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Dépayser le regard

5 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate

Cette semaine, avant de m'endormir, je regardais, sur une chaîne de télévision thématique, documentaire sur Botticelli, un de ces documentaires américains à la Discovery Channel doublés en français. C'était idiot et brutal, comme tout ce que l'on propose au grand public maintenant. Les soi-disant universitaires interrogés se répandaient en inepties racoleuses et stériles du genre "Botticelli était un influenceur", "il était malin", "il savait ce qu'il voulait" etc.

Vous savez que dans mon dernier ouvrage sur Lacordaire je suis loin d'avoir adhéré inconditionnellement au point de vue de cet auteur. Et cependant je dois dire que je suis heureux d'avoir pu approfondir le regard que lui et sa génération (celle de Stendhal, de Montalembert) ont porté sur la Renaissance italienne, un regard qui n'est pas plus exact que celui des autres époques mais qui au moins m'aide à échapper à la barbarie de celui de notre siècle.

De même en ce moment je lis en traduction automatique, grâce au site Google Translate, la Chronique d'Henri de Livonie écrite à la fin des années 1220 sur la christianisation des Pays Baltes. Je crois que je n'aurais jamais eu la patience d'en éplucher les chapitres, de me plonger dans cette ambiance étrange qui n'est pas sans évoquer celle du Far-West au XIXe siècle, des moines et chevaliers germains face aux peuples païens (toujours fourbes et renégats) sans avoir lu auparavant les pages enthousiastes de Lacordaire sur les missionnaires dominicains au Pérou et en Chine. Le clergé n'a pas eu entièrement raison dans sa lecture du passé, ses opposants non plus. Mais il faut lire son point de vue (ce qu'on ne fait plus guère), comme il faut lire les autres, et une des portes d'accès commodes, peut-être plus proches de nous que celle des écrivains du Grand Siècle par exemple, à l'heure où l'on construisait les premières lignes de chemin de fer entre Paris et Saint-Germain-en-Laye et entre Avignon et Marseille, se trouvent bien chez ces auteurs des années 1840. Un peu revenus de la candeur médiévale autant que des critiques cyniques de l'époque des Lumières, tentant de préserver une certain objectivité sans pour autant brider le sentiment et l'imagination, ils sont pour moi une clé excellente de dépaysement du regard. Remarquez d'ailleurs que tous les écrivains d'après 1880, en assimilant Victor Hugo et Lamartine, ne faisaient rien d'autre que de toujours tremper leur sensibilité dans les lacs de cette génération-là, ce qui confirme bien son importance pour la construction de notre propre approche, de ce qu'on ose encore appeler "notre culture".

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