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Concordances des temps autour de mon mémoire de maîtrise

16 Décembre 2018 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Publications et commentaires

En 2016, un étudiant de l'université de Laval au Canada, M. Benoît Duval, a remis à son directeur de recherche, Mme Marie-Andrée Ricard, un mémoire intitulé " Amor fati : entre stoïcisme et nietzschéisme " mis en ligne en avril 2018 et qui a été téléchargé 57 fois depuis lors

En page 86 de son mémoire M. Duval a recopié ce passage qu'il a trouvé en p. 24 du livre de Christophe Colera sur Nietzsche : "Obsédé par sa douleur, Nietzsche l’était aussi par la volonté de lui prêter une dynamique que n’aurait pas revêtue celle des philosophes qui l’ont précédé, et de montrer que cette douleur est en permanence porteuse d’un dépassement d’elle-même qui fait d’elle un facteur de santé supérieure."

Et il a ajouté ce commentaire : "Des nuances s’imposent par contre ici. Il est vrai que Nietzsche prête à la souffrance une importance non négligeable. Il est vrai également qu’elle offre la possibilité d’une élévation. En contrepartie, jamais il n’ose avancer qu’il y aurait une corrélation directe et nécessaire entre la quantité de souffrance vécue par un individu et son perfectionnement. Ses prétentions sont nettement plus modestes" en citant Le Gai Savoir, I, §3.

Je suis toujours surpris quand des étudiants comme M. Esteban Sierra Montiel de l'université de Toluca au Mexique et M. Rodrigue Ntungu Bamenga, de l'université Saint Pierre Canisius Kimwenza au Congo citent dans leurs travaux mon petit livre "Individualité et subjectivité chez Nietzsche", qui n'a fait l'objet que de deux recensions dans la revue Espace 70 (hiver 2004-2005 p. 48) au Canada et la revue France-Forum de septembre 2004 (n° 15 p. 101-102). Car pourquoi copier des extraits de mon petit livre alors que des sommités universitaires de M. Heidegger à M. Haar en passant par G. Deleuze ont traité avec bien plus de souffle le thème de l'individualité chez Nietzsche ?

L'inertie du monde universitaire, et, en un sens, l' "inactualité" du sujet traité, crééent d'étranges concordances ou discordances des temps autour de ce livre. Quand précisément M. Duval a-t-il remis son essai à Mme Ricard ? Vraisemblablement, si c'était en mai, quand je traînais mes chaussures du randonnée (à tort) du côté de Medjugorje en Bosnie, cherchant à donner un prolongement digne aux expériences que j'avais vécues entre les mains de magnétiseurs - ces expériences que j'évoque dans mon livre "Les médiums" -, et ayant à ce moment-là largement renié mon intérêt de jeunesse pour l'auteur de "La Naissance de la Tragédie".

L'utilité de mes travaux sur Nietzsche, je l'aurais plutôt recherchée... douze ans plus tôt...

Car ce livre a été publié le 1er février 2004 chez L'Harmattan.  J'avais 33 ans. A l'époque j'étais conseiller juridique au ministère des affaires étrangères français. Très occupé par la publication en parallèle d'un ouvrage collectif sur les politiques d'ingérence occidentales dans le Tiers-Monde, et par la préparation de ma thèse en sociologie en plus du labeur quotidien au ministère, j'avais décidé de faire paraître ce livre chez L'Harmattan, juste après celui sur les immigrés serbes, simplement pour me "souvenir un peu" du temps où la philosophie était ma passion.

J'avais donc décidé de reprendre mon mémoire de maîtrise soutenu à Paris IV-Sorbonne... en juin 1992. Encore une autre époque. M. Duval n'était peut-être même pas né. Je terminais alors, en parallèle, ma préparation du concours de l'Ecole nationale d'administration à l'Institut d'Etudes politiques de Paris (IEP), hésitant encore entre une carrière de haut fonctionnaire et celle de philosophe reclus dans ses montagnes béarnaises, moi qui venais d'écrire un roman sur ma région natale - roman qui n'allait paraître lui aussi que très longtemps après, en janvier 2009, et profondément remanié... En réalité c'était déjà un combat d'arrière-garde pour rester "un peu" un philosophe, combat d'ancien lauréat du concours général dans cette discipline, bouffi d'orgueil solitaire, rempli de sottise, alors que toutes sortes de nécessités me poussaient vers une vie d'où l'enseignement serait absent.

A l'époque, j'aurais préféré explorer plus en profondeur l'oeuvre de Hegel, mais je n'en avais pas le temps à cause de mon travail à l'IEP. Nietzsche me paraissait être un auteur plus facile. Il me faisait baigner dans l'antiquité grecque autant que dans l'époque moderne. Je me sentais des affinités avec sa noirceur comme avec ses éclats de lumière, moi qui, né catholique, avais tété avec l'adolescence tout le désespoir ontologique des années 1980 (et cela n'a fait qu'empirer ensuite dans le monde "globalisé" que nous connaissons). Je me sentais bien des affinités avec les paradoxes de cet auteur, sa recherche sur le style, sur la forme, dans une vie ou l'au-delà de la mort me paraissait (à tort) être une chimère.

Dois-je me plaindre de n'avoir pas été cet "homo academicus" que déjà 20 ans je craignais de devenir ? Probablement pas. Je ne me serais pas vu passer toute ma vie dans Nietzsche ou Platon. "Amicus Plato sed magis amica veritas". La vérité aurait-elle fini par me rattraper, comme elle l'a fait en 2013-2014, si j'avais vécu une existence de course à la publication, dans des amphithéâtres poussiéreux, en face d'étudiants que je n'aurais pas su intéresser aux débats métaphysiques ? Question abstraite, hors de propos sans doute. De cette histoire bizarre d'une vocation philosophique avortée, ou du moins de sa dimension universitaire mort-née, il ne reste aujourd'hui que ces mentions de quelques lignes dans des mémoires de successeurs qui ont un quart de siècle de moins que moi, au Canada ou au Congo... La vie est étrange.

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