Un regard catholique du XIXe siècle sur les médiums : le chevalier Roger Gougenot des Mousseaux
J'ai évoqué en février cet épistolier qui signala à Spinoza que la plupart des philosophes de l'Antiquité avaient cru aux revenants. Un autre auteur fait le même constat en plein cœur du XIXe siècle, en ajoutant même que Lucrèce lui-même malgré son atomisme croyait aux apparitions (p. 447), c'est le chevalier monarchiste ultramontain Roger Gougenot des Mousseaux, dans La magie au XIX siècle: ses agents, ses vérités, ses mensonges.
L'ouvrage, publié en 1854 puis à nouveau en 1864, est souvent mis en parallèle avec un autre du même tonneau que lui, la "Pneumatologie" de Jules de Mirville, paru la même année. Il a fait l'objet d'une attention particulière dans les milieux scientifiques (commentaire de la Gazette médicale du 25 février 1854, et dans le Revue médicale française et étrangère du 31 mai 1861). Par ailleurs Gougenot des Mousseaux dans l'édition de 1864 se vante d'avoir reçu des soutiens ecclésiastiques tels que l'archevêque de Besançon et le cardinal Ferdinand Donnet, archevêque de Bordeaux qui dans une lettre du 26 juillet 1863 lui écrivait : "Etranges contradictions de l'esprit humain quand il s'abandonne à ses propres forces ! Dans le siècle qui a précédé le nôtre, un matérialisme abject et grossier était hautement enseigné par plusieurs philosophes en renom ; aujourd'hui, une nouvelle doctrine a surgi, elle a écrit sur son drapeau : spiritisme. Malheureusement, elle ne s'est pas tenue au dogme de la spiritualité des âmes et de l'existence des esprits ; mais, dépassant toutes les bornes, se laissant entraîner aux aberrations de la magie, elle en a renouvelé sous nos yeux le hideux spectacle."
Gougenot des Mousseaux écrit en un temps où l'Eglise et la science ont le spiritisme (défendu notamment par La mystique divine, naturelle et diabolique de l'écrivain républicain allemand Joseph Görres paru en France en 1854) comme ennemi commun, mais où elles doivent malgré tout tâcher de comprendre précisément ce qui se développe en son sein.
Des Mousseaux cultive une vision englobante de la nature qui inclut les anges, les démons, et les âmes animaux qui n'existent selon lui "que pour les besoins et les fins de l'être organique" et périssent avec lui (pour Des Mousseaux, très hostile à la dictature des naturalistes du XVIIIe siècle, le théologien est donc le naturaliste complet). Dès lors que l'âme humaine est éternelle, "il ne doit point nous sembler impossible, avant examen, qu'étant séparée de son corps, elle anime la machine du fantôme et se prête au actes prestigieux de la magie". Cela lui permet de rester fidèle à l'Eglise sans rationaliser la croyance, sans exclure du christianisme le merveilleux : "Nous croyons, de la meilleure foi du monde, à tout ce qui a jamais été raconté de plus miraculeux sur les saints de Dieu" écrit-il en renfort de l'initiative de Montalembert de ne retrancher aucun miracle de la vie de sainte Elisabeth de Hongrie pour "complaire à l'orgueilleuse raison de notre siècle".
Résumons en quelques lignes ici son ouvrage volumineux :
A l'appui de sa thèse, l'auteur commence par la description des expériences de spiritisme auxquelles il a pu se livrer du fait de la notoriété que lui ont valu ses premiers livres. A Paris, dans une grande maison, il se retrouve avec quelques personnes dont une jeune fille médium de 16 ans qui écrit. Un esprit se manifeste au nom du seigneur de Saint-Fare qui dit appartenir à un homme vivant. L'usage est de tutoyer pareil esprit cavalier, ce qui va avec son humeur bavarde. L'esprit se dit bilocalisé, et un participant rattache cela au mesmérisme. Puis, les participants font tourner une table. Le meuble bouge, bondit, sans que personne le touche. On fait imiter à l'esprit des sons produits sur la table. Il charge le guéridon d'un poids qu'il peut lui enlever aussi vite.
Des Mousseaux se permet une digression ici comme il en fera d'autres dans son livre : il a connu le médium écossais Daniel Home qu'utilisait le comte Théobald Walsh de Serrant (un membre de la chambre de pairs française) et dénoncé dans son autre livre "Médiateurs de la magie" les esprits menteurs qui l'habitaient. Né en 1833 à Edimbourg, de tempérament très nerveux. Son berceau balançait déjà tout seul, et à 13 ans il eut une vision d'un ami mort qui lui apparut dans les 3 jours suivant son décès conformément à une promesse qu'il avait faite. Sa mère était voyante et prédit diverses morts, et tenait ce don peut-être de son grand oncle Colin Uquart et de son oncle Mackensie qui étaient aussi doués de seconde vue. Après sa mort en 1850 elle lui révéla en apparaissant qu'il avait pour mission de convaincre les infidèles, guérir les malades et consoler les souffrants. A partir de 18 ans, il est célèbre et assailli de visites. Les pouvoirs "médianimiques" (sic) le quittèrent par moments, souvent à titre de punition, mais il était toujours averti de leur départ comme de leur retour.
Après cette parenthèse Des Mousseaux reprend le récit de son expérience personnelle avec la médium. Notamment comment il fait participer un somnambule mesmérisé aux séances qui perçoit les mêmes choses que la médium. Il demande (p. 28) à l'esprit qui parle à travers sa médium de bien vouloir parler à travers quelqu'un d'autre. Elle demande l'autorisation "à un conseil supérieur, et répond d'après la sentence de ce sénat". Un des invisibles refusa "à grand renfort de coups et d'écritures" d'avoir pour médium la "femme du solliciteur qui venait de se le faire adjuger" et préféra une fillette de 6-7 ans. Les esprits font usage de la vérité comme d'un appât pour ensuite nous tirer vers le mensonge, estime Des Mousseaux. Le somnambule dit qu'il voit Saint-Fare tracer un cercle lumineux incomplet. pour protéger des esprits malins "Walbins et des Jonconrils". Au même moment la médium écrit "Ils sont drôles les errants, les Jonconrils et les Walbins" (des termes que Des Mousseaux retrouvera dans le De Inferno et statu doemonum ante mundi exitium d'Antoine Rusca de 1624 et qui désigneraient les premiers des chefs démons tourmenteurs et les seconds leurs gardes chiourmes subordonnés. L'esprit de Saint-Fare défie le somnambule dont il n'aime pas les visions, qui réplique en décrivant Saint-Fare. Un meuble se renverse (p. 33). Les participants entendent le sifflement de Saint-Fare, puis quand le somnambule désigne la taille (naine) de Saint Fare et déclare le prendre dans ses mains, ils entendent ses pas de félin. Il leur fait voir des lumières phosphorescentes.
Un soir, un esprit apparu pendant la séance accompagna Des Mousseaux chez lui et provoqua des "knockings" auxquels il mit fin en priant Dieu. Des Mousseaux conclut son premier chapitre en racontant l'histoire de la famille d'une médium et en insistant sur la folie qui peut s'abattre sur ces gens. Ce qui lui donne l'occasion de blâmer la relégation dans les asiles de victimes des Esprits de maladie (Spiritus infirmitatis - Luc XIII, 2) - c'est l'époque où certains demandent une Loi Grammont, celle sur les animaux, pour les aliénés (je note tous ces petits détails qui n'ont pas vraiment leur place dans ce billet simplement pour les garder à l'esprit et pouvoir les réutiliser dans le cadre d'autres recherches).
Dans un second chapitre, des Mousseaux étudie les anges, à travers la Bible, mais aussi en lisant Jamblique, Porphyre. Puis il critique les faux inspirés comme Swedenborg et Molriva, et détaille à nouveau des expériences de spiritisme qui révélaient des messages d'anges en apparence authentiques, puis il en vient à citer divers miracles autour de mouvements de statues dans les églises comme à Verviers près de Liège le 18 septembre 1692 ou en Italie en 1796 (il précise au passage que, selon lui, les miracles ne se répètent pas afin que les rationalistes n'en fassent pas des lois).
Le chapitre 3 est consacré aux démons. Ses considérations vont de l'Egypte antique à l'évangélisation des Mennomonis (Wisconsin) près du lac Michigan. Au nombre des "agents "de la magie, Des Mousseau recense le fluide, très à la mode en son temps. Selon l'auteur il s'appelait jadis "feu vivant", "magnès", et "les Pythagoriciens, élèves de la philosophie indienne, le nommèrent l'âme du monde" (p. 232). Dans la même veine au chapitre 7 il traite des oracles et s'en prend à Plutarque qu'il accuse de "matérialisme honteux" (sic) - p. 246 - ce qui n'est toutefois pas un rejet complet des auteurs antiques puisqu'il cite Lucain p. 353 par exemple. Les tentatives pour trier le bon grain de l'ivraie sont asse désordonnées.
Agacé par les gens qui nient sans les examiner les phénomènes surnaturels (comme le genevois de Gasparin), Des Mousseaux s'efforce de diaboliser ceux qui se traduisent par des prédictions et de la clairvoyance mais qui vont à l'encontre des dogmes catholiques : les dons médiumniques de certains prophètes convulsionnaires camisards (p. 353), les convulsionnaires jansénistes de Saint-Médard, une voyante (p. 388) qu'il a connue (fille d'un officier, un ange lui annonça la mort prochaine de sa sœur, puis elle put prévoir des malheurs à la minute près), les apparitions de fantômes à Elisabeth Eslinger à la forteresse de Weinsberg en 1835 (p. 423), relatées par le Dr Justinus Kerner (dont les ouvrages étaient traduits en de nombreuses langues), les visions de Frédérique Hauffeu, la voyante de Prévorts dans le Wurtemberg (commentée dans le Revue des deux Mondes du 15 juillet 1842), auxquelles il oppose Sainte Marie Bagnésie et sainte Liduine, voyantes elles aussi, mais que les démons ne détruisirent pas pour prix des dons qu'elle avaient reçus et qui, au contraire, rayonnaient de la présence du Saint Esprit.
En postface à l'édition de 1864, Des Mousseaux polémique avec un ouvrage de Louis Figuier, partisan de Calmeil et Bertrand, "Histoire du Merveilleux dans les temps modernes", paru en 1860, qui traite des épidémies de possession qui confère des dons (en 1700 dans les Cévennes, au XIXe siècle chez les Nonnains d'Allemagne), met sur un pied d'égalité les Saints, le païen Apollonios de Tyane et le juif Simon de Samarie, et affirme que la science moderne reproduira de pareils miracles. Des Mousseaux met la science au défi de ressusciter les morts et de multiplier les pains.
Je n'ai pas d'opinion sur l'ensemble de l'œuvre de des Mousseaux que je connais mal. Sans doute ses opinions anti-judaïques (le vieil anti-judaïsme chrétien qui caractérisait le catholicisme du XIXe siècle, et qu'on distingue de l'anti-sémitisme racial) ou anti-républicaines sont-elles antipathiques, mais elles sont relativement absentes de son livre qu'on ne signale ici que pour la lecture qu'il fait des expériences surnaturelles de son époque. Son travail a le grand mérite de suivre très attentivement et en détail le récit des phénomènes magiques relatés par des livres à la mode, tout en ajoutant aussi des témoignages de ce que lui-même a vécu. Il a des mots très justes pour condamner le scepticisme malhonnête des rationalistes. La manière dont il condamne comme démoniaque la plupart des expériences de clairvoyance devrait faire réfléchir beaucoup de médiums de notre propre époque. En lisant son livre, on découvre des auteurs du XIXe siècle dont Internet porte à peine la trace car notre culture laïque les a faits passer à la trappe. On découvre combien le romantisme allemand s'est intéressé aux médiums à travers par exemple la figure de Görres qui était très connue dans la France des années 1850 (on avait déjà vu dans ce blog le romantisme allemand s'intéresser à des expériences mystiques comme celle de Böhme). La similitude des expériences médiumniques de l'époque avec celles de notre temps est frappante. On découvre les oppositions qui peuvent naître entre catholiques et protestants à leur sujet. On remarque qu'au sein des rationalistes matérialistes, enfants du 18ème siècle, la mauvaise foi et la volonté de "ne rien savoir" et de travestir systématiquement les faits étaient aussi fréquentes que de nos jours. Mais elle était parfois compensée par un certain flou sur la définition de la science (c'était l'époque où celle-ci était ouverte au magnétisme, à l'homéopathie etc). De sorte qu'un Louis Figuier pouvait quand même pousser l'honnêteté jusqu'à accepter la réalité des miracles, tout en affirmant qu'une base scientifique leur serait découverte un jour. A n'en pas douter, pour notre propre réflexion sur les facultés de l'esprit et de la matière, les décennies de recherche et de réflexion de des Mousseaux sur la magie et le surnaturel méritent d'être redécouvertes.
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