Traces des yazidis à la BNF
Quelques traces des yazidis (yézidis) à la bibliothèque nationale de France.
Dans La Turquie d'Asie, géographie administrative : statistique, descriptive et raisonnée de chaque province de l'Asie Mineure. T2 / par Vital Cuinet Éditeur : E. Leroux (Paris) 1891-1894 p. 772 et suiv :
"Yézides. On donne ce nom à une population spéciale répandue non seulement dans l'ancien Kurdistan, tant en Mésopotamie que dans la Haute-Arménie, c'est-à-dire dans les environs de Mouch et de Van, mais aussi jusque dans l'Yémen, la Perse, la Russie et la Chine occidentale. Cette peuplade a été mise par les anciens historiens au nombre de cinq principales tribus kurdes, tout en tenant compte, dès ce temps-là, des différences profondes qui l'ont toujours séparée des autres races autochtones. Les Yézides ne sont ni chrétiens, ni musulmans, mais en même temps qu'ils se montrent sympathiques aux premiers, ils portent des noms particuliers aux membres de l'islam. Toutefois, ces derniers, aussi bien les Sunnites que les Chyites, les musulmans orthodoxes, comme les hétérodoxes, ont en abomination les Yézides. L'histoire musulmane les accuse d'avoir assassiné les fils d'Ali Hassan et Husséin, dont on vénère les tombeaux à Kerbèla. Une tradition locale assez bizarre assure qu'un Yézide, par un sentiment pieux, déroba l'un des clous qui attachaient Notre-Seigneur Jésus-Christ à la croix, avant sa mort. Les Yézides racontent aussi, touchant leur croyance en Jésus-Christ, que l'Enfant divin parlait dès le jour même de sa naissance, et que pour prouver ainsi sa conception surnaturelle, il ressuscita un homme mort depuis mille ans.
Tous les musulmans, même ceux qui sont animés de la plus grande tolérance envers les non-musulmans en général, se croient permis, et considèrent même comme une bonne action, de persécuter les Yézides. Ceux-ci, de leur côté, ne montrent pas moins de haine pour les musulmans, tandis qu'ils semblent se plaire à témoigner de leur respect pour les croyances chrétiennes et à prier dans les églises. Ils reçoivent volontiers les chrétiens chez eux, sans que leurs filles ou leurs femmes s'enfuient ou se cachent. Quant aux musulmans, ils les évitent, et s'ils sont absolument forcés d'en avoir quelqu'un dans un de leurs villages, ils le traitent de telle sorte qu'il se hâte de partir sans retour.
Parmi les pratiques musulmanes, les Yézides redoutent la circoncision, et c'est pour éviter d'y être soumis par la force qu'ils refusent obstinément tout service militaire. Tous les efforts du gouvernement en vue de leur enrôlement ont toujours échoué. Pour se libérer de cet impôt qui leur est tant à charge, ils ont souvent recours aux chefs des communautés chrétiennes pour les supplier de les inscrire sur la liste de leurs ouailles, en les laissant maîtres de pratiquer en secret leur propre religion. Celle-ci est une sorte de manichéisme : ils semblent, comme l'hérésiarque Manès, reconnaître deux premiers principes, un bon et un mauvais, et c'est ce dernier qu'ils paraissent préférer dans leurs adorations. Ils deviennent furieux dès que l'on parle irrespectueusement du diable. Par respect, ils ne font aucun usage des mots commençant par la lettre chin, qui est la première du mot chéitan, nom du diable en langue turque. Ils évitent avec le plus grand soin de prononcer ce nom, et se servent pour désigner le mauvais esprit, de circonlocutions, telles que: celui que tu sais, - celui que maudissent les fous et les ignorants, - Lui, - celui-là et enfin taouq-i-mélèk, c'est-à-dire le roi ou l'ange-coq. C'est en effet sous la figure d'un coq ordinaire, en bronze doré, qu'ils lui rendent un culte dans un lieu voisin de Mossoul, où résident les serviteurs de cette idole.
Sous le rapport temporel, les Yézides étaient gouvernés en Turquie et le sont encore dans les autres pays par un émir suprême qui réside à Bahadry ou Badri, village situé à 44 kilomètres au nord-est de Mossoul Son pouvoir est absolu; au moyen d'émirs subalternes, il transmet ses ordres à tous ses administrés répandus jusqu'aux extrémités de l'Europe et de l'Asie. Jusqu'en 1875, cet émir était considéré par le gouvernement ottoman comme prince indépendant ayant droit de vie ou de mort. Aujourd'hui ce droit lui est retiré, et ses anciens sujets en Turquie ne ressortissent plus que des tribunaux ottomans. En première instance, les causes des Yézides sont portées devant le mudir de Bahadry.
Le chef suprême de leur religion qu'ils qualifient de grand chéik, et qui remplit les fonctions de souverain Pontife, a sa résidence à Chéik-Adi, non loin de Badri ou Bahadry. Cette dignité est héréditaire dans sa famille ainsi que celles des pir ou prêtre. Ces derniers sont absolument illettrés. Une seule famille qui demeure à Bachika, village situé au pied du Djébel-Makloub, a le privilège exclusif, parmi tous les Yézides de l'Europe et de l'Asie, de savoir lire et écrire, mais on ignore quel est le livre sacré pour la lecture duquel cette prérogative lui a été conférée. Toutefois, M. Layard a appris du grand chéik qu'il existe un texte sacré tracé sur une planche. Toutes les prières despir, soit un enterrement, soit pour d'autres circonstances, sont transmises oralement de père en fils, et ne se font pas à haute voix, mais seulement comme un léger murmure. La prière surtout doit se faire chaque matin on se tourne à cet effet vers l'Orient, en posant les mains sur ses joues.
La caste sacerdotale exerce en certains cas un pouvoir coercitif, qui a pour effet de frapper d'excommunication les familles et les individus ou leurs biens. Les Yézides n'ont rien qui rappelle la notion du mariage. Le grand chéik le premier peut user comme il lui plaît de toutes les femmes, exemple suivi par tous les membres de cette communauté. Ils ont aussi chaque année une nuit qu'ils passent à l'entrée d'une caverne mystérieuse en l'honneur de l'ange ou du roi-coq (Taouq-i-mélèk). Ils y mangent et boivent et, pour clore la cérémonie, entrent enfin dans la caverne où ils se livrent à des orgies sans nom.
Les Yézides ont une sorte de baptême qui consiste à plonger dans l'eau d'un réservoir sacré l'enfant qu'ils ont d'abord déposé et couché à plat sur un coq de métal, figure du taouq-imélèk.
En d'autres circonstances, ils donnent au vin le nom de sang de Jésus-Christ. Un Yézide présente de cette liqueur à un de ces compagnons et lui dit : "Reçois le calice du sang de JésusChrist". Celui à qui cette offre est faite doit, même s'il est d'un rang supérieur, baiser la main de son gracieux amphytrion, puis boire, tandis que toute l'assistance attend les mains croisées sur la poitrine et dans une posture inclinée, qu'il ait fini de boire. Une autre cérémonie rappelle le sacrement de pénitence. Une rixe survient-elle entre Yézides, la réconciliation se fait de la manière suivante : celui qui est reconnu avoir le tort de son côté se lève, se couvre le visage de ses deux mains, va s'incliner respectueusement devant le plus digne des assistants et lui avoue sa faute à haute voix. Celui-ci lui fait une admonestation, prie un instant sur lui, et l'envoie baiser la main de son adversaire et de tous les membres présents de la caste sacerdotale. Si l'inimitié ne s'arrête pas là, le coupable de récidive doit aller trouver le grand chéik dans sa maison et y faire le même cérémonial, en s'engageant de plus à donner pour satisfaction un mouton et un grand vase rempli de vin.
Tous les Yézides boivent du vin et mangent du porc, mais leurs prêtres ne doivent manger ni laitue, ni aubergine. Il leur est interdit de s'habiller de bleu. La couleur rouge est également rejetée par les Yézides. Leur costume est généralement blanc, à peu près aussi uniformément que celui de leurs prêtres et de leurs derviches est noir. Leurs cheveux sont coupés avec des ciseaux jusqu'à la racine, mais jamais ils ne les rasent. Les hommes portent des chemises ouvertes en rond jusqu'à l'ombilic, en souvenir du cercle lumineux qui descendit sur Chéik-Adi après qu'il eût jeûné durant quarante jours; les femmes ne sont vêtues que de chemisettes, de caleçons blancs et de hautes bottes en maroquin jaune.
Quoique les Yézides, comme on l'a dit plus haut, aient été considérés par les historiens du temps passé et la plupart des voyageurs comme l'une des cinq principales tribus kurdes, et que leur langue soit le kurde, on pense aujourd'hui qu'il est difficile, sinon impossible, d'admettre que cette peuplade, qui porte tous les caractères extérieurs d'une race indo-européenne, soit originaire du sol. On les croit immigrés de la Perse à la suite des persécutions d'Ali, dont les victoires y ont établi l'islamisme. L'archarnement qu'ils montrent contre les musulmans et que ceux-ci leur témoignent, le fait d'avoir massacré Hassan et Husséïn par vengeance que les musulmans leur reprochent, sont avancés comme preuves à l'appui de cette opinion, mais cela ne suffirait pas à démontrer qu'ils ne sont pas Kurdes, puisque l'ancien Kurdistan comprenait une notable partie du sud de la Perse. On objecte d'autre part en faveur de l'opinion qui voudrait en faire une race indo-européenne, l'existence au pied de l'Hymalaya des Lepchos, cités dans le numéro 956 de la Revue des Missions catholiques du 30 septembre 1887, pour leurs croyances singulièrement identiques à celles des Yézides. Comme ceux-ci, les Lepchos reconnaissent un bon et un mauvais principe, et ne rendent un culte qu'à ce dernier, auquel seul leurs sacrifices sont offerts pour apaiser sa malveillance, qu'ils croient être l'unique cause de toutes les misères humaines.
Outre cela, les Yézides croient que le diable est une créature de ce mauvais principe, « seul créateur de toutes choses ». On doit, selon eux, honorer cette créature, non seulement parce qu'elle est puissante et redoutable et afin de mériter par le moyen de ce culte d'échapper à son action malfaisante, mais aussi parce que le diable peut, par un caprice de son maître, devenir un jour aussi puissant pour le bien qu'il l'est pour le mal. A ce changement de fortune, ses détracteurs seuls auraient à perdre C'est pour cela que les Yézides ne peuvent souffrir qu'on le maudisse.
A ce sujet, les habitants de Mossoul se plaisent parfois, quand ils rencontrent un Yézide dans les marchés de cette ville, à tracer autour de lui sur le sol un cercle dans lequel le malheureux croit être retenu prisonnier jusqu'à ce qu'une personne charitable soit venue rompre ce cercle fatal. Durant tout le temps de cette pseudo-magique captivité, la plus dure peine pour lui n'est pas la prison mais la nécessité qu'il se figure inéluctable, d'entendre ses joyeux bourreaux accumuler avec malice sur son dieu et mettre toutes les malédictions imaginables. L'initiation d'un Yézide de la caste sacerdotale, c'est-à-dire pour ainsi parler sa « prise d'habit », car on sait déjà que c'est l'habit noir qui distingue les Pir, les Uaval, les Fakir, etc., se fait d'une façon singulière dont les détails méritent d'être rapportés. Le postulant doit passer au service du grand chéik les quelques jours qui précèdent la cérémonie c'est une espèce de noviciat. Le terme de cette courte épreuve expiré, l'adepte dépose tous ses habits, puis deux Yézides noirs le prennent chacun par une oreille et le conduisent devant le supérieur qui lui présente l'habit noir en ces termes « Entre dans le feu et sache bien que dès ce moment tu es disciple de Yézid. Sache aussi qu'en cette qualité tu auras à souffrir pour l'amour de Dieu bien des injures, des opprobres et des persécutions de la part des hommes; car cet habit te rendra méprisable aux yeux de tous, mais très agréable à la Majesté divine .» Après cette petite allocution, le nouveau clerc, pendant que l'assistance murmure des prières, est revêtu pièce à pièce de l'habit noir qui ne diffère en rien des autres par la forme, mais dont les diverses parties portent des noms particuliers le turban devient la mitre; une autre pièce l'huméral, etc. Lorsqu'il est entièrement habillé, le supérieur l'embrasse et lui baise la manche, ce que font aussi à sa suite tous les autres Yézides noirs, mais non les blancs, car cela ne leur est pas permis. Dès lors, l'initié est appelé kotchek, mot auquel on doit donner dans ce cas la signification de clerc ou de disciple, mais qui dans le langage vulgaire en a une bien différente.
L'habit noir, est aux yeux des Yézides une chose sacrée; ils n'en laissent perdre aucune parcelle, et lorsqu'il tombe en loques, ils en recueillent pieusement les morceaux pour en bourrer des coussins, des oreillers, etc. Leur serment solennel se fait par la vertu de l'habit noir, par la tête de ceux qui le portent. Au pèlerinage annuel, qui se fait à Chéik-Adi, le grande chéik, revêtu d'une étole noire, prêche et bénit l'assemblée. L'enterrement d'un Yézide noir se fait non seulement sans larmes ni sans deuil, mais encore avec des démonstrations de joie, des chants et des danses, en témoignage de la conviction où l'on est du sort heureux de l'âme du défunt.
Quoiqu'il ne paraisse guère possible d'instruire des populations auxquelles leurs principes religieux interdisent l'instruction comme une chose mauvaise, des missionnaires capucins étaient parvenus, au XVII° siècle, à convertir deux chefs Yézides et à les baptiser sous les noms de Pierre et Paul, avec treize autres personnes mais la malveillance coupa court à cette œuvre, qui n'eut pas d'autres effets.
Les Yézides s'adonnent pour la plupart à la culture et à la vente de leurs produits agricoles, comme les Syriens. Beaucoup aussi élèvent de grands troupeaux de moutons, comme les Kurdes, dont ils partagent les instincts guerriers et dont ils ont la langue ainsi que l'organisation par agglomérations distinctes et rivales."
A propos des yazidis du Caucase :
Revue hebdomadaire de Paris 1892 p 490 Voyage à Erzeroum de 1829 à 1835 de Pouchkine : "Notre société était très composite. Dans la tente du général Reyewski se trouvaient plusieurs chefs de troupe musulmans, avec lesquels nous conversions au moyen d'un interprète. Parmi nos troupes, on remarquait des hommes appartenant aux peuplades caucasiennes déjà sous notre pouvoir.
J'ai surtout considéré avec curiosité les Yazides, qui, dit-on, forment une secte adorant le diable. Ils se com posent de plus de trois cents familles, habitant au pied de l'Ararat. Ils sont soumis à la domination russe, et leur chef, un homme grand et laid, à manteau rouge et grand bonnet noir, venait de temps en temps saluer le général Reyewski, commandant de toute la cavalerie."
Notons qu'Henry Austen Layard qui découvrit les ruines de Ninive joua un rôle important dans la connaissances des Yézides en Occident avec son "Nineveh and its Remains: with an Account of a Visit to tile Chaldaean Christians of Kurdistan, and the Yezidis, or Devil-worshippers, et Inquiry into the Painters and Arts of the Ancient Assyrians", puis en France Joachim Menant (1820-1899), passionné d’assyriologie, spécialiste de l’écriture cunéiforme qui publia en 1892 "Les Yédidiz; épisodes de l’histoire des adorateurs du diable",
Citons aussi dans la Géographie universelle d'Elisée Reclus (1881), le géographe anarchiste, dans le tome 6 : A propos des yézides de Transcaucasie "Les bergers sont des migrants temporaires , venus du Kurdistan, de la perse et de la Turquie. Parmi ces bergers, on compte plusieurs centaines de Yézides, adorateurs du diable" (p. 271). Et tome 9, p. 350 et suiv :
"Les Têtes Rouges, dont les communautés principales vivent dans le bassin moyen de l'Euphrate, sur les bords du Ghermili et du haut Kizîl irmak, sont comptés par les musulmans au nombre des sectes chrétiennes, parce qu'ils boivent du vin, ne voilent pas leurs femmes, pratiquent les cérémonies du baptême et de la communion. De tous les sectaires, les Kizîl bach sont ceux que leurs voisins accusent le plus obstinément — à tort ou à raison — de célébrer des fêtes nocturnes où règne la promiscuité la plus complète : de là le nom de Terah Sonderan ou "Éteigneurs de Lumières" sous lequel ils sont généralement désignés (cf Ernest Chantre, Tableau des tribus kurdes"). Le chef religieux des Kizîl bach réside dans le Dersim, près du fleuve Mourad.
D'autres sectaires abhorrés sont ceux que leurs voisins appellent « Adorateurs du Diable ». Les Kourdes Yezidi ou Chemsieh, quoique fort peu nombreux, cinquante mille au plus, sont épars sur un espace très considérable : ils sont cantonnés principalement dans les montagnes de Sindjar au nord des campagnes de la Mésopotamie, mais il en existe aussi sur les plateaux de Van et d'Erzeroum, ainsi qu'en Perse et dans la Transcaucasie, près des rives orientales du Goktcha (voir Moritz Wagner, Reise nach Persien und dem Lande der Kurden); une de leurs colonies s'était même -avancée jusqu'au Bosphore, en face de Constantinople (Von Hammer-Purgstall; - Carl Ritter, Asien). Haïs, exécrés par leurs voisins de toute religion et de toute race, tantôt obligés de combattre, tantôt fuyant devant leurs persécuteurs, réduits par la famine et par les maladies plus encore que par le glaive, ils ont pourtant réussi à maintenir de siècle en siècle leurs pauvres communautés, sans avoir comme les Juifs le solide point d'appui que donnent un corps de traditions écrites, l'histoire d'un long passé d'indépendance : ils n'ont que leur foi et le souvenir des luttes de la veille pour s'encourager à celles du lendemain; ils prétendent que leur grand saint, le cheikh Adi, écrivit un livre de doctrine, Aswat ou le « Noir », mais aucun document ne prouve la vérité de cette assertion, inventée probablement pour se faire respecter par les musulmans (Frederick Forbes, Journal of the Geographical Society, 1859). Nulle part ils ne vivent indépendants; les Yezidi du Sindjar, Kourdes croisés d'Arabes qui depuis des générations vivaient en républiques autonomes dans leurs citadelles de rochers, furent en grande partie exterminés en 1838; on enfuma les grottes dans lesquelles la plupart s'étaient réfugiés; les femmes furent vendues comme esclaves et les misérables débris des tribus durent accueillir des maîtres musulmans.
En comparant les récits des voyageurs qui ont visité les Yezidi dans les divers districts où ils sont dispersés, on constate de telles différences, qu'on a cru devoir admettre des origines multiples pour les sectaires classés sous le nom d'Adorateurs du Diable. Dans le voisinage des Arméniens, ils paraissent se rattacher à la même souche ethnique et des documents précis mentionnent le milieu du neuvième siècle et un village du district de Van comme l'époque et le lieu où la religion, d'abord simple schisme du dogme arménien, prit son origine. Dans le Sindjar, au contraire, on attribue aux Yezidi une origine arabe et leur culte serait dérivé de l'Islam. En Perse, ils sont considérés comme descendant des Guèbres ; pourtant le nom même qui leur a été donné les relie au monde musulman, puisqu'il est celui de Yezid, le calife abhorré, coupable du meurtre de Housseïn, le petit-fils du prophète. Enfin, les tribus kourdes les confondent souvent avec les sectes chrétiennes des plaines inférieures et font sur les uns et les autres les récits les plus bizarres : il n'est pas d'abominations qu'on ne leur prête, pas de fantaisies qu'on n'imagine sur leur compte. Leurs cérémonies diffèrent suivant les pays : il en est qui baptisent leurs enfants et qui font le signe de la croix (Azabel Grant, The Nestorians); en certains districts ils pratiquent la circoncision, ailleurs elle est défendue; les jeûnes sont strictement observés chez les Yezidi voisins de l'Arménie, tandis que d'autres Adorateurs du Diable se croient libres de manger en tout temps ; ici règne la polygamie, là une monogamie stricte; jadis la plupart étaient toujours vêtus de bleu, actuellement ils abhorrent cette couleur et sont voués au blanc. D'ailleurs, les sectaires persécutés ont dû, comme les hérétiques du chiisme persan, apprendre à simuler les cérémonies des cultes officiels : il n'est pas de saint chrétien ou musulman, sunnite ou. chiite, qu'ils n'acceptent comme leur et qu'ils ne vénèrent avec une ferveur apparente.
Le lien commun entre les Yezidi de diverse origine et de cultes distincts est l'adoration du melek Taous, leur roi Paon ou Phénix, Seigneur de Vie, Esprit Saint, Feu et Lumière, qu'ils représentent sous la forme d'un oiseau à tète de coq, placé sur un chandelier. Son premier ministre est Lucifer, l'étoile du matin, qu'ils n'ont cessé de respecter, malgré sa chute. Déchus eux-mêmes, disent-ils, de quel droit maudiraient-ils l'ange tombé, et puisqu'ils attendent leur propre salut de la grâce divine, pourquoi le grand foudroyé ne reprendrait-il pas son rang comme chef des armées célestes ?
Peut-être même les prophètes Moïse, Mahomet, Jésus-Christ étaient-ils son incarnation; peut-être est-il déjà remonté au ciel pour accomplir de nouveau, comme ministre suprême, les ordres du dieu législateur. Ils sont saisis d'horreur en entendant blasphémer le nom de l'Archange par musulmans ou chrétiens, et l'on dit que peine de mort est prononcée chez eux contre celui qui se servirait du nom de "Satan" ; ceux qui l'entendent ont pour devoir de tuer l'insulteur, puis de se tuer eux-mêmes (Taylor, Journal of the Geographical Society, 1868). Ils évitent même toute combinaison de syllabes qui pourrait rappeler le terme d'insulte. Ils accomplissent religieusement les ordres de leurs prêtres et nombre d'entre eux vont en pèlerinage au lieu sacré du cheikh Adi, qui se trouve au nord de Mossoul, sur la route d'Amadiah; leur pape ou cheikhkhan réside au bourg de Baadlî, situé sur une roche escarpée, mais le sanctuaire est dans un autre village, Lalech, où vécut un prophète, le "Mahomet" des Yezidi : c'est là que se font les grandes cérémonies et que l'effigie sainte du melek Taous est exposée à la vénération des fidèles; le matin, quand le soleil se lève à l'horizon, la foule des pèlerins salue la lumière en se prosternant par trois fois( Niebihr, Garzonu, Rich, Forbes etc). Les voyageurs, même les missionnaires catholiques et protestants qui ont été accueillis chez les Yezidi et qui devaient naturellement frémir à la pensée d'être en présence des Adorateurs du Diable, sont unanimes à les représenter comme moralement très supérieurs à tous leurs voisins, nestoriens ou grégoriens, sunnites ou chiites. Ils sont d'une probité parfaite, destructeurs et pillards quand la guerre est déclarée, mais, en temps de paix, respectueux jusqu'au scrupule de tout ce qui appartient à autrui. Ils se montrent d'une prévenance sans bornes à l'égard de l'étranger, bienveillants les uns envers les autres, doux et fidèles dans le mariage, très appliqués au travail. Les poésies qu'ils chantent en labourant le sol ou en se reposant aux veillées du soir sont tantôt des fragments d'épopées qui célèbrent les hauts faits des aïeux, tantôt des strophes d'amour, pleines de sentiment, parfois aussi des invocations plaintives. « Le chacal ne déterre que les cadavres, il respecte la vie; mais le pacha, lui, ne boit que le sang des jeunes. Il sépare l'adolescent de sa fiancée. Maudit soit celui qui sépare deux cœurs qui s'aiment! Maudit soit le puissant qui ne connaît pas la pitié! Le tombeau ne rendra pas ses morts, mais l'Ange Suprême entendra notre cri ! »
Dans la revue L'Ethnographie d'avril 1929, p. 224, rend compte du livre du livre de RHW Empson, The cilt of the peacock angel, A short account of the Yezidi tribes of Kurdistan with a commentary by Sir Richard Carnac Temple, London 1928.
Dans la Revue de thérapeutique médico-chirurgicale : journal des connaissances médico-chirurgicales de 1910 p. 683, un courrier des lecteurs de Mossoul raconte : "J'avais un domestique, Yézidi, mangeur de mouches. Il les attrapait avec une adresse remarquable. Comme le chien les happe avec la bouche, il les saisissait d'un mouvement rapide de la main droite, sur le creux de la main gauche il avait du gros sel. Il prenait la mouche, la plongeait dans le sel et l'avalait : entre ses doigts restaient les ailes qu'il laissait tomber, tout en ouvrant les mains pour attraper une autre mouche. Pas une ne lui échappait de celles qui voletaient à sa portée. Il ne se livrait à cet étrange exercice que les samedis. C'est, paraît-il, le jour spécialement consacré au Diable.
Dieu, en jetant Satan l'Ange rebelle, dans les abîmes, lui dit "Tu ne seras plus le roi des anges ; tu seras le roi des insectes, Baal ez zeboun, (vulg Belzebuth)." Généralement, on interprète cette phrase par "roi des mouches". Les mouches incarnent Cheïtan (Satan). et mon Yezidi, chaque samedi, en avalant des mouches, communiait dans le Diable. Je le menaçai de le renvoyer, car sa manoeuvre hebdomadaire me dégoûtait".
Comptes-rendus des séances de l'année... / Académie des inscriptions et belles-lettres 1918 JB Chabot Edesse pendant la Première croisade p. 442 :
"Mais si les. monuments lapidaires ne sont pas la pour rappeler le passage des Francs, il ne faut pas croire que le souvenir de leurs exploits ait disparu. Il est devenu légendaire il s'est perpétué dans la tradition orale jusqu'à nos jours, même parmi les populations les moins cultivées. Il y a vingt et un ans de cela, sur la route d'Ëdesse à Alep, dont chaque étape était marquée par les traces encore sanglantes du récent massacre des Arméniens, je rencontrai un homme appartenant à la tribu des Yézidis, secte mystérieuse des environs de Mossoul, que la persécution turque* a dispersée sans pouvoir l'anéantir. Cet homme me demanda " Est-ce bientôt que les Francs vont venir occuper ce pays? Et qui t'a appris, dis-je, que les Francs doivent venir ? Mais, fit-il 'avec assurance, les prophéties l'ont annoncé. "
Notons ce compte-rendu de voyage anonyme chez les Yézidis présentés par Perdrizet dans la Société de Géographie de l'Est p. 292.
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