Louis XIV, Raguet et l'Atlantide
Je veux ici reprendre les remarques récentes (2022) de Didier Coilhac sur Versailles et l'Atlantide en y ajoutant une mention des travaux de l'abbé Raguet sur la Nouvelle Atlantide de Bacon qui complètent ce que j'ai déjà écrit sur la Nouvelle Atlantide dans mon livre "Le Complotisme protestant". La juxtaposition de la vidéo de Coilhace et du livre de Raguet permet de comprendre l'importance du thème de l'Atlantide à l'époque de Louis XIV, même s'il est impossible pour l'heure d'en tirer des conclusions pour une compréhension plus profonde de cette époque.
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Le point de départ des interrogations de Coilhac est le suivant : les statues des jardins du château de Versailles sont des allégories qui pour certaines représentent des caractères, pour d'autres des continents, pour d'autres des éléments (terre, air, feu, eau), pour d'autres des saisons, pour d'autres enfin des arts. Si on examine leur répartition (figure ci-dessous), il n'y a apparemment aucune cohérence, ce qui est contradictoire avec les idéaux de l'époque classique.
Même du point de vue de la répartition par sexe (homme/femme), il n'y a pas de cohérence.
Toutefois, si, comme Coilhac en avait déjà fait le pari à propos de Chambord, si les ruptures de symétrie ne sont là que pour attirer notre attention et coder un secret, on peut rapidement arriver à des observations très constructives. Prenons la statue qui représente l'Amérique : personnage féminin qui porte des plumes sur la tête, et un arc, avec un alligator à ses pieds et qui regarde vers l'Ouest.
Si on invertit la statue de l'Amérique avec celle du Mélancolique, on obtient ceci.
Cela aboutit à restaurer au moins une symétrie : celle des statues masculines et féminines par rapport à la ligne centrale rouge ci-dessous.
Ce qui nous y incite aussi, c'est la présente de la tête masculine à ses pieds, qui indique qu'elle a coupé le masculin et que donc il y avait là une erreur à corriger.
Et cette permutation des statues permet de rétablir aussi, de rétablir, par rapport à cette ligne rouge, de rétablir la symétrie des tempéraments humains (minute 14 de la vidéo).
Quel est le message dans cette inversion ? Le Mélancolique représente l'Initié. Il lit un livre (il a le savoir). Mais il le taira : il a un bandeau sélectif sur la bouche (cf à gauche). Sous son pied droit il y a un bloc de pierre, pour indiquer qu'il est le bâtisseur. Il tient une bourse à la main droite, qui renvoie à celle que tient aussi un peu plus bas le dieu Mercure, dieu du commerce et de l'hermétisme.
En 1627, Francis Bacon (1561-1626) a publié la Nouvelle Atlantide. L'Amérique à Versailles, comme chez Bacon, représente d'Atlantide. Elle porte un drap symbole d'une destruction à venir comme dans beaucoup d'autres statues (le drap est un linceul). Dans la Galerie des glaces, un tableau de Lebrun représente Louis XIV tenant son code (qui veut dire aussi "encodage") entouré de deux Atlantes, vêtus d'un drap comme s'ils sortaient de leur tombeau et ressuscitaient.
Louis XIV est aussi représenté en roi atlante selon Coilhac dans "Le Rétablissement de la navigation" tableau de 1663 (il a alors 25 ans). Il porte le trident de Neptune, que l'on retrouve dans la statue de Neptune et Amphitrite. C'est lui qui détruira l'Atlantide. Dans la salle des Gardes la civilisation antédiluvienne de l'Atlantide est aussi représentée.
Dans le jardin, on voit Platon, le philosophe qui parla de l'Atlantide. Platon se tient la barbe ("barber" en vieux français veut dire tromper). Il est tourné vers deux vases dont un représente le char de Neptune, dieu de l'Atlantide, et un vase au trident. Un peu plus loin au carrefour des philosophes, se trouvent des statues qui ne sont pas des philosophes. Coilhac a étudié leur configuration d'origine au moment de la création des jardins. Pourquoi Ulysse est-il au carrefour des philosophes. Ulysse au Nord-Est fait face à Circé, la magicienne, au sud-ouest. Si on inverse Ulysse et Platon, Ulysse se retrouve à côté de Circé. Et Platon serait au carrefour des philosophes.
L'inversion est délibérée.
Si l'on distribue sur les petits bosquets l'alphabet, Sur l'axe Ulysse-Circé on a les lettres AEILN qui donnent "alien" (en vieux français étranger). Et si l'on inverse Platon et Ulysse, sur l'axe Platon-Ulysse on trouve ADELINST, lettres utiles pour former Atlantides au pluriel. Coilhac reconnaît que ce point est critiquable, et annonce qu'il y reviendra plus loin.
Tous les personnages du carrefour des philosophes ont connu l'exil, point censé attirer l'attention sur l'exil de Platon qui n'est pas dans le carrefour. Et le mot "exil" est écrit sur la ligne.
Ulysse parle aussi de l'Atlantide (minute 45) car Ogygie, l'île de Calypso, peut faire penser à ce continent. L'hypothèse de 'inversion des statues pourrait être contrée par la position de Diogène, situé en symétrie avec Platon, qui n'est pas non plus au carrefour des philosophes. Mais en réalité Diogène est inclus au codage. Il est exclu du carrefour en raison de son côté solitaire. Si on met Ulysse à la place de Platon c'est lui qui est en symétrie avec Diogène, ce qui est cohérent puisque celui-ci avait pris le héros d'Homère comme modèle. Avec l'inversion, Platon arrive à côté de Lysias, ce qui est logique parce que dans le Phèdre Socrate commente un discours de cet orateur.
Dans le groupe statuaire "La Renommée du Roi", le personnage ailé regarde la statue de Platon pour écrire quelque chose. Le personnage qui représente l'envie terrassée mordant un coeur peut faire penser à un Socrate condamné à boire la cigüe. Platon porte une flamme sur la tête. Si on inverse Platon avec La Renommée du roi, il ferait face à Neptune, le feu face à l'eau. La Renommée du roi est tournée vers Cronos, le dieu de l'Age d'Or. Pour mémoire pour Ignatius Donelly les dieux furent des personnages réels, et l'océan Atlantique était l'océan chronien,
Le château de Versailles compte 34 fenêtres sur chaque aile et 17 sur la façade. 17 revient souvent (comme 1717 la fondation de la maçonnerie en France ?). Il y a 102 statues (6X17). Il y a 6 statues au 1er étage. Et quand on distribue les lettres comme à l'a fait plus haut, c'est la lettre Q,la 17e qui se trouve en saillie. La galerie des glaces a 17 fenêtres, 17 arches sur le mur en face avec des miroirs. 17 est le nombre entre 16 et 18, présents dans le nombre d'or phi 1,618. Atlantide en guematrie fait 105, 17/105 donne 0,1619 très proche du nombre d'or. Dans la lettre 34 (2X17) Diogène se réfère à Ulysse.
La Galerie des glaces compte 27 tableaux, autant que des lettres distribuées dans le jardin. Nicolas Milovanovic a remarqué deux tableaux en symétrie que Coilhac va exploiter pour aussi mettre en valeur l'importance de 28 dans la composition, qui est le double de 14 (de Louis XIV).
Coilhac estime avoir ainsi révélé l'importance de l'Atlantide pour comprendre la logique de la composition de Versailles. Mais on ignore pourquoi il en est ainsi. Lui estime que plus on avancera dans le décodage de Versailles et de Chambord et plus cela risque de mener vers la découverte de caches secrètes de savoirs technologiques laissées par des civilisations antédiluviennes (ou des visiteurs d'autres planètes), mais c'est une réduction technocratique du problème à laquelle personnellement je ne souscris pas. Toutefois l'existence du code et son rapport avec l'Atlantide est ici montrée d'une façon intéressante.
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Je voudrais maintenant compléter cette approche purement architecturale de Didier Coilhac en présentant le contenu de la réédition de la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, éditions de 1702 approuvée par Louis XIV et dédiée au marquis de Magny, conseiller du roi et intendant de Basse-Normandie...
Cette édition est en fait présentée et établie par l'abbé Gilles Bernard Raguet (1668-1748). Raguet est un sulpicien belge, diplômé de la faculté de théologie de Toulouse qui allait treize ans plus tard enseigner la géométrie au futur Louis XV. Son protecteur le marquis de Magny (1643-1721), juriste, avait une riche bibliothèque dont les principaux exemplaires ont depuis lors été transférés en Angleterre et fut assez érudit pour découvrir en 1704 des ruines antiques à Vieux près de Caen (même si la fiche Wikipedia oublie de le mentionner).
Ceux qui ont lu mon livre sur le complotisme protestant savent que Saint-Sulpice recèle des savoirs secrets. Il n'est pas besoin d'adhérer aux fantaisies de Dan Brown pour le constater. Et c'est un ordre très tourné vers l'Amérique. Rappelez vous par exemple qu'en 1781, le père John Carroll, un Américain issu d’une riche famille du Maryland, qui a enseigné à Bourges en France (une ville chargée d’occultisme) fonda le Séminaire des Sulpiciens à Baltimore et, en 1789, année de l'entrée en vigueur de la Constitution américaine, créa l'Université de Georgetown, une institution jésuite gérée par l'Ordre des Sulpiciens (selon la prédicatrice Barbara Aho). Son frère Daniel Carroll (1730-1796), lui aussi élevé chez les Jésuites et par ailleurs franc-maçon, profita du droit ouvert aux catholiques en 1776 de devenir représentant du Maryland, et fut signataire des articles de la Confédération en 1781. Barbara Aho précise qu’il participa au rituel catholique de pose de la pierre de touche du Capitole à Washington en tant que représentant de la loge de son Etat. Tout cela dessine un lien entre jésuites, sulpiciens et futurs francs-maçons, et aussi avec la Rosecroix, car Francis Bacon est souvent présenté comme le père de ce mouvement.
En guise de préface à cette édition, l'abbé Raguet propose un entretien entre deux amis, Philarque et Cléon, qu'il situe à Louvain, en Belgique. Le premier, anglais ("trinobante") catholique a été envoyé en France (Eleuthérie). Il est retourné en Angleterre lors du sacre de Jacques II (Josias), puis a travaillé pour Louis XIV. Cléon est le double de l'auteur (l'abbé Raguet), car il est né à Namur (Aduatica) comme lui. Il raconte que lui a voulu voyager dans sa jeunesse, mais a hésité entre l'Allemagne (Adelphie) et la France. Le raffinement de ce second pays lui fit préférer de s'y rendre. N'ayant plus son protecteur philosophe à Paris, il voyagea entre les Pyrénées (monts Cétubales) et les Alpes. Il fut finalement dissuadé de se rendre à Rome et rester en France pour traduire Bacon.
Raguet clôt ce dialogue introductif en expliquant que le livre de Bacon est de la pure fiction. On peut ensuite lire le roman de Bacon, ou sa présentation dans cet article de 2006. A partir de la p. 234, l'auteur reprend le dialogue entre Philarque et Cléon à propos du modèle de connaissance que présente Bensalem dans La Nouvelle Atlantide. On peut supposer que le fait que les noms des personnages et des pays soit codé, et la référence insistante à Mercure dans leur propos fasse signe vers quelque sens caché, mais nous n'avons pas été en mesure de le percer.
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