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Articles avec #christianisme tag

Morand sur le Journal de Claudel

30 Janvier 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Puisque je citais il y a peu le Journal de Claudel, voici ce que Morand en disait en avril 1969, dans son propre journal :

Bourdieu disait que Bakhounine avait la vérité sur Marx et réciproquement. Morand livre-t-il là une part de vérité sur Claudel ? Ailleurs dans ce journal il dit que ce dernier n'aimait personne, qu'il était profondément anti-démocrate ce qui aurait pu lui valoir des problèmes dans sa carrière de diplomate à la fin des années 1910 sans la protection de Berthelot (Morand diplomate à la même époque était bien placé pour le savoir, et il avait fréquenté Claudel d'assez près).

On est loin des paroles cordiales de Claudel sur Romain Roland et des amabilités que celui-ci lui rendait. Là les roses, avec Morand les épines. Mais Morand est toujours âpre avec tout le monde, et toujours mauvaise langue comme les diplomates aiment l'être.

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Le sang de Saint Janvier se liquéfie à nouveau

17 Décembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Il y a eu des inquiétudes à Naples en décembre 2020 quand le sang de Saint Janvier a cessé de se liquéfier (de même en 2016). Mais le miracle a recommencé à se produire en mai et décembre 2021 et mai et septembre 2022 (jour de la Saint Janvier). Le 16 décembre 2023 cela s'est produit à nouveau, à 10 h 56.

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Sainte Hildegarde et la symphonie de l'âme

8 Décembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Pythagore-Isis

En février 1947, Paul Claudel reçoit "un énorme volume fort nourri et fort intéressant, de Joseph Samson, maître de chapelle à la cathédrale de Dijon intitulé "Paul Claudel, poète-musicien". Il le mentionne dans son journal, et ajoute "Symphonialis est anima. Sainte Hildegarde". Cela m'a fait penser aux mystiques de la musique pythagoriciens, les acousmates.

Puis j'ai voulu  en savoir plus sur cette "âme est symphonique" de la mystique médiévale (1098-1179), et, comme je ne peux lire des traités en latin, j'ai d'abord regardé ce qu'en disait Georgina Rabasso docteur en philosophie, chercheuse à l'université de Barcelone dans "Redécouvrir les secrets de la voix".

Hildegarde, nous dit-elle, était souvent forcée au silence par la maladie. Néanmoins, "le silence contredisait les préceptes de la Divinité, qui lui a ordonné de parler et d'écrire sur ce qu'elle a vu et entendu. A la fin de sa vie, la hiérarchie ecclésiastique imposa silence à sa communauté mais Hildegarde, non sans effort, réussit à ramener la musique dans la vie quotidienne du monastère. Elle le fit en adressant une épître aux prélats de Mayence, dans laquelle elle plaidait à la fois contre l'interdiction de chanter pendant l'office divin, et fait l'éloge de la musique et du chant à partir d'une théorie suggestive néoplatonicienne-chrétienne de leur fonction dans l'univers et dans l'histoire de l'humanité".

Cette seule phrase de la chercheuse suffit à me faire penser que mon intuition sur le rapport avec Pythagore n'était pas si déplacée que cela. Le pythagorisme se reflétant dans le néo-platonisme.

Quelques années auparavant, précise Rabasso, Hildegarde de Bingen avait expliqué dans une lettre au moine Guibert de Gembloux comment "fonctionnaient" ses perceptions auditives mystiques. "Je n'entends pas ces choses, écrivait-elle, avec des oreilles corporelles, et je ne les perçois pas avec les cogitations de mon cœur ou l'évidence de mes cinq sens. Je ne les vois que dans mon esprit, les yeux grands ouverts, et ainsi je ne souffre jamais le défaut de l'extase dans ces visions. Et, pleinement éveillée, je continue à les voir jour et nuit". La compréhension du sens caché des choses que le divin donne à Hildegarde n'est pas seulement issu de l'intellect et de la vision mais aussi de l'audition. Il y a autant uisio intellectualis qu'auditio intellectualis, ce que Rabasso rapproche de certaines considérations de St Augustin dans son traité De musica.

Cet aspect auditif, Hildegarde a essayé de le restituer dans ses compositions musicales auxquelles le musicologue Marcel Pérès à Moissac essaie de rendre vie en partie dans une visée thérapeutique (ce qui est aussi très pythagoricien).

"Dans un passage autobiographique inclus dans sa Vita, note Rabasso, elle déclare qu'elle a composé des chants et des mélodies à la louange de Dieu et des saints sans avoir n'a jamais reçu de formation spécifique, et qu'elle les a jouées sans jamais avoir étudié ni la notation musicale pneumatique ni le chant. Juste de la même manière elle a déclaré qu'elle avait écrit ses œuvres en latin bien qu'elle ne connaisse pas la grammaire latine".

Dans une lettre à un prélat de Mayence de 1178-79, Hildegarde explique que l'interdiction du chant qu'avait imposée à sa communauté sa hiérarchie épiscopale était condamnée par ses voix intérieures qui avaient mis en avant les diverses louanges dont parle le roi David dans le Psaume 150:3-6. Elle ajoute que la voix d'Adam au principe était en harmonie avec les voix des anges. "A cause de la faiblesse que la Chute a imposée aux êtres humains, il n'a plus supporté la puissante sonorité son ancienne voix, mais celle-ci peut être restaurée par les chants de louange. "

"La symphonie réveille l'âme humaine léthargique et la met en mouvement vers la recherche de sa rationalité perdue." Hildegarde prévient en outre les prélats que leurs décisions renforcent les dissonances diaboliques dans le cosmos. A la fin de ses Sciuias, elle dit avoir entendu "une multitude « faisant de la musique en harmonie louant les rangs du Ciel» et qu'ils venaient d'un air plein de lumière". Cette multitude hétérogène produisait un son harmonieux qui, à travers ses louanges, faisait écho à l'harmonie céleste elle-même, ce que Rabasso rapproche de l'harmonie des sphères chez Pythagore.

Le sens des compositions d'Hildegarde est donc de permettre aux hommes de pouvoir par le chant et la symphonie interprétés à la fois par l'âme et le corps (par la voix et les instruments) remonter l'échelle de Jacob vers les sphères angéliques.

Une autre philosophe catalane avant Rabasso, dans les années 1990, Rosa Rius Gatell, dans la Revista d'Estudis Feministes 16-1999,  s'était intéressée au rapport d'Hildegarde à la musique, et elle avait ajouté que la sainte défendait la thèse platonicienne et stoïcienne d'un cosmos vivant dont les composantes sont en interaction sympathiques entre elles, avec une âme et un corps qui se fortifient mutuellement comme les planètes réchauffent le firmament. Dans ce dispositif, l'homo rationalis fait des choix qui rapprochent ou éloignent la réalisation du plan de Dieu. L'homme de Dieu (vir deus) est un intermédiaire du macrocosme qu'il reflète jusque dans sa physiologie. C'est par rapport à ce dispositif cosmique, dispositif qui a été "abîmé" par la Chute, que doit se comprendre l’œuvre rédemptrice de la musique. Hildegarde prend appui sur le Psaume 150 pour montrer que le choix adéquat des instruments harmoniques permet d'atteindre la science de Dieu originelle et son harmonie céleste.

On a là une théologie de la musique très hautement inspirée et qui bien sûr fait écho à d'autres formes de mysticisme musical dans d'autres cultures (Inde, Chine, Perse etc). Bien sûr, comme toutes les formes de mysticisme, celui de Ste Hildegarde subit beaucoup de distorsion, notamment dans la mouvance New Age, et il faut se méfier de ces égarements. Mais dans le message initial il y a quelque chose de très puissant (et d'ailleurs de très enraciné dans la Bible, dans les Psaumes), qu'il convient de méditer...

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Natalie Saracco et le problème de la vérité

1 Décembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums

Sur You Tube une "chrétienne" façon Alexandra Henrion-Caude. Très "love love love", "amour amour", "j'aime Jésus, Jésus nous aime", la cinéaste Natalie Saracco.

Quand le journaliste de TV LIbertés (ci dessous) lui demande à juste titre (minute 14'12) "Cette sensibilité au surnaturel au divin, vous dites que c'est comme si Dieu avait ses têtes. Comment vous expliquez qu'il y a des personnes qui sont plus ou moins sensibles au surnaturel ?"

Elle répond : "Non Dieu n'a pas du tout ses têtes (...)
Le journaliste insiste :  "Il y a des gens qui sont totalement bloqués à ça"
Elle : "Ils sont bloqués, mais en même temps à eux aussi de se donner les moyens. Si je veux bronzer je vais me mettre sous le soleil, je ne vais pas me mettre dans une cave, ou sous un parasol enfermée quoi".

Cette dame est sans doute pleine de bonnes intentions (comme l'enfer en est pavé), mais on sent un brin de condescendance dans cette recommandation aux athées de "se donner les moyens" de la spiritualité.

Evidemment son expérience de mort imminente fonctionne pour elle comme une légitimation, et peut-être l'aveugle un peu, et personnellement j'avoue que j'apprécie davantage l'ex new-ageuse Doreen Virtue (malgré les limites aussi de sa position) qui refuse l'autorité des expériences de mort imminentes parce qu'elles sont contradictoires entre elles, et refuse même l'autorité de sa propre vision de Jésus-Christ qu'elle a eue juste après sa conversion. Doreen Virtue pousse l'exigence de vérité plus loin, me semble-t-il, ce qui fait plus honneur à Dieu. Car si l'on en reste à "je veux qu'on s'aime, Jésus m'est apparu", on n'a rien à répondre à celui qui dira : "le chanteur Freddie Mercury qui avait passé un pacte avec une entité obscure - et s'en était vanté - avait aussi des apparitions, et voulait aussi officiellement qu'on s'aime". On affaiblit les critères de la vérité spirituelle et morale.

Ainsi la dame s'enferme sans s'en rendre compte dans un cercle "d'illuminés" heureux de leur rapport privilégié à Jésus, enivrés d'un sentiment d'amour d'autant plus facile à proclamer qu'on se sent supérieur aux "pauvres gens" qui restent "enfermés dans leur cave"... Elle ne risque de ne convaincre ainsi que ses semblables...

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A Saint Nicolas des Champs...

25 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Peu de temps après la disparition de mon entité en août 2015 (voyez mon livre sur les médiums), je me suis intéressé à tout ce qui était guérison, délivrance, exorcisme etc. aussi bien en milieu catholique que protestant. C'est comme ça que j'ai suivi les enseignements d'Allan Rich, de Mme d'Astier de la Vigerie, et me suis rendu dans divers lieux où des guérisons se produisaient (rappelez vous que je suis même allé voir les antoinistes par curiosité, autant que dans l'espoir de guérir d'une tendinite).

J'avais entendu parler bien sûr de certains milieux charismatiques catholiques dans la lignée du père Tardif, mais j'attendais que l'occasion me soit donnée d'aller fréquenter un de ces cercles. Je crus cette occasion venue cet automne quand j'eus une conversation avec une psy un peu "New Age" de Mantes-la-Jolie, à qui je parlai des oppressions (maux de têtes, pressions sur le plexus solaire etc) que je subissais fréquemment. Elle me dit : "Il y a un endroit intéressant à Paris. Saint Nicolas des Champs. J'y ai amené une amie. Elle avait un cancer de l'anus. Elle a guéri instantanément, et, du coup, elle y retourne tout le temps maintenant. Moi je les trouve un peu intégristes, mais il s'y passe des grands moments de pardon. Ils se réunissent tous les jeudis. Il y a tout le temps des miracles qui s'y produisent.

Ca m'a surpris qu'elle parle de pardon, elle qui, dans son luciférisme, ne parlait jamais de péchés et de confession, et croyait qu'il fallait seulement "trouver le divin en soi". Mais je savais qu'elle n'était pas à une incohérence près. Cependant je savais qu'elle avait raison, concernant les miracles de Saint Nicolas, car j'avais déjà vu beaucoup de témoignages à ce sujet sur Internet. Et je me suis donc dit qu'il fallait que j'aille voir de plus près, avant que le froid hivernal ne me dissuade définitivement de sortir.

La psy m'avait dit : "Il faut y être assez tôt. Les places sont rares" Comme il y avait peu de trains au départ de ma province, je me suis retrouvé dans ce vieux temple parisien dès 16 heures, ce qui m'a permis de voir ce qui s'y passait bien en amont des "prières de guérison" de 18 h 15. Sur le panneau à l'entrée, il était écrit que l'astronome Gassendi y était enterré, ce qui ne m'a pas paru spécialement de bon augure car, autant que je me souvienne, ce contradicteur de Descartes était un libertin. Mais j'étais résolu à faire confiance à Dieu pour me protéger des éventuelles mauvaises influences.

Je n'avais regardé aucune vidéo avant d'entrer afin de porter un regard vierge sur tout ce qui me serait présenté. En entrant je fus donc frappé par la beauté des tableaux aux murs, ce qui ne m'inspira pas spécialement confiance, car personnellement je préfère toujours les lieux dépouillés. Il y avait une adoration du Saint Sacrement. Des chaises en plastique avaient été rajoutées pour la soirée, mais pour l'heure, il n'y avait là qu'une trentaine de personnes, pour les deux tiers des gens de couleur, comme souvent dans les séances d'adoration à Paris.  Avec mon prisme de sociologue, je me suis demandé si les proportions seraient les mêmes à partir de 18 h15. J'ai repensé à cette correspondante antillaise que j'ai eue, qui habite maintenant à Béziers, et qui a des visions de Jésus-Christ et de la Vierge Marie qui lui délivrent des messages prophétiques. Je n'ai jamais trop su si ses révélations venaient de Dieu ou du diable. J'avoue que, prudemment, j'ai évité de me pencher là-dessus, même si elle a souvent insisté pour que je l'aide à les publier, et je me demandais, dans cette église, quel "égrégore" pourrait bien naître des prières communes pendant la séance de guérison si la plupart des gens avaient le même profil spirituel que cette correspondante... Est-ce qu'on importe les entités de sa Terre natale ? Songez à cette porte-parole de Trump, le soir des résultats de la proclamation des résultats de l'élection présidentielle américaine de novembre 2020, qui se perdait en incantations : "J'appelle tous les anges d'Amérique, tous les anges de l'Afrique, qu'ils soient libérés maintenant ici même, etc."

Vers 17h 30, il y avait déjà plus de monde. Et ce fut la récitation du chapelet. Pour le coup cela n'avait rien d'intégriste contrairement à ce que prétendait la pauvre psy assez ignorante des choses de la religion (et volontairement ignorante : elle n'a jamais daigné me poser la moindre question à ce sujet, sûre qu'elle était - à tort - de toujours en savoir assez), cela n'avait rien d'intégriste. Il s'agissait des mystères lumineux, introduits dans l'Eglise par la pape moderniste Jean-Paul II (très moderne fut aussi la façon don une officiante par moment transformait "fruit de vos entrailles" en "votre enfant" - ce qui constitue une toute aussi mauvaise traduction de "fructus ventris tui"...). Comme ces mystères brisent la cohérence des 150 "je vous salue" que présente la succession des mystères joyeux-douloureux-glorieux (150 comme les Psaumes, c'est le "psautier de Marie"), je me suis tout simplement abstenu de réciter en même temps que l'assemblée (de toute façon, j'avais déjà récité mes mystères joyeux le matin). Cette dernière, plus nombreuse qu"à 16 h, comme je l'ai dit, présentait le même profil sociologique, dans l'ensemble, et - ce qui m'a surpris - n'était pas spécialement chaleureuse. On ne pouvait pas s'attendre à ce qu'une fraternité particulière émane du groupe, ce qui est toujours regrettable - je suis certain que cela attriste Dieu...

A 18 h15, cela commença. Cette fois l'église était bondée. Le prêtre en blanc expliqua le principe des intentions de prière, et puis ce qui allait se passer pendant la cérémonie : la présence d'un "service d'ordre" (sic), le fait qu'on serait filmé, le fait qu'il y aurait des manifestations de l'Esprit saint, des "paroles de connaissances" qui seraient délivrées à certains fidèles pour leur dire lequel d'entre nous serait guéri et de quoi, qu'il ne fallait pas avoir peur (il est vrai que ce surnaturel irrationnel peut déstabiliser), que tout cela était déjà dans le Nouveau Testament etc. On est toujours frappé de voir comme il faut systématiquement qu'un prêtre ou un officiant "recadre" les choses bibliquement pour que les gens n'aillent pas spéculer sur de fausses pistes. Il y avait des connotations très protestantes à tout ça, et d'ailleurs pendant la séquence des "enseignements" le prêtre allait lire un texte d'un prédicateur évangélique. C'était protestant... à ceci près que les miracles allaient se produire à mesure qu'on allait promener le Saint Sacrement dans les rangs et qu'il n'y aurait pas d'imposition des mains.

L'officiant insista sur le fait qu'il ne fallait pas avoir peur, et cela allait revenir dans les chants : "je n'ai pas peur". Et il est vrai que parfois, s'en remettre à l'Esprit, dans cette mouvance charismatique, expose à des situations effrayante. La seule personne qui parvînt à guérir ma tendinite (pour quelques heures) au téléphone le 1er mars 2020 fut une femme qui s'était vouée à l'Esprit saint et faisait des miracles dans les rues... mais s'était mise au ban de toutes les Eglises et affrontait des tas de phénomènes paranormaux bizarres, y compris l'incendie de l'immeuble où elle vivait...

"Tournez vous vers votre voisin, dit le prêtre, et dites lui 'je vais prier pour tes intentions' " ("dis à ton voisin" est une expression qu'employait souvent le pasteur Samuel Peterschmitt en Alsace). C'était une bonne idée susceptible de sortir tout un chacun de son égoïsme, mais cela n'eut pas vraiment pour résultat de mettre les gens en communion. Les gens gardaient des visages fermés. A ma gauche, il y avait un vieil africain. Je lui dis la phrase rituelle, et lui la dit aussi, sans conviction. La jeune femme européenne derrière moi de la dit pas, mais eut un sourire charmant quand je la prononçai dans sa direction et dit "merci".

J'avais remarqué sa présence, depuis un quart d'heure, parce que, avant que le grand père ne s’assoie à côté de moi, elle avait prié avec beaucoup de componction en mettant ses coudes sur la chaise à côté de moi, de sorte que ses avants-bras étaient à moins de trente centimètres de mon épaule gauche, et que, du coup, je ressentais le magnétisme de son corps, au point d'avoir chaud à l'oreille gauche. Toujours attentif aux égrégores ou aux forces énergétiques qui pourraient se créer, je m'étais demandé ce que cette interférence pourrait provoquer. J'observais aussi mes sensations : j'avais toujours mal à la tête depuis le matin, et le plexus solaire un peu froissé, mais je ne ressentais pas d'oppression particulière. Le lieu avait l'air spirituellement sain.

Je me demandais si tous les gens présents étaient malades. Certains avaient peut-être des choses graves comme la dame avec son cancer de l'anus. Mais cela ne se voyait pas sur leurs visages. Avant de savoir que le saint sacrement circulerait dans toute l'église, je m'étais installé plutôt à l'arrière puisque moi, je n'avais rien de grave (du moins à ma connaissance) à part les oppressions certains jours et ma tendinite au pied gauche. Si les miracles se produisaient autour du prêtre qui officiait à l'autel, je voulais laisser la priorité à plus atteint que moi. J'avais aussi des intentions de prière pour une copine musulmane atteinte d'une leucémie (vu son commerce avec le monde invisible depuis l'enfance cela ne m'a guère surpris) et pour la fille bipolaire d'un collègue (cartésien en surface, mais lui aussi a des rapports bizarres aux forces sombres : amateur de Bob Dylan, exposé au chamanisme involontairement dans un happening artistique en 2019 etc, le piège classique des bobos parisiens), mais je sais que Dieu peut aussi les guérir indépendamment de cette séance à travers mes prières, comme il l'a fait pour mes parents. Et de toute façon, je ne voulais pas m'enfermer dans des intentions personnelles. Je voulais être vraiment de bonne volonté dans l'intérêt général, en faisant abstraction de moi-même et de mon entourage. L'Evangile dit que de toute façon les bienfaits personnels viennent "de surcroît" quand on est dans cet état d'esprit.

Le prêtre avait dit qu'il faut commencer par la louange (ce qui est une évidence), même si c'est difficile quand on souffre beaucoup. Et, puisque je n'étais pas malade, je m'appliquai d'autant plus sur ce volet là que j'étais dans une situation confortable. Les cantiques étaient simples. Assez "protestants" aussi, dans l'inspiration, sur le thème "Viens esprit saint embrase nous" comme chez les pentecôtistes. Les femmes au micro les portaient avec chaleur, et j'eus plusieurs fois les larmes aux yeux en les reprenant, comme cela m'est aussi parfois arrivé à certaines messes ordinaires. L'assemblée chantait avec plus d'application qu'aux messes dominicales. Je ne sais pas trop si mes émotions m'ont nettoyé de quelque chose, en tout cas, je sentais quand même une sorte de présence de l'Esprit, et je ne doutai point qu'il se produirai des miracles. Et d'ailleurs il s'en produisit, que des gens proclamaient au micro "une personne vient de guérir de sifflement dans les oreilles", "les verrues plantaires de celle-ci ont disparu", "les varices de quelqu'un dans l'assemblée vont guérir et il n'aura pas besoin d'une intervention chirurgicale", "un membre de l'assemblée souffre d'avoir quitté une congrégation religieuse, mais en se vouant à Saint Jean-Baptiste il trouvera sa voie".

Le prêtre avait dit qu'il ne fallait pas se fier à ce qu'on ressentait, et que, même si rien les concernant ne serait dit au micro, certains guériraient quelques jours plus tard sans même s'en rendre compte. C'est très vrai bien sûr, et en tout cas, je veux bien croire que ce petit passage dans cette noble assemblée bénéficiera aux deux personnes pour lesquelles je priais (pour me voir dans l'assemblée voyez à la minute 55'42 ci-dessous).

Je suis sorti vers 19 h 25, avant la fin. Je ressentais un peu moins ma tendinite, l'air dans mes narines me semblait un peu "épuré", bref je ne ressentais pas spécialement de mauvaises influences, et donc j'étais plutôt content de ce passage en ce lieu qui faisait honneur au Créateur.

Quand je pris mon train du retour vers 20 h, une scène assez étrange se produisit que j'interprétai comme une validation divine de mon effort pour assister à cette prière collective (un peu à l'image des surprenantes synchronicités que j'avais reçues à ma descente de l'avion au retour de Medjugorje en 2016, des synchronicités et même des miracles à vrai dire plus spectaculaire, mais mon effort d'alors, avait été aussi plus grand puisqu'il avait duré plusieurs jours). Jugez en plutôt.

J'étais à l'avant du train à manger un sandwich, avec ma bouteille d'eau d'Evian à côté de moi, quand un jeune homme entra.

Pour bien situer le contexte, il faut savoir que les trains sont un univers triste, totalitaire. Pendant deux ans ils ont été au service de la dictature sanitaire et diffusent encore des messages répressifs à tout bout de champ avec un robot à la voix féminine détestable. Et la SNCF une structure entièrement dédiée au racket qui vous oblige à réserver des places dans des wagons vides (j'avais dû payer un nouveau billet parce que celui que j'avais n'étais pas valable sur les trains directs, une nouveauté...). Les gens tristes y sont hypnotisés par leur téléphone portable dans lequel ils cherchent une évasion illusoire purement addictive.

Le train ainsi transformé en bétaillère inhumaine robotisée est d'autant moins peu propice aux rencontres (contrairement à ce qu'il en était il y a cent ans), que les populations qui l'empruntent sont chacune enfermée dans ses références, son style vestimentaire etc. En plus, je ne suis pas d'un tempérament très sociable, c'est le moins que l'on puisse dire, même si la sociologie m'a donné le goût de la compréhension des gens mais sous un angle assez intellectuel...

Revenons à nos moutons. Ce jeune homme, grand, maigre, était très typé banlieue : survêtement clair, capuche, lunettes de soleil qui cachaient ses yeux, le genre de type que les bourgeois de ma trempe d'ordinaire évitent. Il avait avec lui un vélo, et, chose que je ne remarquai point au début, quatre canettes de bière (quoique cependant il ne sentit point l'alcool, donc il ne les avait probablement pas consommées).

Alors que j'étais en train de mâchouiller la viande de mon sandwich sur mon siège il m'interpela :

"Monsieur, je viens de trouver ce vélo, qu'est ce que j'en fais ?"

Moi, encore dans l'ambiance des prières de guérison sur lesquelles je méditais, je répondis avec un certain naturel : "Vous n'avez qu'à le laisser sur le quai". "- Mais pour quoi ?" "- Le propriétaire va le récupérer" dis-je. Il s'exécuta.

Je continuais mon sandwich pensant la conversation terminée. Mais le type avait envie de parler. "Vous faites quoi ?" me dit-il. J'hésitai à répondre parce que me demandais sur quelle partie de mes activités quotidiennes il cherchait au juste à m'interroger. Il ressortit prendre le vélo, et me dit "non en fait le vélo est à moi". A tout hasard j'approuvai sa bonne blague en souriant. La dernière fois que je suis allé voir mon prêtre guérisseur, une vieille dame qui était là m'a dit "merci pour votre sourire, ça fait du bien". On voit bien que les gens manquent de sourires. C'est aussi ce qui manquait aux prières de guérison, même si cela se comprend vu que les gens étaient malades et pleins de préoccupations...

Il me tendit alors une de ses bières : "Tenez je vous l'offre". Il était toujours impossible de discerner l'expression de son regard, du fait de ses lunettes de soleil. Je dis simplement avec un geste de remerciement : "Non merci, je ne bois pas". Il fut surpris. Je montrai ma bouteille d'Evian : "Seulement ça".

Il me demanda : "Ah bon ? Vous prenez quoi alors ? de la coke en cachette de votre femme ?"

Je n'eus pas vraiment le temps de de penser dans le feu du dialogue, mais en arrière plan de mes mots il y avait effectivement le fait que je ne veux pas boire d'alcool pour que cela ne me mette pas dans un état d'esprit charnel et notamment que cela n'ouvre pas des portes d'accès aux succubes la nuit.  C'est le genre de discours que de nos jours personne ne peut entendre, même s'il est profondément vrai.

Je dis assez naturellement, pour faire simple : "Non rien, ma drogue c'est Dieu," en montrant de l'index le Ciel. Je sais que c'est exactement le genre de propos qui peut me faire passer pour un halluciné, mais je suis toujours persuadé qu'il ne faut jamais mentir, dire les choses telles qu'elles sont, être la pierre d'achoppement s'il le faut. Les faux fuyants font le jeu des forces obscures et ne nous menaient à rien. Et je sentais peut-être inconsciemment que ce type bizarre qui faisait des blagues au premier venu sur son vélo dans un train où l'ignorance de l'autre et la méfiance sont la règle pouvait être interpelé par cette singularité.

Il me dit : "Ah bon, vous êtes quoi ? catholique ?", supposant peut-être que mon refus de la bière était musulman, mais que quand même, n'ayant pas le front marqué, ni la barbe, vu mon look, l'hypothèse de ma conversion à l'Islam était peu probable. Je répondis résolument "oui". Bien sûr, de nos jours, ce genre de réponse est mal. Il est toujours plus chic de se dire évangélique, ou témoin de Jéhovah... La dernière fois que j'ai essayé de parler du Christ à un type de banlieue c'était peu après mon retour à la religion, vers 2017, et il m'avait traité de "curé pédophile". Il faut dire que je m'y étais pris maladroitement à l'époque, car, suivant les enseignements de certains youtubeurs évangéliques justement, j'avais cru alors qu'il fallait "prendre autorité" sur les forces invisibles, oubliant au passage la nécessaire dimension de douceur, surtout à notre époque où les égos sont exacerbés...

Alors, le jeune type me demanda : "J'ai une question pour vous. Qu'est-ce que c'est que la paix ?"

La question m'étonna. Je compris que pour ce type parler de religion amenait nécessairement à s'interroger sur la paix, ce qui est au finalement assez profond. Je n'étais pas d'humeur analytique. Je pense que la séance à Notre Dame des Champs m'avait en fait rempli de l'Esprit, même à mon insu, et je dis posément à ce garçon : "La paix, c'est quand on n'a de conflits avec personne, et qu'on fait confiance à ce qui vient de Dieu". Il me dit qu'il n'avait pas compris le mot "confiance" "qu'est ce que ça veut dire, je ne comprends pas ?". Alors, un peu dans la veine du prêtre qui avait expliqué pourquoi il était important d'être dans la louange, je dis "c'est simplement penser que tout ce qui vous arrive c'est bien". Les mots me venaient comme ça, avec la conviction que ça allait apporter quelque chose à ce jeune homme.

Curieusement, il me répondit un truc du genre : "Oui, c'est vrai sur le plan sociologique, mais pas sur le plan de l'anthropologie". Et il sortit d'une phrase qui ne s'imprima même pas dans mon esprit tellement je savais que l'intervention des mots "sociologie" ou "anthropologie" qu'il avait sans doute entendus quelque part sans les comprendre, n'avaient pas leur place ici. Mais j'approuvais quand même ce qu'il disait par bienveillance spontanée.

Le type alors me dit : "J'ai encore une question : qu'est ce que c'est que l'humanité ?"

Un peu embarrassé, je cherchais une réponse. Et le garçon répliqua : "Ah, c'est trop difficile pour vous ça comme question, hein ? Hé bien l'humanité, c'est votre regard, c'est ce qu'il y a dans votre regard". Il me fit un "check" avec la main, me souhaita une "bonne après-midi" en souriant (alors qu'il était 20 heures passées, ce qui prouvait bien qu'il était assez "à l'Ouest" comme on dit) et alla s'assoir au fond du wagon.

Peu importait que ce jeune homme ait été un peu dérangé. "Dieu a choisi les choses folles du monde pour couvrir de honte les sages". Je sais que dans le regard de Dieu ce genre de "dérangement" est au dessus de notre rationalité. Il y a quelques années, devant Saint Lazare en hiver, j'avais vu un fou pieds nus en shorts qui, pataugeant dans les flaques d'eau, suppliait les gens de lui acheter des chaussures. Je me doutais bien qu'il y avait des associations pour lui offrir des chaussures d'occasion et que, s'il n'en avait pas, c'était parce qu'il avait un problème mental. J'avais quand même essayé de parler un peu avec lui et lui avais passé dix euros. Là encore ce n'était pas vraiment mon "égo" qui avait pris cette initiative, mais l'Esprit Saint en moi. Et, j'avais pu vérifier que cela était surnaturel, parce que, 200 mètres plus loin, quand mon billet ne passait pas les portes d'accès électroniques, diverses personnes étaient venues vers moi pour m'aider à franchir ces barrières, ce qui d'habitude n'arrivait jamais. A travers les gens un peu dérangé Dieu nous parle et, en suscitant en nous l'attitude adéquate, nous met dans des processus qui sont au dessus, au delà, de nos fonctionnements quotidiens. Il nous révèle pour ainsi l'envers du décor, et l'au-delà. Hier soir, il me mettait par ce dialogue que certains qualifieraient de "surréaliste", aux prises avec les seuls vrais enjeux, les plus profonds de la spiritualité, par delà la question (importante quand même) de savoir si l'on traduit bien l'Ave Maria ou pas : la question de la paix, de l'humanité, dans un monde où l'humain est divisé (y compris dans son for intérieur) et nié en permanence...

Je pense que le verdict final - qu'il y avait eu de l'humanité dans mes yeux, même si cette humanité provenait plus d'En Haut que de ma nature profonde, toujours méfiante et égoïste - venait pour ainsi dire valider le fait que j'avais sans doute bien fait d'aller à Saint-Nicolas-des-Champs quels qu'en soient les résultats pour mes "intentions" au profit des gens que je voulais voir guérir. Je ne sais pas si j'ai "évangélisé" hier soir, mais peut-être ce type bizarre est-il rentré chez lui avec une image plus positive du christianisme que celle qui circule d'ordinaire dans la culture dominante. L'Esprit fait des choses comme ça, parfois, alors que notre nature n'y prend aucune part et n'en reçoit pas de mérites.

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Sainte Thècle : de la Cilicie à Tarragone

19 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Christophe, #Histoire des idées, #down.under

J'ai déjà parlé sur ce blog de l'arrière-grand-père de ma grand-mère paternelle, Pedro Aguilar (1819-1881), franciscain de l'ordre tertiaire. Sa  propre grand-mère Tecla Cañizar était décédée à Valjunquera (province de Teruel, dans le Bas-Aragon, à la limite de la Catalogne), en 1844, quand il avait 25 ans. Elle s'appelait donc Thècle, comme la compagne légendaire de Saint Paul, dont personnellement j'ai découvert l'existence dans les années 1990 en lisant "Le Renoncement à la Chair" de P. Brown. J'ai été surpris en l'apprenant car ce prénom était peu usité en France à la même époque. C'est un  prénom qui fait miroiter l'Aragon avec la chrétienté d'Orient.

En lisant ce texte de Valentina Calzolari, de l'université de Genève, spécialiste de l'Arménie, The Legend of St Thecla in the Armenian Tradition from Asia Minor to Tarragona through Armenia on apprend comment la spiritualité autour de Thècle s'est nourrie d'un aller-retour avec la culture arménienne. L'article raconte en effet comment Les Actes de Paul et Thècle, qui narrent la vie de la première femme martyr chrétienne, texte syriaque du IIe siècle, ont été traduits en Arménie au début du Ve siècle (l'Arménie était chrétienne depuis le début du IVe siècle). Fauste de Byzance au Ve siècle, dans son Histoire de l'Arménie, fit de Sainte Thècle la gardienne de l'orthodoxie chrétienne face à l'arianisme (une hérésie de l'Arménie, inféodée à l'Empire romain) n'adopta jamais. Selon lui, en 378, quand l'empereur romain arien Flavius Valens (qui succéda à Julien l'Apostat et à Jovien) meurt, ce n'est pas entre les mains des Goths à la bataille d'Andrinople,  mais tué par St Théodore et St Serge, sur ordre d'une assemblée de martyrs à l'initiative de Ste Thècle, ce dont un sophiste fut témoin en vision dans le sanctuaire de la sainte. Ste Thècle est ainsi érigée en protectrice du Crédo de Nicée.

Il semble que l'épisode renvoie au fait qu'il y avait un sanctuaire d'incubation dédié à Ste Thècle à Séleucie au sud de l'actuelle Turquie, où, selon La vie et les  Miracles de Thècle du pseudo-Basile de Séleucie la sainte aurait vaincu le démon d'Athéna.

En 1320, Séleucie en Cilicie est dirigée par une dynastie arménienne car une communauté arménienne s'y était installée fuyant les seldjoukides. C'était un des ports où faisaient halte les marchands catalans sur le chemin de l'Orient. Grâce aux bonnes relations entre le roi arménien Oshin (4 lettres de lui sur la question sont gardées aux Archives générales de la Couronne d'Aragon à Barcelone, copie des authentiques) puis son fils Levon IV et le roi d'Aragon Jacques II, évoquent le transfert des reliques de Sainte-Thècle de Séleucie à Tarragone. Dans une lettre du 4 septembre 1319, Jacques II annonce l'arrivée prochaine en Cilicie de la mission diplomatique aragonaise, qui remettra des dons au roi arménien. Dans la seconde  du même jour, il évoque la création récente de la cathédrale de Tarragone et demande pour elle des reliques "le corps de la bienheureuse Thècle ou une partie"... pourvue que c'en soit une assez grande. Le 4 décembre 1320 le roi signale que le bras de la sainte est arrivé à Valence, et précise qu'aucune autre partie de la sainte n'a été trouvée en Cilicie ni ailleurs dans le monde. La quatrième lettre averti le prévôt de Tarragone Raymond d'Avignon de l'intronisation des reliques à la cathédrale de la ville à la Pentecôte de 1321.

Au Ve siècle il n'y avait pas de reliques ou de tombe de Ste Thècle à Séleucie. Le pseudo-Basile dit d'ailleurs qu'elle n'est jamais morte. Comment en est-on venu, demande Valentina Calzolari, à ce bras comme relqiue ? Un manuscrit latin du XIV s. archivé à la cathédrale de Barcelone, De Sancta Tecla Virgine, fait état d'une légende arménienne traduite en latin par un notaire du roi Oshin, Nicolas de Ray. Cette légende tardive raconte que Ste Thècle poursuivie par ses agresseurs fut hébergée dans un rocher que Dieu ouvrit pour la sauver (ce qui correspond aussi à la tradition de Maaloula en Syrie). Puis quand le patriarche de Séleucie voulut une relique, un ange le conduisit dans les montagnes et l'avant bras droit de la sainte avec sa main apparut au milieu de parfums sublimes, et le bras fut placé dans une église grecque construite pour l'occasion.

Il existe à la cathédrale de Tarragone un retable sculpté par Johan Vallfogana entre 1426 et 1436 montrant l'apparition du bras à Séleucie.

L'importance de Sainte Thècle pour Tarragone s'illustre dans cet épisode de la vie de l'archevêque Pedro Clasquier (ou Pere de Clasqueri/Pedro de Clasquerin). Alors que le roi Pierre IV d'Aragon dit le Cérémonieux réclame la propriété de la ville de Tarragone, l'archevêque s'y oppose. Le souverain dépêche des hommes de troupes sous la direction de Don Raimond Alaman. L'archevêque excommunie les usurpateurs puis s'en va prier à la l'église dédiée à la sainte. Puis Sainte Thècle apparaît au roi, le gifle, il en tombe malade et, plein de repentir, restitue alors à l'archevêque sa ville et ses biens avant d'expirer. Pedro Clasqueri, qui fut aussi patriarche d'Antioche, mourut en 1380. Pedro IV décéda le 5 janvier 1387 (source : Histoire générale d'Espagne, traduite de Juan de Ferreras par d'Hermilly, Paris, 1751, t. 5,p. 529). Il semble que l'intervention de la sainte ait été postérieure à la mort de l'archevêque.

Saint Vincent Ferrer fit une allusion à cette gifle (1350-1419) dans une lettre au roi Martin l'humain (qui régna de 1396-1410), et sa mention la plus ancienne est dans la Chronique d'Aragon du cistercien Gauberto Fabricio de Vagad. On notera que dans le récit de Vagad qu'a restitué Eduard Juncosa Bonet de l'Universidad Complutense de Madrid, le roi d'Aragon dit seulement qu'une très belle "donzelle" le gifle et que les clercs autour de lui en déduisent que c'est Ste Thècle. Amadeo-J. Soberanas (en 1965), lui, date précisément l'apparition de la sainte du 29 décembre 1386, quand le roi est déjà malade, et précise qu'elle ne le gifle que parce que lui même a tenté de la blesser.

Même dans cette gifle, on voit encore en arrière-plan le thème de sa main droite. Déjà dabs La Vie et les Miracles de Thècle elle avait giflé en magistrat d'Antioche qui l'offensait.

Dans "El Triunfo Milagroso de la Omnipotencia, en la Vida, Martyrios, y Milagros de la Esclarecida Virgen, e Invicta Prothomartyr de las Mugeres, Santa Tecla Escrivele, y le dedica a la misma Santa el Padre Iayme Vilar de la Compañia de Iesus" / Jaime Vilar (1697) p. 162 et suiv on peut lire de longues conjectures sur la mort de Ste Thèce à 90 ans, alors qu'elle serait née en l'an 29. Il affirme que Saint Paul vint évangéliser l'Espagne en 61, ce qui pourrait être 14 ans après la mort de la sainte, si, au contraire, on retient qu'elle fut martyrisée à 18 ans (en 47). Saint Paul aurait lui-même présidé à l'érection de l'église de Tarragone. Il n'hésite pas non plus à parler (p. 173) d'un sépulcre de la sainte à Séleucie sur lequel Saint Grégoire de Nazanze se serait rendu en pèlerinage.

La liste des miracles de sainte Thècle en Aragon-Catalogne que répertorie Jaime Vilar, il y a l'apparition en 1644 à la prieure du couvent de Sainte Thècle de Valence de la sainte en compagnie de la défunte Doña Isabelle de Bourbon, première épouse du roi Philippe IV, toutes deux portant des colombes à la main. Thècle lui annonce que la reine consort a atteint le paradis après trois jours de purgatoire et que le roi gagnera la guerre qui l'oppose au roi de France (qui vient de prendre Lerida). L'archevêque recommanda le silence, jusqu'à ce que Philippe IV effectivement pût reprendre Flix, Monzon et Lerida.

Elle est aussi apparue à un prêtre de son église de Tarragone et à l'évêque pour leur reprocher d'autoriser un laïc à y être enterré (p. 198).

Le mérite de l'échec des opérations françaises contre Tarragone de 1641 et 1644 fut attribué à la sainte. En 1644 elle aurait atténué l'impact des boulets français, même dans sa propre église. Le commerçant Esteban Fontanet, qui avait subi deux sévères tempêtes en deux ans, le portant au bord de la faillite, dans ses allers-retours entre Tarragone et Barcelone, se sauva d'une troisième par l'invocation de Sainte Thècle (p. 232). En 1656 trois musiciens embarqués à Barcelone pour se rendre à la fête de la sainte à Tarragone furent capturés par des maures. Ceux-ci filaient vers la Côte des Barbaresques pour les y maintenir en esclavage mais les musiciens invoquèrent la sainte et la galère royale espagnole qui passait à proximité prit en chasse leur bateau de captivité et les libéra.

En 1652 le bras de la sainte transporté en procession sur les champs mit fin à la sècheresse à Tarragone (p. 237). A  Torralba dans la province de Huesca, confrontés à la même sècherese, les habitants décidèrent d'envoyer une procession à l'église Sainte Thècle à Cervera (province de Saragosse) et obtinrent immédiatement la pluie. Le bras de Sainte Thècle à Tarragone rendit la vue à un prêtre aveugle depuis 16 ans (p. 244), ses "reliques" du couvent Sainte Thècle de Valence produisirent aussi des guérisons, un enfant d'Alcogujate (Cuenca en Castille) guérit de ses fractures après une neuvaine de ses parents dédiée à la protomartyre, etc.

Le souvenir de la sainte en Aragon est associé à un mélange de douceur et de rigueur.

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Jean Staune, Eugène Aroux, mes sujets de recherche actuellement

12 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Spiritualités de l'amour, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis

Un lecteur au pseudo néphilimesque attirait mon attention hier sur l'essayiste qui se prétend chrétien Jean Staune, dont je découvre d'ailleurs qu'il était invité par un cercle d'économistes et d'hommes d'affaire dans ma ville natale cette semaine (le 9 novembre), ce qui signifie que, comme Lenoir, il est un peu un auxiliaire de la spiritualité dominante contemporaine.

A vrai dire, plus je réfléchis aux prises de position de ce penseur moins je leur trouve d'intérêt. C'est en premier lieu un apôtre de la religion primordiale (il pense du bien de Guénon), qui, tout en défendant l'importance d'un christ "cosmique" comme le faisait jadis le père Brune, estime plus ou moins (je dis plus ou moins parce que son propos là-dessus varie d'une minute à l'autre) qu'avant Jésus était Osiris, et que ça ou Krishna (ou peut-être Shiva) c'est au fond un peu toujours la même chose, même s'il se trouve que pour les Occidentaux il faut que ce soit Jésus. Ce n'est pas très étonnant, vu la filiation dont il se réclame. Il explique que son propre père l'a initié à certains textes confidentiels de l'ésotérisme chrétien, il place dans son panthéon le Padre Pio (comme le font beaucoup d'occultistes) et surtout l'étrange Maître Philippe de Lyon (une lectrice de ce blog, qui a peut-être payé le prix fort d'avoir connu de très près le milieu qui se réclamait de ce médium, aurait beaucoup de choses à dire là-dessus), en habillant le tout de physique quantique et de références (sans grand discernement) aux expériences de mort imminente. Cette façon de défendre la Foi, tout en la noyant intellectuellement dans un océan de relativisme hindouïste ne me paraît pas précisément constituer le bon moyen d'accomplir le projet messianique (d'ailleurs l'eschatologie est totalement absente de son propos, avec Staune il n'y a plus d'Histoire, vu que de toute façon, dans la physique quantique il n'y a plus de temps : son panthéisme qui paradoxalement veut nous retirer du monde, bloque en réalité le devenir...). De toute façon, par principe je n'aime pas les gens (les gnostiques lucifériens) de cette trempe qui nous invitent à vouloir "devenir des dieux" en sortant de la "Matrice" et qui omettent de poser à titre de préliminaire que nous ne pouvons le faire qu'en devenant Serviteurs du Très Haut, c'est-à-dire sans égo.

Je pense que son attachement au livre Le retour du phénix de Marthe de Chambrun Ruspoli dont Roland Tefnin a bien démonté le contenu dans la revue L'Antiquité Classique de 1985 suffit à situer le niveau de sérieux du travail de Staune.

Je crois que je ne reconnais à son fil de recherche qu'un mérite : celui de poser la question de savoir ce qu'est l'Eglise johannique dont parle l'Evangile de Jean en son chapitre 21, question qui en a travaillé tant d'autres par le passé (je pense ici à Léonard de Vinci avec son célèbre tableau de la Cène, et aux églises "parallèles" guérisseuses ou non). Si elle existe, de toute façon, vu l'ambiance antéchristique actuelle, cette Eglise ne peut pas être du côté des auteurs de livres à succès, ni des conférenciers promus par YouTube. Le Royaume est comme la graine de sénevé, il grandit dans l'ombre et l'humilité (Matth 13:31).

Personnellement, je préfère en ce moment m'intéresser à un tout autre auteur, très clandestin celui-là et impeccablement fidèle à l'Eglise de Pierre, humble essayiste méthodique et scrupuleux des années 1850, le normand Eugène Aroux. Denis de Rougemont dans L'Amour et l'Occident ne le cite que pour l'associer au Sar Péladan, ce qui est un grand tort. Je crois que ses hypothèses sur les cathares et l'amour courtois, même si elles simplifient un peu trop la problématique de l'amour platonicien, sont extrêmement utiles pour comprendre le poids de l'hérésie dans la culture européenne depuis Joachim de Flore, surtout son poids occulte. Oui, il faut se plonger dans les travaux d'Aroux. Ceux-ci d'ailleurs ne sont pas étrangers au sujet de l'adamisme dans le couvent franciscain de Louviers que j'évoquais dans ce blog il y a deux mois, et cela conduit à réfléchir aux fruits douteux du séraphin d'Assise, particulièrement en la branche actuelle de son arbre : l'Eglise "synodale" que le pape tente d'imposer. On y reviendra. 

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L'abbaye Notre Dame au Nonnains de Troyes et les vestales...

8 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Anthropologie du corps, #Histoire secrète

Dans "Sur la route sociale", le franc-maçon André Lebey écrivait en 1909 (p. 55) : C'est à Troyes, une des cités les plus religieuses de France, qu'a été fondé l ordre du Temple, par Hugues des Payens. Une des premières sociétés maçonniques qui s'y établit s 'appela: Loge des Chevaliers Saint-Jean de la Palestine. Parmi les couvents nombreux qui s 'y perpétuèrent, le plus célèbre fut celui de Notre-Dame aux Nonnains, — remplacé par la préfecture qui passa toujours pour abriter une survivance des cultes du paganisme en même temps que certaines pratiques des prêtresses druidiques. "

L'histoire de cette abbaye m'a intrigué car elle est l'actuelle préfecture où j'ai travaillé pendant 6 mois, il y a bien longtemps.

L'abbé Charles Lalore, professeur de théologie au grand séminaire de Troyes, écrit en 1874 à son sujet (p. 151) :

L'abbaye royale de ND de Troyes a tiré l'origine de son établissement des Vestales qui étaient à Troyes où elles gardaient le feu sacré, hors les portes de Troyes. Elles y étaient nombreuses et avaient à leur tête une princesse de sang royal qui avait dans cette ville trois châteaux superbes. Saint Pierre y dépêcha Saint Savinien qui convertit en premier lieu les vestales, après quoi la princesse donna un de ses châteaux pour faire un évêché (et d'ailleurs elles demandèrent un évêque au roi), le second à la vicomté ou hôtel de ville, le troisième, elle se le réserva avec un terrain sur lequel étaient bâties toutes les maisons des vestales, qui étaient autour de leur temple, qu'elles dédièrent à Notre Dame après leur conversion (sans jamais avoir éteint le feu). L'abbé Lalore observe qu'il ne se peut que les vestales aient été ailleurs qu'à Rome, ni que leur temple fût hors des murs de la cité, et que St Savinien de Troyes est mort eu IIIe siècle. Il pointe qu'il est évident que l'histoire télescope plusieurs époques, parle du blason des trois châteaux omniprésent dans le couvent au XVIe siècle qui a pu servir de fondement à la légende.

Avant lui, Auguste Vallet de Viriville, auteur de méditations profondes sur la féminité en Occident, avait avancé que peut-être il y avait là le souvenir du temps où des chanoinesses séculières (comme au temps de St Geneviève, précise-t-il) avaient pu instituer le culte de la Vierge Marie, cette origine purement féminine du culte pourrait expliquer qu'ensuite les religieuses du couvent étaient investies lors de l'intronisation des évêques du privilège singulier de lui donner, dans l'enceinte de l'abbaye, ses vêtements sacrés. Puis l'évêque jurait sur le texte des Evangiles en parchemin, coutume attestée jusqu'au XVIIe siècle (Vallet de Viriville cite d'autres exemples de participations de bonnes soeurs à des rituels épiscopaux, à Rouen, en Italie...).

Peut-être est-ce dans cette pratique des bénédictines que Lebey voyait l'empreinte des "prêtresses druidiques" (qui seraient les soi-disant "vestales"), mais ce sont des éléments tout de même assez ténus. Il y a là en tout cas des éléments intéressants pour une étude de la spiritualité féminine en Gaule. Et d'un point de vue anthropologique, la place des nonnes dans l'investiture de l'évêque renvoie à cette problématique compliquée analysée par Michelet de la tension entre la femme et le prêtre, et du rapport masculin-féminin dans la religiosité.

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Recension de mon livre "Le complotisme protestant" dans une revue universitaire américaine

3 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Publications et commentaires, #Histoire secrète, #Christianisme

Mon livre "Le complotisme protestant contemporain : A propos d'une thèse sur la tribu de Dan" (préface Régis Dericquebourg) paru chez L'Harmattan en 2019 vient de faire l'objet d'une recension dans la revue universitaire américaine (University of California Press) Nova Religio, vol. 26, no. 2 de ce mois de novembre 2022 pp. 124–125.

Voici le début de l'article de Dirk von der Horst :

"This book performs a rhetorical analysis of the website “Mystery, Babylon The Great: Catholic or Jewish?” (https://watch.pairsite.com/mystery-babylon.html) as part of a sociological investigation of the nature of conspiracy arguments. Christophe Colera positions his argument as a sociological one both by noting the political implications of such arguments—he credits them with a role in the election of President Donald Trump—and by situating it as an element of a social “field” in the sense that the sociologist Pierre Bourdieu proposed it. The introduction provides rationales for a sociologist following the lead of Max Weber to study an obscure website with spurious factual claims and undetermined authorship. There is no evidence apart from the website itself of either “Barbara Aho” or her husband, credited as its authors. They may simply be another fictive element among the imaginings that drive the website’s narrative.

Colera is particularly interested in how a born-again Christian..." La suite gratuite ici ou payante ici

 

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Adamisme et théorie des champs morphiques

29 Octobre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps, #Généralités Nudité et Pudeur, #Histoire des idées, #Christianisme, #Spiritualités de l'amour, #Sainte-Baume

J'ai déjà évoqué sur ce blog la théorie des champs morphiques de Rupert Sheldrake, qui explique comment, lorsqu'une mésange apprend à décapsuler une bouteille de lait sur le pas du porte en Angleterre, d'autres mésanges ailleurs dans le monde vont se mettre à faire de même alors qu'elles n'ont pas réellement bénéficié d'une transmission ou d'un apprentissage. Cette théorie, qui ne cadre pas avec les cadres rigoureux de la science objectivable, permet d'expliquer pourquoi diverses inventions chez l'être humain apparaissent à divers endroits du Globe au même moment.

On a vu qu'en France dans les années 1620 à 1640 des phénomènes adamites ont été constatés dans un couvent franciscain de Louviers (avec le cordelier Pierre David) puis à Toulouse (avec le jésuite Jean de Labadie) On sait aussi que les quakers firent de même en Angleterre dans les années 1660, mais avant eux, dans ce même pays, il y eut, dans les années 1630-1640, un mouvement adamite que les Eglises chrétiennes n'identifiaient à aucun courant connu. En attestent des opuscules comme The Adamite sermon d'Obadiah Couchman (1641) ou A new sect of religion descryed, called Adamites deriving their religion from our father Adam de Samoth Yarb/ Thomas Bray (1641).

La transmission directe d'un "penchant" pour le nudisme entre des couvents catholiques et l'Angleterre anglicane ou réformée est peu probable. On peut bien sûr soutenir que les uns et les autres ont pu "baigner" dans l'ambiance de la Réforme qui a pu favoriser le Mouvement du Libre Esprit, plaisamment caricaturé d'ailleurs par l'archevêque d'Avignon (voyez Le Fouet des Paillards) - et l'on se souvient d'ailleurs de la protection accordée par Marguerite de Navarre à Poque et Quintin chez qui on voit des préfigurateurs du libertinage). Mais pourquoi est-ce que ce "Mouvement du Libre Esprit" aurait pris spécifiquement la forme de l'adamisme, c'est-à-dire un retour à la nudité qui se veut ordonné au christianisme (et non pas un mouvement pur et simple vers la débauche comme précédemment) la vague idée d'un simple "imprégnation" dans toute l'Europe d'un esprit d'innovation lié à la Réforme ne permet pas d'en rendre compte...

Si l'on admet la théorie des champs morphiques, et l'idée que le sursaut de l'adamisme dans un couvent français peut rejaillir sur des protestants dissidents en Angleterre, alors cela peut avoir de très fortes implications pour la responsabilité individuelle de chacun. Car à la fois cela signifie que les pensées et comportements de chacun d'entre nous sont profondément influencés par des représentations et phénomènes qui sont "dans l'air du temps" (et je crois qu'à la base de notions philosophiques comme Weltanschauung, epistémé, etc il y a de cela) mais aussi que chacune de nos pensées ou chacun de nos comportements, comme la première initiative de la mésange pour percer une capsule de bouteille de lait, peut avoir des résonances ailleurs dans le monde. Un peu comme un signal que l'on envoie dans la matrice culturelle humaine qui enveloppe la planète, et qui trouvera des échos les plus inattendus, sous une forme purement mimétique ou déformée par d'autres influences.

Je crois que le phénomène de renoncement au monde que décrit en ce moment Pascal Bruckner pour la période actuelle dans "Le Sacre des Pantoufles" par exemple participe aussi potentiellement d'un champ morphique, même si celui-ci peut être plus visiblement renforcé par des messages médiatiques planétaires qui n'existaient pas quand l'adamisme bourgeonnait de façon sporadique en Europe. Pour moi le culte de Marie-Madeleine au XIXe siècle qui fait que la même année (1858-59) où le RP Lacordaire écrit sur cette sainte "à qui beaucoup a été pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé", le socialiste Pierre Leroux en exil dans La Grève de Samarez écrit à peu près le même chose. Par delà les "petits cailloux" qu'avait semé le saint-simonisme autour de Marie-Madeleine dans les années 1820-1830, il y a peut-être quelque chose qui relève des champs morphiques dans la manière spécifique dont le thème "surgit" à l'esprit de ces personnages très différents au seuil de leur vie.

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Le Fouet des Paillards

11 Octobre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Quelques pensées intéressantes du P. Mathurin Le Picard Le Fouet des Paillards : p. 7 emprunté à St Thomas d'Aquin : "La luxure est une paillarde et malheureuse mère, qui a engendré ces méchantes filles, savoir l'aveuglement d'esprit, une inconsidération, la haine de Dieu, la précipitation, l'inconstance, l'amour propre, une affection des choses temporelles, et un désespoir éternel". Le Picard réunit christianisme et paganisme dans sa leçon de morale(p. 13) ; "S. Chrysostome avec Plutarqie appelle ce péché de paillardise un précipice". "Le sage fait une description de la femme impudique en ces mots : la femme folle et criarde et pleine de provocation voluptueuse et qui ne sait chose quelconque".

Sur l'empire de la femme sur l'homme (dans ch 17, p. 193) - dans une vision égocentrique de l'amour - : "De même que personne ne se peut haïr, sino qu'il aie perdu l'usage de raison, aussi il ne peut vouloir mal à sa femme. Et de même que pour soi il oublie et laisse son père et sa mère, aussi fait-il pour sa femme. Ne vous étonnez pas de voir qu'une femme suffit pour faire oublier père et mère pour ce qui est chair de la chair du mari et os de ses os. Et l'apôtre a dit (Ephes 5:29) : "nemo enim umquam carnem suam odio habuit sed nutrit et fovet eam" (Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et en prend soin )

Je dis que ce fut un artifice digne de la sagesse de Dieu, de faire d'une chair ceux entre lesquels il voulait mettre un amour semblable à celui que chacun se porte à soi-même : ainsi ce même Dieu ne pouvait trouver invention plus grande pour obliger l'âme de l'homme à l'aimer, que de la tirer comme de soi-même, et lui donner son image et ressemblance (...)

Un petit passage amusant à propos des anabaptistes qui pratiquent le communisme sexuel :

Ce Felicianus Capitonus/ Félicien Capiton, patriarche des servites, archevêque d'Avignon, mort en 1577 est auteur d'un Explicationes catholicae Locorum fere omnium veteris ac novi Testamenti, contre les hérétiques.

Une phrase encore (p. 299) "La lascivité est réfrénée lorsque les yeux sont voilés avec le bandeau de la crainte de Dieu accompagnée de la discrétion et prudence".

p. 301 une référence curieuse à St Anselme sur le fait que l'être humain est un point au milieu de la rondeur du Ciel qui ne peut échapper à son regard. Le Ciel devient un panoptikon...

Les conseils pour éviter la luxure (ch 25) : éviter la lascivité des paroles, éviter le vin, les danses (interdites dans la République de Platon p. 322), interdire aux femmes les "habits mondains", éviter l'oisiveté "maîtresse de tous les vices" p. 328).

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La vénérable Françoise de la Croix

11 Octobre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Christianisme

Qui fut la vénérable Françoise de la Croix (née Simone Gaugain, fille de boucher), religieuse qui croisa sur son chemin au moins deux adamites ou supposés tels : le père David (dont Daniel Vidal dit tout le bien qu'il peut dans Critique de la raison mystique: Benoît de Canfield) à Louviers, et le père Labadie qui avait introduit des pratiques adamites à Toulouse ?

Le franciscain Hippolyte Héliot (1660-1716) dans son Dictionnaire des ordres religieux en dit ceci (p. 824 et suiv)

--- " La Mère Françoise de la Croix, fondatrice de l'ordre de la Charité de Notre-Dame, était native de Paté (Patay en Dunois) au diocèse d'Orléans et se nommait dans le monde Simone Gaugain. Ses parents étant pauvres et ne vivant que du travail de leurs mains, elle fut réduite dans sa jeunesse à garder les brebis. Mais il semble que Dieu l'avait destinée à un emploi si innocent dès ses plus tendres années, pour la sanctifier dans cet état, comme il avait fait autrefois sainte Géneviève et nous pouvons dire de cette sainte fondatrice ce qu'un habile homme de nos jours a dit de cette patronne de Paris dans un de ses éloges, que tout servait à l'instruire des plus hautes vertus du christianisme : la solitude des lieux champêtres, à se recueillir, pour écouter dans une paisible retraite la voix de son Dieu qui lui parlait cœur à cœur: la beauté de l'aurore qui est suivie d'un plus grand jour, à se donner au Seigneur dès la première pointe de sa raison, et à s'avancer sans interruption de vertus en vertus; les chiens qui gardaient son troupeau,à acquérir cette fidélité et cette vigilance nécessaires pour prévenir et surmonter les tentations la douceur de ses brebis, à conserver en toutes choses celle de l'esprit et du cœur leur obéissance et leur docilité, à se dire avec le roi-prophète C'est le Seigneur qui Me conduit, rien ne me manquera, il m'a mis dans un bon pâturage.

Notre fondatrice eut aussi dès son enfance de quoi exercer sa patience, parles mauvais traitements qu'elle recevait continuellement de sa mère, qui ne pouvait la souffrir mais madame Chau, dame de Paté, en eut compassion et voulut prendre le soin de son éducation. Etant parvenue à l'âge de faire choix d'un état, elle ne voulut point d'autre époux que Jésus-Christ elle choisit la solitude du cloître pour s'y consacrer à Dieu par des vœux solennels, et, le cœur pénétré de tendresse et de compassion envers les pauvres et les misérables qui sont les membres de Jésus-Christ, voyant que la fortune ne l'avait pas avantagée de ses biens pour les en taire participants, et avait par ce moyen mis des bornes à son immense charité, elle voulut s'employer toute sa vie à les soulager dans leurs maladies, à les servir dans les emplois les plus bas et les plus humiliants et s'y engager par vœu. Dieu, à la vérité, voulait qu'elle fût religieuse hospitalière mais comme il la destinait pour être la fondatrice d'un ordre nouveau de religieuses hospitalières, il ne permit pas qu'elle fit profession dans le monastère où elle prit l'habit de religion. On y exerçait l'hospitalité envers les malades et cet établissement avait été fait par les religieux réformés du tiers ordre de Saint-François de la congrégation de France. Il avait été soumis à leur juridiction par une bulle du pape Paul V, autorisée par lettres patentes de Louis XIII, qui furent vérifiées au parlement de Normandie, et ils avaient obtenu le consentement de l'ordinaire. Deux religieuses du monastère de Sainte-Elisabeth, à Paris, du même ordre, y avaient été envoyées pour conduire treize ou quatorze filles et veuves, du nombre desquelles était la mère Françoise de la Croix, que l'on y avait reçues à l'habit et qui se soumirent à ces religieuses de Paris, qu'elles reconnurent pour supérieures, et elles pratiquèrent pendant cinq ou six mois, avec beaucoup d'exactitude et de ferveur, les observances de l'ordre. Mais quelques personnes qui s'étaient introduites dans l'administration des affaires temporelles de ce monastère, dès le commencement de sa fondation, sous divers prétextes, renversèrent le bon ordre qui y avait été établi. Les biens temporels furent en partie dissipés par leur mauvaise conduite. Ils voulurent aussi se mêler du spirituel. ils déposèrent la supérieure et sa compagne de leurs offices, les enfermèrent dans une étroite prison, mirent la Mère Françoise, quoique novice, pour supérieure, voulurent introduire dans cette maison des religieux hospitaliers avec les hospitalières, changèrent toutes les observances régulières, firent de nouveaux règlements qu'ils firent approuver par le pape et par l'évêque, s'attribuèrent par ce moyen l'autorité qui avait été donnée aux religieux du tiers ordre sur ce monastère, de laquelle ils s'emparèrent par violence et enfin ils commirent tant de désordres et de scandales dans ce monastère que les plaintes en ayant été portées aux tribunaux de la justice séculière, elle en prit connaissance. L'un des auteurs des désordres et de la division de ce monastère fut déterré après sa mort, et son cadavre fut jeté dans le même feu où un autre fut brûlé vif, ayant été convaincu de magie et de sortilèges.

Ce ne fut que quelques années après l'établissement de ce monastère que ces désordres éclatèrent. La mère Françoise de la Croix, qui, comme nous avons dit, avait été mise supérieure quoique novice, s'aperçut bientôt qu'on l'avait trompée lorsqu'on lui avait fait donner son consentement pour cette supériorité, et lorsqu'elle vit les mauvais traitements que l'on exerçait envers les religieuses qui étaient venues de Paris, pour établir la régularité dans ce monastère. Comme elle avait beaucoup d'esprit et de discernement, elle vit bien que le zèle affecté du directeur de ce monastère, qui s'en était rendu entièrement le maître du consentement de l'évêque d'Evreux qu'il avait trompé, n'était qu'hypocrisie, et qu'il enseignait déjà à ces religieuses, une infâme hérésie que Molinos a renouvelée dans la suite. Quelle apparence que la Mère Françoise de la Croix restât dans ce monastère ! Toute autre que cette fondatrice voyant ces désordres dans un lieu où devait régner la sainteté, se serait dégoûtée de son état. Mais fidèle aux grâces qu'elle avait reçues de Dieu, elle se souvint de sa parole et de son engagement, et comme elle s'était donnée à lui de bonne heure, elle voulut y demeurer inviolablement attachée par des liens indissolubles. Elle affermit la vocation chancelante de trois ou quatre novices, elle les exhorta à la persévérance, et sans se dépouiller des livrées de l'humble saint François, dont elles étaient revêtues, elles quittèrent ce monastère où elles n'avaient pas encore fait profession, et vinrent se réfugier à Paris. Elles demeurèrent au faubourg Saint-Germain, vivant des aumônes que quelques personnes charitables leur procurèrent. Elles ne portaient de leur maison que pour aller l'église, pu pour exercer la charité envers leur prochain, principalement envers les malades, et sous la conduite du R. P. Rabac, religieux Récollet. Elles gardaient exactement les observances régulières qui se pratiquaient dans leur monastère, lorsque la discipline régulière y était dans toute sa vigueur.

Leur réputation se répandit bientôt dans Paris. Les religieux de l' ordre de Saint-Jean de Dieu, que l'on nomme en France les Frères de la Charité, y avaient été établis dès l'an 1601 .Ils s'obligent par un quatrième vœu de servir les pauvres malades; mais leurs hôpitaux ne sont destinés que pour les hommes. La Mère Françoise de la Croix, conçut le dessein de fonder une congrégation d'hospitalières qui n'assisteraient aussi et ne recevraient dans leurs hôpitaux, que les filles et les femmes malades, qui n'auraient d'autre exercice que cet office de charité et qu'elles en feraient un vœu particulier. Le monastère qu'elle avait quitté et où elle avait pris l'habit, était à la vérité de religieuses Hospitalières qui faisaient aussi vœu d'hospitalité; mais leur hôpital était indifféremment pour les hommes et les femmes, de même que celui de l'Hôtel-Dieu de Paris; et il n'y en avait point encore dans cette capitale de France, qui fût uniquement destiné pour des femmes. C'est ce qui fit donc concevoir à la mère Françoise de la Croix, le dessein de fonder une nouvelle congrégation, dans laquelle les religieuses, s'engageraient par vœu de servir les femmes malades. Ses compagnes, qui n'avaient pas moins de charité qu'elle, y consentirent volontiers. Plusieurs personnes de piété approuvèrent un si louable dessein, et voulurent même contribuer par leurs libéralités et leurs aumônes à l'érection de cette congrégation. Mais il fallut essuyer bien des peines et des travaux pour parvenir à l'exécution de ce dessein, et la fondatrice eut à surmonter beaucoup de difficultés qui s'y opposèrent d'abord, tant par rapport à la permission de l'archevêque de Paris, et de l'abbé de Saint-Germain des Prés, qu'elle ne pouvait obtenir; que par rapport à leur demeure, que cette fondatrice voulait établir au faubourg Saint Germain, dans la rue du Colombier. Mais établissement se fit enfin dans la ville, et la reine Anne d'Autriche, ayant bien voulu le favoriser de sa protection, elle obtint les permissions nécessaires de Jean-François de Gondy, premier archevêque de Paris, pour commencer cette congrégation. La Mère Françoise de la Croix acheta une maison près des Minimes de la place Royale, où elle alla demeurer avec ses compagnes et ce fut l'an 1624, qu'elle y jeta les fondements de son ordre, auquel on a donné le nom de religieuses Hospitalières de la Charité de Notre-Dame. Elles obtinrent au mois de janvier de l'année suivante, du roi Louis XIII, des lettres patentes pour leur établissement, sous ce titre, qui leur fut aussi conservé par la cour du parlement de Paris; lorsque ces mêmes lettres y furent vérifiée le 15' mai 1627.

Madeleine Brulart, veuve de M. Faure maître d'hôtel ordinaire du roi, s'étant déclarée fondatrice de ce premier hôpital, donna pour cet effet une grande maison qui était auprès, afin d'en agrandir les bâtiments. L'archevêque de Paris, par son ordonnance du 9 juin 1628, y établit ces religieuses Elles en prirent possession le douzième du même mois, et elles obtinrent des lettres d'amortissement au mois d'août de l'année suivante, qui furent vérifiées en la chambre des comptes le'19 septembre de la même année. jusque-là la Mère Françoise et ses compagnes avaient différé à faire leur profession mais se voyant en possession do leur maison de la place Royale, elles prononcèrent leurs vœux solennels, le 24 juin de l'année suivante 1629, fête de saint Jean-Baptiste.

Comme par le contrat de fondation, passé entre ces religieuses et madame Faure, il avait été stipulé que sur le frontispice du bâtiment que l'en ferait, pour marque perpétuelle de l'usage auquel cette maison est destinée, on mettrait une table de marbre, sur laquelle seraient gravés ces mois en gros caractères L'HOPITAL DE LA CHARITÉ DE NOTRE-DAME; les religieuses ayant achevé leur bâtiment en 1631, firent graver ce titre sur le frontispice, suivant les termes de la fondation mais les frères de la Charité présentèrent requête au parlement, pour qu'il plût à la cour ordonner la suppression de ce litre et de cette inscription, et faire défense aux religieuses de prendre la qualité de religieuses hospitalières de la Charité de Notre-Dame. Parmi les plaidoyers de M. le Maître, il s'en trouve un pour madame Faure qui intervint dans cette cause comme fondatrice de cet hôpital, et qui demandait que ce litre fût conservé aux religieuses. Les frères de la Charité ayant jugé que leur cause ne serait pas favorable, si elle était plaidée dans une audience trouvèrent moyen d'en faire un procès par écrit, dans lequel le plaidoyer de M. le Maître fut produit mais n'en ayant pas poursuivi le jugement, cette contestation est demeurée indécise, et les religieuses dont nous parlons,-ont toujours conservé le titre d'Hospitalières de Notre-Dame.

La ville de la Rochelle ayant été soumise au roi Louis XIII, l'an 1628, elle demanda de ces religieuses, qui y furent faire un second établissement, et la même année elles en firent un troisième à Paris, ayant acheté au faubourg Saint-Antoine le lieu appelé la Roquette, et par corruption la Raquette, qui avait appartenu à la duchesse de Mercœur. Ce lieu est vaste et d'une grande, étendue, ayant plus de cent arpents d'enclos elles y ont toujours eu des malades, et tour à tour les religieuses de la place Royale y allaient pour en avoir soin, et en même temps pour y prendre l'air, ces deux maisons ne faisant qu'une même communanté ce qui a duré jusqu'en l'an 1690, que le nombre des religieuses de ces deux maisons étant de plus de quatre-vingts, elles furent entièrement séparées, et les biens partagés. Les religieuses eurent le choix d'opter l'une de ces maisons; et depuis ce temps, il ne leur a plus été permis de sortir pour aller de l'un à l'autre de ces deux hôpitaux qui présentement n'ont rien de commun entre eux. La Mère Françoise de la Croix fit un quatrième établissement, l'an 1629, à Pâté, Heu de sa naissance; et il s'en est fait d'autres dans la suite, comme à Toulouse, à Béziers, à Bourg en Bresse, à Pézénas, à SaintEtienne en Forez, à Albi, à Gaillac et à Limoux.

Ce ne fut pas sans mystère que cette fondatrice reçut le nom de François de la Croix, lorsqu'on lui donna l'habit de religion. Ce fût un effet de la Providence qui permit que ce nom lui fût imposé comme devant être fille de la croix et participer aux afflictions et à la patience de Jésus-Christ. Les heureux progrès que l'ordre des religieuses Hospitalières de la Charité de Notre-Dame fit dans son commencement, étaient une marque que cet ouvrage n'était point un ouvrage des hommes, mais bien l'ouvrage de Dieu qui s'était servi de la Mère Françoise de la Croix pour exécutée ses volontés; l'on peut croire qu'il les lui avait communiquées dans ses oraisons, puisque ce fut aussi dans ses oraisons qu'il lui fit découvrir jusqu'aux plus secrètes pensées de quelques-unes de ses religieuses et de plusieurs personnes de dehors qui la venaient consulter comme une personne d'une éminente vertu et très-capable de leur servir de guide dans le chemin du salut mais le démon, qui voyait le grand nombre d'âmes qu'elle lui enlevait, déploya contre elle toute sa rage-

Ce fut l'an 1643 que les désordres du monastère où la Mère Françoise avait été supérieure, quoique novice, et qu'elle avait quitté, comme nous avons dit, éclatèrent. Il y avait déjà longtemps que plusieurs religieuses se trouvaient possédées du malin esprit, par le ministère tant du premier directeur de ce monastère et de celui qui lui avait succédé dans cet emploi, tous deux magiciens, que par le ministère d'une autre magicienne qu'ils avaient fait recevoir dans ce monastère en qualité de sœur converse. L'évêque d'Evreux, François de Péricard, y alla pour faire les exorcismes; et les démons ayant déclaré qu'ils n'étaient entrés dans les corps de ces religieuses qu'à la sollicitation de ces magiciens et de cette magicienne, ce qu'elle avoua, il ordonna, par une sentence du 12 mars 1643, que le corps de ce dernier directeur qui était mort l'année précédente, et qui avait été enterré dans l'église des religieuses, serait déterré et porté dans un lieu profane, et que la sœur converse serait dépouillée de l'habit de religion, revêtue d'habits séculiers, et enfermée pour le reste de ses jours, dans les cachots des prisons ecclésiastiques de l'officialité. Le parlement de Rouen ayant pris connaissance de cette exhumation, fit de nouvelles informations dans le monastère, et, par un arrêt dû 21 août 1647, toutes les chambres assemblées, il ordonna que le cadavre de ce magicien qui avait été déterré et un autre prêtre aussi magicien complice de ses crimes, seraient trainés sur la claie, pour être, ledit prêtre brûlé vif, après avoir fait amende honorable, et le cadavre de l'autre magicien jeté dans le même feu. Et le même arrêt portait que la Mère Françoise de la Croix, ci-devant supérieure de ce monastère serait prise et appréhendée au corps, amenée et constituée prisonnière en la conciergerie du palais, pour être interrogée sur les charges portées contre elle par les informations, le jugement de la sœur converse différé.

C'était cette infâme magicienne qui avait accusé la Mère Françoise, comme complice de ses crimes, disant qu'elle n'avait rien fait que de concert avec elle; que sa dévotion n'était qu'hypocrisie, et qu'elle s'en était fait un art, pour plus finement tromper le peuple et imposer à ses religieuses. Mais il n'y a personne qui soit à l'abri de la calomnie. Les bons peuvent être accusés de crimes aussi bien que les méchants; et comme c’est une marque d'innocence d'être absous, l'arrêt d'absolution qui fut prononcé en faveur de la Mère Françoise de la Croix, et les éloges que l'on donna dans la suite à sa vertu, sont des preuves convaincantes de son innocence. Mais que n'eut-elle pas à souffrir auparavant que l'on en vint à la justification! on l'enlève de son monastères pour la faire comparaître devant les juges, une foule de peuple accourt de toutes parts pour la voir. Chacun la montre au doigt comme une sorcière et une magicienne les huées et les clameurs recommencent lorsqu'après les interrogatoires on la reconduit à son monastère. Chaque fois qu'on la conduit devant les juges, ce sont de nouveaux affronts qu'elle a à souffrir, et l'on crie de tous côtés qu'i! faut détruire ses monastères. De la part des religieuses, ce ne sont que cris et lamentations. Chaque fois qu'on enlève leur chère Mère, elles croient que c'est pour la dernière fois qu'elles la verront elles lui disent le dernier adieu, et elles attendent le moment qu'on leur vienne annoncer sa condamnation. Car les ennemis de ces religieuses, non contents de leur faire un détail des crimes les plus atroces dont ils noircissaient la réputation de la fondatrice, donnaient à des colporteurs des libelles contre elle, et avaient soin de les avertir de les aller crier à la porte, du monastère. Tous les jours il en avait de nouveaux, et tous les jours Paris retentissait du nom de la Mère Françoise de la Croix, avec ces infâmes épithètes de sorcière et de magicienne. Enfin la misérable qui avait accusé la Mère Françoise fut encore condamnée à une prison perpétuelle où elle a fini ses jours, et la fondatrice fut pleinement justifiée. Son innocence fut regardée comme l'or purifié dans le feu comme un grand arbre affermi par l'agitation et la violence, et comme un flambeau que le vent a rendu plus allumé. Elle était supérieure lorsque l'on forma l'accusation contre elle, e! l'archevêque de Paris en mit une autre par commission. Le temps de l'élection étant arrivé la fondatrice aurait pu être continuée dans la supériorité; mais elle aima mieux obéir que de commander. Elle redoubla sa charité envers les malades, ses oraisons furent plus fréquentes; et enfin, chargée d'années et de mérites devant Dieu, elle mourut le 14 octobre 1655. Son corps fut enterré dans l'église de son monastère de la place Royale, et l'abbé Gobelin, qui en était supérieur, prononça son oraison funèbre.

Les constitutions de ces religieuses Hospitalières leur furent données par l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondy, qui les approuva par un acte du 20 juillet 1628. Par un autre acte du 28 du même mois, il accorda six ans à ces religieuses pour voir et pour remarquer si dans la pratique elles trouveraient quelque chose qui fût difficile à exécuter et qui fût incompatible avec leurs autres exercices. Le changement le plus considérable que l'on y fit, fut que l'on retrancha le grand office, afin que les religieuses eussent plus de loisir pour servir les malades; les autres changements furent de peu de conséquence; et en cet état elles furent derechef approuvées par le même prélat, le 12 novembre 1634, après avoir été aussi approuvées par le pape Urbain VIII, dès le 10 décembre 1633, et conformément au bref de Sa Sainteté qui ne les avait approuvées qu'au cas qu'il n'y eût rien de contraire au concile de Trente. Elles furent examinées par les RR. PP. Etienne Binet, provincial des PP. de la compagnie de Jésus de la province de France; Antoine Vigier, recteur des PP. de la doctrine chrétienne, et 1M. Vincent de Paul, supérieur des prêtres de la Mission, qui, par un acte du 13 février 1635, déclarèrent qu'il n'y avait rien de contraire au concile de Trente. Ces religieuses ayant eu une maison dès l'an 1628, à la Pochette, comme nous avons déjà dit, l'évêque de Saintes, sous la juridiction duquel cette ville était pour lors, approuva ces mêmes constitutions pour les religieuses de cet ordre établies dans son diocèse, révoquant, par son ordonnance du 10 décembre 1636 les constitutions qu'il pouvait leur avoir données, et qui n'étaient pas conformes à celles-ci, qui sont observées dans tous les monastères de l'ordre, excepté dans celui de la Raquette, à Paris, qui en a reçu d'autres qui n'ont pas encore été approuvées par le saint-siége.

Quoique ces religieuses aient quitté la troisième règle de saint François pour prendre celle de saint Augustin, elles se reconnaissent néanmoins toujours filles de saint François, qu'elles appellent leur Père,comme il est marque dans la formule de leurs vœux qui est conçue en ces termes Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et en l'honneur de la glorieuse vierge Marie sa sainte Mère, et de nos BB. Pères et patrons saint Augustin et saint François, je me voue et promets à Dieu entre vos mains, Monseigneur l'illustrissime et révérendissime archevêque ou évêque, de mon supérieur de ce monastère et hôpital, et en la présence de vous, ma révérende Mère et prieure, pauvreté, chasteté et obéissance, et m'emploierai toute ma vie à exercer l’hospitalité, servant les pauvres filles et femmes malades dans nos hôpitaux, et gardant la clôture convenable à nos couvents et hôpitaux, selon les constitutions d'icelui ordre, faites et à nous données par le révérendissime Père en Dieu, M. Jean François de Gondy, archevêque de Paris, etc. II est aussi marqué dans le chapitre 1" de leurs constitutions qu'elles feront tous les jours mémoire à vêpres et à matines do saint Augustin et de saint François, et qu'elles célébreront leurs fêtes de première classe, et au chapitre 17, qu'elles diront le petit office de Notre-Dame tous les jours au chœur, en basse psalmodie, et au ton de l'ordre réformé de Saint-François d'Assise. Tout se ressentait de la pauvreté de saint François au commencement de l'établissement de cet ordre, car elles ne mangeaient que dans la vaisselle de terre, les assiettes et les cuillers n'étaient que de bois, les pots et les tasses de grès, comme il est ordonné au chapitre 10 de la troisième partie de ces constitutions. Leur habit doit être gris, de drap ou de serge. Elles peuvent porter des chemises de toile de chanvre, excepté les trois derniers jours de la semaine sainte qu'elles ne doivent avoir que des chemises de serge, et marcher nu-pieds. Elles prennent aussi la discipline ces trois jours, toutes les veilles des fêtes de la Vierge, de saint Augustin, de saint François d'Assise, et tous les vendredis de l'année. Deux fois le jour elles font oraison mentale, et elles gardent le silence depuis neuf heures du soir jusqu'à cinq heures du matin, et depuis une heure après midi jusqu'à deux heures excepté dans l'hôpital, où il est permis de parler. Elles font abstinence tous les mercredis et outre les jeûnes ordonnés par l'Eglise, elles jeûnent encore les veilles des fêtes de NotreDame, de saint Augustin et de saint Francois d'Assise.

Quant aux malades, elles ne peuvent recevoir dans leurs hôpitaux aucun homme; mais seulement les filles et les femmes qui n'ont point de maladies incurables. Elles ne doivent point recevoir de femmes grosses d'enfant, ni qui aient des maladies pestilentielles, comme peste, flux de sang, petite vérole chancre teigne épidémie, folie, mal caduc, écrouelles et mal que l'on appelle feu de Saint-Antoine ou feu sacre, et cet article est essentiel à leur institut. Elles ne doivent point aussi recevoir d'hérétiques qu'après qu'elles auront abjuré leurs hérésies.

Nous avons dit ci-dessus que l'habillement de ces religieuses est gris, et quoique par les constitutions il doive être de drap en hiver, néanmoins dans la plupart des monastères de cet ordre elles ne portent que de la serge de gris de More, tant en hiver qu'en été leur robe doit être ceinte d'un cordon blanc à trois nœuds, et lorsqu'elles vont à la communion et dans les cérémonies, elles ont un manteau de la couleur de leur habit, attaché par-dessus là guimpe avec un morceau de bois. Quoiqu'aussi dans les constitutions il ne soit point parlé de scapulaire, elles en portent. néanmoins un de serge blanche dessus leur robe, ce qui s'observe dans tous les monastères de l'ordre, excepté dans celui de Paté. Les armes de cet ordre sont un cœur chargé de trois larmes, enfermé dans une couronne d'épines

Ce que j'ai dit de la Mère Françoise de la Croix, fondatrice de cet ordre, je l'ai appris en partie de plusieurs anciennes religieuses qui ont reçu de ses mains l'habit de religion, et qui ont vécu du temps avec elle. On peut consulter le livre intitulé La Piété affligée, imprimé à Rouen en 1651 pour la première fois, où l'on voit l'histoire des désordres arrivés dans le monastère dont elle fut supérieure étant novice, et l'arrêt du parlement de Rouen contre les magiciens, auteurs de ces désordres. 11 est fait mention de cet ordre de la Charité de Notre-Dame dans les Antiquités de Paris, par Malingre, page 668, et dans les plaidoyers de M. le Maître page 234."----------

Il existe une Vie de Françoise de la Croix publiée en 1745, rédigée par un certain M. Pin. ll y explique notamment (p. 21-22) que la veuve Hennequin, de la paroisse de Saint-Jean-de-Grève à Paris, fondatrice du couvent de Louviers avait adopté Simone Gaugain (François de la Croix) après être allée la voir à Pathé. Comment la veuve, avec Simone, les "filles du sieur Caron" et le père Pierre David ont loué une maison à Louviers. Puis en 1617, le père Vincent de Paris, un franciscain, s'y rendit et leur donna "une année d'espèce de probation en habit séculier, l'habit de religieuses tandis que d'autres filles s'étaient jointes à elles. Deux religieuses de Ste Elisabeth de Paris avaient aussi accompagné le P. Vincent (Mussart) pour rejoindre la congrégation pour les diriger en en faisant un simple couvent du tiers-ordre, ce à quoi Françoise s'opposa, car elle voulait qu'on fondât deux couvents et deux hôpitaux. La querelle qui opposa les réformés du tiers-ordre de Saint-François de la communauté de Picpus à ceux qui suivaient la règle de St Augustin donna lieu à un arrêt du parlement de Normandie, à un recours au pape, et permit à David, expliquera Lucien Barbe, dans le Bulletin de la Société d'études diverses de l'arrondissement de Louviers du 1e janvier 1898 p. 117 de passer sous le joug plus doux de l'évêque d'Evreux. Françoise fera office de mère supérieure en 1622, mais elle part peu de temps après, explique Barbe, et c'est à partir de 1625 grâce à une nouvelle donation que David donne une toute nouvelle orientation au couvent. Si Magdelaine Bavent n'est entrée au couvent qu'en 1623 à 21 ans comme l'indique sa fiche Wikipedia, cela exonèrerait la soeur Françoise de toute participation aux désordres "adamites" du couvent. Le fait n'était en tout cas pas si évident aux yeux des autorités judiciaires qui finirent par l'interroger.

Un passage étrange de l'opuscule "L'innocence opprimée", indique : "Je ne dirai point, ce qui n’est que trop connu, que la jeune supérieure du couvent était bien souvent, et quand il lui plaisait, levée de terre jusqu’à la hauteur de pied et demi, voire même deux pieds, et qu’elle affectait de paraitre en cet état devant le monde, afin de pouvoir par une chose si extraordinaire passer déjà pour quelque sainte "...

Contrairement à ce qu'indique le site en question, il ne s'agit pas là de marques "d'hystérie" mais de capacités de lévitation associées à la sainteté, qui, cependant pouvaient sembler suspectes car la possession démoniaque en conférait de pareilles. C'est un aspect à creuser.

Mais n'est-ce pas une confusion avec ce que Boscroger (p. 146) prête aux extases diaboliques de soeur Anne de la Nativité après le départ de soeur Françoise de la Croix ?

 

 

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L'adamisme des Fous en Dieu de Palestine

1 Octobre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur, #Christianisme, #Spiritualités de l'amour

Dans les Histoires de la Guerre des Hussites et du Concile de Basle, de Jacques Lenfant (1661-1728), publié en 1731 à l'initiative de sa veuve, on trouve une Dissertation sur les adamites de Bohème de "M. de Beausobre" dont la première partie fut envoyée à l'auteur de son vivant (avant 1728) et dont la seconde partie fut composée à Berlin en 1730. De Beausobre a une discussion intéressante avec feu-Bayle sur la question de savoir si les chrétiens se sont dénudés plus que les païens (il s'oppose à Bayle là-dessus), et aussi des questionnements intéressants sur la base de Clément d'Alexandrie sur la question de savoir si les gymnosophistes indiens vivaient nus ou pas. Sa dissertation nuance les accusations de nudité publique et a fortiori de communisme sexuel, imputées aux adamites de Bohême (appelés Picards et que de Beausobre considère comme des Vaudois), de même qu'elle soupçonne des accusations portées contre les franciscains béguards/béguins avant eux de reposer surtout sur le désaccord de ces Frères pauvres sur l'accaparement des biens de l'Ordre par le Pape. Pour lui l'idée qu'aucune partie corporelle n'est honteuse et que l'on peut faire ce qu'on veut quand on vit dans la charité peut être vécue chastement si l'union à Dieu est authentique. Elle ne doit pas être condamnée a priori.

Les critiques et interrogations de Beausobre contre les accusations dont l'autorité ecclésiale (d'Irénée de Lyon jusqu'au XVe siècle) accable les adamites sont très intéressantes.

George Sand (qui était hostile aux excès des adamites) dans "Jean Ziska" (p. 117 de l'édition de 1867) eut cependant ce commentaire : "peut-être se laisse-t-il égarer par sa généreuse candeur, lorsqu'il s'efforce de prouver que les Adamites n'ont jamais existé, ou bien qu'ils ne pratiquaient ni la promiscuité, ni la nudité, ni les abominations qu'on leur impute. Sans entrer dans l'ingénieuse mais puérile discussion des textes, des mots à double sens, des dates et des rapprochements, il me semble qu'on peut admettre, avec les historiens de tous les partis qui l'ont attestée, l'existence de ces Adamites. " J.F. Bernard dans son Histoire des Religions et des Moeurs trouve aussi Beausobre excessif.

Isaac de Beausobre, né à Niort en 1659, pasteur évangélique, s'était réfugié après la révocation de l'Edit de Nantes aux Pays-Bas puis au Brandebourg. Il mourut à un âge avancé (79 ans) en 1738.

Voici p. 359 ce que de Beausobre trouve dans Evagre le Pontique (346-399) à propos de moines de Palestine (hommes et femmes) qui croyaient la perfection possible sur cette Terre (leur nudité et leur propension à s'identifier à des ruminants a eu des équivalents dans des sectes hindouistes).

 

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La possession de Louviers - histoire d'un couvent adamite

20 Septembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe, #Histoire secrète, #Christianisme

Un livre intitulé "La Piété affligée", imprimé à Rouen en 1651 , raconte d'un façon très détaillée une affaire de possession au couvent franciscain Saint-Louis de Louviers. L’auteur, le révérend père Esprit de Bosroger, provincial des RR. PP. capucins de la province de Normandie, prouve, dans 450 pages in-octavo, par de nombreuses citations des Ecritures, par des procès-verbaux rédigés par Péricard, évêque d’Evreux, par de Montechal, archevêque de Toulouse, par des chanoines de Paris, par des docteurs en théologie, la possibilité et la véracité du fait de la possession des religieuses de Saint-Louis. Le procès-verbal de l'archevêque de Toulouse, du 10 septembre 1640,  se termine par : « Enfin, nous aurions tous » jugé, d’un commun avis, en nos consciences, que lesdites filles sont les unes et les autres vraiment possédées et maléficiées. Fait à Louviers, ce jeudi, etc., etc. » Le curé du Mesnil-Jourdain, nommé Picard, et un vicaire de l’église de Louviers, nommé Boullé, furent accusés d'être les auteurs de ces maléfices. Alors l’un d’eux était mort, c’était Picard. L’évêque d’Evreux ordonna que son cadavre fût exhumé de l’église Saint-Louis et jeté dans un puits connu sous le nom de Puits Cornier. Une religieuse déclara « qu’étant possédée, elle fut beaucoup soulagée depuis l'exhumation. » Le cardinal Mazarin lui-même adressa une lettre de congratulation à l’évêque d’Evreux. « Monsieur, M. l’archevêque de Toulouse nous a fait une si avantageuse relation de votre conduite en l’affaire des religieuses de Louviers, qu’elle a beaucoup augmenté l’opinion que nous avions du soin et du zèle que vous apportez à faire les fonctions de votre charge. Pour moi, qui fais profession d’honorer le mérite, et qui ne lui ai jamais refusé mon témoignage, vous devez croire que je ne manquerai point de faire valoir le vôtre auprès de sa majesté, et de rechercher les occasions qui me donneront lieu de vous faire paraître, que vous estimant beaucoup il est impossible que je ne sois passionnément, monsieur, Votre affectionné serviteur , Le cardinal Mazarin. Paris, le 21 septembre 1643. » (Le fripon Mazarin protégea les fripons" allait dire Michelet - Oeuvre T. 38 p. 578)

La famille du curé Picard attaqua devant les tribunaux l’évêque d’Evreux. Une religieuse, nommée Madeleine Bavent, joua un grand rôle important dans l’instruction judiciaire qui eut lieu devant Routier, lieutenant criminel du Pont-de-l’Arche. "Ses déclarations sont le produit de l’imagination la plus déréglée et la plus bizarre, écrira en 1834 M. Philippe, qui se présente comme un membre de plusieurs sociétés savantes de l'Eure, sans doute inspiré par Floquet. Au récit de profanations de toute espèce, vint se mêler celui de scènes ridicules et grotesques. De bons bourgeois de Louviers furent entendus comme témoins : les uns avaient été au sabbat, les autres avaient refusé d’y aller. Un homme de bien, suivant le style de l’enquête, aperçut un grand et vilain personnage noir, qui s’entretenait avec Picard et Boullé, et qui disparut comme une vapeur au moment où il mettait le pied dans la chambre..." Le dénouement de tout cela fut une sentence de mort. Le 21 août 1647, le parlement de Rouen déclara Picard et Boullé sorciers et magiciens, condamna Boullé à être brûlé vif sur la place du marché de Rouen (ce qui fut exécuté ), et ordonna que le corps de Picard fût livré au bourreau pour être placé sur le bûcher, et que leurs cendres fussent jetées au vent. Le provincial des capucins Esprit de Bosroger (ou Boscroger), qui rapporte cet arrêt, appelle les conseiller au parlement de Rouen : les dieux de la province.

Michelet s'est penché en1862 (28 ans après M. Philippe) sur cette sombre affaire dans "La Sorcière" (ch VIII). Reprenant le livre du prêtre oratorien Charles Desmarets (1602-1675) qui l'avait confessée en 1647 à la conciergerie du Palais de Rouen, il y fait le portrait du personnage central de Madeleine Bavent, née en 1607 (ou 1602 ?) à Rouen (son père tenait une boutique de grossiers rue Ecuyère). Orpheline de ses deux parents à neuf ans, apprentie couturière à douze, chez "dame Anne" (qui en avait six autres). Elle fabriquait des vêtements pour les religieux. Son confesseur est un franciscain, frère Bontemps. Il a déjà trois jeunes filles sous son aile qu'il dit pouvoir mener au sabbat et marier au diable Dagon sous la forme d'un jeune homme (avec le secours d'un peu de belladone et autres breuvages, souligne Michelet). Madeleine, qui a quatorze ans, sera la quatrième. Elle est dévôte de Saint-François.

Notons que Madeleine n'a pas le souvenir de ces choses. dans sa confession elle dit que si elle a avoué avoir participé à ces sabbats, c'est uniquement parce que c'est ce qui se disait d'elle au couvent... Elle précise même que son confesseur d'alors, le père Feuillant, a démenti le fait, et reconnait n'avoir gardé aucun souvenir physique de ce Bontemps (sa couleur de cheveux, de peau etc). Elle en appelle au témoignage des voisins de Dame Anne pour démontrer sa bonne moralité de l'époque. Pour elle, les soeurs l'ont chargée pour en faire l'autrice des sortilèges (puisqu'elle était censée être déjà sorcière), alors que le couvent était déjà infesté à son entrée. A preuve, dit-elle, Charlotte Pigeon entrée avant Madeleine ("il y a 28 ans"), puis une seconde fois pour huit jours seulement à 21 ans et qui y fut aussi possédée les deux fois. Pourquoi Michelet fait-il l'impasse sur le démenti de la religieuse ?

Peut-être parce que le démenti n'est pas très crédible. Une notice biographique en préface parue en 1878 rappelle qu'elle a avoué devant ses juges sa débauche avec Bontemps.

Justement, vient de se créer à Louviers un couvent fondé, d'après Dibon (Essai historique sur Louviers) par la veuve d'un procureur pendu en 1622 pour escroquerie. Son directeur est le curé David, homme à la démarche grave selon Boscroger et à la barbe négligée, qui a une bonne réputation à Paris (il est confesseur des dames de la paroisse de Saint Jean-en-Grève, près de l'actuel Hôtel de Ville de Paris) Michelet le considère comme un illuminé,moliniste avant Molinos... David a publié un livre contre les couvents corrompus : "Le fouet des paillards" nous dit Michelet. En fait il confond (et ce n'est pas la seule ineptie que Michelet écrit. Ce livre a pour auteur Mathurin Le Picard, cet ouvrage accessible sur Google Book qui figurait au registre de vente à l'Hôtel Drouot de 1881 a été publié en 1623 et non avant l'entrée de Madeleine au cloître comme le prétend Michelet. Madeleine précise que David qui fut son confesseur leur faisait lire "Le livre de la Volonté de Dieu". Cet ouvrage avait été publié par William Fitch (1562-1610), plus connu sous son nom de capucin, Benoît de Canfield ou encore Benoît l’Anglais. Ce livre circulait dans les monastère sous forme de cahiers recopiés. Benoît allait le publier qu'en 1608. Le titre indiquait la visée de l’auteur de proposer un chemin spirituel menant à la perfection de la vie chrétienne par l’observance d’une règle unique et simple : faire la volonté de Dieu. Les deux premières parties, en effet, donnaient un enseignement sur la vie active et contemplative qui voulait mener l’âme progressivement, par degrés, jusqu’à la perfection de la vie chrétienne. Saint François de Sales les faisait lire aux visitandines de Grenoble. Saint Vincent de Paul aussi allait les faire lire dans sa congrégation. Mais la troisième partie laissait penser que la perfection de l’union avec Dieu résiderait davantage dans l’expérience extatique et que dans l’humble accomplissement de la volonté du Créateur.

C'était l'unique règle au couvent de Louviers, nous dit-on. ("On sait alors que, 'derrière' les accusations d'endiablement, c'est bien à la spiritualité camfeldienne que l'on s'attaque" allait écrire Daniel Vidal dans Jean de Labadie, 1610-1674: passion mystique et esprit de Réforme p. 28)

La notice biographique de 1878 ajoute comme ouvrages "La Perle évangélique" (ouvrage christocentrique écrit par une béguine flamande un siècle plus tôt, imprégné de pré-quiétisme, qui avait été notamment central dans la spiritualité de Berulle), "Le Thrésor caché dans le Champ" (peut-être "Le livre des tesmoignages du thrésor caché au champ" paru en 1575 ?), la "Théologie germanique" (réédité par Paquier en 1928 sous le titre "Le livre de la Vie Parfaite). A priori rien de réellement sulfureux.

Mais David était adamite : il croyait à la pureté de l'humanité, et prônait la nudité en public, dit Michelet. Madeleine rapporte ainsi sa théorie (p. 9) : " Il disait qu'il fallait faire mourir le péché par le péché, pour rentrer en innocence, et ressembler à nos premiers parents, qui étaient sans aucune honte de leur nudité devant leur première coulpe".

Esprit de Bosroger présentera ainsi sa doctrine : il enseignait "que le péché n'était pas au corps, ni aux actions corporelles, mais au discernement de la prudence humaine, et que celui qui discernait, était maudit, et damné selon les apôtres, que la pudeur des filles était une erreur ; qui ne sait, disait ce vilain, que la nudité est l'apanage de la vraie innocence, il faut donc mortifier la honte, et la crainte naturelle sans aucune exception : car pour peu qu'on ne voie point péché, il n'y en aura pas, parce que l'esprit intimement uni à Dieu de pèche jamais" (p. 52). Il prétendra pour sa part que seulement 3 ou 4 nonnes suivront ses préceptes, et il assure qu'à la mort de David l'évêque d'Evreux se rendit sur place et remit les esprits des nonnes en ordre. Selon lui le discours adamite n'avait pas donné lieu à des réalisations et il serait resté sans lendemain si le tandem Picard-Bavent n'avait répandu des charmes ensuite dans le couvent.

"Dociles à ses leçons, écrit au contraire  Michelet qui se fonde sur ma confession de Madeleine, les religieuses du cloître de Louviers, pour dompter et humilier les novices, les rompre à l'obéissance, exigeaient (en été sans doute) que ces jeunes Èves revinssent à l'état de la mère commune. On les exerçait ainsi dans certains jardins réservés et à la chapelle même. "

Magdelaine Bavent, qui qualifie cela d' "ordures et de saletés" est plus précise : "Les religieuses passaient pour les plus saintes, parfaites et vertueuses, qui se dépouillaient toutes nues et dansaient en cet état, y paraissaient au choeur et allaient au jardin".

Elle ajoute "ce n'est pas tout", consciente d'aller crescendo dans l'horreur. "On nous accoutumait à nous toucher les unes les autres impudiquement, et ce que je n'ose dire, à commettre les plus horribles et infâmes péchés contre la nature, que mon confesseur m'a dit avoir été remarqués par Saint Paul en son Epitre aux Romains pour avoir été les plus excessifs désordres sous le règne du prince de  l'enfer parmi les païens". "J'y ai vu même abuser de l'image du crucifié", ajoute-t-elle. Elle parle aussi d'une circoncision sur une "figure ce me semble de pâte, que quelques unes prirent après pour en faire ce qu'elles voulurent". Elle cite aussi les hosties consommées après être restées quelques jours dans le fumier.

Madeleine a été admise comme novice dans ce couvent juste avant ses 16 ans (en 1619). Elle est tenue en habit séculier dans la clôture six ou sept mois. mais elle n'accepte guère d'être nue parmi ses compagnes. "Elle déplut et fut grondée pour avoir, à la communion, essayé de cacher son sein avec la nappe de l'autel", précise Michelet. Madeleine est plus précise (p. 10). Elle devait communier nue jusqu'à la ceinture, mais refusé. Arrivée à la petite grille, elle essaie de se couvrir de la nappe de la communion, mais Pierre David la fait enlever. Elle veut se couvrir avec ses bras, mais on lui ordonne de joindre ses mains.

La pratique a été corroborée par un certain M. Marcel, bibliophile, cité par la note biographique de 1878, qui, dans l'exemplaire de la l'Histoire de Madgelaine Bavent de Desmarets dont il a fait don à la bibliothèque de Louviers, a ajouté (p. XI) :

Elle ne pouvait même pas se confesser correctement car Pierre David refusait d'entendre comme péché ce dont les soeurs pouvaient avoir envie de s'accuser, et Madeleine n'obtint pas de la maîtresse des novices d'avoir un autre confesseur. Elle se met en marge comme tourière (chargée du parloir).

David allait mourir en 1628, en odeur de sainteté, le lundi de la Semaine sainte qui suivit au retour d'un voyage à Paris. Madeleine ne confesse qu'un péché avec lui : "quelques attouchements lubriques réciproques, une fois principalement"(p. 11)

Madeleine dément avoir soigné "un ulcère vilain entre son siège et ses parties honteuses" dans les derniers jours, comme ses soeurs allaient le rapporter, mais reconnaît que le P. David en partant à Paris lui avait laissé une boite fermée à clé, qu'il lui défendit d'ouvrir mais qu'elle ouvrit néanmoins et dans lequel se trouvait un papier.

A son décès le lundi Saint, ayant désigné Mathurin Picard comme son successeur, il lui donna ce papier et pria Madeleine de se retirer dans sa chambre pour que les deux compères puissent parler d'elle librement. Ce papier cosigné des deux prêtres comportait "des blasphèmes et imprécations horribles" qui allaient être lues lors des cérémonies. Des charmes ont été mis aux quatre coins du papier dont Madeleine ne sait ce qu'il est devenu.

Elle va rester 9 mois au tour, mais à Pâques quand elle se confesse Picard dit que ce qu'elle avoue n'est pas un péché, et commence à lui déclarer sa flamme et à la caresser lubriquement. Les confessions suivantes il met sa main sur son sexe à travers les vêtements. Elle proclame ne l'avoir pas aimé, mais reconnait "je ne puis dire ce qui m'attachait à lui, ni par quel malheureux pouvoir il me retenait" sous-entendant qu'elle était sous le coup d'un sortilège. Elle avoue d'autres caresses intimes même sur l'autel. Picard continua même quand elle tomba malade et était "plus morte que vive" (il allait aussi profiter de sa faiblesse à ce moment là en lui faisant signer sans le lire un pacte qu'il présentait comme un testament) mais proclame qu'il n'y eut pas de coït. Il la força aussi à prendre l'hostie consacrée dans sa main, la briser en en laissant tomber des morceaux, boire le sang du Christ dans le calice.

Un jour dans le jardin, il profite des menstrues de Madeleine, glisse une hostie dessous pour la mêler à ce sang tombé en terre, l'enveloppe,prend le doigt de Madeleine "pour lui aider à mettre le tout dans un trou proche d'un rosier". "Les filles qu'on exorcise ont dit que c'était un charme pour attirer toutes les religieuses dans la lubricité." "Je n'en saurais que dire parce qu'il ne m'en a jamais parlé, dit-elle, ni si l'hostie était consacrée parce qu'il ne m'en a rien appris". Elle reconnaît qu'elle allait être ensuite attirée par ce lieu et y vivre des tentations sales.   Ensuite il se livre encore à des rituels assez bizarres (dont un où il fait lier le sort de son âme à celui de Madeleine, les deux seront sauvées ensemble ou perdues ensemble), et Magdeleine commence à voir le démon qui se présente à elle sous la forme d'un chat de la maison qui lui met les pattes avant sur les épaules et approche son museau de sa bouche pendant une heure essayant de lui retirer l'hostie ("tu verras ce qui t'arrivera" avait dit Picard lors de la communion). Puis il la fait traverser les murs à 11 h du soir pour se retrouver hors du couvent et la fait participer à un sabbat, ce qu'elle fera ensuite plusieurs fois.

Ils auront des enfants ensemble (P.13) dont ne se sait ce qu'ils deviendront. Il la partage dans des sabbats. Je passe les descriptions sur le commerce de Magdeleine avec le diable.

A noter que dans la Revue des Deux Mondes de 1880, Charles Richet ("Les démoniaques d'aujourd'hui et d'autrefois" p. 368) allait prendre le contrepied de Michelet sur Bavent (texte repris 4 ans plus tard dans L'Homme et l'Intelligence, p. 380, où il taxe le travail de Michelet de "légèreté déplorable". Mais son analyse de l'hystérie de la possédée est aussi idiote que les remarques du libertin Cyrano de Bergerac dans le tome 2 de ses Oeuvres sur la "fille d'Evreux" (il la croit d'Evreux parce que Jean Le Breton en 1643 publia à Evreux un mémoire intitulé "Défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers").

Après la mort de Picard, une "soeur Anne de la Nativité, sanguine et hystérique, au besoin furieuse et demi-folle, jusqu'à croire ses propres mensonges" est introduite dans le couvent. "Un duel fut organisé comme entre dogues" (p. 571)

Les exorcismes ont commencé le 1er mars 1643. Les démons dirent que le principal charme venait du corps de Picard. Le 14 juin 1643 le démon révéla un charme dans la chambre de Soeur Marie du St Sacrement qui était possédée. Bosroger nomme les autres charmes retrouvés, les endroits et les démons qui les dénoncèrent (p. 103). Le démon prit même la forme d'un humain à Soeur Marie du St Sacrement pendant les investigations de l’évêque et lui fit signer un pacte pour qu'elle ne parle pas.

On inspecta Madeleine. Le chirurgien de la reine, Yvelin, chargé de l'enquête dénombrera sur 52 religieuses 6 possédées, 17 charmées. Elles prophétisent, parlent le grec font des sauts prodigieux devant les habitants (mai spas devant les juges) tandis que Madeleine va croupir dans une cave de la Conciergerie et y devenir folle. Elle allait plusieurs fois essayer de s'y suicider.  Elle mourut en 1653 à l'Hôpital général de Rouen, asile des aliénés.

La condamnation de Bullé au bûcher et la crémation du cadavre de Picard bien conservé aura contribué à l'efficacité des exorcismes. Simonne Gaugain dite la Petite Mère Françoise de la Croix, originaire de l'Orléanais, protégée de David puis de Picard (ils l'avaient nommée mère supérieure alors qu'elle n'était que novice) qui s'était exilée à Paris avec cinq novices en 1643 (ou en 1624 ?) se refit une réputation dans la capitale (elle y fondera l'hôpital de la Place Royale), entra à la cour d'Anne d'Autriche et fit casser par le Conseil d'Etat l'arrêt du parlement de Rouen pour ce qui la concernait en 1647. C'est parce que le Parlement de Normandie voulait la garder comme témoin contre la Mère Françoise que Madeleine Bavent n'avait pas été exécutée.

A titre de curiosité on peut lire le regard laïque du Dr Albert Richard sur la possession de Madeleine Bavent dans "Le Mensonge chez la Femme hystérique" 1902 p. 34). On attribue à Jean Nicolle (1614-1650) peintre de Louviers un tableau intitulé "Un exorcisme" qui pourrait représenter Madeleine Bavent.

Mais peut-être la pièce la plus intéressante du débat sur les possédées de Louviers est-elle "L'innocence opprimée", opuscule écrit par le successeur de Picard à la paroisse de Mesnil-Jourdain pour défendre ce dernier après sa mort (en tout cas pour rétablir la vérité) et qui a longtemps circulé sous le manteau (voir ici). L'opuscule charge Bosroger en laissant entendre qu'il s'immerge trop dans les tourments de l'exorcisme alors que ses collègues le prient de prendre du recul, David qu'il accuse clairement d'être adamite, et Simonne Gaugain qui a l'air d'être une vraie mystique puisqu'elle peu, selon l'opuscule, léviter à près de deux pieds (plus de 0,5 mètres) au dessus du sol...  Le témoignage du père Dufour, jésuite (les Jésuites allaient défendre Picard au procès devant le Parlement contre les capucins), qui y prêcha 15 fois le carême qui y est cité est intéressant : « Si, dit-il, Picard a été méchant, c’est depuis quatorze ans que j’ai prêché le caresme à Louviers, [p. 151] car en ce temps-là, je le trouvais si homme de bien que je l’avais choisi pour mon confesseur, et j’étais le sien ; et dès lors il est constant qu’il y avait du mal et du désordre dans la maison de ces filles ; car, comme un jour il m’était venu voir, avec un visage assez triste, et que je lui demandais d’où lui venait cette humeur et ce chagrin extraordinaire, il me dit en ces termes : « Je vous avoue, mon Père, que j’ai grand sujet de déplaisir et je ne viens ici que pour tâcher de me consoler avec vous, ou bien vous supplier de vouloir vous condouloir avec moi, car il y a assez longtemps que j’ai le cœur serré, il faut qu’aujourd’hui, je vous le décharge entièrement. C’est, mon père, que je suis tellement occupé à oter à ces filles les damnables maximes des Adamites, qu’elles disent avoir apprises de David, leur autre directeur que je désespère de venir à bout, de moi seul, à moins que monseigneur l’évêque ne s’en veuille mêler lui-même, avec plus de soin, et y apporter toute son autorité. Je sais que vous avez auprès de luy un accès et une connaissance toute particulière, c’est pourquoi, je m’adresse plus librement à vous dans l’espérance que vous lui ferez entendre confidemment le sujet de mes plaintes et de mes peines et la résolution même, où je suis, s’il n’y donne promptement ordre, de tout abandonner ; et puis après je ne réponds plus du désordre et « du scandale qui en peut naître, ne m’étant plus possible d’empêcher comme je l’ai fait jusqu’ici que la chose n’éclate et ne fasse du bruit. » Sur quoi, dit le Père Dufour, après l’avoir un peu remis, je lui promis de voir M. l’Evêque au plus tôt, que je fis, et peu de jours après, étant venu visiter ce monastère pour y extirper les abus, qu’il y trouva tels qu’on les avait rapportés, il se saisit de plus de soixante petits livres qui traitaient de la vue de Dieu et que ces filles lui [p. 152] dirent avoir reçu de la main de David leur autre directeur, lesquels il brula sur le champ. »

Hélas on ne saura pas ce que contenaient ces livres. Et hélas, l'historien qui présente l'opuscule dans le  Bulletin de la société de l’histoire de Normandie 1900-1904 Henri Barbe ne prend pas au sérieux le témoignage de la dernière religieuse du couvent morte en 1834 (celle que citait Marcel plus haut) sur la perpétuation de la tradition adamite dans le couvent.

Par delà l'éthologie de la possession de Madeleine Bavent et de ses consoeurs, il serait intéressant de sonder un peu plus en détail l'adamisme qui gouvernait le couvent à l'époque du P. David. Etait-il "plus bénin" que les possessions ultérieures ? A-t-il été "noirci" à l'excès par la confession de Madeleine Bavent, et les témoignages des autres religieuses, qui y avaient intérêt pour laver leurs fautes ? La rigueur morale imputée au P. David, ses lectures "pré-quiétistes" pourraient-elles signifier qu'il se déployait là une forme de nudité religieuse relativement pure que des complications sataniques ultérieures auraient ensuite salie ? Quid par exemple de cette obligation de jeûne de dix jours avant de pratiquer la communion dans la nudité ? Et comment cela a-t-il pu se perpétuer au couvent Saint-Louis jusqu'en 1845 (!) malgré tout le scandale provoqué par la condamnation au bûcher de Bullé par le Parlement de Normandie en 1647 ?

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Les églises parallèles et l'amour de Jésus

19 Septembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums

Une dame s'est assise derrière moi alors que j'attendais dans ma chapelle préférée (d'une église parallèle). Nous avons un peu causé. Elle m'a dit que le prêtre du lieu avait été jadis dirigé une chapelle ailleurs dans la ville. Mais elle avait été brûlée par des gens malveillants qui lui en voulaient. Une bonne partie du local avait été consumée mais les bouteilles d'eau bénite étaient restées intactes.

Elle m'a parlé de sa nièce aussi, renversée par une voiture en 1998 dans le coma. "Elle sera un légume si elle se réveille" avaient pronostiqué les médecins. "Elle va te donner un signe aujourd'hui même" avait au contraire prophétisé le prêtre. Effectivement l'après-midi même elle bougeait une jambe et quelques jours plus tard s'éveillait. Elle dit aussi devoir à la Sainte Vierge (avec l'aide du prêtre) une réconciliation avec sa fille unique qui habite près de Lourdes l'an dernier, pour ses 60 ans, après trois semaines de fête avec deux personnes qui ont aussi connu sa fille après. Catholique un peu tradi, elle croit que le prêtre "dépend de Pie XII" (sic) parce qu'il fait une communion sous les deux espèces. Mais je doute qu'elle soit au fond si "tradi" que cela car elle s'est séparée de son mari qui habite dans le Gers. Elle a dû garder simplement quelques réflexes un peu conservateurs car elle dit que du temps où elle vivait à Boulogne-Billancourt, elle avait eu des tensions avec un curé qui tenait à la faire communier à la main.

En tout cas n'est pas "tradi" son souci de "laisser l'ego de côté" (c'est du vocabulaire New Age). Elle m'a aussi cité deux histoires qu'on retrouve sur des sites de médiums sur Internet : le poème de Margaret Fishback Powers et celui de Stickland Gillilan.

Son amour très souriant pour Jésus et la Sainte Vierge, son besoin de témoigner de sa foi avaient quelque chose d'étrange. "Il faut de la confiance, ayez confiance" disait-elle avant que j'eusse ouvert la bouche. A la fin, elle m'a remercié pour ce témoignage et "pour (mon) sourire" (sic).

On peut songer parfois que les églises parallèles détournent de l'amour de Jésus ou de Marie en orientant des gens vers leur "gourou". Cette dame était la preuve vivante du contraire.

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