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Bossuet et la théorie de la grâce

6 Novembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Si vous croisez un protestant aujourd'hui, évangélique ou pas, il vous dira que ce qui est important c'est que le sacrifice de Jésus nous a sauvé de tout péché et que, dès lors, nous n'avons plus à culpabiliser sans cesse ni à tenter de gagner notre salut (qui est déjà gagné) par les prières ou par la charité (les oeuvres). Eviter le péché et nous appliquer dans les oeuvres ne peut que nous aider à fermer des portes aux démons (qu'on ouvre par ailleurs sans cesse parce qu'on ne peut éviter de pécher) mais pas à nous sauver, car le salut vient d'ailleurs, du sacrifice surnaturel du Verbe incarné survenu à Jérusalem sous le règne de l'empereur romain Tibère.

Cette doctrine, dite "doctrine de la grâce" est une heureuse redécouverte, il y a 500 ans, d'un propos archi-martelé par Saint Paul et qu'on trouve aussi ailleurs dans le Nouveau Testament.

Ce que l'on sait moins (et pour ma part je le découvre dans l'agréable livre d'Aimé Richardt "Bossuet, conscience de l'Eglise de France" p. 137 et suiv.), c'est que Jacques-Bénigne Bossuet, brillant prédicateur à la cour du roi très catholique (et très païen par bien des côtés) Louis XIV et grand maître de la langue française comme le savent bien les lettrés, a écrit un ouvrage en 1671 qui donnait raison à la doctrine de la grâce de Luther : l'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique (que Bossuet publia à l'instigation du Maréchal de Turenne, protestant converti au catholicisme).

Il ne l'a pas fait à titre isolé, dans le cadre d'une spéculation personnelle, mais en sa qualité de protégé du roi, après avoir obtenu l'approbation de son texte par plusieurs évêques (à l'époque nommés par le roi). Richardt explique que cette réflexion était parfaitement conforme aux décisions de Concile de Trente. Le livre fut traduit en plusieurs langues et Louis XIV allait même le faire distribuer aux calvinistes après avoir révoqué l'édit de Nantes, car la monarchie française avait à coeur de réintégrer tout le protestantisme dans une église chrétienne unifiée.

Beaucoup de protestants, notamment les ministres de Charenton, accueillirent favorablement le livre et proclamèrent que si le livre ne reflétait pas le seul point de vue de son auteur (or le pape Innocent XI le valida en 1679) ils n'avaient plus de raison de rester en dehors de l'Eglise catholique.

Richardt sousentend qu'ensuite les théologiens protestants Claude, Daillé, Alix, de Langle, de La Bastide et Noguier montèrent au créneau en dénonçant une manoeuvre intéressée de Bossuet et de ses soutiens, uniquement dans un but d'autodéfense corporatiste ou sectaire. Exagère-t-il ? Bossuet allait-il autant que cela dans le sens du protestantisme et est-on passé à deux doigts d'une réunification des Eglises, à ce moment là, en France ? Il faudrait lire l'ouvrage sur Gallica pour vérifier cela point par point. Mais on ne peut pas soupçonner Bossuet, qui était profondément un homme de Dieu - même si Richardt note à juste titre qu'il le fut moins face aux débauches de Louis XIV que le prophète Nathan face à celles du roi David - d'avoir écrit sous l'inspiration d'une pure Realpolitik. Il est étrange en tout cas que la main tendue de la monarchie française ("fille ainée" de la papauté) aux protestants soit allée si loin (car poussée au bout de sa logique elle aurait entraîné un profond changement de l'Eglise française catholique). Il est probable que ni les catholiques ni les protestants de notre époque n'aient pas connaissance de cet épisode et n'aient donc pas l'occasion de méditer à ce sujet. Une piste de réflexion à creuser ?

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