réciproques. L'auteur nous révèle alors la vie de Mérindor, initialement attaché à un courtisan aux belles manières mais qui ignorait les vertus authentiques, Oronte, puis amoureux d'une jeune Sylvie qu'Oronte lui ravit perfidement, alors pourtant qu'Oronte était promis en mariage à une autre femme. Oronte finit par abandonner Silvie, tandis que sa promise apprenait sa trahison. Mérindor vengé des injustices subies, mais désormais amer, tandis que son père tente de lui faire épouser Angélique, fille d'un chevalier. il perd les trois quarts de sa fortune du fait de la trahison d'un sien ami juge qui préfère les yeux d'une femme à la justice, et, du même coup, la promesse de mariage avec Angélique. Son père en meurt de chagrin, et sa mère décède peu de temps après.
Mérindor allait recouvrer sa fortune grâce au père de Damon. Après que Mérindor eut raconté ses infortunes à Victoire, celle-ci l'assure de la force de ses sentiments pour lui. Peu après, déguisée en Déricourt, elle croise Emilie dans un jardin de rencontres, où elle trompe abondamment et secrètement Damon. Séduite à la vue de Déricourt, elle entreprend de le soustraire aux enseignements d'Uranie. Instruite par Damon, s'étant introduit dans le cercle de Madame de Joinville, que fréquentaient Uranie et Déricourt, elle plait à celui-ci. Alors que Victoire et Uranie ont décidé de ne plus entrer dans le jeu d'Emilie et de ne plus fréquenter le salon de Mme de Joinville, Damon vient rencontrer Victoire déguisée en Déricourt en qui il voit un rival.
Comme Damon tire son épée contre Déricourt, Mérindor, présent, le repousse et lui révèle que Déricourt n'est pas un homme mais une femme vertueuse. Emilie de son côté entreprend de reconquérir Damon. Allant à sa rencontre, elle obtient de lui sans s'y attendre l'aveu que Déricourt est une femme. Après avoir reconquis le coeur de Damon, Emilie se venge de Victoire en écrivant à son frère. Uranie empêche néanmoins Dorante d'enlever sa soeur par la violence. Invoquant le "ciel protecteur de l'innocence" et la philosophie, elle persuade sa protégée de suivre son frère. Uranie fait en sorte que son enfermement dans une abbaye ne soit pas trop douloureuse pour elle et qu'elle puisse continuer à correspondre avec l'extérieur.
JA Brohon présente ensuite un échange de lettres touchant entre Mérindor et Victoire. Ne pouvant plus attendre que sa soeur consente à s'accoupler avec lui, Dorante décide de l'enlever où elle est recluse pour la placer dans un couvent sordide au fond d'un bois, mais l'émissaire d'Uranie les a suivis. En prise aux tourments de la solitude et de la mauvaise compagnie des religieuses, Victoire ne tient que par sa confiance en l'amour de Mérindor, lequel est en proie à la tentation du suicide. Informé de la situation, Damon, qui ignore toujours que Victoire est au couvent à cause d'Emilie, va rencontrer Mérindor. Instruit par Uranie, il prend enfin conscience de sa responsabilité dans le drame que vivent Mérindor et Victoire et va tuer Dorante dans un duel avant de s'exiler. Acquitté au tribunal grâce au soutien de Mérindor, Damon épousera uranie, et Mérindor Victoire tandis que tout le monde est réconcilié dans l'amour et le sentiment de la justice restaurée.
Le roman fait penser au conte ultérieur de Sade "Justine ou les infortunes de la vertu", mais à l'envers car la vertu y est récompensée. On comprend que Hersan cent ans plus tard l'ait trouvé "audacieux" en faisant implicitement mais probablement allusion entre autre à la question de la bisexualité. L'histoire du travestissement pour sauver l'indépendance ou l'intégrité d'une femme était banale à l'époque (cf le chevalier d'Eon ou certains passages des mémoires de Casanova), et cela entre chez JA Brohon dans une problématique de la nature vertueuse plus importante que les apparences, et le regard sur l'homosexualité différent de ce qu'il allait devenir au XIXe siècle, même si Melle de Brohon fait référence au fait qu'elle reste un "crime" du point de vue de la religion.
JA Brohon allait ensuite se distinguer par une nouvelle insérée dans la revue Le Mercure de France, les « Charmes de l’Ingénuité » (ou les « Grâces de l’ingénuité »).
L' "Histoire littéraire des femmes françoises[5] évoque (p. 517) les "Amans philosophes" et "Charmes de l'ingénuité" présenté comme un "très joli conte, inséré dans le Mercure de France" mais regrette à propos de Mademoiselle Brohon que "depuis plus de douze ans, il n'a paru aucun écrit sous son nom, aucun qui lui ait été attribué" et qu'elle soit "rentrée dans le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe" (nous verrons plus loin qu'il n'en fut rien). L'auteur de l'article estime que "les amans ne sont pas plus philosophes qu'ailleurs. Mais sans faire attention au titre de l'ouvrage de justes éloges, et pour les sentiments qu'il donne à ses personnages et pour la manière dont il les exprime". L'auteur de la revue précise ensuite que le conte "Charmes de l'ingénuité" a été repris par le futur censeur du roi et académicien François-Louis Claude Marin (1721-1809) sous forme d'une pièce de théâtre de comédie sous le titre "Grâces de l'ingénuité ». On lui attribua aussi les « Tablettes enchantées » et « Le Sacrifice ».
Les archives du Mercure de France attestent que l'éloge des "Amans Philosophes" a été fait par la revue en mai 1755, mais l’abbé Grégoire fait état d’une insertion plus tôt, en février 1755, avec éloge de l’académicien Louis de Boissy qui en était alors le rédacteur. L’honorable correspondant de la revue y expose que Mlle Brohon s'est peinte dans "les Grâces de l'Ingénuité" et ajoute en forme galante : "heureux qui pourrait être son Tervile !". L’année suivante (en mars 1756) la revue publie un compliment anonyme en vers (comme c'était l'usage) à la nouvelle "les Grâces de l'Ingénuité" parue en février (p. 84-85). Dans celle d'avril (p.51) paraissent des stances à Mademoiselle Brohon, d'un certain comte Jean Charles de Relongue de la Louptière, qui écrit de la Louptière en Champagne, dont on peut retenir ces vers :
"Ton coeur nous peint avec finesse
Les charmes de la vérité ;
Et tu décores la sagesse
Des habits de la volupté (...)
Brohon, à ton sexe perfide
Apprends l'art d'aimer constamment ".
Ces poèmes montrent qu'elle était devenue dès le plus jeune âge une "star" de la bonne société aristocratique, et l’on comprend que les chroniqueurs littéraires se soient étonnés de son silence, croyant à tort qu’elle s’était mariée, suivant « le cours de la vie ordinaire des personnes de son sexe »…
Le mystère de l’entrée au couvent de Mlle Brohon et de ses visions.
L’orientation chrétienne de Mlle Brohon est ancienne. Selon l’abbé Grégoire[6], l’intéressée raconte elle-même dans ses ouvrages qu’à l’âge de neuf ans « ayant éprouvé d’une manière sensible la protection de la sainte Vierge, elle se consacra à son service ». L’abbé relève qu’en Lorraine les bénédictines du Saint-Sacrement étaient nombreuses et attribue la dévotion de notre auteure à leur influence.
Mlle Brohon s’est-elle retirée au couvent de l’Annonciade en 1764 où, nous dit-on, une de ses parentes était abbesse ?
Etrangement les avis divergent sur ce point. Les commentateurs de la vie de la mystique s’entendent pour reconnaître qu’elle en eut l’intention. Cette décision serait due à un miracle produit par le saint lorrain Pierre Fourier de Mattaincourt (mort en 1640, béatifié en 1730, canonisé en 1897). Pourtant selon l’abbé Grégoire « cela n’eut pas lieu ». Se repentant d’avoir écrit des romans, l’écrivaine consulta l’abbé Clément, prédicateur du roi de Pologne, qui la dirigea quelque temps. Elle s’en remet ensuite au vicaire de Saint-Pierre-aux-Bœufs puis au curé d’Avray (futur réfractaire), du Garry, puis serait décédée dans la solitude le 18 septembre 1778 « à quarante et quelques années » à Paris…
Ainsi donc, Mlle Brohon n’aurait pas vécu à Girors…
Les Annonciades pourtant sur leur site[7] se vantent bien d’avoir hébergé Mlle Brohon pendant quatorze ans :
« À partir de 1734, la communauté est dirigée par sœur Saint-Paul, dans le monde Marie-Anne Brohon, parente d’une pensionnaire, Jacqueline-Aimée Brohon, véritable auteur spirituel. Jacqueline Aimée Brohon a publié les Amants philosophes, les Tablettes enchantées, des instructions édifiantes sur le jeûne de Jésus Christ au désert, un manuel des victimes de Jésus, les charmes de l’ingénuité etc. Sa dévotion fait l’admiration de la communauté. »
Comme on l’a vu PFD Hersan le confirme. L’ambiguïté semble tenir au fait que JA Brohon n’était pas devenue religieuse (en cela, son intention première ne se réalisa pas), mais resta, bien attachée au couvent en tant que pensionnaire, c’est-à-dire, comme l’indique Hersan, chargée de l’instruction des moniales On peut supposer que cela lui permettait de réaliser des allers-retours entre Paris et Gisors, ce qui explique qu’elle mourût finalement « en odeur de sainteté », dans la capitale.
Pourquoi cette intention de rejoindre le couvent ? de quel « miracle », le saint lorrain fut-il l’auteur ? Et pourquoi l’intention se limite-t-elle finalement à l’obtention d’un statut de pensionnaire ? On l’ignore.
Il semble que si l’abbé Grégoire ne s’attarde pas sur les liens entre la mystique et Gisors, c’est qu’il est surtout préoccupé par la volonté de rattacher ses visions aux spécificités du terroir lorrain.
Selon lui, les positions religieuses de JA Brohon s’ancrent dans le sillage de Catherine de Bar, appelée mère Mechtilde, née à Saint-Diez en Lorraine en 1619 et morte en 1698 qui avait institué en 1659, à Rambervillers, un ordre monastique féminin, qui se répandit rapidement en France. Celui-ci suivait la règle de Saint Benoît, mais aevc des modifications exposées dans son livre « Le véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du Très-Saint Sacrement de l’Autel ». « Le caractère propre de ces religieuses est d’être victimes en réparation des outrages faits à Jésus-Christ dans l’Eucharistie (…) Tous les jours, une religieuse entre en retraite depuis le matin jusqu’à vêpres. Son office est d’être victime réparatrice. Quand les sœurs vont au réfectoire, la réparatrice sort du chœur la dernière, la corde au cou, la torche à la main. Toutes étant placées, elle leur rappelle qu’elles sont victimes immolées à la place de Jésus-Christ ; elle s’incline, retourne au chœur pendant le dîner, et reste jusqu’après vêpres, comme victime, séparée du troupeau et destinée au sacrifice ».
Cette thématique de la victime il est vrai traverse toutes les visions de la mystique.
Outre cette influence, il faut noter celle du rousseauisme qui trace une continuité entre sa période littéraire et sa période religieuse. C’est ce qu’ a brillamment souligné en 1923, le jeune érudit suisse fraîchement couronné du doctorat Auguste Viatte dans un article assez malveillant "Une visionnaire au siècle de Jean-Jacques, Mademoiselle Brohon" dans La revue des questions historiques[8]. Pour lui, aussi bien ses "romans doucereux, aujourd'hui parfaitement illisibles" que ses visions procèdent du "sentimentalisme du Vicaire Savoyard".
Viatte, comme l’abbé Grégoire avant lui, rapproche Mlle de Brohon du mage suédois Swedenborg, qui serait du même niveau qu'elle "l'un n'est pas supérieur à l'autre" (mais Viatte veut en indiquant cela rabaisser Swedenborg, notamment par rapport au théosophe Saint-Martin). Il tourne en dérision le passage de ses Réflexions[9] où Mlle de Brohon raconte comment Dieu la porta sur un nuage transparent et lumineux, avec un nuage noir qui enveloppe le monde en dessous d'elle, et comment lorsque les nuages s'ouvrent elle voit le monde dans son crime et un tourbillon de poussière sale en émaner. "D'autres visions, par leur sensiblerie presqu'indécente, font songer Mme Guyon" ajoute-t-il à propos de sa vision de son arrivée au pied du trône de Jésus. Il décèle dans ses visions et dans sa propension à se décrire comme une victime expiatoire l'orgueil, comme chez Rousseau. Mlle Brohon se pose selon lui en créatrice d'un nouvel ordre sacerdotal. "Elle se voit à la tête de 'troupes auxiliaires de l'Eglise', nous dit-il", douze hommes et femmes avec des règles spécifiques, annonce la venue d'un Cardinal qui offrira aux Victimes une ère de prospérité. Ces Victimes serviront Dieu dans l'Eglise d'une manière spéciale, et Jésus lui annonce la venue d'une autre Eglise, comme Swedenborg avait annoncé que l'Esprit divin quittait le corps ecclésiastique en 1757. Elle annonce que l'Espagne privera la France de ses princes si l'autorité des Victimes n'était pas acceptée, que l'ancien clergé lancera des persécutions, que les Juifs se convertiront, et que les Chrétiens s'installeront bientôt en Palestine. Elle fait revenir Elie et Enoch pour guider le peuple fidèle. Vaincus et tués ils seront vengés, et le règne de Jésus commencera en 1866 car les 22 000 coudées de l'Apocalypse sont 22 000 mois.
Ces visions poussèrent Mlle Brohon à beaucoup d’audace. En 1774, elle écrit à Beaumont, archevêque de Paris pour lui prédire que Dieu « va exercer son jugement sur les nations, décimer la terre, se choisir un peuple nouveau ; mais auparavant établir des victimes qui s’immoleront continuellement à Dieu : l’abbé Du Garry en sera le directeur[10]. Puis elle demande au nom du Seigneur à Louis XV malade que madame Victoire, une de ses huit filles née en 1733 (Mlle Brohon, qui n’est son ainée que de deux ans, avait peut être pensé à elle dans son premier roman), devînt une "Victime", ce qui serait un privilège pour elle car ces douze Victimes seraient élevées au dessus des anges et instruites dans les secrets de Jésus et Marie. Elles auraient le pouvoir sur le monde sous la présidence d'Ennoch et Elie. Sophie du Castelle, fille d’un notaire de Péronne (en Picardie), postulante chez les bénédictines de Gomer-Fontaine, doit aussi faire partie des douze victimes.
D’où venaient ces visions ?
La postérité de JA Brohon
La mystique de Gisors eut un succès considérable à l’époque de la Révolution française, et ce succès lui aussi a quelque chose de mystérieux, même si l’on peut lui trouver des explications sociologiques a posteriori. Auguste Viatte note que Pierre Pontard, évêque constitutionnel de la Dordogne sous Robespierre, dans son "Journal prophétique" récupéra les "papiers de Mlle Brohon", ainsi que les dires visionnaires de sa cadette périgourdine Clotilde Suzanne dite Suzette Labrousse, réfugiée à Rome, ce qui aboutit à leur publication en librairie par Firmin Didot sous la forme des Entretiens édifiants "qui n'offre rien de plus remarquable qu'un livre de piété quelconque" selon Viatte, et ses "Réflexions édifiantes" qu'il qualifie en revanche de "document des plus curieux". Nul doute que le succès politique de la protégée de Pontard, Suzette Labrousse, qui prêchait pour la constitution civile du clergé ait aidé à la publication des écrits de JA Brohon, mais comment ceux-ci sont-ils arrivés entre les mains de l’évêque constitutionnel ? la duchesse Louise Henriette de Bourbon Conti, fille du duc d’Orléans, qui hébergea Suzette y fut-elle pour quelque chose ?
L’Eglise restait vigilante à l’égard de ses prédictions et de ses tendances hérétiques. En 1792, selon l’abbé Grégoire[11] fut imprimée une consultation « de plusieurs docteurs et professeurs de Sorbonne », délibérée le 4 mars 1792, sur les deux ouvrages « Instructions édifiantes » et « Réflexions édifiantes » etc, mais qui ne furent guère favorables à la mystique, la Sorbonne continuant d’incarner l’orthodoxie ecclésiastique. Il lui reproche notamment des « idées charnelles, des peintures libres capables de souiller l’imagination ».
En 1811, lorsque la mystique balte et baronne Barbara von Krüdener se rendit à Strasbourg, celle-ci y rencontra un cercle "nourri des Réflexions édifiantes" et en fut éblouie. Les ouvrages de Mme de Krüdener, ajoute Viatte « il est vrai se ressentaient d'une inspiration analogue. Dans leurs âmes féminines, le mysticisme des théosophes s'affadissait, se compliquait de sentimentalité rousseauiste. La notion de péché disparaissait, elle qui occupe une si grand place dans la philosophie martiniste. Le 'moi' tendait à une émancipation complète. La Révolution achèvera de libérer l'expression de cette volonté de puissance ; elle ne la créera pas, car elle s'épanchait déjà avec une suprême impudeur dans le secret des journaux intimes. Ainsi se préparait le romantisme : nous le voyons déjà tout entier, avec son caractère de 'mysticisme impérialiste' comme s'exprimerait Ernest Seillère. »
Pour Viatte, il ne faisait aucun doute que les visions sentimentalistes, aussi hérétiques qu’immodestes de JA Brohon sont déjà le creuset du romantisme "cette religion de l'instinct aveugle et de l'individualisme exaspéré qui s'épanouit vers 1830 et dont nous subissons encore les conséquences", ce qui explique son succès au début du XIXe siècle, bien que la réalité des faits ne corrobore point les prophéties de la visionnaire. L’historien suisse n’était pas loin de reprendre à son compte l’expression de Léon Bloy à propos de George Sand : « Cette fille trouvée de Jean-Jacques Rousseau » [12].
L’érudit Alfred Maury dans les « Annales médico-psychologiques » avec une approche rationaliste allait écrire en 1855[13] « Mademoiselle Brohon représente le côté allégorique et métaphysique des idées dont, vers la même époque ou un demi-siècle plus tard, Colombe Schanolt, morte à Bamberg en 1787, Madeleine Lorger, morte à Hadamar, en 1806, Anne-Catherine Emmerlch, à Dulmen, quinze ans plus tard, présentaient le côté physique ». Puis il semble que la visionnaire soit tombée dans l’oubli.
Il y a peu l’Université libre de Bruxelles lançait un appel à contribution à un colloque sur le thème « Femmes des anti-Lumières, femmes apologistes », la présentant comme ayant « succombé à l’attrait des hétérodoxies, en même temps qu’à celui du romanesque ». Il est vrai que le féminisme ou le « post-féminisme » aujourd’hui peut trouver matière à réflexion dans ce collège des « victimes » que JA Brohon souhaitait instaurer (et dont elle prendrait la tête) au dessus des anges, avec autant de femmes que d’hommes, nous dit l’abbé Grégoire « pour humilier le sexe masculin qui a abusé de sa supériorité, et pour le piquer de jalousie quand il verra le zèle du sexe faible »[14]. Peut-être l’angle des gender studies contribuera-t-il à ressusciter l’intérêt pour cette auteure méconnue, ressusciter l’intérêt… et peut-être en éclairer les mystères que nous avons évoqués plus haut, si tant est que l’approche des gender studies soit sensible aux mystères.
Reste à déterminer la part de dette de sa spiritualité à l’égard de la Lorraine, et à l’égard de Gisors. N’en déplaise à l’abbé Grégoire, le nom même de Brohon est associé à la Picardie, au Nord-Pas-de-Calais… et à la péninsule du Cotentin normand[15], mais est absent de Lorraine. Ce n’est sans doute pas un hasard si une parente de la mystique dirigeait le couvent des Annonciades à son époque, et son statut de pensionnaire du couvent jusqu’à sa mort est avéré.
Gisors a baigné dans une ambiance de prophéties apocalyptiques autant que la Lorraine sinon plus, et celles de Melle Brohon ne pouvaient qu’y recevoir un bon accueil, voire y trouver des sources d’inspiration. Ce qui explique que la « dévotion (de JA Brohon ait) fait l’admiration de la communauté » sans y susciter la moindre réserve. Quelles(s) présence (s) l’écrivaine repentie a-t-elle trouvé (es) dans cette ville ? que lui a-t-elle apportée en retour ? Une étude fouillée des mémoires de la visionnaire nous éclairerait peut-être sur la dette réciproque que celle-ci a pu contracter à l’égard du Vexin normand.
Christophe Colera
Christophe Colera : docteur en sociologie, philosophe, auteur notamment de « Dialogue sur les aléas de l’histoire », Paris, L'Harmattan 2010.
Blog http://down.under.over-blog.com/
[1] Gérard de Sède, L'Or de Rennes ou la Vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château, Paris, Cercle du Nouveau livre d'histoire, 1968, éclairé par Patrick Ferté, La clé de l'oeuvre codée de Maurice Leblanc, Arsène Lupin supérieur et inconnu, Paris, La Maisnie-Tredaniel, 2004.
[2] PFD Hersan, Histoire de la ville de Gisors, Imprimerie Librairie Lapierre, 1858, p. 201-202.
[3] Henri Grégoire, Histoire des Sectes Religieuses qui depuis le Commencement du Siècle dernier jusqu’à I’Epoque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du Monde, édition de 1828, tome 2, Paris, Beaucouin frères eds, livre fort lu à son époque, dont la première version fut commentée par exemple par John Murray en octobre 1822, dans la Quarterly review de Londres.
[4] Histoire littéraire des femmes françoises ou lettres historiques et critiques, par une Société de gens de Lettres, Tome cinquième, Paris, Lacombe éditeur, 1764 p. 515. L’auteur serait l’abbé jésuite Joseph La Porte selon l’abbé Grégoire qui cite une versiondu livre de 1779.
[5] ibid p. 517.
[6] Ibid p. 34
[7] http://www.annonciade.info/2013/12/gisors-1622-1792/
[8] La revue des questions historiques XCVIII 1er avril 1923 p. 336
[9] Ces Réflexions, écrites entre 1772 et 1778, date de la mort de Mlle Brohon, s'ajouteraient selon l'abbé Grégoire à un Manuel des Victimes de Jésus dont il ne connaissait qu'un exemplaire, et deux volumes inédits de ses mémoires cités dans l'Histoire des sectes religieuses (Paris 1928, t. II, p. 36). Ce manuel fut publié en fait en 1799.
[10] Abbé Grégoire ibid p. 38.
[11] Abbé Grégoire ibid p. 42.
[12] Léon Bloy, Le symbolisme de l’apparition, Rivages, 2008.
[13] Alfred Maury. Les mystiques extatiques et les stigmatisés. Article parut dans la revue « Annales médico-psychologiques », (Paris), 2e série, tome premier, 1855, pp. 181-232
[14] Abbé Grégoire ibid p. 38
[15] Voir par exemple Jean Brohon, La description d'une merveilleuse horrible et prodigieuse comette, et apparition effroyable d'hommes armes, et combatans en l'air, sur nostre horison de Costentin en Normandie, Constances 28 octobre 1568 .
Oublier les médiums
Je sais d'expérience que les médiums et grands voyants (de renommée internationale ou locale) ne sont aimables que tant qu'on leur sert docilement la soupe et flatte leur égo. Tant que vous allez dans leur sens, ils se présenteront comme des parangons d'amour universel et vous décriront vous-même comme un être lumineux qu'ils sont ravis d'aider. Commencez à douter des sources de leur inspiration et ils vous rayeront de leur carnet d'adresse avec une muflerie qu'aucun psychanalyste n'égalerait ( alors que les médiums se disent pourtant comme eux des thérapeutes). En somme ce ne sont pas les rois du dialogue constructif ni du respect des divergences, et l'on comprend pourquoi, leur don ne s'étant la plupart du temps forgé que dans une grande solitude. Voilà qui devrait encourager leurs clients à ne pas perdre trop de temps avec eux. Lorsque l'essentiel des messages des "Guides" ou des "esprits" ont été communiqués, il faut savoir chercher vers d'autres horizons. De toute façon le "développement personnel" que ces visionnaires promettent, avec toutes ses connotations petites bourgeoises, ne saurait être une fin en soi. Le véritable objectif est que le meilleur ordre universel possible se réalise, un ordre qui, en tant que tel, ne peut pas être antagoniste de nos aspirations profondes, lesquelles il nous suffit de retrouver, en dialogue avec l'au-delà, par d'autres intermédiaires que les médiums. On en connaît les techniques : l'écoute des synchronicités, l'ouverture des chakras, la respiration, la concentration, la prière, l'écoute des rêves.
Esotérisme languedocien

Lorsque j'entends le mot "cathare", je repense souvent à cette description que fait Céline dans "D'un Château d'Autre" d'un évêque "cathare" autoproclamé à Sigmaringen. Toutes les spéculations ésotériques autour de cette hérésie ont souvent eu le ridicule et l'abjection morale de cet évêque.
J'y songeais encore en lisant Rennes-le-Château: le dossier, les impostures, les phantasmes, les hypothèses (1988) de Gérard de Sède où l'occultisme et l'ésotérisme occitan hantent toutes les pages. Je n'ai pas d'avis définitif sur ce livre qui réduit peut-être un peu trop l'énigme de Rennes-le-Château à de dérisoires affaires de politique habsbourgeoise, un peu comme d'autres ne voient dans les sociétés secrètes que des repères d'espions des services secrets. Mais il n'est pas mauvais de découvrir une histoire intriguant à travers toute la malhonnêteté et toute la rouerie stupide que les mythomanes de tous horizons sont susceptibles d'y investir (et il est vrai que l'ésotérisme se prête particulièrement à ce genre de délire, en cela il est à bon droit considéré comme un terrain de prédilection des démons).
Je suis venu à m'intéresser à Rennes-le-Château en lisant une mise au point qu'une écrivaine espagnole avait faite sur l'histoire de la Catalogne (où j'ai quelques origines lointaines et encore de la famille). J'y ai trouvé la triste histoire du premier comte de Barcelone, Bera, nommé par Charlemagne, puis exilé de force par les Francs à Rouen (ce que les Normands ne savent sans doute pas). Ce nom de Bera, cherché sur Google me renvoya à des groupes de discussion passionnés qui débattent sur Rennes-le-Chateau où l'abbé Bérenger Saunière fit fortune, il y a cent ans, grâce à de mystérieux manuscrits ésotériques, une affaire qui inspira le Da Vinci Code (Saunière est le nom de l'érudit français tué dans le roman de Dan Brown).
De Sède a peut-être raison de douter du fait que les manuscrits de Saunière portent vraiment une révélation d'une importance capitale pour notre époque autant qu'il doute (mais là dessus je crois qu'il a tort) de l'apparition de Sainte Vierge à La Salette. En tout cas, l'histoire de Rennes-le-Château, comme celle de la Catalogne, a le mérite de nous plonger dans le monde wisigothique de la Novempopulanie et de la "marche hispanique" de l'empire franc, un monde peu visible depuis Paris et donc gommé de nos manuels d'histoire. C'est un bon moyen de "dépayser son regard", préalable nécessaire à toute méditation sérieuse.
La passion du Christ et le centurion arabe
Dans ses visions de la passion du Christ, la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich voit à un moment le centurion romain être relevé par un centurion arabe qu'elle appelle Abenadar et qui, selon elle, allait ensuite être surnommé Ctéphison.
Elle le dit originaire de l'Arabie nabatéenne (l'actuelle Jordanie), qu'elle nomme à tort Arabie heureuse (l'actuel Yémen). Il avait relevé le chef d'un détachement de cent hommes, à la tête lui-même de 50 hommes (p. 170) alors que les ténèbres entouraient déjà le Golgotha (éclipse solaire). A l'instant de la mort de Jésus, il reçoit la Grâce qui lui révèle que Jésus était vraiment Dieu incarné, donne son cheval et sa lance à son adjoint Cassius-Longin, et va dans la vallée de Gihon annoncer aux apôtres cachés la mort de Jésus et sera de ceux qui porteront en civière le cadavre. Puis il aurait évangélisé l'Espagne avec Jacques le majeur.
Un texte postérieur de Brentano précise les visions de la bienheureuse à son sujet le jour de sa fête. Un certain LD Alford lui a consacré un roman en 2008 et Fabio Sartor joue son rôle dans la Passion du Christ de Mel Gibson en 2004 (11ème rôle).
Ishtar dans le Livre de Nahum (Bible)
"14 - Voici ce que le Seigneur a décrété contre le roi de Ninive : Nulle descendance ne perpétuera ton nom. De la maison de tes dieux je supprimerai les idoles, qu’elles soient sculptées ou en métal fondu. Je te prépare un tombeau car tu es méprisable. "
Le chercheur indépendant Grégory Dean Cook dans son étude "Nahum’s Use of Ambiguity and Allusion to Prophesy the Destruction of Spiritual Powers" (accessible ici) montre dans son chapitre 5 que les imprécations du prophète Nahum contre Ninive sont d'abord des attaques contre ses dieux pour détruire leurs pouvoirs, aussi bien celui du dieu tutélaire du pouvoir assyrien, Assur, que celui d'Ishtar la déesse de sa capitale, Ninive.
Commençons par citer les passages qui nous intéressent :
2 / 8 : "La Princesse est déportée ; ses servantes sont emmenées, elles gémissent comme des colombes, elles se frappent la poitrine. "
3 / 4-7 :"04 Voilà pour les prostitutions sans nombre de la Prostituée, belle et pleine de charme, maîtresse en sortilèges, prenant des nations dans ses filets par ses prostitutions, et des peuples par ses sortilèges !
05 Maintenant je m’adresse à toi – oracle du Seigneur de l’univers – : je vais relever ta robe jusqu’à ton visage, j’exhiberai ta nudité devant les nations, devant les royaumes ton infamie.
06 Je vais jeter sur toi des choses horribles, te déshonorer, te donner en spectacle.
07 Tous ceux qui te verront s’enfuiront en disant : « Ninive est dévastée ! Qui la plaindra ? » Où donc te trouver des consolateurs ? "
Contre les études féministes qui voyaient dans ces passages de simples imprécations machistes guerrières, Cook remarque que ceux ci n'accusent pas la reine de Ninive de se prostituer mais d'être une sorte de "maquerelle" d'une "opération internationale de trafic humain", et de la plus grande maison close du monde. C'est son pouvoir d'asservir d'autres femmes qui est en cause. L'attaque vise Ishtar mais aussi la reine phénicienne Jezabel qui ayant épousé le roi Achab introduit le culte d'Ishtar-Astarté en Samarie au IXe siècle av JC.
Le verbe "déportée" dans le vers 2/8 est parfois traduit par "dépouillée", ce qui peut faire allusion à la descente d'Ishtar aux Enfers dans la mythologie suméro-assyrienne où elle est rituellement dénudée. Cela fait aussi écho à l'incapacité du roi d'Assyrie à protéger les femmes, mission qui fait partie de son sacerdoce, et qui se révèle dans le fait que les femmes assyriennes ne figurent pas sur les bas reliefs assyriens (elles sont protégées par leurs maisons et leurs maris), tandis que celles des autres peuples le sont parce que leurs mauvais rois ne les ont pas protégés.
Cook remarque que dans le Livre des rois, ce ne sont pas les soldats qui ont dépouillé Jézabel, mais les chiens plus intéressés par sa chair que par ses vêtements ("Quant à Jézabel, les chiens la dévoreront dans le champ de Yizréel ; personne ne l'enterrera" - 2 Rois 9/9). Les verbes pour "renverser" ou "emmener au sacrifice" sont les mêmes pour la reine de Nahum que pour Jézabel dans le second livre des rois.
Ishtar pratiquait la sorcellerie (2 Rois 9/22), ce que rappelle Nahum avec ce passage "la Prostituée, belle et pleine de charme, maîtresse en sortilèges", la "maîtresse" בעלת renvoyant aussi au fait qu'elle est la partenaire de Baal. C'est aussi un terme appliqué à la sorcière d'Endor dans le livre de Samuel.
Cook observe que les vers suivants sur la robe de la reine ou de la déesse de Ninive relevée ne peuvent pas se réduire à une scène de viol en temps de guerre (comme le fait la lecture féministe américaine récente du Livre de Nahum), car on ne comprend pas ensuite pourquoi cela fait fuir les gens.
Quand Yahvé dit "je vais jeter sur toi des choses horribles" le mot hébreu pour "horrible", "abominable" שקצים (sheqets) qui est employé se réfère toujours à des cultes idolâtres.
Par conséquent Yahvé signifie en relevant la robe qu'il va révéler la vraie nature de la déesse, son côté démoniaque, en la désacralisant, et c'est cela qui provoquera la fuite de la population qui prendra conscience du leurre dont elle a été victime. Cook rappelle que, comme Ishtar avec Guilgamesh, l'Assyrie a souvent usé de son pouvoir de séduction autant que de son pouvoir de menace.
"Ishtar’s naked body played a crucial role in her cult, as evidenced by both literature and art", note Dean. Et là, la robe relevée ironiquement est une inversion totale de l'attirance de sa nudité divine (Zainab Bahrani, Women of Babylon: Gender and Representation in Mesopotamia, London: Routledge, 2001, 43). En Assyrie toute représentation d'une femme nue renvoyait à Ishtar (Julian Reade, “The Ishtar Temple at Nineveh,” Iraq 67, no. 1 (March 2005): 347).
Ishtar de Ninive est la Prostituée זונה, et c'est ainsi que les textes mésopotamiens la désignent. "Hiérodule de An, destructrice de la terre étrangère" dit le premier texte sumérien connu dédié à Ishtar. Dean n'hésite pas à comparer l'Assyrie avec le monde actuel du trafic sexuel globalisé.
La charge du prophète Nahum peut être lue comme une condamnation de ce système de prostitution à grande échelle des nations et des cœurs, dans lequel le trafic des femmes servait de monnaie d'achat de la clientèle des rois soumis.
Cette vaste dénonciation du système de prostitution des âmes autour d'Ishtar peut aussi inclure la reine Naqia (vers 715 av JC), femme du roi Sennacherib et belle fille de Sargon II. Elle parvint à cumuler des pouvoirs politiques et religieux, donner le pouvoir à son fils Esarhaddon que les Assyriens finirent par attribuer à des actes de magie de sa part. Il est possible que Nahum ou Yahvé ait pensé à elle comme un agent qui a contribué à l'assise magique de Ninive et d'Ishtar. Dans Nahum 1/8 et 1/11 la prophétie fait un jeu de mots sur Calah, ville assyrienne où Naqia imposa des rites religieux. Cependant si le texte du Livre de Nahum est de 639 av JC il est trop tardif par rapport à la vie de Naqia. Cela supposerait que Naqia soit devenue une sorte d'image générique de la dépravation morale et spirituelle dans la hiérodulie d'Ishtar.
L'article de Gregory Dean incontestablement aide à comprendre l'ampleur du crime auquel les prophètes israélites s'attaquaient quand ils prophétisaient contre Ninive, et spécialement le versant séducteur de ce crime à travers la figure d'Ishtar. Il est en tout point particulièrement convaincant et l'on pourrait même trouver d'autres arguments que ceux de Dean allant aussi dans son sens (par exemple le fait que les servantes chassées "gémissent comme des colombes", oiseau auquel on identifie Ishtar).
Pour finir, terminons par ce bref rappel sur l'Assyrie.
"Quelque opinion qu’on ait sur la véracité de Justin ou de Trogne-Pompée, car il y a des historiens plus exacts qui les ont convaincus plus d’une fois d’infidélité, toujours est-il qu’on tombe d’accord que Ninus étendit beaucoup l’empire des Assyriens. Et quant à la durée de cet empire, elle excède celle de l’empire romain, puisque les chronologistes comptent douze cent quarante ans depuis la première année du règne de Ninus jusqu’au temps de la domination des Mèdes" écrivait Saint Augustin au chapitre 6 du livre IV de la Cité de Dieu en se fondant sur la chronologie d'Eusèbe. Il y avait donc à cette époque une perception de l'empire assyrien comme ayant battu un record de longévité. Si l'on va du début de l'Assyrie au 20e siècle av JC la fin du royaume en 609, on couvre une période de 1 400 ans, et même la période impériale stricto sensu, 800 ans, est en effet plus longue que la période impériale de Rome.
Aujourd'hui on le reconnait comme étant le premier empire universel de l'Antiquité (voir Frederick Mario Fales, Guerre et paix en Assyrie, Cerf), cet empire ayant commencé son expansion au 14e siècle av JC, et son roi ayant le qualificatif de "roi des quatre régions du monde".
Fales montre comment l'impérialisme assyrien, comme celui de César-Auguste, fonctionnait sur la base d'un ordre divin, celui du dieu Assur, auquel les autres divinités locales étaient inféodées (les statues des dieux des peuples conquis étaient amenées à Ninive pour intégrer la cour céleste d'Assur, comme les rois de ces peuples étaient vassalisés), et qui ordonnait l'action militaire, comme il présidait aux pactes de paix. Son ordre divin juste, qui se traduisait par l'ordre social "civilisé" de la société assyrienne, avait pour serviteur tout puissant mais humble le roi d'Assyrie. L'Assyrie récupérait à son profit tous les acquis civilisationnels et théologiques de Sumer et de la Babylonie. Le roi se rendait rituellement à Ninive, Babylone, Harran (ville du culte lunaire) pour y rendre hommage aux dieux respectifs de ces cités et se concilier leurs pouvoirs.
Les similitudes entre l'Assyrie et l'Empire occidental de notre époque crèvent les yeux, je trouve.
Saint Augustin dialogue avec les divinités païennes
A titre préliminaire, je précise que le présent article ne s'adresse pas aux esprits laïques mais à ceux qui sont convaincus de ce que des entités de l'au-delà parlent par les esprits inspirés et par les médiums.
Ceux-là admettront facilement que les dieux de l'Antiquité ont réellement parlé par les oracles, notamment à Delphes, sanctuaire auquel la revue Books consacrait un article en janvier dernier, et ne sont pas juste une "arnaque" ou une "hallucination collective", comme le supposent les esprits épais. La question n'étant pas de savoir si les dieux ont parlé, mais ce qu'étaient ces "dieux" devenus largement muets après la victoire du christianisme (les oracles se sont tus) ou parlant seulement de façon marginale dans l'alchimie, les hérésies du christianisme, ou la sorcellerie.
La Cité de Dieu de Saint-Augustin peut être lue comme un dernier regard (et quel regard !) du christianisme lettré (l'évêque d'Hippone étant un des derniers auteurs latins à aussi lire le Grec et avoir accès à beaucoup de classiques) sur l'Antiquité, avec notamment un procès extraordinaire de la République romaine et de ses crimes.
Par delà le style en apparence polémique, il s'agit d'un dialogue brillant avec les dieux du paganisme et leurs divers sous-produits dans la Cité des hommes, produits philosophiques, politiques etc.
Toute l'oeuvre réserve mille surprises mais je n'en examinerai qu'une seule, en page 135 du tome 3 (édition de poche).
Augustin y entame une discussion intérieure avec le néo-platonicien Porphyre, qu'il qualifie de "plus savant des philosophes, quoique le plus ardent des chrétiens", ce qui prouve bien qu'il ne s'agit pas de simple polémique.
Contrairement à ce que peuvent penser les esprits laïques de notre temps, notamment les universitaires "intellocentriques", il ne s'agit pas non plus d'un échange intellectuel comme il peut y en avoir entre philosophes athées, c'est à dire d'une confrontation des intelligences sur la base d'une rationalité coupée de Dieu ou des dieux. Il s'agit d'une confrontation entre deux destinataires de révélations surnaturelles incompatibles entre elles, le christianisme et le paganisme, dont ni l'un ni l'autre ne peuvent douter que la révélation dont l'interlocuteur/adversaire est bien une émanation de l'au-delà, la question étant "simplement" de savoir de quel au-delà il s'agit.
Au fondement de cette confrontation, nous dit Saint Augustin, il y a un passage du traité "Philosophie des Oracles" de Porphyre, dans lequel le philosophe examine de très près une prophétie adressée peut-on supposer à Delphes (Augustin ne précise pas où) à un païen qui voulait "retirer sa femme du christianisme". Dans cet oracle Apollon a parlé, et il a dit au pèlerin de laisser sa femme "célébrer, suivant de faux et d'abominables rites, les funérailles de ce Dieu mort (Apollon parle de Jésus), condamné par d'équitables juges, et livré publiquement au plus ignominieux des supplices".
Cela n'a l'air de rien, mais nous avons là le témoignage du point de vue "officiel" porté par Apollon - à travers la Pythie - sur Jésus-Christ. Ce n'est pas une spéculation de Porphyre, c'est une base factuelle, sur laquelle Porphyre et Augustin vont s'entendre pour travailler.
Le verdict des dieux antiques sur les dieux chrétiens ne s'arrête pas là, puisque ceux-ci toujours par la voix d'Apollon à l'occasion de cet oracle, allèrent jusqu'à affirmer que le vrai Dieu au dessus des Dieux n'est pas le Dieu des Chrétiens mais celui des Juifs : "Père souverain, les saints Hébreux dont il est la loi, l'honorent religieusement."
Augustin bien sûr devant cette aberration, a beau jeu de répondre que le Dieu des Juifs par la voix de ses prophètes a proscrit aux hommes de sacrifier à d'autres dieu que lui, ce qui est incompatible avec la Foi païenne d'un Porphyre. Augustin peut ainsi en conclure que le prétendu Apollon est en fait un démon facétieux et destructeur qui construit juste des sophismes pour égarer le coeur et l'intelligence de l'homme. Tout comme étaient, pour Augustin, inspirés par des démons menteurs ceux croyaient qu'on pouvait construire une vraie République (c'est à dire une République juste) sans l'inspiration du Dieu unique.
Il va trouver un autre exemple qui va lui permettre de disqualifier les oracles des dieux antiques en la personne d'une "canalisation" (diraient les médiums contemporains) d'Hécate (déesse lunaire depuis l'époque de Plutarque), mais l'on ne sait pas si c'est une "canalisation" quelconque ou si elle fut rendue dans un de ses sanctuaires officiels (ce qui peut-être lui donnerait plus de poids). Interrogée sur la divinité du Christ, Hécate répond que l'âme du Christ est celle du "plus religieux des hommes", qu' "après sa mort son âme, comme celle des autres justes, a été douée de l'immortalité, mais que c'est aux chrétiens une erreur de l'adorer". On notera que c'est là typiquement l'opinion de la théosophie sur Jésus, et celle que beaucoup de médiums aujourd'hui reçoivent par "canalisation" : Jésus était un homme merveilleux, très sage, religieux, et son âme est devenue éternelle comme celle de tous les grands hommes, c'est un "guide de lumière", comme Bouddha, qui vient nous aider, voilà tout, une âme plus avancée que d'autres, mais pas le Dieu unique ressuscité... Et même, pour Hécate, Jésus a commis une petite erreur : il n'a pas su connaître ou reconnaître Jupiter, et c'est pourquoi il a été crucifié. Dans sa magnanimité Jupiter l'a admis dans son ciel, car c'était un juste, et donc il ne faut pas le maudire, mais il ne faut pas non plus le vénérer car il n'est pas très haut dans la hiérarchie divine".
On comprend qu'Augustin s'exclame devant cet oracle : "Qui est assez insensé pour ne pas voir, ou que ces oracles sont des inventions de ce perfide et implacable ennemi des chrétiens (le diable) ou qu'ils ont été rendus à mêmes fins par des démons impurs ?". Pour l'évêque d'Hippone l'éloge du Dieu des Juifs contre celui des Chrétiens par Apollon, ou celui de l'humanité de Jésus au détriment de sa divinité par Hécate ne sont que des leurres pour désamorcer le potentiel révolutionnaire du christianisme en renvoyant ceux qu'il attire, soit vers le judaïsme, soit vers les hérésies (celle du culte du Christ homme par Photin évêque de Smyrne condamné en 301) et empêcher que se réalise l’œuvre de rédemption de l'humanité produite par la crucifixion du fils de Dieu.
On ne détaillera pas plus avant le reste de l'argumentation qu'Augustin déploie à l'encontre des conclusions que Porphyre tire de ces deux oracles, mais on retiendra juste qu'il y avait là un "point de vue" des dieux antiques sur le christianisme, exprimé moins par la voix d'un intellectuel (Porphyre) que par la voix canonique des oracles (même si on ne sait pas hélas s'il s'agissait d'oracles isolés de prêtresses ou de prêtres peu inspirés ou d'oracles "validés" par la présence de sanctuaires, encore qu'on puisse douter que le paganisme ait eu des instances de validation des oracles comme le catholicisme en a pour valider les apparitions et les miracles).
On remarquera que ces oracles sont d'une forme très différente du style sibyllin qui était en vogue avant le siècle de Périclès, au moment par exemple de la fondation des colonies phocéennes... Est-ce parce que des dieux (ou des démons) s'étaient substitués aux dieux d'origine, ou parce que Prophyre "élague" les messages et en appauvrit la complexité ou l'ambigüité ? On comprend en tout cas qu'Augustin ne perçoive dans ces deux "canalisations" que des facéties démoniaques. Si Apollon et Hécate ont tenu effectivement le langage que leur prêtait Porphyre (tel que rapporté par Augustin), on peut estimer effectivement que cela ne "volait pas bien haut", ni poétiquement, ni intellectuellement (car ce n'était cohérent avec rien de l'histoire même des notions que cela mobilisait - la religiosité des Juifs par exemple). C'était aussi facile à balayer par un intellectuel chrétien que le paganisme l'a été (en quelques siècles seulement) du Bassin méditerranéen.
Notre Dame de la Charité du Cuivre
Dans mon livre autobiographique j'ai rappelé qu'un de mes ancêtres avait servi comme volontaire dans la guerre de Cuba. A l'heure où le pape à Cuba rend hommage à Notre Dame de la Charité du Cuivre, je lis ceci dans "La Croix Supplément" du jeudi 13 juillet 1899, à propos des brigandages commis par d'anciens guerilleros espagnols vaincus (des "reconcentrados") :
"Le fait qui a le plus surexcité l'émotion générale est la violation du sanctuaire de Notre Dame de la Caridad del Cobre (littéralement Notre Dame de la Charié du Cuivre), très vénéré à Cuba et en particulier à Santiago de Cuba où il est situé. La statue de la Vierge et de l'Enfant Jésus est un souvenir des premiers temps de la découverte de Cuba par Christophe Colomb et ses compagnons. Parmi ces derniers se trouvait un capitaine célèbre par ses exploits et ses audaces, Alfonso de Ojeda. Il avait une grande dévotion pour la Sainte Vierge et portait toujours sur lui son image, à laquelle il attribuait l'invulnérabilité dont il semblait jouir dans les combats.
Pour reconnaître l'hospitalité d'un cacique, il lui fit don d'un grand médaillon en cuivre représentant la Sainte-Vierge et l'Enfant jésus, et ce cacique se sentit pris d'une si grande vénération pour cette image qu'il la plaça dans un ermitage que, de concert avec Ojeda, il éleva, et qui fut le premier sanctuaire de l'île de Cuba. Il disparut, on ne sait à quelle époque, mais, en 1628, deux Indiens trouvèrent flottant dans la baie de Nipe un cadre en bois contenant une plaque de cuivre où étaient figurés la Vierge et l'Enfant avec cette inscription : "Je suis la Vierge de la Charité".
On supposa que c'était l'image donnée par Ojeda au cacique un siècle auparavant, et on la plaça dans un chapelle, où elle fut longtemps vénérée. C'est d'après cette image qui a disparu qu'on modela la statue actuelle de Notre Dame de la Caridad del Cobre. Souvenir d'une époque héroïque, elle a toujours été vénérée avec une dévotion qui, malheureusement, ne s'est pas traduite seulement par des prières. Une piété trop démonstrative l'avait ornée de riches bijoux, d'or, de pierreries, de dentelles, dont on estime la valeur à 125 000 francs. Riche proie offerte à la tentation des voleurs.
Un matin, on s'aperçut que la tête de la Vierge et celle de l'Enfant Jésus avaient été enlevées pendant la nuit, avec toutes les richesses qu'elles portaient. Ce vol sacrilège porta au comble l'indignation des fidèles. On n'est pas parvenu à mettre la main sur les voleurs ; mais, heureusement, ce qui est plus important, on trouvé abandonné en divers endroits la plupart des bijoux soustraits, et, dans un champ près du sanctuaire, la tête de la Vierge. On n'a pu encore rentrer en possession de celle de l'Enfant Jésus. Evidemment l'impossibilité de se défaire des objets volés a forcé les malfaiteurs à en abandonner la plus grande partie.
La cérémonie pour la réparation du sacrilège eut lieu en présence d'un concours énorme de fidèles.
Ces choses-là n'arrivent pas qu'à Cuba : les églises de France ont été trop souvent victimes de pareils larcins.
Mais ce qui est plus spécial à Cuba c'est l'existence de bandes armées qui terrorisent les campagnes, c'est aussi les vengeances exercées contre les résidents espagnols" (la lettre du correspondant de La Croix est datée du 27 juin 1899).
Près d'un siècle plus tard Etudes de décembre 1988 (p. 597) faisait état de l'importance du pèlerinage au sanctuaire national de Notre Dame du Cuivre dans le Sud de Cuba à Santiago où se rendaient des milliers de personnes, ce qui étonnait la hiérarchie catholique elle-même.
Le 17 septembre dernier le journal Granma précisait que c'étaient deux enfants noirs et un enfant indien qui avaient trouvé l'image, transférée à Saint-Jacques des Prés (El Cobre) par le père franciscain Francisco Bonilla, puis à l'ermitage Cerro de Cardenillo où des descendants d'affranchis angolais lui édifièrent un sanctuaire. Le récit de Granma est très différent de celui de La Croix évidemment, insistant plus sur la créolité de la Vierge et son rôle dans la formation du sentiment national cubain. Le souvenir de Ojeda notamment, découvreur du Venezuela, passe totalement à la trappe.
Visions de Ste Anne-Catherine Emmerich
Anne-Catherine Emmerich dans ses visions de 1821 voit quatre générations d'ascendants de la vierge Marie, tous pieux. Des prêtres parmi eux, des gens bienveillants. Ils couraient, dénudaient leur poitrine pour appeler Dieu. Les ancêtres de Ste Anne vivaient à Mara, près du mont Horeb. Ils avaient des rapports avec les Esséniens (Escariens, khasidéens), c'étaient des Esséniens mariés. Leur chef Arcas ou Archos à l'époque de la grand mère de ste Anne, Marouni ou Emoroun, (vers - 50), avait des visions prophétiques dans la grotte d'Elie, mais ils savaient que la naissance du sauveur était empêchée par les péchés des hommes. Il y avait déjà des ancêtres d'Anne esséniens au moment de la formation des communautés monachiques par Isaïe (les esséniens étaient déjà des prêtres de l'arche à l'époque de Moïse). Sur instruction d'Arcas, elle épousa son sixième prétendant, l'essénien Stolanus, qui n'était pas du pays de Mara. Emera une des trois filles, eut pour fille Anne selon ce qu'on disait à la mystique, mais elle a toujours vu que c'était Ismeria. Ismeria épousa un certain Eliud des environs de Nazareth et mena avec lui une vide d'essénienne. Ismeria eut une fille Sobé, mais ne vit pas de signe de prédestination. Elle se rendit auprès d'Archos qui l'exhorta à la prière. Après 18 ans de stérilité, un ange traça un "M" sur le mur de sa chambre, son mari vit aussi la lettre. Trois mois après ils enfantaient Anne qui avait ce signe sur l'estomac. Elle fut scolarisée au Temple de 5 à 17 ans et se retrouva à son retour à la maison avec une petite soeur et un frère. Ismeria décéda l'année suivante et nomma Anne chef de la maison. Elle lui dit qu'elle était un vase d'élection et de s'entretenir avec le prêtre Archos. Anne était née à Bethléem, ses parents avaient des terres dans la vallée de Zabulon près de Nazareth et s'installèrent à Sephoris. Anne épousa Joachim. Anne enfant n'était pas belle, mais simple et pieuse.
Ils habitèrent chez le père d'Anne près de Sephoris, avec toujours des visages graves. Il y avait des serviteurs dans leur maison. Anne eut une fille prématurée à cause d'une dispute avec une servante. Celle-ci ne portait pas de signe de prédestination. Ils l'appelèrent Marie. Ils firent pénitence, Anne était devenue stérile. Ils s'établirent près de Nazareth. Leur maison était sur une hauteur entre la vallée de Nazareth et celle de Zabulon. La stérilité d'Anne à 43 ans pendant 19 ans lui valut du mépris. Un ange annonça la naissance de Marie. Des lettres rouges dorées furent sur le mur de sa chambre. Vision d'un tabernacle rideaux retirés. Le démon qui guète sur les marches de l'annonciation.
Toute cette vision de la pureté de Marie voulue de toute éternité est très émouvante.
Dommages causés aux cultes mariaux dans le Sud-Ouest
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En vertu de l'adage "Regnum Galliae, Regnum Mariae" qui figure au début de son livre, le curé de Saint-Sulpice, André Jean Marie Hamon, entreprit entre 1861 et 1866 la publication d'un "Notre-Dame de France, ou Histoire du culte de la sainte Vierge en France depuis l'origine du christianisme jusqu'à nos jours,...." en sept volumes.
Le volume 3, qui est le seul accessible sur Gallica est intéressant notamment par le fait qu'il rend compte des dommages causés aux sanctuaires mariaux dans le Sud-Ouest de la France par les Réformés protestants et des efforts des paroissiens pour les reconstruire.
L'abbé Hamon se penche notamment sur le cas de Notre Dame de Buglose, lieu de pèlerinage traditionnel dans les Landes :
"Placée sur la paroisse de Pouy, qu'a tant illustrée la naissance de saint Vincent de Paul, à cinq kilomètres du chêne qui abrita la première enfance de cet homme de Dieu, au milieu des sables du désert, cette antique chapelle était, de temps immémorial, l'objet de la vénération de toute la contrée, ainsi que la statue de Marie, qu'on y conservait, lorsque, le 28 novembre 1569, Jeanne d'Albret rendit une ordonnance portant que « les oratoires champêtres qui servaient, disait-elle, à de folles superstitions, ensemble les autels et retables des églises dans » les villes et les villages seraient rasés, démolis et les » pierres converties a des besoins utiles ». L'année suivante, 1570, en vertu de ce décret, le sanctuaire de Buglose fut livré aux flammes; et la statue, sauvée de la destruction par quelques catholiques, fut jetée secrètement par eux dans un marais, aujourd'hui desséché, à trente ou quarante pas de la fontaine miraculeuse qui existe encore. Ils se proposaient de l'en retirer quand luiraient des jours meilleurs; mais, ces jours n'étant pas venus de leur vivant; ils emportèrent leur secret dans la tombe.
En 1620, Louis XIII venait de rétablir le culte catholique dans le Béarn, quand un pâtre, qui avait coutume de mener paître son troupeau près du marais, vit, de dessus un chêne où il était monté, un de ses bœufs entrer dans le marais et y lécher une statue en poussant des mugissements.
Il descend aussitôt, court avertir le curé de Pouy; celui-ci arrive, on retire la statue, et l'on reconnaît l'image de la sainte Vierge. Alors les traditions a demi effacées dans le souvenir se réveillent : on réunit des pierres éparses, on dresse à la statue de Marie un piédestal à la place même où est aujourd'hui la chapelle de la Fontaine; et depuis lors, la sainte Vierge ne s'appelle plus que Notre-Dame de Buglose, soit qu'on ait formé ce nom du mot français beugler; soit qu'on l'ait tiré de deux mots grecs bOUÇ et yXiocrcra, la langue du bœuf.
Cette statue, dit l'ancien historien de la chapelle, était en pierre très-fine, et haute seulement de trois pieds trois pouces. Elle représentait la Mère de Dieu ceinte d'une couronne, assise sur un fauteuil, et tenant entre ses bras l'Enfant Jésus également couronné. Le bruit de cette découverte se répandit bientôt; des malades vinrent devant la merveilleuse image demander leur guérison, et l'obtinrent. Averti de ce qui se passait, l'évêque de Dax, Jean-Jacques du Sault, se transporte, avec plusieurs chanoines de son chapitre, dans cet endroit ignoré. Il procède à une enquête juridique, constate les faits; et, pour faciliter la dévotion à la sainte image, il en ordonne la translation à l'église paroissiale de Pouy.
Mais les bœufs attelés au chariot qui porte la statue s'arrêtent tout a coupa une distance de quatre cents pas, et on ne peut plus les faire avancer. A ce spectacle, on s'écrie de toutes parts : C'est ici que Marie veut être honorée ; la volonté du ciel est manifeste. En conséquence, on dépose l'auguste image sur les ruines de l'ancien sanctuaire, et l'évêque donne l'ordre d'en élever un nouveau dans ce lieu la même. La libéralité épiscopale fournit aux premières dépenses, le marquis de Poyanne suivit l'exemple donné par l'évêque; le peuple tout entier s'y associa; les travaux marchèrent avec rapidité, et, en moins de deux ans, l'édifice fut achevé. Jean-Jacques du Sault, pour réparer, autant qu'il était en son pouvoir, l'outrage fait par l'hérésie à la Mère de Dieu, voulut le bénir lui-même, le lundi de la Pentecôte 1622, avec toute la pompe possible, et prescrivit en conséquence que, ce jour-là, une procession générale du clergé et du peuple partirait de la cathédrale de Dax et se rendrait à la chapelle de Notre-Dame de Buglose.
L'appel du prélat fui en tendu au loin. Au jour annoncé, partirent de la cathédrale, sur deux lignes immenses, le clergé de la ville et l'évêque entouré de son chapitre, le marquis de Poyanne, gouverneur des châteaux de Dax, Mont-de-Marsan et Navarens; les membres du présidial, en robes rouges; les autres magistrats de la cité, et une multitude de peuple. Tous firent à pied, sur la terre sablonneuse des landes, au milieu des plus fortes chaleurs, au chant des hymnes et des cantiques, cette route de deux lieues. Après la bénédiction de la chapelle, le saint sacrifice fut célébré, et le prélat consacra à Marie son diocèse et sa personne.
Un grand concours de pèlerins ne tarda pas à se diriger vers Buglose. Il en vint non-seulement de toutes les parties du diocèse de Dax, mais encore des diocèses d'Aire, Bordeaux, Bayonne, Auch, Tarbes, Lescar et Oloron, et les miracles se multiplièrent en proportion du concours. Dès l'année 1622, on en compta dix-neuf; l'année suivante, il y en eut vingt-quatre. Ces grâces étaient si nombreuses et si éclatantes qu'on voulut en conserver le souvenir authentique. A la requête du curé de Pouy, premier directeur de la chapelle de Notre-Dame de Buglose, l'évêque de Dax nomma une commission d'examen, composée de six prêtres choisis et de M. de Lalanne, conseiller du roi et lieutenant assesseur, nommé a cet effet, sur la demande de l'évêque, par le tribunal du présidial dont il faisait partie. L'enquête fut faite avec soin, les procès-verbaux dressés exactement, et les originaux restèrent en dépôt dans les archives de la sainte chapelle jusqu'à la révolution, où ils disparurent.
C'est à ce moment, où le sanctuaire de Buglose, sorti récemment de ses ruines, attirait une foule de pèlerins, qu'un visiteur déjà célèbre par sa sainteté se mêla à leurs rangs.
Saint Vincent de Paul était né dans la paroisse de Pouy, en 1576, quarante-quatre ans environ avant la découverte de la statue, six ou sept ans après la destruction de l'antique oratoire de Marie. En 1623, il venait de prêcher aux galériens de Bordeaux les exercices de la mission. Se trouvant peu éloigné du lieu de sa naissance, il se détermina à faire une visite à ses parents". Il reçut l'hospitalité chez le curé de Pouy, son parent et son ami, qui avait pris une si grande part au rétablissement du pèlerinage. Ému de ce qu'il entendait raconter de Notre-Dame de Buglose, dont il avait vu les débris quand il n'était qu'un simple pâtre, le saint voulut, le jour de son départ, aller nupieds depuis l'église de Pouy jusqu'à la sainte chapelle, qui en est éloignée de six kilomètres. Ses frères, ses sœurs, ses autres parents et presque tous les habitants du lieu l'y accompagnèrent et s'y rendirent sous sa conduite en procession. Arrivé à la chapelle du pèlerinage, saint Vincent y chanta la messe solennelle sur un autel que les pèlerins peuvent encore y voir aujourd'hui, reçut ensuite a dîner tous ses parents, leur recommanda de ne pas quitter l'état où le ciel les avait fait naître, mais de s'y attacher pour la vie; puis il leur donna sa bénédiction et leur dit adieu pour toujours. Comme saint Vincent, des multitudes étaient attirées à Buglose par la confiance en la Vierge qu'on y honorait. Les habitants des côtes du Maremne et du Labour venaient y demander à Marie une heureuse navigation; et, chaque année, les paroisses voisines venaient, en procession , l'implorer pour leurs divers besoins, surtout dans les temps de calamités.
On voulut asseoir sur des bases solides le service d'un pèlerinage si fréquenté; les lazaristes furent appelés à garder le berceau de leur père, sur une terre encore toute pleine des souvenirs de son enfance; Mgr Bernard d'Abbadie d'Arboucave les y établit en 1706; ils devinrent curés -et seigneurs de Pouy, qui embrassait Buglose.
La présence de ces bons prêtres jeta un nouveau lustre sur le pèlerinage. Les faveurs signalées qu'on y obtenait en jetèrent un plus grand encore; et la renommée de ce sanctuaire gagna de plus en plus. En 1709, la reine douairière d'Espagne, Marie-Anne de Newbourg, souffrant de vives douleurs au bras gauche, fit vœu d'aller à Buglose, si, par l'intercession de Notre-Dame, elle était délivrée de son mal. Ses douleurs cessèrent tout à coup.
Fidèle à sa promesse, elle se rendit avec sa cour de Bayonne à la sainte chapelle, où elle fut reçue au chant du Te Deum, et s'approcha de la sainte table.
Les mêmes douleurs reparurent deux autres fois; deux autres vœux à celle qui lui avait déjà obtenu la guérison l'en délivrèrent de nouveau. Pour remercier la Mère de Dieu de ces deux faveurs, Anne de Newbourg envoya a sa place, suivant un usage assez répandu alors, six religieux de l'étroite observance de saint François, sous la conduite du P. Hermann de Colmar. Ces religieux partirent du couvent de Saint-Jean de Luz, se rendirent a Buglose; et, après avoir rempli les intentions de la reine, ils dressèrent du tout un procès-verbal.
En 1725, le pape Benoît XIII, pour encourager de plus en plus cette dévotion, accorda à perpétuité, une fois chaque année, une indulgence plénière à tous les fidèles qui visiteraient Notre-Dame de Buglose et y prieraient suivant les intentions du Saint-Siège."
Il s'agit là d'un exemple de sanctuaire rené de ses cendres.
Comme le note l'abbé Hamon, Jeanne d'Albret ne craignait pourtant pas de renier ses propres croyances lorsque sa vie était en danger :
"Pau étant une ville assez moderne , elle ne peut avoir de sanctuaires de Marie datant d'une haute antiquité. On y voit seulement un monastère de Notre-Dame du Carmel, un ancien cimetière dit de Notre-Dame, où les principales familles se faisaient enterrer, et les vestiges d'un oratoire célèbre bâti par les anciens seigneurs du pays, à l'entrée du pont, qui seul donnait accès au château de Pau; c'était comme une sentinelle avancée, destinée a protéger la forteresse. Les Béarnais y avaient une grande confiance, et, dans les dangers, dans la souffrance, ils invoquaient celle qu'ils appelaient Notre-Dame du Bout-du-Pont. Chose curieuse, Jeanne d'Albret elle-même, sur le point d'accoucher de Henri IV, oubliant l'hérésie au milieu des douleurs de l'enfantement, entonna d'une voix ferme le cantique des femmes du Béarn :
Nouste Dame Deu-Cap-deu-Poun Adjudat me ad aqueste ore.
Frégats au diii deu ceuQu'em bouilhe bié deliura Ieii.
C'est-à-dire : Notre-Dame du Bout-du-Pont Aidez-moi à cette heure.
Priez le Dieu du ciel Qu'il veuille bien me délivrer."
La liste des destructions ne s'arrêta pas au sanctuaire landais. En Béarn au sud d'Oloron Notre-Dame de Sarrance, qui doit son origine, dit la légende, à la découverte d'une statue de la Vierge par un berger, auquel un bœuf de son troupeau l'avait indiquée, en allant, chaque soir, de l'autre côté de la rivière, s'agenouiller devant elle, où Gaston Phebus, Louis XI et Marguerite de Navarre (qui lui rend hommage dans son Heptaméron) se rendirent en pèlerinage, fut attaquée.
"Les protestants envahirent Sarrance, écrit l'abbé Hamon, pillèrent ou livrèrent aux flammes le couvent, les appartements du roi de Navarre et des seigneurs, les titres de la maison, les chartes des privilèges, les procès-verbaux des miracles opérés par la sainte Vierge. Ils firent pis encore ; ils tuèrent tous les chanoines, qui préférèrent la mort à l'apostasie qu'on leur proposait, comme seul moyen de sauver leur vie. Un seul, l'abbé de Capdégui, put s'évader, emportant avec lui les vases sacrés de la chapelle, les ornements et autres objets précieux, et surtout la statue, qu'il cacha dans une grotte de la montagne. Il se réfugia en Espagne, d'où il revint quand cessa la - persécution. Alors il rendit à l'église tout ce qu'il avait sauvé, rétablit la Vierge sur le maître-autel, répara tous les dégâts le mieux qu'il put; et Notre-Dame de Sarrance parut renaître de ses ruines "
A Lescar Gabriel Ier de Montgomery en août 1569, saccagea la cathédrale où reposaient pourtant les restes de la mère de Jeanne d'Albret.
Dans la paroisse de Pardies, Les habitants, qui avaient autrefois deux églises, les. avaient vues tomber sous le marteau du protestantisme endurèrent dix ans de récoltes perdues et une famine.
"Louis XIII ayant rendu aux catholiques du Béarn la liberté de leur culte, les paroissiens de Pardies firent vœu, pour apaiser la colère céleste par l'intercession de Marie, d'élever à Notre-Dame de Pitié un oratoire sur le haut de la colline Testamale. L'évêque de Lescar ayant approuvé ce vœu, à condition qu'on s'engagerait à tenir toujours la chapelle pourvue de tout ce qui serait nécessaire au culte, et que les exercices qu'on y ferait ne préjudicieraient ni à l'église paroissiale, ni au curé, ni au patron du lieu, on se mit aussitôt a l'œuvre avec une ardeur que ne rebuta ni la difficulté des lieux, ni l'éloignement des matériaux; et en deux mois et demi l'édifice fut achevé. Le 15 août 1661, l'évêque de Lescar y autorisa la célébration de la messe ; le 31 du même mois, eut lieu la consécration ou dédicace de cette église, en présence des catholiques des environs accourus en foule ; aussitôt la terre reprit sa fertilité, et ceux que la famine avait fait partir rentrèrent dans leurs foyers. Dès lors, il y eut à la nouvelle chapelle une affluence chaque jour plus grande, provoquée par les grâces qu'on y obtenait, et, en 1662, on put y ajouter un clocher, avec une cloche portant l'inscription : Mater misericordiœ, ora pro nobis.
Plusieurs prêtres vinrent s'établir dans une maison voisine, pour prêter leur saint ministère aux nombreux pèlerins; et le curé de Pardies, qui s'était borné jusqu'alors à célébrer les offices dans la chapelle aux fêtes de la sainte Vierge, en fut nommé chapelain, à la charge par lui de donner un vicaire au gré de la population, et qui y résidât habituellement. La multitude des pèlerins rendait nécessaire cette présence habituelle du prêtre : car ils étaient si nombreux qu'ils étaient réduits a passer la nuit, les uns en plein air, les autres dans l'église, chantant des cantiques à la Mère de miséricorde; et même, pour éviter les désordres qui pouvaient se glisser dans une telle foule agglomérée, surtout pendant l'obscurité, les paroisses voisines réglèrent qu'elles n'y viendraient plus qu'en procession. C'était un spectacle édifiant de voir dans ces processions tout le monde si recueilli, et les malades qui avaient été merveilleusement guéris par l'invocation de Notre-Dame de Piétat, apportant pour offrande les uns dès lampes, des tableaux, des images, des ornements, des linges sacrés, les autres de l'argent pour orner le sanctuaire de Marie.Le souverain pontife, par une bulle du 12 mai 1709, y autorisa l'établissement d'une confrérie; il accorda même des indulgences à ceux qui contribueraient à agrandir cette chapelle, manifestement trop petite pour le nombre des visiteurs; et les évêques du Béarn permirent une quête à cet effet dans tout le pays. Grâce à ces ressources, l'oratoire primitif fut, en 1753, élargi, exhaussé et décoré d'un grand tableau représentant l'Assomption. Aujourd'hui, c'est une chapelle convenable, desservie par des missionnaires qui y sont établis, toujours disposés a accueillir les pèlerins. Il y a trois autels ornés de - tableaux; la statue de la Vierge, placée à l'autel principal, est en bois peint ; sous ses pieds se tord le dragon infernal, et à sa droite comme à sa gauche est un ange.
Les populations y viennent prier comme autrefois ; elles y apportent des offrandes en argent ou en, nature, vont boire à la fontaine bénie qui coule à quelques pas, et en remportent des grâces souvent signalées. Nous n'avons point dit dans l'histoire de ce pèlerinage les bienfaits nombreux qui y ont été obtenus. L'auteur, qui en a écrit l'histoire en 1781, se plaint du peu de soin qu'on a mis à les constater. Il cite pour sa part ceux dont il a été témoin, et qui consistent dans la guérison soudaine de plusieurs maladies réputées incurables, ou de longues infirmités." (p. 428-429)
A Lestelle-Betharam qui doit son nom au "beau rameau" qui sauva une jeune fille des flots du Gave quand elle appela la Vierge à son secours ("Par reconnaissance, la jeune fille plaça sur l'autel de sa libératrice une branche aux feuilles d'or" explique l'abbé Hamon), mais qui était déjà un lieu sacré au Moyen-Age. "Les troupes protestantes du comte de Montgomery pillèrent ou incendièrent tout, et ne laissèrent que les murailles, qui résistèrent au feu. La statue miraculeuse qu'on y honorait fut soustraite aux profanateurs, cachée pendant cinq ans à Lestelle, bourgade voisine, et enfin mise en sûreté à Jaca, en Aragon, où elle est encore vénérée sous le nom de Notre-Dame la Française ou la Gasconne.
Vers l'an 1600, l'évêque de Lescar, étant venu faire sa visite dans la contrée, s'affligea de l'état de désolation où etait un sanctuaire si renommé, et obtint du roi l'autorisation de le relever. Le conseil souverain de Béarn n'eut pas plutôt, quoique composé de calvinistes, vérifié les
lettres patentes d'autorisation, que les habitants de Lestelle se mirent au travail. Pendant ce temps-là, l'évêque de Lescar demanda au supérieur de la communauté des prêtres de Notre-Dame de Garaison, dans le diocèse de Tarbes, un de ces prêtres propres par leur piété, leur intelligence et leur zèle, à fonder des établissements durables; il s'appelait Hubert Charpentier. Ce supérieur envoie le prêtre demandé, et apprenant, quelque temps après, les difficultés que rencontre son ministère, il se rend lui-même en procession depuis Garaison jusqu'à Lestelle, avec six prêtres de sa communauté, la musique de son église et deux mille catholiques. Partout la procession est bien accueillie, malgré les protestants, qui couvraient le pays; partout les populations catholiques se joignent à elle; et à l'arrivée à Bétharam, on comptait plus de cinq mille personnes. Le supérieur célèbre la messe dans la chapelle, prêche sur la place publique, et annonce l'établissement d'une communauté de prêtres voués à la propagation du culte de la sainte Vierge. Cette institution attira à Bétharam de nombreux pèlerins; l'archevêque d'Auch y vint lui-même processionnellement, accompagné des principaux personnages du pays, d'un nombre considérable de prêtres du Béarn et de Bigorre, et de tous les religieux de l'abbaye de Saint-Pé. Il déposa sur l'autel une statue de la Vierge qu'il avait apportée, reçut l'abjuration d'une dame calviniste, prit possession de la colline du calvaire donnée par les habitants de Lestelle, et y planta une croix au nom de Jésus et de Marie.
Cependant la communauté des prêtres de Bétharam avait beaucoup à souffrir : d'une part, c'étaient des privations de toutes sortes dans une maison naissante, une église commencée, mais non achevée; d'autre part, c'étaient les protestants qui leur suscitaient mille désagréments. Enfin, Louis XIII étant venu en 1620 pour assurer la liberté religieuse dans ces contrées, l'évêque - Lescar rappela Hubert Charpentier, qui s'était retiré momentanément a l'hôpital de Bordeaux, où il se consacrait au service des pauvres. Ce saint prêtre, revenu à Bétharam, et nommé supérieur par l'évêque, avec autorisation de se choisir six chapelains au plus, pour [l'exercice du culte et la réception des pèlerins, organisa s sa congrégation, en dressa les statuts, qui furent approuvés par le prélat et confirmés par lettres patentes du roi, reprit les constructions de la chapelle, l'agrandit et l'enrichit de vases sacrés et autres objets nécessaires au culte, dont la ville de Bordeaux lui avait fait présent." (p. 430 et suiv)
A nouveau profané à la Révolution, le sanctuaire allait être rénové par le basque Saint Michel Garicoïtz, professeur du séminaire majeur de Betharram, En 1856, des Basques émigrés à Buenos Aires demandèrent à ce prêtre l'envoi de pères missionnaires. Ces pères du diocèse du Bayonne (surnommés "les bayonnais" essaimèrent en Uruguay et au Brésil). Et Notre Dame de Betharram est aujourd'hui patronne entre autres de Martín Coronado en Argentine, paroisse qui lui consacre une page sur Facebook.
La liste des attaques contre les sanctuaires et de leur rénovation s'étend à d'autres diocèses, mais je reviendrai dans quelque temps sur les sites mentionnés ici, car ce sont des lieux que j'ai bien connus durant mon enfance.
La Vierge maritime
Il est des villages en bord de Manche où l'on bénit la mer. J'ai vu cela le 9 août dernier dans l'un d'entre eux. Ces cérémonies s'y déploient sans grandes convictions et les badauds sont surtout occupés à prendre en photo le prêtre qui embarque sur un petit bateau.
La cérémonie commence par un bel "Ave Maris Stella", cantique que certains attribuent à St Bernard de Clairvaux mais dont Wikipedia démontre qu'il est plus ancien.
On y chante aussi le cantique du départ qui est l’œuvre du Théodore Botrel, qui avait en son temps prétendu contrer l'influence des "refrains vulgaires rapportés des casernes par les conscrits ou semés au passage par les commis voyageurs" par des chansons qui fleurassent l'odeur de nos genêts et continssent un peu de la poésie de notre sol".
Puis encore "Astre béni du marin", qui est d'origine inconnue.
On pressent que tous ces cantiques dédiés à la Vierge prolongent de vieilles traditions de déesses océaniques. Rappelons qu'Isis, déesse rédemptrice du paganisme finissant, dont la Vierge Marie a repris de nombreux attributs, était aussi déesse de la navigation.
En Gascogne on chante "Estela de la mar" sur le même air que le "Bona Mair deu Bon Diu" béarnais et qui porte lui aussi sur le thème du Stella Maris.
Estela de la mar, en tot meishant passatge
Guida lo ton mainatge, e nos que't prometem
De't servir, de t'aimar, tostemps, tostemps (bis)
Lo jorn on la sofrença
E n's vienerà visitar,
Apren'nse dab paciencia
A saber tot suportar.
Vierje dolorosa
E tant generosa,
Au Golgotà.
Quan l'oratge menaci,
Gitant pertot la terror,
Shens har nat mau, que passi
Suu camp deu laboredor.
Per ta bona ajuda
Ne sia pas perduda
Tant de sudor.
A l'orfelin qui plora
En se créder abandonat
Ditz qu'ua mair qu'u damora
De tu qu'ei tostemps aimat
Doça protectriça
E consolatriça
De l'aflijat.
A l'òra deu gran viatge
Tentats pr'eu demon gelós
Entà qu'ajim coratge
Prega e pleiteja per nos.
Tu, la mair deu Jutge,
Tu, qui es lo refutge
Deus pecadors.
Voeu de Louis XIII
Vu aujourd'hui sur la porte d'une église la mention d'une "procession du vœu de Louis XIII" qui aura lieu ce soir.
"En juillet 1637, pendant un séjour à Abbeville, en Picardie, Louis XIII, accompagné de Richelieu, décida, dans l'église des Minimes de la ville, de consacrer une lampe à perpétuité à la Vierge dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ce vœu était motivé par la reconnaissance du roi de France envers la Vierge de lui avoir permis de conserver la France dans cette période troublée par les invasions espagnoles et par la crainte que le royaume ne subisse une fois encore les incursions des armées étrangères."