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Marguerite de Navarre à la Sainte Baume

1 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire des idées

Les éléments que je vais exposer ici sont principalement empruntés à l'excellent livre de Patricia Eichel-Lojkine, professeure de littérature française du XVIe siècle à l'université du Mans, "Marguerite de Navarre, Perle de la Renaissance" publié aux éditions Perrin en 2021.

Après la campagne de son frère François Ier dans la région de Milan (et la victoire de Marignan) en 1515, et la rencontre du roi avec le pape Léon X en décembre, Marguerite d'Angoulême (23 ans, duchesse d'Alençon et pas encore reine de Navarre) est censée le retrouver dans les Etats de Provence (qui ne sont français que depuis 35 ans), en janvier 1516. Là s'est développé depuis 300 ans un pèlerinage très important sur le lieu présumé de l'exil de Sainte Marie-Madeleine, la grotte de Sainte-Baume. Anne de Bretagne et Louis XII notamment l'avaient visité en 1503. La mère de Marguerite d'Angoulême, Louise de Savoie, voue une dévotion particulière à la sainte pénitente.

François Ier alla s'incliner devant les reliques de la sainte à Saint-Maximin le 20 janvier 1516. Dans son livre consacré à Marie-Madeleine, le théologien Maximin-Martial Sicard (1842-1918) précise que les femmes "fussent-elles princesses ou reines" n'avaient pas le droit d'entrer dans la crypte. La reine Claude, la reine-mère Louise de Savoie, Marguerite d'Angoulême et les femmes de l'aristocratie qui les accompagnaient se recueillirent donc à l'extérieur.

Le lendemain, le 21, ils montèrent ensemble à la grotte où l'église était délabrée (la famille royale allait faire un don pour la réparer ainsi que l'hospice des étrangers). Sicard précise (ce que Mme Lojkine hélas ne reprend pas) que François Ier "plaça un portique à l'entrée de la grotte. Il était orné d'un frontispice d'ordre corinthien, mêlé de gothique, avec entablement surmonté d'un fronton brisé au milieu, un bas-relief représentait sainte Marie-Madeleine portée par tes anges au Saint-Pilon. Le fronton était encadré par deux statues de trois pieds, l'une de saint François d'Assise, patron du roi, l'autre de saint Louis, roi de France, patron de Louise de Savoie, sa mère. Le fils et la mère se firent, en outre, représenter eux-mêmes à genoux entre ces deux statues et le bas-relief. L'ouverture de ce monument fut ménagée de telle sorte que tes rayons du soleil n'entraient, dit-on, dans la grotte que le 22 juin" (à moins que ce ne soit le 22 juillet fête de Marie-Madeleine, mais je ne crois pas que Sicard ait pu se tromper de mois).  François Ier allait y revenir en 1533 et cinq ans plus tard mettre la forêt à l'entour sous sa protection.

C'est lors de ce pèlerinage que Marguerite allait croiser pour la première fois Henri II d'Albret, 12 ans, qu'elle allait plus tard épouser en tombant fort amoureuse de lui.

Avant la dévotion à Ste Marie Magdeleine, la princesse et les reines parties d'Angers le 20 octobre 1515 sont passées par Lyon en décembre, Valence, Montbéliard, Pont-Saint-Esprit, Orange, Avignon. D'Avignon elles ont pris le bateau jusqu'à Tarascon où elles ont fait leurs dévotions au sanctuaire de Sainte-Marthe, la soeur de Marie-Madeleine. Puis elles ont poursuivi vers Salon, Aix et Saint-Maximin où elles sont arrivées le 31 décembre 1515.

Patricia Eichel-Lojkine ne dit rien de l'ascension de la Sainte-Baume le 21 janvier (cependant on peut en trouver une brève description ici), mais précise (p. 58) que le 12 février, la reine-mère Louise de Savoie, sur la Drôme, reçoit une révélation intérieure : de demander à son fils François Ier de réciter le Psaume 26, ce qui dans le langage de l'époque sera formulé ainsi "Madame fut spirituellement admonestée de faire parler son humilité à l'obéissance du roi son fils, et le supplier que pour oraison dévote il prît le psaume 26e, lequel est convenable pour lui". On ne sait quel danger elle avait pu sentir sur la rivière.

En souvenir du pèlerinage à la Sainte-Baume commande est passée à François Demoulins de Rochefort pour deux écrits sur la repentance et la modestie : une glose en français du psaume protecteur et une hagiographie de Marie-Madeleine.

Les pages du commentaire du Psaume 26 seront illustrées par Godefroy le Batave. On y voit Louise de Savoie et François Ier contemplant le crucifix. Les illustrations célèbrent la piété filiale de François envers sa mère et leur dévotion. La reine-mère sera si satisfaite qu'elle attribuera une généreuse pension à l'artiste.

Pour mémoire le Psaume 26 commence ainsi :

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Le traité sur Marie-Madeleine de Demoulins de Rochefort est consultable ici. Il est assez étrange. On y trouve par exemple une condamnation des pleurs qui sont pourtant un attribut important de la pénitente.

"Larmes humaines sont inutiles", écrit l'auteur, et l'enluminure jointe précise "Prier sert, pleurer est folie" autour d'une représentation de Marthe, Magdeleine et Lazare.

Le traité raconte (en s'inspirant d'on ne sait quelle tradition) comment Lazare et ses soeurs "abandonnèrent les sépultures de ceux qui les avaient engendrées" et se partagèrent leur héritage : "Lazare prit ce qui était en Hiérusalem, Marthe ce qui était en Béthanie, et le château de Magdalon fut pour la belle Magdelene". "La pauvre Magdalene était trompée, car elle aimait les fils des hommes et dansait avec eux non advertie que le fils de Dieu qui en beauté surmontait toutes créatures humaines était venu en ce monde pour son salut."

Ce texte est si intéressant que je préfère en réserver l'analyse pour un autre billet, afin de ne pas trop surcharger celui-ci.

Patricia Eichel-Lojkine souligne (p. 59) que le pèlerinage à Saint Maximin et la Sainte-Baume et l'expérience spirituelle du recueillement autour de Marie-Madeleine a "transformé la famille (royale) unie dans l'humilité". Du côté de Marguerite d'Angoulême, cela se traduira par une approche de son frère comme un nouveau roi David placé "sous le tabernacle de divine protection". Et Marguerite va désormais nourrir une véritable fascination pour Marie-Madeleine.

L'enseignante écrit (p. 59) : "La lecture de la vie de la pénitente et la vue des reliques en Provence la marquent durablement puisqu'elle y fera encore une allusion dans un de ses contes ( l'Heptaméron 32e nouvelle)". Je suis pour ma part assez réservé sur cet argument car la seule allusion à Magdeleine se trouve à la fin du conte quand Ennasuitte demande "Dites moi si la Magdeleine n'a pas plus d'honneur entre les hommes maintenant, que sa soeur qui était vierge ?". Mais cette seule mention sur 72 nouvelles est tout de même légère, compte tenu de la popularité de la sainte pénitente dans la chrétienté, cette vingtaine de mots sous la plume d'une écrivaine très croyante ne trahit pas l'existence d'une dévotion particulière. Sauf à considérer l'ensemble du conte comme un récit à clé, et voir par exemple dans les mentions des os de l'amant et du crâne une allusion aux reliques de la sainte (j'ai montré dans le même sens dans mon récit sur Lacordaire que son rapport au crâne de Mme de Sévigné pouvait anticiper sur la thématique du crâne chez l'ascète de la Sainte-Baume), mais il est assez hasardeux de s'aventurer sur ce chemin ne serait-ce que parce que je souscris à l'opinion du préfacier Michel François dans l'édition de 2005 selon laquelle les contes de l'Heptaméron sont des histoires vraies).

Demoulins de son côté va se lancer dans la recherche des "trois Maries" (Marie de Magdala, Marie la pécheresse et Marie de Béthanie soeur de Marthe) et montrer que le nom de Marie-Madeleine ne peut condenser ces trois personnages comme l'a cru à tort le pape Grégoire le Grand. Le savant sexagénaire Jacques Lefèvre d'Etaples dans son traité De Maria Magdalena de 1517 ira dans le même sens. Marguerite et Louise de Savoie soutiendront Lefèvre et Demoulins sera nommé grand aumônier de France en 1519. L'appui à Lefèvre, attaqué par la Sorbonne après la condamnation des thèses de Luther en 1521, n'allait jamais se démentir de la part des Valois..

Patricia Eichel-Lojkine raconte ensuite l'arrivée de la famille royale à Marseille où l'on vénère les reliques de St Louis d'Anjou. Elle y entre sous escorte de 1 500 chevaliers, 2 000 jeunes filles aux cheveux dénoués les accueillent et les accompagnent à la chapelle Notre-Dame de la Garde. L'historienne raconte la bataille de galères à coup d'oranges à la place des obus dans le port et la rencontre entre François Ier et un rhinocéros à corne unique de Goa à l'île d'If que le roi du Portugal veut offrir au pape.

Mais restons en à ces sujets de réflexion autour de l'influence de Marie-Madeleine sur la reine de Navarre. Je crois qu'il y a beaucoup à creuser de ce côté-là et que Patricia Eichel-Lojkine n'a fait qu'ouvrir le chemin. D'ailleurs ne faut-il pas voir encore une synchronicité autour de la famille de Béthanie, dans le fait que c'est un Charles de Sainte-Marthe , théologien poitevin disciple de Lefèvre d'Etaple, qui fut son protégé à Alençon et à Nérac, qui prononcera son éloge funèbre en 1559 ?

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