Compagnons du Tour de France
Au printemps dernier j'avais lu à la médiathèque municipale de Pau le livre Raoul Vergez - Béarnais écrit par la fille du célèbre charpentier médiatique compagnon du devoir. Je croyais y trouver des prolongements du livre "Les Géants et les mystères des origines", qui évoque un peu Raoul Vergez mais j'ai été déçu. Soit l'autrice n'a pas reçu les enseignements de son père, soit ceux-ci étaient pauvres.
Rien ne m'a vraiment marqué du personnage sauf cette remarque sur ses obsessions numérologiques :
Il est d'ailleurs mort le 7.7.77.
J'ai aussi retenu ce passage bizarre sur un ami "Le Baron" qui allait faire des strip-tease à chaque fête des compagnons pour la Saint-Joseph. Il montrait son tatouage de la faucille et du marteau au pied droit, la croix de Lorraine sur le gauche, la danseuses espagnole avec son peigne et ses castagnettes à l'épaule gauche, Cortez découvrant le Pacifique en bas du dos, les caravelles de Colomb, des mousmées et geishas sur les cuisses. Au moment de montrer son sexe, les enfants quittaient la salle (p. 133).
Je me dis aujourd'hui que si je travaille à nouveau sur le socialiste Pierre Leroux, comme je voudrais le faire, il faudrait que j'explore un peu plus le compagnonnage, qui a joué un certain rôle dans ma propre découverte du monde invisible en 2014 comme je l'ai raconté dans mon livre sur les médiums. D'ailleurs Vergez dans une de ses interviews dit qu'à son arrivée à Paris dans les années 1920 il avait été marqué par la culture charbonnière (celle des carbonari) qui imprégnait le prolétariat parisien, ce qui a aussi influencé Leroux en son temps.
Peut-être devrais-je commencer par me pencher sur le cas du menuisier député de l'assemblée constituante de 1848 Agricol Perdiguier (1805-1875) qui inspira George Sand.
Je trouve un passage étonnant de Perdiguier dans son discours de 1848 contre les 12 heures de travail :
"M. Buffet a dit que les idées que M. Pierre Leroux a émises à propos du décret du 2 mars ne sont pas nouvelles ; non elles ne sont pas nouvelles on les retrouve dans Moïse dans Confucius, dans Socrate et dans Jésus; mais les idées que M. Buffet et plusieurs autres émettent ne sont pas nouvelles non plus on les trouve dans Aristote, dans Xénophon et dans Platon. Il est sans doute beau pour ces messieurs de marcher sous la bannière de si grands philosophes, qui ont brillé dans les académies ; mais il ne l'est pas moins de se placer sous celle de Moïse, de Confucius, de Socrate, philosophes populaires, et de Jésus, l'homme-dieu. "
Il a publié un Livre du compagnonnage en 1840 qui, écrivit Lucien Buis, juge a tribunal civil d'Arbois en 1910, "propose certaines chansons destinées à remplacer les refrains violents populaires dans les différents devoirs et termine en donnant certains détails techniques sur l’art de la menuiserie. Tel qu’il était, cet ouvrage eut un certain retentissement parmi les ouvriers. Mais s’il eut quelque influence sur les mœurs querelleuses des « dévoirants », il n’eut pas pour effet de resserrer les liens existants. Il tendit plutôt, à l’encontre du but proposé par son auteur, à les faire disparaître."
Dans sa préface à son propre "Compagnon du Tour de France", George Sand écrit :
"On peut de cette façon les justifier en principe sans attaquer pour cela la société générale. Les idées régnantes ayant toujours engendré de nombreuses sectes, et la doctrine officielle ayant toujours tenté d'étouffer les doctrines particulières, il est évident que toute dissidence d'opinions, soit dans la foi, soit dans la politique, a dû se manifester en société secrète, en attendant le grand jour, ou l'anéantissement de l'oubli. De là, je le répète, cette multitude de ténébreux conciles, de conspirations avortées, de sciences occultes, de schismes et de mystères, dont les monuments sont encore enfouis pour la plupart dans un monde souterrain, s'ils n'y sont ensevelis à jamais. Leur découverte serait pourtant bien précieuse, sinon à cause de ces choses en elles-mêmes, du moins à cause du jour qu'en recevraient celles qui ont surnagé. La filiation qui s'établirait entre toutes les sociétés secrètes serait une clef nouvelle pour pénétrer dans les arcanes de l'histoire, et les grands principes de vérité y puiseraient une autorité immense. Mais il est bien difficile, j'en conviens, de rassembler les fils de ce vaste réseau. Nous avons de la peine même à établir la véritable parenté des sociétés secrètes contemporaines, telles que l'IlIuminisme, la Maçonnerie et le Carbonarisme. Il en est d'autres qui règnent aujourd'hui même dans toute leur vigueur sur une portion considérable de la société, et dont la généalogie sera plus incertaine encore. Je veux parler des associations d'ouvriers connues sous le nom générique de Compagnonnage.
Tout le monde sait qu'une grande partie de la classe ouvrière est constituée en diverses sociétés secrètes, non avouées par les lois mais tolérées par la police, et qui prennent le titre de Devoirs. Devoir, en ce sens, est synonyme de Doctrine. La grande, sinon l'unique doctrine de ces associations, est celle du principe même d'association. Peut-être que dans l'origine ce principe, isolé aujourd'hui, était appuyé sur un corps d'axiomes religieux, de dogmes et de symboles inspirés par l'esprit des temps. Les différents rites de ces Devoirs remontent, en effet, selon les uns au moyen âge, selon d'autres à la plus haute antiquité. Le symbole du Temple de Salomon les domine pour la plupart, ainsi qu'on le voit aussi dans la Maçonnerie. Au reste, le besoin de se constituer en corps d'état et de maintenir les privilèges de l'industrie a pu, dans les temps les plus reculés, faire éclore ces associations fraternelles entre les ouvriers. Elles ont pu, par le même motif, se perpétuer à travers les âges, et se transmettre les unes aux autres un certain plan d'organisation. Mais la division des intérêts a amené des scissions, par conséquent des différences de forme. En outre, les institutions de ces sociétés ont subi l'influence des institutions contemporaines. Chez quelques-unes, néanmoins, certains textes de l'ancienne loi se sont conservés jusqu'à nous, et se retrouvent dans les nouveaux réglements. Ainsi le Devoir de Salomon prescrit, de par Salomon, à ses adeptes d'aller à la messe le dimanche. Plusieurs antiques Devoirs se sont perdus, au dire des Compagnons celui des tailleurs, par exemple. D'autres se sont formés depuis la Révolution française. Différents corps d'état, qui jusque-là ne s'étaient point constitués en société, ont adopté les titres, les coutumes et les signes des Devoirs anciens. Ceux-ci les ont repoussés et ne tes acceptent pas tous encore, s'attribuant un droit exclusif à porter les glorieux insignes et les titres sacrés de leurs prédécesseurs. Le Compagnonnage confère à l'initié une noblesse dont il est aussitôt fier et jaloux jusqu'à l'excès. De là des guerres acharnées entre les Devoirs toute une épopée de combats et de conquêtes, une sorte d'Eglise militante, un fanatisme plein de drames héroïques et de barbare poésie, des chants de guerre et d'amour, des souvenirs de gloire et des amitiés chevaleresques. Chaque Devoir a son Iliade et son Martyrologe. M. Lautier a publié à Avignon, en 1838, un poême épique très-bien conduit sur les persécutions au sein desquelles le Devoir des cordonniers s'est maintenu triomphant. Il y a de fort beaux vers dans ce poëme; ce qui n'empêche pas te barde prolétaire de faire des bottes excellentes, et de chausser ses lecteurs à leur grande satisfaction.
Il y aurait toute une littérature nouvelle à créer avec. les véritables mœurs populaires, si peu connues des autres classes"...
C'est en effet un monde à explorer...
Commenter cet article